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𝐇𝐚𝐧𝐚³ ⁷⁷⁰

C'est étrange, cette sensation de se sentir en sécurité dans un foyer qui n'est pas le sien. Ces draps propres et frais qui me rassurent et cette lune qui semble me sourire depuis cette chambre qui n'est pas la mienne.

C'est étrange de ressentir une chose qui me semblait pourtant connue.

Jiny s'est endormie il y a un moment déjà. Je n'ose pas bouger du lit par peur de la réveiller, alors je me contente de regarder les étoiles à travers ses rideaux rose poudré. Elles brillent, ce soir. Ou cette nuit, devrais-je dire. J'ignore quelle heure il est exactement, mais si le soleil commençait à se lever, ça ne m'étonnerait pas. J'ai passé la nuit à ruminer, haïr, songer aux événements de la veille, sans oublier ce message que j'ai reçu de Suwon il y a quelques heures.

Suwon : Il faut qu'on parle.

Je n'ai pas voulu répondre, par peur qu'il veuille se pointer en plein milieu de la nuit ou qu'il me reproche de ne pas dormir. Mais comment trouver le sommeil alors que mon adresse circule sur internet et que je suis incapable de me sortir son visage de mes pensées ? Pourquoi ? Pourquoi tout semble graviter autour de lui ? Quand je ferme les yeux, son visage envahit mes pensées et, quand je les ouvre, tout ce que je souhaite, c'est qu'il soit là, face à moi.

Ces derniers temps, je pensais aller mieux. Mais cette fois, je me sens encore plus malade que je ne l'ai jamais été. Peut-être est-ce un sentiment que je ne connais pas, mais si je parviens à mettre un nom dessus, je crains de préférer l'ignorer. Certaines choses n'arrivent pas toujours au bon moment. C'est pareil avec les sentiments ; parfois, il faut savoir les renvoyer d'où ils viennent. Mais encore faut-il connaître la raison de leur venue.

Je cligne plusieurs fois des yeux, avec l'impression gênante d'avoir du sable derrière les paupières. La sensation ne passe pas, alors je me lève doucement du lit double de Jiny et me dirige vers la salle de bain. Je pensais que me passer de l'eau fraîche sur le visage allait faire taire ces pensées pénibles, mais une seule demeure encore comme une agrafe dans la peau. Je peux encore le voir à travers la glace me dicter de plonger mes mains dans l'eau fraîche pour me calmer. Puis sa parole cinglante me pénètre telle une lame froide.

« Tu ferais mieux d'abandonner si tu ne te sens pas à la hauteur. »

Je ferme les yeux, espérant ne plus y songer et, quand je les ouvre à nouveau, le ciel a viré au rose. Les étoiles ne sont plus là pour m'apaiser, mais je me dis que le soleil peut faire fondre la glace qui me gèle tant de l'intérieur.

La veille, Jiny m'a accompagnée à mon appartement pour que je puisse prendre mes affaires. Elle a accepté de prendre Ellie sous son toit, ce pour quoi je lui en suis reconnaissante. Frederic nous a gentiment aidées à tout transporter, guettant discrètement le moindre danger aux alentours. J'ai bien évidemment pensé à récupérer mon journal, dans lequel je ne cesse de cocher ces stupides cases. 

Parfois, je me dis qu'elles ne s'arrêteront jamais, puis je pense qu'elles signifient mes jours de renaissance, alors ça m'encourage à le faire, parce que j'ai besoin de réaliser tous les jours que je vis encore. Que je respire et que j'ai la chance de ne plus souffrir.

Ouais, peut-être que je commence à devenir heureuse, ou plutôt à accepter la joie que je me refusais autrefois. La joie ne se refuse pas à vous, c'est vous qui décidez de ne pas l'accepter. C'est ce que j'ai fait. Ce que j'avais fait. Alors je contemple le soleil se lever doucement, illuminer chaque building au fur et à mesure de son avancée, et sa lueur jaunâtre me réconforte silencieusement. 

Je me replie sur le fauteuil de Jiny, face à son lit, et attends son réveil d'une patience que je ne me connaissais pas. Mes sacs gisent sur le sol, dont un que j'ai dû ouvrir pour enfiler mon pyjama. En les voyant ainsi prendre autant de place, je m'en veux de devoir embêter Jiny avec mes histoires. Néanmoins, je lui en suis tellement reconnaissante de m'avoir proposé son aide. Je ne me voyais pas retourner chez mes parents et encore moins dormir dans les draps de Seojun une nouvelle fois, même si je suis consciente que, s'il me l'avait proposé, je n'aurais pas osé refuser. Il a un pouvoir sur moi que je ne peux dissimuler. 

Chacune de ses paroles pénètre en moi. Tout ce qu'il fait, je le garde en mémoire. Ses faits et gestes sont comme une poésie qui a de trop bonnes rimes pour ne les lire qu'une seule fois. Mais il n'est pas aussi transparent qu'un livre ouvert. Parfois, j'aimerais forcer la serrure pour lire ce qu'il cache.

— Hana ? Tu es déjà réveillée ? marmonne doucement Jiny.

