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𝐇𝐚𝐧𝐚³ ⁶⁷⁵
Avec Jiny, nous nous sommes entraînés à la salle de sport hier, et mes courbatures m'empêchent de me concentrer convenablement. James aimerait terminer la chorégraphie qu'il nous apprend aujourd'hui. Je n'arrête pas de me sous-estimer. Je suis au fond – presque certaine que personne ne me verra dans le clip – parce que j'ai du mal à danser avec d'autres personnes. Su-ah n'est plus là pour m'encourager et maintenant que la cadence accélère, la pression est d'autant plus forte. Je suis toujours en retard sur les mouvements, alors j'essaie de me cacher derrière Lee qui est placé juste devant moi.
— Hana, décale-toi vers la droite, ordonne James en mimant ce qu'il souhaiterait que je fasse.
Je cache ma déception. Parfois, j'ai l'impression que James lit dans mes pensées. Il est un chorégraphe hors pair, chaque défaut de sa chorégraphie lui saute aux yeux et il s'empresse aussitôt de le régler. Les défauts sont souvent là par ma faute, me dis-je en essayant de compter mes pas.
Seojun est là, tout devant, au centre. Comparé à moi, il semble à l'aise. Ses pas sont parfaits, il donne l'impression de ne faire aucun effort. Pendant un instant, je m'attarde sur son t-shirt blanc. Sa transpiration l'a rendu transparent, révélant ses muscles et la couleur parfaite de sa peau. Depuis notre altercation au studio, mercredi soir, nous ne nous sommes plus adressé la parole. Il semble m'éviter, ce que je fais également. Mais contrairement à mes instants de contemplation, Seojun ne me regarde pas une seule seconde. Que ce soit pendant l'appel, l'échauffement ou la chorégraphie, à travers le miroir ou en face, je n'ai croisé pas une seule fois son regard. Et pour la première fois depuis longtemps, être invisible aux yeux d'une personne me dérange. Autrefois, je ne rêvais que de ça. L'invisibilité rimait avec tranquillité. Dorénavant, cela rime avec vulnérabilité. Oui, son ignorance ne me laisse pas indifférente. Néanmoins, ce qui me rassure est qu'il ne semble pas prêter plus d'attention au reste du groupe. Pourquoi me traiterait-il différemment ? Mais pourquoi espérerais-je le contraire ?
En fin de matinée, James et le groupe applaudissent parce que la chorégraphie est terminée.
— Nous nous entraînerons cet après-midi, puis filmerons le clip dès demain, annonce-t-il.
— Ouah, ça va vite ! s'exclame Jiny en rangeant ses affaires.
— Non, c'est le rythme imposé, informe James.
Je frissonne et mon estomac se retourne. Personne ne semble remarquer mon retard dans la chorégraphie. Si nous l'enregistrons demain, mes défauts me retomberont dessus.
— Hana, tu viens ?
Jun-ho m'attend, le reste du groupe sort petit à petit de la salle pour se diriger vers la cafétéria. Je n'ai ni faim, ni envie de rester avec eux. Mais ces derniers temps, je fais beaucoup trop bande à part et j'ai peur que cela ait des répercussions.
— Oui, je vous rejoins dans un instant, dis-je en faisant mine de fouiller dans mon sac.
Une fois qu'ils sont partis, je me tourne vers James qui met de l'ordre dans ses affaires.
— Est-ce que je peux vous parler ?
— Bien sûr, fit-il en se redressant.
Je me triture les doigts en cherchant le courage pour lui avouer le fond de ma pensée :
— J'ai l'impression de faire n'importe quoi dans votre chorégraphie.
James m'étudie silencieusement. Son regard est lourd, me donnant l'impression d'étouffer dans mon jogging.
— Est-ce que tu savais que je te connaissais bien avant toute cette histoire ?
Pour appuyer sur sa parole, il embrasse la salle en tendant les bras d'un geste théâtral.
— Vraiment ? dis-je, surprise.
— Oh Hana, tu m'insultes là. N'oublie pas que je suis américain.
Il pose sa main sur mon épaule.
— Comme toi.
Je frissonne. Étrangement, je me sens mal à l'aise. Mais James n'a pas l'air de comprendre que son geste est maladroit. Je recule et trouve quelque chose à dire :
— Comment m'avez-vous connue ?
Par chance, le chorégraphe ne perçoit pas mon malaise. Ma question le fait sourire, il répond fièrement :
— Les concours que tu as passés à New York ? Ils sont tous sur YouTube. Ma femme avait été jury, mais je suivais ces concours comme une émission télé ! Tu étais ma candidate préférée.
James me contourne pour se placer dans mon dos. Il relève mon menton et je fais soudainement face à mon reflet.
