4,
𝐇𝐚𝐧𝐚³ ⁶⁶⁹
Quand j'atteins enfin mon sofa, je m'autorise à souffler. Ellie remue frénétiquement la queue, heureuse de me voir. La journée a été si longue que je suis fière de cocher ma case journalière. C'était limite, aujourd'hui, me dis-je en repensant à ce qu'il s'est passé dans les toilettes. N'ayant rien dans le ventre depuis que j'ai rendu, je sors les restes que maman m'a ramené hier matin. « Tu n'auras pas le temps de manger et encore moins de cuisiner », m'avait-elle dit en se pointant avec un sachet rempli de ses tupperwares. Papa a contribué, puisque ce soir je mange le poulet qu'il sait si bien cuisiner. Je crois d'ailleurs qu'il est le seul à le faire de cette façon. Il aurait dû ouvrir un restaurant avec maman au lieu de créer sa propre entreprise américano-coréenne.
Je m'allume la télévision et tombe sur un reportage sur l'Alaska que je ne regarde pas vraiment. Mes pensées sont dirigées vers Seojun, qui n'a cessé de m'ignorer toute l'après-midi. Je n'ai pas eu un seul regard de sa part, pas même lorsque James – notre chorégraphe de contemporain – nous a mis ensemble pour un exercice d'échauffement. Je sens encore ses mains sur mes hanches lorsqu'il m'a fait tourner sur moi-même et la sensation de son souffle chaud qui caresse ma peau. Ça me met tant mal à l'aise que je fonce me laver avant que les minutes du micro-onde ne s'égrènent. Encore sous la douche, je pense à lui. Sauf que cette fois, je suis en colère. Oui, je sais, c'est étrange de penser à un mec quand on est nu sous la douche, mais c'est encore plus étrange quand on le déteste. Je n'arrive pas à comprendre son comportement, alors ma frustration ne cesse d'accroître. J'enfile mon pyjama et redescend pour manger. Soudainement, je n'ai plus faim. Je me sens vide, fatiguée. En me disant que sauter un repas ne me fera pas si mal que ça, je vais directement me coucher, persuadée que demain sera un meilleur jour.
Mais le quart d'heure qui suit est si étouffant que je me lève, ouvre une fenêtre et m'y installe pour contempler les étoiles. Le sommeil semble plus loin que la lune. Je m'autorise à me perdre dans les étoiles, me sentant comme une étrangère à leurs côtés. Moi, je ne brille pas assez, leur murmurés-je. J'ai même failli m'éteindre avant de connaître la lumière, pensés-je et une larme coule le long de mon visage. Si je suis si triste, perdue et parfois très découragée, c'est parce qu'une partie de moi est morte il y a cinq ans. Je me suis vu mourir il y a dix ans et j'ai failli perdre la vie il y a cinq ans. Tous les médecins disaient que je n'irais pas plus loin. L'espoir n'était plus que de la poussière. Mais je m'y suis accroché, si fort que la mort ne m'a pas prise. Je compte mes jours depuis celui-ci, comme une renaissance. Une seconde chance. Chaque jour qui s'écoule est un jour qui m'éloigne de la mort. Mais il ne se passe pas une seule journée où j'ai peur de mourir. La mort semble m'attendre, patienter sagement sur le seuil de ma maison. C'est pour cette raison aussi – en plus du harcèlement – que j'ai du mal à vaincre la foule. La peur se loge partout en moi, comme un venin qui immobilise le corps. Elle me mord si fort qu'elle pourrait me dévorer.
Sachant que je ne trouverais plus le sommeil, j'enfile mon legging et un t-shirt. J'attrape mes pointes et les fourres dans mon sac, ignorant si je les mettrais ou non. Je me guide tel un automate jusqu'au studio. Lorsque je badge, mon envie de danser et si forte que des fourmilles me grimpent sur les jambes. Il n'y a pas un chat, pas même Mme Yujin qui est habituellement à l'accueil. Mais je sais que là-haut, au deuxième étage, un agent de sécurité regarde les caméras. Je m'enregistre alors sagement et me faufile jusqu'au premier étage, où se trouvent les salles de danse. Puisque j'ai une mauvaise expérience dans la première, je me dis qu'aller dans la salle du fond ne fera qu'accentuer mon mal-être. Il faut que je prenne mon courage à deux mains et me réconcilie avec les miroirs qui rejettent mon reflet comme une vérité alarmante. Je branche mon téléphone à la sono et choisis une musique de ma playlist, décidant que danser sur une musique de Seojun est une mauvaise idée si je veux me le sortir de la tête.