Je me tourne vers elle en espérant qu'elle ne remarque pas mes yeux fatigués. J'ai passé la nuit à penser mettre de l'ordre dans mes idées, mais ça n'a fait qu'empirer. J'aurais bien fait de prendre un somnifère.

— Oui, mens-je en feignant de m'étirer, James m'a demandé d'aller m'entraîner avant les autres, ce matin.

Elle prend le temps de plonger ses pieds dans ses chaussons et de rabattre soigneusement sa couette sur son lit. Elle est vraiment mon contraire. Je crois que je n'ai jamais fait mon lit.

— Ah oui, c'est vrai, dit-elle après un silence. Tu prends ton petit-déjeuner avec moi, quand même ?

Je hoche la tête, me disant que si je ne mange pas, je ne tiendrai pas jusqu'à la pause déjeuner. J'ai déjà sauté le dîner d'hier et une nuit de sommeil, il ne faudrait pas abuser de mon corps.

Déjà que j'ai arrêté mes antidépresseurs.

— Œufs brouillés, banchan, jus d'orange, thé, café... mais il me reste aussi du kimchi et du jus de kiwi, si tu le souhaites, confie Jiny lorsque nous nous installons à table.

— Non, c'est très bien, merci !

Elle m'a laissé prendre tranquillement ma douche pendant qu'elle préparait cette magnifique tablée. J'en ai profité pour détendre mes muscles et faire quelques exercices de respiration, tandis que l'eau chaude ruisselait sur mes muscles endoloris par cette longue nuit de rumination. 

J'ai remarqué une chose chez Jiny qui m'a frappée de suite : elle est très souriante dès le matin. À vrai dire, elle est toujours très souriante. Parfois, j'envie sa facilité à sourire autant, parce que je suis consciente qu'elle ne vit pas toujours des moments joyeux, surtout lorsqu'elle se retrouve seule dans cette grande maison et que ses parents la préviennent qu'ils ne rentreront pas.

Jiny est ce genre de fille à s'oublier pour les autres, afin de ne plus ressentir la tristesse qui demeure au fond d'elle.

— Merci, lui dis-je du bout des lèvres.

Elle ignore de quoi je veux parler, alors j'ajoute :

— De m'aider comme tu le fais. Ça compte beaucoup pour moi.

Son regard se voile, mais ce sourire reste. Elle pose une main sur la mienne, comme elle le fait si souvent, avant de me répondre :

— C'est ce que font les amies, tu sais ? Ta présence ici m'aide beaucoup aussi. On est quittes !

Elle appuie sa remarque par un clin d'œil, et je lui souris en voyant qu'elle est sincère.

Nous passons le quart d'heure suivant dans un calme apaisant à échanger ou aborder des sujets qui me font me sentir légère. J'aimerais lui parler de mes sentiments envers Seojun, enfin, ceux que j'ai ressentis dernièrement, mais c'est comme si un étau enserrait ma gorge, étranglant mes mots et rendant leur chemin plus douloureux qu'il ne devrait l'être.

Ensuite, je la quitte afin de me rendre au studio. Dans la voiture, Frederic est si silencieux que j'ai l'impression d'être seule. Le soleil tape sur le pare-brise, m'obligeant à plisser les yeux. La sensation d'avoir du sable règne encore, alors je passe une main sur mon visage en espérant retirer cette désagréable impression.

★★★

Il fait si chaud dans le studio que je suis en nage après avoir répété la chorégraphie deux fois seulement. J'augmente la climatisation et humidifie ma serviette pour m'éponger le visage. Je suis officiellement éveillée depuis que j'ai finalisé mon échauffement, mais cette sensation de léthargie ne me quitte pas définitivement. Il faut que je sois en mouvement et que la musique tourne sans cesse pour que je ne sois pas tentée de me coucher sur le sol pour taper un somme.

Il n'est pas encore neuf heures, mais je sais que Seojun ne va pas tarder, ce qui a le chic de me déconcentrer. Chaque minute, mon regard se dirige vers la porte du studio, ce qui me fait prendre du retard sur les temps de la musique, et je n'arrive jamais à la terminer convenablement. 

Si James remarque mon état catastrophique tout à l'heure, il ne manquera pas de me lancer ce regard mi-inquiet, mi-réprobateur, comme s'il hésitait entre me secouer ou me prendre en pitié.

Alors que je laisse mes pensées me noyer, je ne remarque pas tout de suite Seojun dans mon dos. En me tournant, je sursaute alors qu'il est adossé contre la porte – soigneusement refermée derrière lui. Prendre conscience que nous sommes seuls me rend soudainement anxieuse.

— Je ne voulais pas t'effrayer, s'excuse-t-il, mais j'aime bien te voir danser seule.

Il s'approche jusqu'à moi, et je m'entends lui demander pourquoi.

— Tu m'inspires.

Mon cou me gratte, et j'ai chaud jusqu'aux oreilles. Pour penser à autre chose, je recule en confiant :

— James m'a demandé de venir plus tôt pour répéter.