— Regarde-toi, dit-il en se décalant maintenant sur la gauche pour que je sois seule à me contempler. Tu ne fais pas n'importe quoi dans ma chorégraphie, au contraire.
— Alors pourquoi m'avez-vous placée à l'arrière ?
Il secoue frénétiquement la tête de gauche à droite.
— Ce n'est pas moi qui t'ai placée. Tu y es allée toute seule.
Sa remarque me frappe. J'ose me regarder dans les yeux, comme si j'étais une inconnue. Il a raison, j'y suis allée de mon plein gré pour ne pas gâcher le talent des autres.
— C'est vrai que j'aurais pu te mettre devant, poursuit-il. Mais laisse le monde te découvrir peu à peu. Les fans de Seojun aiment être surpris.
Il laisse ses mots en suspens, prend son sac et se dirige vers la sortie. Alors que je pensais qu'il avait fini, il se retourne en me disant :
— Seojun a écrit d'autres chansons pour que tu aies ta place à l'avant.
★★★
Lors du déjeuner, je ne cesse de repenser à ce que James m'a révélé. Seojun a dû lui donner ses chansons à l'avance pour qu'il ait le temps de préparer ses chorégraphies. D'après ce que je sais, Seojun est en retard. Pendant qu'il compose, son équipe est déjà en train de modifier et créer le titre précédent. Ils travaillent en quinconce afin de rattraper le temps perdu. Peut-être n'avait-il plus d'inspiration ? Mais trois chansons sont déjà finalisées. Nous avons alors trois chorégraphies à apprendre, avec celle que nous filmerons demain (si tout se passe bien).
— Et toi, Hana, ça te dit de venir chez moi vendredi soir ?
Je relève la tête de mon assiette. Toute la tablée me regarde et j'ignore s'ils souhaitent que je réponde oui ou non. Mais c'est Jiny qui me pose la question. D'après elle, nous sommes amies même si je ne connais rien d'elle et inversement. Contre toute attente, je réponds :
— Avec plaisir.
Jiny sourit en m'expliquant qu'elle fait une petite fête pour célébrer le premier clip que nous tournerons demain. Tout le groupe est invité, évidemment.
— J'essaierai d'inviter les nouveaux danseurs, annonce-t-elle. Vous savez quand ils sont censés venir ?
— Jeudi.
D'un seul homme, nous tournons tous la tête vers Seojun. Il est dos à nous car il se prend un café à la machine. Nous nous taisons un instant, admirant sa prestance mi-froide, mi-imposante. Lorsque Jiny se râcle la gorge, je sais d'avance ce qu'elle s'apprête à dire.
— Vendredi soir, nous fêtons...
— Je sais, la coupe-t-il. Je viendrai.
En se retournant, il ne s'adresse pas à Jiny, mais à moi. Je déglutis, me perdant dans la noirceur de ses yeux. La dernière fois que je lui ai parlé, c'était pour le traiter de salopard. Il ne semble pas m'en vouloir, mais Seojun semble prendre du plaisir à me tourmenter. Comme la fois où il m'a aidée lors de ma crise d'angoisse avant de m'encourager à abandonner. Il finit par s'éloigner avec son café, satisfait de son effet.
— Bordel, c'était quoi ça ! s'écrit Jiny.
Je lui lance un regard interrogateur.
— Ah, non, ne fais pas l'innocente ! Il t'a dévorée du regard !
— N'importe quoi, souffle Jun-ho.
— Je suis rarement du même avis que Jiny, mais elle a raison, confirme Lin. Seojun vient de te caresser des yeux.
Lee se marre, excité de la situation, et je choisis de me ranger du côté de Jun-ho.
— Non, vous avez dû rêver.
Ça ne leur fait pas changer d'avis. J'aurais pu trouver une meilleure excuse, mais rien ne me vient en tête. Je me surprends à espérer qu'elles aient raison.
— Bref. On ferait mieux d'y retourner, lance Lin.
J'acquiesce, soulagée que cette discussion prenne fin. Nous remontons dans notre salle, où James nous rejoint un instant plus tard. J'avoue que sa confidence m'a rassurée, je me sens plus à l'aise et confiante dans la chorégraphie au bout de la deuxième répétition. Lee me demande même un conseil sur un pas de danse, puis James décide de décortiquer chaque pas de la chorégraphie, ce qui m'encourage davantage.
Nous terminons sur une note plus amusante et moins prise de tête en faisant des étirements en binôme au sol. Malheureusement pour moi, Lin se met avec Jiny et Lee avec Jun-ho.
— La prochaine fois, on se met ensemble, me dit Jiny avec un sourire fier.
Il ne reste plus que Seojun. Il n'a pas non plus l'air d'avoir envie de s'étirer avec moi. Je fusille Jiny du regard, certaine qu'elle a fait exprès puisqu'elle glousse avec Lin.
