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𝐇𝐚𝐧𝐚³ ⁷⁴¹


Mon réveil émet un bruit strident qui fait aboyer Ellie. Je l'éteins d'un coup et sors de mon lit pour ne pas me rendormir. C'est la première semaine depuis que je danse pour Seojun que je ne vais finalement pas danser. 

Pourquoi ? Parce qu'on a des shootings toute la semaine pour promouvoir son nouvel album, sa tournée internationale bientôt annoncée, et pour une marque de beauté américano-coréenne qui a contacté le manager de Seojun il y a trois semaines.

Mon niveau d'anxiété a dépassé son seuil.

J'ai passé la plupart de mon enfance et adolescence à être rabaissée à cause de mon physique et de ma différence, et voilà qu'une agence super-connue-du-monde-entier veut ma tête pour faire de la publicité ? Les univers s'aligneraient-ils enfin pour moi ?

Ça n'empêche pas mon anxiété de persister.

Je mets ma playlist anti-stress en route pendant que je me brosse les dents et choisis des vêtements qui – finalement – ne serviront à rien, puisqu'on va m'en donner d'autres. Il est huit heures, et je meurs déjà de chaud. 

J'applique ma crème solaire, parce que j'ai beau avoir la peau d'une Américaine, j'ai la sensibilité d'une Coréenne !

Je démarre à neuf heures pour aller voir Suwon, car nous ne nous sommes pas vus depuis le 27 avril (et nous sommes le 17 juin !). Pour ma défense, il est parti à New York voir sa famille. C'était l'anniversaire de la mort de sa sœur... 

Il m'a beaucoup manqué, mais je n'ai pas osé l'appeler. Je sais ce que ça fait de vouloir oublier son quotidien et de mettre sur pause les mauvaises ondes. Et des mauvaises ondes, il en reçoit souvent ! Écouter les problèmes de ses patients n'est pas une chose facile. 

Suwon est le genre de personne à s'oublier pour aider les autres à aller mieux.

Un quart d'heure plus tard, je suis dans son hall d'entrée. En le voyant, la première chose que je fais est de le prendre dans mes bras.

La deuxième est de pleurer comme une gamine qui n'a pas revu son grand frère pendant ses années universitaires.

— Toi aussi, tu m'as manqué, murmure-t-il en me rendant mon étreinte.

— La prochaine fois que tu pars à New York, je viens avec toi !

— Ah, c'est pour ça que tu pleures ? raille Suwon.

Je lui donne une tape sur l'épaule, puis m'affale sur son canapé. L'appartement de Suwon est tellement... vide. Il y a des meubles, évidemment, mais ça manque de couleur, de vie. 

Je pense qu'il s'en moque puisqu'il n'est pratiquement jamais chez lui.

— Alors, qu'est-ce que tu me racontes ?

Je souris en pensant aux dernières semaines.

— Nous avons tourné neuf clips, j'ai arrêté mon traitement car je me sentais mieux et j'ai des shootings toute la semaine parce que le monde m'ouvre enfin ses bras !

— Tu...

Suwon marque une pause, complètement... choqué ? Abasourdi ?

— J'ai... ?

Il secoue la tête avant de m'offrir un sourire fier. J'y décèle une once d'incertitude.

— Rien, oublie. Je suis fier de toi, Hana.

— Je sais. Et je n'en serais pas là si tu n'avais pas été présent quand j'en avais le plus besoin...

Un sourire triste prend place sur mon visage. J'essaie de l'effacer, mais il me colle aux lèvres.

— Mais tu comptes encore tes jours, c'est ça ?

Et voilà, la question que je redoutais. Je hoche la tête, craignant la réaction de Suwon. Mais il me sourit chaleureusement en hochant la tête.

— Et avec Seojun...

— Tout se passe bien, le coupai-je brusquement. Enfin, je veux dire : c'est vraiment quelqu'un de génial. Tu n'as pas à t'en faire !

Il fronce les sourcils, ce qui me pousse à justifier.

— Il danse avec moi, donc je suis obligée de lui faire confiance. Il reste avec moi lors des soirées, ce qui m'empêche d'avoir de mauvaises pensées ou de faire des bêtises et – cerise sur le gâteau – il me fait des pancakes tous les mardis !