Je m'échauffe un quart d'heure, danse sur quelques musiques mais ça ne suffit pas. Plus je danse, plus je me sens énervée. Alors je change du tout au tout. Je sélectionne une musique plus calme et enfile mes pointes. Soudainement, je me sens comme à la maison. Je préfère le contemporain au classique, mais la danse classique fait partie de moi. On ne fait pas de solfège avant de jouer au piano. C'est pareil pour le classique, on ne le danse pas avant de se lancer dans le contemporain. Pour moi, en tout cas, ça a toujours été ainsi.
Je me laisse guider, calant mes battements de cœur au rythme de la musique. Écoute-le, il bat, me dis-je. Puis j'oublie où je suis, qui je suis, ne pensant qu'à ses battements de cœur.
1, un battement ;
2, un battement ;
3, un battement ;
4, un battement ;
5, un battement ;
6, un battement ;
7, et un battement ;
8, enfin je vis.
Puis je recommence jusqu'à ce que mon souffle se fait court et que mes jambes se fatiguent. Dehors, il fait nuit noire. Il n'y a que les étoiles qui m'accompagnent dans ma détresse, comme une bouée de sauvetage en pleine mer déchainée. Malheureusement, mon état de santé me rattrape rapidement. Étant donné que je n'ai rien dans le ventre depuis des heures je m'écroule sur le sol, prise de vertige.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? s'élève une voix dans mon dos.
Je me redresse, surprise et à la fois paniquée. Des étoiles dansent encore dans mon champ de vision jusqu'à ce que Seojun s'approche de moi.
— Tu vas bien ?
Il me propose son aide en me tendant sa main. J'ai la tête qui tourne, mais ma colère reprend le dessus.
— Qu'est-ce que ça peut te faire, dis-je sèchement en repoussant sa main.
Mais quand je me lève, je m'écroule une seconde fois. De justesse, Seojun me rattrape.
— Tu ne crois pas que tu as assez danser aujourd'hui ?
Son souffle me chatouille la mâchoire tandis que ses bras m'encerclent la taille. Je le repousse une seconde fois.
— Laisse-moi tranquille.
Il faut que je m'accroche au mur pour ne pas tomber. Et dire que j'ai laissé le plat de maman dans mon micro-onde !
— Non, informe-t-il, les bras ballants. Parce que s'il t'arrive quelque chose, il nous manquera une danseuse et je n'ai pas envie de refaire des auditions.
Un rire jaune me secoue. Seojun m'interroge du regard.
— C'est tout ce qui t'importe, crachais-je. Un coup tu me dis de quitter l'agence, puis un autre coup tu t'inquiètes pour tes clips. T'en a rien à foutre des autres.
Et par « les autres », j'entends « moi ».
Je retire mes pointes et les range dans mon sac sous le regard de Seojun. Il sait que j'ai raison, ça se lit sur son visage.
— Viens dîner avec moi.
Stupéfaite, j'arrête tout mouvement et lui fait face.
— Tu invites toujours ceux que tu n'aimes pas à dîner en ta compagnie ?
Ma remarque semble le déconcerter puisqu'il réfléchit un instant.
— Tu as raison.
Puis il fait volteface en me laissant seule dans la salle. Je pique un fard et va à sa poursuite.
— Mais tu te fiches de moi ?
— Rentre chez toi, Hana, lance-t-il sans se retourner.
— T'es qu'un salaud ! Un salaud qui ne sait pas ce qu'il veut, criés-je.
— Et un salaud qui te dit que tu ferais mieux de te nourrir avant de tomber une bonne fois pour toute dans les pommes.
Il n'a pas allumé la lumière du couloir, alors je le regarde partir jusqu'à ce que la nuit l'ait englouti. Mon cœur bat fort et mes mains tremblent. Elles tremblent parce que mon corps est affaibli, mais aussi parce que je suis en colère. Sincèrement, j'aurais aimé lui dire merci pour ce qu'il a fait concernant ma crise d'angoisse, mais les paroles qui ont poursuivi m'ont fait reculer d'un pas. Ensuite, j'aurais bien aimé dîner avec lui, mais son comportement me dérange. J'ai déjà eu assez de soucis avec mes camarades de classe, je ne veux plus que cela arrive. Si Seojun s'avère être ce salaud, je refuse de le côtoyer en dehors de la danse.