— Tu veux qu'on s'étire ensemble ? me demande Jun-ho sous le regard outré de Lee.
— Non, t'es déjà avec Lee, rétorque Seojun. Viens-là.
Pour appuyer sur son ordre, il pointe son doigt sur moi puis vise le sol, juste face à lui. Je m'apprête à le sermonner d'être malpoli, mais James commence déjà à donner les consignes.
— Un du binôme va s'installer en papillon tandis que l'autre va pousser le dos de son partenaire vers ses genoux.
Seojun me fait signe de commencer. Je me mets en position du papillon (assise sur les fesses, en tailleur, mais les pieds collés). Mon partenaire se lève, se place derrière moi, et je réprime un frisson quand il appuie sur mon dos pour que je me penche en avant. Je sens soudainement mes muscles me brûler, mais Seojun appuie encore plus fort sur mon dos. Je gémis de douleur et lui dis :
— Doucement !
Mon front est sur mes pieds, mes coudes sur le sol. Seojun retire ses paumes, laissant une marque chaude sur mes omoplates.
— Échangez ! dit James en supervisant les groupes.
Seojun se met en position et je fais pareil que lui. Sauf que, contrairement à lui, mon poids est inférieur au sien. James le remarque, car il me conseille :
— Hana, couche-toi sur son dos. Ça mettra tout ton poids sur lui.
Je sens Seojun se tendre, alors j'écoute James uniquement pour approfondir son malaise. Je pose mes mains sur les genoux de Seojun et colle ma poitrine sur son dos en poussant sur mes orteils. Entièrement couché sur lui, je suis certaine qu'il sent mes battements de cœur. Mes cheveux tombent en cascade sur ses clavicules, le faisant frissonner.
— Très bien, passons au deuxième exercice, annonce James.
Seojun redresse facilement le dos – et moi avec – puis je comprends que mon poids n'a servi à rien. Mais pourquoi n'a-t-il rien dit ? Nous nous relevons sur les ordres de notre chorégraphe.
— Vous allez vous placer face à face et poser vos mains sur les épaules de votre partenaire. Ensuite, vous vous penchez jusqu'à ce que le sommet de votre tête touche celui de la voisine ou du voisin sans plier les jambes.
Nous nous exécutons. Les paumes de Seojun m'enveloppent les épaules et je frisonne quand les miennes se posent sur lui. Notre différence de taille rend les choses plus compliquées contrairement au duo de Jiny et celui de Lee.
— Essayez de lever une jambe en arrière en gardant l'équilibre sauf...
Je fais ce que James dit sans écouter la fin de sa consigne.
— Hana et Seojun.
Je comprends pourquoi c'était à éviter. Puisque je suis plus petite que Seojun, je perds l'équilibre et tombe à la renverse, entraînant Seojun avec moi. Ma tête cogne sur le sol et le bruit semble inquiéter mes camarades puisque j'entends des petits cris horrifiés. Je grimace et ouvre les yeux. Les petites étoiles s'effacent de mon champ de vision, me révélant le visage de Seojun. Son souffle caresse mes lèvres, nous n'avons jamais été aussi proches. Je sens tout mon corps s'embraser sous son poids, mes joues virent à l'écarlate quand je prends enfin conscience de la situation. Nous nous dévisageons longuement, puis Seojun se lève brusquement.
— Tu pourrais faire attention, râle-t-il.
Piqué au vif, je me relève et m'apprête à râler à mon tour sauf que je chancelle.
Je ne fais que ça, ces derniers temps.
— Attention, Hana, prévient James.
Jiny me rejoint rapidement. Jun-ho se dirige vers Seojun en déclarant :
— C'est aussi ta faute, mec. Tu aurais pu éviter que sa tête cogne contre le sol.
— Elle aurait dû écouter James jusqu'à la fin, poursuit Seojun en me fusillant du regard.
Mon cœur commence à battre très fort.
— Ce n'est pas gr...
— C'est beau de rejeter la faute sur Hana !
— Quel suceur, crache Seojun.
Puis Jun-ho fonce droit sur lui, aveuglé par la colère. Jiny pousse un cri surpris, Lee encourage son ami et James semble se lasser de la situation. La honte m'enveloppe quand je comprends que tout est ma faute.
— Les garçons, arrêtez ! s'écrit Lin en donnant une tape derrière la tête de son jumeau.
Ils se tapent dessus avec une violence qui me retourne l'estomac. Pitié, faites que ça cesse, espérais-je. Mais personne, pas même James, ne les sépare. Il semble cependant appeler un agent de sécurité.
Le système d'alarme de mon corps se déclenche tout seul quand Seojun frappe Jun-ho et qu'un filet de sang gicle sur le sol. Un souvenir m'éponge l'esprit, puis un voile noir s'abat sur moi.
Cette fois, mes jambes cèdent pour de bon.
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