— Il ne sait pas que c'est mauvais pour ton pancréas ? rétorque-t-il d'un ton que je ne lui connais pas.

Je hausse les épaules, lui expliquant que c'est un jour spécial.

— Tu sais, on a plusieurs shootings pour...

— Hana, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, tranche-t-il.

— Mais si, tous les artistes font leurs promotions comme ça, c'est pas...

— Arrête ! Arrête de te voiler la face, Hana !

Mon cœur rate un battement, comme la plupart de mes neurones qui essaient de s'assembler pour comprendre le comportement de mon meilleur ami. Pourquoi diable hausse-t-il si brusquement le ton ?

— De quoi parles-tu ? murmurais-je pour qu'il n'entende pas ma voix trembler.

Il déglutit, passe une main anxieuse dans ses cheveux avant de plonger son regard dans le mien.

— Tout ça : les tournages, les shootings, le nombre de tes abonnés sur les réseaux qui ne cesse d'augmenter de jour en jour, le fait que tu aies arrêté ton traitement parce que le premier mec venu te fait du bien...

— Pardon ?

Suwon me fixe sans retirer ses mots. En fait, il ne le fait jamais. Ce que Suwon dit est sincère. Toujours. Pas une seule fois il n'a retiré ses mots.

J'ai toujours aimé ça, mais aujourd'hui j'aimerais qu'il le fasse.

Sauf qu'il demeure muet.

— Tu penses vraiment ça ? Crois-tu vraiment que j'arrête mon traitement pour ça ?

Je me mords la langue pour ne pas pleurer.

— Je ne pensais pas que cette histoire irait si loin. Putain, Hana, tu étais juste censée danser pour une compagnie de danse, pas pour une célébrité ! Ce monde-là, dit-il en pointant sa fenêtre du doigt, ce qui t'attend, poursuit-il, ce n'est pas pour toi ! Ça ne te ressemble pas, pas maintenant !

Je suis trop blessée pour lui répondre. Un ange passe avant qu'il ne lâche :

— Tu devrais y mettre fin.

Les lèvres tremblantes, je récupère mon sac et me dirige vers le hall.

— Je dis ça pour ton bien, Hana. Je ne veux que ton bien, avoue-t-il.

— Me dire de mettre fin à mes rêves, crachais-je, ce n'est pas vouloir mon bien !

— Tu vas te brûler les ailes !

Je fais volte-face en lui crachant :

— Je préfère me brûler les ailes et réaliser mon rêve que de brûler sans but !

Puis je claque la porte de son appartement et laisse mes larmes ruisseler une fois dans ma voiture. Il nous arrive de nous disputer, ou de ne pas être d'accord sur un sujet. 

Mais de là à lui hurler dessus, les larmes aux yeux et la poitrine compressée ; ça n'est jamais arrivé. Ni de mon côté, ni du sien.

Après un long moment de réflexion, je me dis que ce sont des choses qui arrivent, qu'il m'aime et pense bien dire. 

Sauf que Suwon sait à quel point j'ai rêvé de ça. Ensuite, je me dis tout le contraire : c'est ma faute. Je dois l'écouter. Il est mon plus proche ami, et n'oublions pas une chose : Suwon conseille des choses bénéfiques pour la santé des autres.

Alors, que dois-je faire ? L'écouter ? L'ignorer ? J'y pense tellement que ça me fait mal à la tête, mais j'essaie de ne plus y songer lorsque j'arrive au point de rendez-vous donné par l'équipe.

— Bonjour, je suis Choi Hana. J'ai...

— Oh oui, bien sûr ! me coupe la femme qui me fait face. Bienvenue, Hana ! Seojun est déjà arrivé, tu souhaites le voir ?

Sa question me prend de court, alors elle prend mon silence pour un oui.

— Suis-moi, il est dans le salon.

L'endroit où nous allons shooter est une maison réaménagée spécialement pour les séances photo. D'après mon interlocutrice, les décors se font sur demande. Rapidement, je rejoins Seojun et le salue d'un geste muet.

— Voilà les amoureux, chantonne-t-elle, je vous laisse jusqu'à ce que Yoo-Joon nous rejoigne.

Je suis tellement sous le choc que je n'ose même plus avaler ma salive. Je sens le regard de Seojun sur moi, ce qui me pousse à poser ma question :

— Que vient-elle de dire ?