— Pourquoi ? On ne filme que la semaine prochaine et tu n'es pas si catastrophique que ça.

Je baisse les yeux, blessée qu'il ait remarqué que je n'étais pas concentrée, hier.

— Tu as bien dormi ?

Je redirige mon regard vers lui, consciente que je ne peux pas regarder ailleurs. Sa question me prend de court, mais je m'empresse de répondre afin de ne pas laisser mon silence affirmer ses doutes.

— Oui, très bien.

J'ai envie d'ajouter que le lit de Jiny est très confortable, mais j'ai peur qu'il comprenne que j'abuse.

— Menteuse.

— Quoi ?

— Tu n'as pas fermé l'œil de la nuit, répond-il calmement, et je déteste cette manie qu'il a de lire en moi comme dans un livre ouvert.

Si je le pouvais, je me cadenasserais.

— Tu as mangé, au moins ?

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi son intérêt m'irrite soudainement. Son comportement n'a pas changé ; cela fait bien longtemps que Seojun prend soin de moi, même si je n'arrive pas toujours à le remercier.

— Si je te dis oui, tu vas me croire ?

— Peut-être, rétorque-t-il, pour une fois que tu as l'air de tenir sur tes jambes.

Je lui lance un regard qui signifie qu'il peut me croire. De toute façon, ce ne sont pas ses affaires.

— Et je peux savoir pourquoi tu n'as pas dormi ? questionne-t-il encore.

— Arrête, dis-je d'une voix blanche, et ma gorge me fait soudainement mal.

Il fronce les sourcils, visiblement intrigué par l'erreur qu'il aurait pu commettre. Je m'explique avant qu'il ne me pose davantage de questions :

— Arrête de me demander si je prends soin de moi. Je suis assez grande. Et puis... si tu t'inquiétais vraiment, tu ne m'aurais pas laissée rentrer seule chez moi alors que...

— Hana, me coupe-t-il.

Je suis si étonnée par sa voix douce que je me racle la gorge.

Il s'approche de moi, mais je recule par réflexe. Un voile s'abat sur ses yeux quand il murmure :

— Oh... Je comprends, maintenant.

Moi, je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi mon cœur bat aussi fort alors que je n'éprouve aucune anxiété.

— Qu'est-ce que tu fais ? je lui demande.

Il avance encore et je recule. Chaque pas qu'il fait vers l'avant est un pas vers l'arrière pour moi. Mais je suis vite stoppée par le mur qui me fait comprendre que je n'ai plus aucune échappatoire. Désormais, l'odeur de Seojun envahit mon espace vital. Je peux même percevoir les détails discrets de son visage. 

Mon cœur tambourine dans mes tempes, et ma respiration se fige à mesure que la proximité étouffante avec Seojun s'intensifie. Je plaque mes mains sur son torse pour l'intimer de s'arrêter. Étrangement, je ne souhaite pas non plus qu'il s'éloigne.

— Je crois que je vais faire une crise d'angoisse, dis-je du bout des lèvres.

Mes mains brûlantes tremblent sur son t-shirt.

— Oh, non, mon cœur, ce n'est pas une crise d'angoisse.

J'aimerais lui demander pourquoi il doute. Seojun m'a toujours aidée pendant mes angoisses, alors pourquoi prend-il ma confidence à la légère ?

— Qu'est-ce que tu racontes ? lui dis-je.

Il se mord la joue, et son regard noisette semble plus foncé que d'habitude. Ses pupilles sont presque dilatées.

— Réfléchis un peu, m'intime-t-il.

Réfléchir ? Avec ce cœur qui bat ? Cette respiration sifflante ? Lui, si proche de moi ?

— Le pire, ajoute-t-il, c'est que tu le sais au fond de toi.

Comme s'il parlait directement à mon esprit, mes yeux descendent sur sa bouche. Ses lèvres sont fines, et je me souviens qu'elles forment parfois une fossette avec sa joue lorsqu'elles se relèvent.

— Tu risques de passer ta journée à être distraite, mais merde.

Sans me laisser le temps d'avaler ses paroles, ses lèvres se posent sur les miennes. Mon premier réflexe est de le repousser, puis je comprends que je n'en ai pas envie. Absolument pas. Son baiser est une réponse que je n'aurais jamais pu trouver seule. Mes mains agrippent son t-shirt par peur qu'il recule, mais Seojun ne trouve rien d'autre à faire que de poser ses mains sur mes hanches.

— Enfin, je l'entends murmurer contre mes lèvres.

Mon cerveau disjoncte. C'est mon premier baiser.

Je ne suis capable de penser à rien hormis ce baiser. Hormis son souffle sur mon visage, ses mains chaudes que j'autorise enfin à divaguer sur mon corps sans éprouver le moindre embarras. Mon corps est le rival de la chaleur estivale.

Seojun remarque que je perds pied, alors il s'écarte, mais je réussis à poser une dernière fois mes lèvres sur les siennes. Cela lui arrache un râle qui résonne au creux de mes reins.

— Sacrée crise d'angoisse, jure-t-il.

— La meilleure que j'ai eue, j'articule.

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