𝐒𝐞𝐨𝐣𝐮𝐧
Hana est très belle. Je l'ai vu en robe de cocktail, je l'ai vu danser, mais Seigneur... Hana est sexy quand elle s'énerve. J'ai dû partir pour ne pas l'embrasser. Elle a raison quand elle m'a dit que je ne savais pas ce que je voulais et encore plus quand elle m'a traité de salaud. Quand elle est là, je ne sais plus comment me comporter. Je sais que je devrais la détester, mais Hana a quelque chose en elle qui m'empêche de porter de la haine envers elle. Je presse le pas pour rejoindre ma voiture, m'empêchant de remonter au deuxième étage et de capturer ses lèvres.
Mais j'avoue être inquiet de la laisser en plan alors que ses couleurs avaient quitté son teint et qu'elle semblait à peine tenir sur ses jambes. Je compose alors le numéro du seul qui puisse l'aider sans qu'elle se rende compte que ça vient de moi.
— Âllo ?
— Salut Suwon, dis-je, j'espère que je ne te dérange pas si tard...
— Non, pas du tout, me coupe-t-il, qu'y a-t-il ?
— Je t'appelle à propos d'Hana.
A l'autre bout du fil, je sens Suwon se tendre.
— Elle n'a rien mangé aujourd'hui et je viens de la croiser au studio. Elle n'avait pas l'air très bien.
— Merde ! T'es avec elle ?
Mon silence semble donner une réponse à sa question.
— Seojun... Quand tu dis qu'elle n'avait pas l'air très bien, qu'est-ce que tu entends par là ?
— J'en sais rien, les jambes tremblantes et le visage un peu pâle
Il souffle à l'autre bout du téléphone, désespéré et inquiet.
— Je vais l'appeler. Tu n'aurais pas dû la laisser seule.
Sa dernière phrase a été sèche, je n'ai rien pu ajouter puisqu'il a raccroché. J'ignore ce qu'il me cache à son propos, mais... Non, ce ne sont pas mes affaires, me repris-je. Je démarre la voiture et rentre chez moi.
Hana ³ ⁶⁷⁰
Quand Suwon m'appelle, je remarque qu'il est déjà minuit passé. Je suis en train de m'acheter une barre chocolatée au distributeur et répond à son appel d'un air tranquille :
— Salut !
— Hey, dit-il et je remarque que sa voix tremble, tu vas bien ?
— Euh... Oui. Et toi ?
— Ça va super. Qu'est-ce que tu fais de beau ?
Quelque chose cloche. Ce n'est jamais Suwon qui m'appelle à cette heure, d'habitude c'est toujours moi.
— Comme je n'arrivais pas à dormir je suis allée danser un peu, révélés-je en fermant les yeux par peur qu'il ne me sermonne de trop forcer.
— Et tu as déjà dîner, n'est-ce pas ?
Oups. Je ne sais pas quoi répondre. Suwon sait quand je mens, mais le temps que je m'invente un mensonge mon silence m'aura dénoncé.
— Hana, tu sais que tu devrais manger. Surtout si tu fais autant de sport !
— Oui, je sais. Mais ne t'inquiète pas, j'ai du poulet à la maison et là je suis en train de manger une barre chocolatée.
Je sens qu'il se détend puisque ce que je dis est vrai.
— Il faut que je rentre me coucher, ajoutés-je, demain sera une longue journée !
— D'accord, quand est-ce qu'on peut se voir ?
Je fais la moue en croquant dans ma barre.
— Pour une séance ou juste parce qu'on est amis ?
— Les deux, rétorque-t-il, ça fait longtemps que nous n'avons plus parlé et tu passes tes journées à faire des choses nouvelles.
— Danser n'est pas nouveau pour moi, tu sais, informés-je en sachant très bien où il veut en venir.
— Oui, mais danser pour une célébrité mondialement connue, faire des clips avec des gens autour de toi n'ont rien d'habituel. Et ne me dit pas que tu n'as fait aucune crise d'angoisse depuis la veille des auditions !
Il a raison. C'est ma première semaine (mon deuxième jour pour être précise) et j'ai l'impression de me perdre dans un torrent d'informations. Les autres semblent suivre la cadence, j'y survis à peine. Sans parler de Seojun qui a décidé de compliquer les choses. Mon but n'est pas d'éviter Suwon, mais je suis beaucoup trop fatiguée pour planifier un rendez-vous. Je lui dis que je le rappellerais et il me souhaite bonne nuit après avoir répété que je devais manger et me reposer. Je raccroche, rentre à la maison et m'endors après avoir englouti le plat que m'avait préparé papa.
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