Il lève les yeux au ciel en avouant :

— Longue histoire, Hana. Très longue histoire...

Je croise les jambes et rapproche mon siège du sien, l'air très à l'écoute.

— Je pense que nous avons le temps.

Il souffle et semble crispé.

— Tu me promets de ne pas t'énerver ? Ou... de stresser ?

— Euh... si tu veux ? Allez, tu commences à me faire peur, là !

Il laisse le silence flotter entre nous pendant quelques secondes, espérant certainement trouver une excuse pour ne pas me raconter ce qu'il se passe. 

Mais les mots « les amoureux » me concernent également. Je pense que je mérite de savoir pourquoi cette femme pense que je suis avec Seojun.

— Ça a commencé avec des commentaires sous nos clips. Certains fans disaient d'abord qu'on dansait bien ensemble, puis d'autres ont ajouté que l'on ferait un beau couple... Et maintenant, certains espèrent que l'on sorte réellement ensemble.

— Attends, tu veux dire qu'ils espèrent...

Je cherche mes mots, mais je n'arrive pas à finir ma phrase pour une raison que j'ignore. Seojun acquiesce, l'air désolé.

— OK, ce sont les désirs de quelques fans, mais pourquoi cette femme pense qu'on sort ensemble ?

— Quelques milliers de fans, me corrige Seojun, et j'écarquille les yeux. Mais attends avant d'être choquée, dit-il, ce n'est que le début.

Mon cœur bat la chamade, et toute mon attention est focalisée sur ce qu'il dit.

— Tu connais Yoo-Joon et ses idées... farfelues ?

J'acquiesce. Oui, j'ai appris à le connaître au fil de ces dernières semaines. Il a quand même suggéré qu'on tourne dans une déchèterie pour le clip « Please, Fix It » ou que l'on s'embrasse pour de vrai dans « My Breath Of Ideas » (qu'on a évidemment refusé sur le champ).

— Et donc ? dis-je pour qu'il poursuive.

Il souffle encore une fois, visiblement contrarié par la situation.

— Il a vu l'ampleur que nos clips prenaient sur les réseaux, auprès des fans, et m'a confié que c'était la première fois qu'ils s'intéressaient autant à ma vie sentimentale.

Il change de position dans son fauteuil et se penche dans ma direction pour que je sois la seule à entendre :

— Pour la première fois de ma vie, Yoo-Joon m'a forcé à mentir à nos fans.

— Quel genre de mensonge ? demandai-je, hors d'haleine.

Il me répond après avoir dégluti :

— Que je raconte à mes fans que je suis tombé amoureux de toi.

J'arrête de respirer, à la fois perturbée et blessée.

— Il veut que nous sortions ensemble... pour de faux, conclut-il.

Je me redresse, me masse la nuque et inspire profondément.

Soudainement, tout devient clair : l'illumination sur le visage de la femme de l'accueil quand je lui ai donné mon nom, les demandes de shootings qui ont rempli toute ma semaine alors que Seojun et moi étions censés préparer le dixième clip, et...

« Le fait que tu aies arrêté ton traitement parce que le premier mec venu te fait du bien... »

Merde.

Mais oui ! Pourquoi n'ai-je pas ouvert mon Instagram ? Pourquoi n'ai-je pas posé plus de questions à Suwon pour comprendre pourquoi il me disait tout cela ce matin ?

« Tu vas te brûler les ailes ! » Bien sûr qu'il faisait allusion à ma (fausse) relation avec Seojun !

— Oh mon Dieu, c'est génial, m'exclamai-je en tapant dans mes mains.

Seojun a un temps d'arrêt.

— Euh... quoi ? Quand Yoo-Joon m'a expliqué son plan, j'ai piqué une crise, et toi, tu trouves ça... génial ?

Il rit, mais je m'empresse de lui expliquer.

— Mais non, imbécile ! Mon meilleur ami a cru à toute cette mascarade et il m'a piqué une crise, ce matin. Je pensais qu'il voulait que j'abandonne mes rêves, pas ma relation avec toi, expliquai-je en riant, soulagée.

Le visage de Seojun blêmit.

— S... ton ami t'a demandé de mettre fin à notre relation ?

— Oui, en quelque sorte... Mais ce n'est pas grave puisque je vais lui expliquer que tout est faux, donc...

— Désolé, Hana, tu ne peux pas, coupe-t-il.

C'est à mon tour d'avoir un temps d'arrêt. Seojun semble particulièrement... blessé ? Non seulement il ne connaît pas Suwon (donc son avis devrait lui passer dessus), mais en plus, mon ami croit à quelque chose d'inventé.

— Je ne peux pas quoi ?

— Tu te souviens de la charte de confidentialité que tu as signée en même temps que le contrat ? Eh bien... dire aux autres que notre relation est fausse va à l'encontre de cette charte.

Mes oreilles bourdonnent, et mon souffle se coupe.

Je percute enfin ce qu'il vient de me dire. Et ce que Suwon m'a dit ce matin.

Merde, mais oui. Je ne suis pas faite pour ce monde. Suwon avait raison ; je devais juste danser, pas finir dans une (fausse) relation avec l'une des célébrités les plus connues du monde !

Les fans qui m'adorent, puis rêvent de me voir dans les bras de leur idole, mon compte Instagram qui explose, les gens qui reconnaissent de plus en plus mon nom, les shootings...

— Je crois que j'ai besoin d'aller prendre l'air, dis-je, le souffle court.

Je me lève et me dirige vers l'arrière de la maison qui donne sur un petit jardin fleuri. Seojun me suit, mais il se justifie aussitôt :

— Je suis désolé, Hana. J'ai dit à Yoo-Joon que cette situation te mettrait mal à l'aise, mais il n'a rien voulu savoir. D'après lui, « les affaires sont les affaires ».

— Mes parents vont mourir d'angoisse, articulai-je. Suwon me déteste parce qu'il croit que je t'appartiens, et...

Je suis coupée par le rire de Seojun.

— Hé, mais ton ami me déteste ou quoi ?

Je hausse les épaules en essuyant les larmes aux coins de mes yeux.

— Je sais pas, il fait la grimace quand je te mentionne...

Il se crispe, soudainement gêné.

— Et si ça peut rassurer tes parents, ils peuvent venir dîner à la maison demain soir pour me rencontrer en personne, propose-t-il.

Je hoquette de surprise.

— Tu n'es pas sérieux ?

— Pourquoi ne le serais-je pas ? Ton ami me déteste, et je n'ai pas envie d'être sur la liste noire de tes parents.

Je souris, un peu rassurée qu'il propose ce genre de chose. Papa ne va plus le lâcher dès qu'il le rencontrera. Quant à maman...

— Sache que ma mère est très... protectrice. Peut-être même plus que mon père.

Son sourire se fane, ce qui me fait rire.

— Tu veux toujours les inviter ?

— Évidemment. Ta mère ne me fait pas peur, dit-il. Je me coltine déjà sa fille tous les jours.

J'éclate de rire, sentant la boule d'angoisse disparaître peu à peu. Seojun redevient sérieux, posant une main rassurante sur mon épaule.

— Ça va aller, Hana. Yoo-Joon t'a même assigné un garde du corps maintenant que tu commences à être... célèbre.

Je lui demande où est ce fameux garde du corps, et il me murmure qu'il est dans la cuisine, m'observant attentivement de loin.

— Il sait qu'on ne sort pas vraiment ensemble, ou est-ce qu'on va devoir se tenir la main à longueur de journée ? demandai-je.

Seojun sourit, me rassurant qu'il est au courant de tout. « Il est mes yeux et mes oreilles », d'après lui.

— Il s'appelle Frederic et vient tout droit de Washington. Tu peux autant lui parler en anglais qu'en coréen, et il te raccompagnera où tu veux. Mais si tu veux prendre ta propre voiture, il te suivra avec la sienne.

— Oh, euh... D'accord, dis-je, trouvant la situation vraiment impressionnante.

— Et ton appartement est sécurisé vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Waouh, j'ai vraiment la vie de Britney Spears juste parce que je sors pour de faux avec toi ?

— Évite de prendre l'habitude de dire « pour de faux », et oui, tu deviens la star que tu as rêvé de devenir. Vois cette mascarade comme un bonus pour te faire connaître.

Je hoche la tête, pleinement décidée à profiter de cette situation et à mettre mon angoisse de côté.

Fini de me cacher. Si les caméras me cherchent, me voilà !

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