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𝐒𝐞𝐨𝐣𝐮𝐧


La pluie ruissèle sur la fenêtre de ma chambre pendant que les derniers rayons de soleil disparaissent derrière les immeubles. J'ai des tonnes de chose à faire, comme terminer ma valise, préparer mon sac de voyage, me laver, faire à manger pour ce soir, mais j'ai eu une poussée d'inspiration, m'empêchant de vaquer à d'autres occupations.

Le problème avec l'inspiration, c'est qu'elle part et revient sans prévenir. Un peu comme la solitude, sauf que je suis content lorsqu'elle est là. C'est peut-être la venue de mon week-end à New York qui m'inspire ou bien le fait que ma semaine a été consacrée à la production de ma nouvelle chanson « Save Me From Loneliness » qui figurera dans mon prochain album.

Je ne l'ai pas encore faite écouter à mes amis, en général, j'attends toujours qu'elle soit officiellement terminée. Misul est censé dormir à la maison ce soir, puisque nous partons tôt demain matin. Je suis certain qu'il va vouloir l'écouter avant tout le monde.

La chanson que je suis justement en train d'écrire n'a pas encore de titre, mais je sais de quoi je parle. Vous savez, ces petites gouttes qui coulent de vos yeux quand votre cœur est soudainement compressé ? Je parle justement de ça. Moi, je ne les ai pas. Jamais. Même (surtout) quand mon cœur est compressé. Mes dernières larmes remontent au départ de Jinwoo. Je n'ai plus jamais pleuré depuis. C'est une étrange sensation. J'en ai déjà parlé à Suwon, il dit que la dépression amène les gens à être « émotionnellement insensible ». Non pas que je suis devenu un cœur de pierre... Je n'ai jamais trouvé de solution, il n'y a que l'écriture qui puisse vraiment me réconforter quand je n'arrive pas à parler de mes émotions.

Dans cette nouvelle chanson, je m'exprime en disant que les larmes de joie, de peurs, de tristesse et de colère sont comme une palette de couleur que tout être humain devrait connaître avant de s'attacher à quelqu'un. Une personne qui pleure en bleu ne va pas dire qu'elle est heureuse... Mais quelle est ma couleur puisque je ne pleure pas ? Justement, c'est là où j'exprime ma frustration. Ne pas avoir de couleur, ne pas avoir un moyen d'exprimer mes sentiments, c'est comme ne pas avoir de nationalité ou d'origine. On se demande constamment « Qui suis-je ? » ou « Pourquoi suis-je comme ça ? ».

Ma sonnerie résonne dans toute la maison, me sortant de mes pensées. Je descends dans le hall et ouvre ma porte d'entrée. Misul pénètre brusquement ma maison en encombrant mon couloir de ses affaires.

— Euh... Tu sais qu'on ne reste que trois nuits ?

— Mec, premièrement, tu me dis salut avant de critiquer mes valises. Deuxièmement, ça se voit que tu n'as jamais vu ma mère partir en week-end... Même son sac pour le travail est aussi lourd que toi ! Et troisièmement...

Il cherche que dire de plus. Son regard se dirige vers la cuisine, il s'exclame soudainement.

— Troisièmement, comment ça tu n'as encore rien cuisiné ? Arg, t'es vraiment un mauvais hôte.

J'étouffe un rire en lui avouant que je n'ai pas fini de préparer ma valise.

— Mais dépêche-toi, allez ! S'exclame-il en me poussant vers les escaliers. Monte et boucle-moi cette satanée valise ! Un pantalon et deux pulls suffisent. C'est juste un week-end à New York, Seojun, pas une tournée mondiale !

— Dit-il, le charriais-je, pour un mec qui a apporté toute sa garde-robe, tu me sembles bien culotté !

Il marmonne des excuses que je n'écoute pas puisque je lui tourne le dos. Misul est le genre de mec à tout emporter avec lui. Son éternelle excuse « on ne sait jamais » lui a couté de nombreuses taxes lors de ses voyages. C'est certainement son caractère de mannequin qui parle, parce que Misul est accro à l'image que l'on se fait de lui dès la première rencontre, d'où sa manie d'apporter tout son dressing. En tout cas, les quatre rencards qu'il a par semaine avec quatre filles différentes font de lui un « playboy ». Misul est un ami gentil et très serviable, mais il cherche constamment le succès auprès des femmes, notamment celles qui veulent coucher avec lui juste pour dire « j'ai eu une aventure avec ce mannequin ». Ça me fait de la peine qu'elles se servent de lui uniquement pour avoir la cote, mais ça n'a jamais semblé le déranger étant donné qu'il ne veut pas de relation sérieuse.

Une heure plus tard, je boucle enfin ma valise. Lorsque je descends, je constate que Misul a commandé fast-food.

— J'aurais pu cuisiner, tu sais ? Ton agence ne te dit rien si tu manges aussi gras ?

Mon ami hausse les épaules.

— Je ne pense pas que la nourriture soit meilleure à New York. C'est pas grave, je me rattraperai à la salle de sport !

Il ouvre une barquette de poulet en sauce et m'en passe avant d'en manger.

— Ah, Suwon t'a appelé avant ! Il a voulu te dire un truc, donc je lui ai dit que tu le rappellerais.

Trouvant ça louche, je demande :

— Ah bon ? Pourquoi il ne te l'a pas dit à toi ?

— Aucune idée. Ça avait l'air de le préoccuper, mais j'avais la flemme de monter te donner le téléphone. Et puis, tu avais une valise à finir...

— T'inquiètes, je le rappelle, dis-je en me saisissant de mon portable.

La sonnerie retentit trois fois avant qu'une voix féminine ne parvienne à l'autre bout du fil.

— Allô ?

— C'est qui ? Me demande Misul en entendant sa voix.

Je hausse les épaules et lui mime de se taire.

— Euh... Suwon est là ?

— Ah ! Euh... Merde. Oui, pardon !

Mon interlocutrice semble paniquée. J'entends qu'elle s'adresse à quelqu'un, puis le rire de Suwon retenti. Misul se marre en prétendant que je viens de les déranger. Nous entendons une porte qui claque.

— C'est bon, je suis là, me dit Suwon. Désolé, c'était ma pote. Elle a cru que c'était son téléphone, elle décroche toujours sans regarder le nom qui s'affiche.

— Ouais, pas de soucis, dis-je face aux grimaces de Misul.

Inutile de vous préciser ce qu'il est en train de mimer.

— Misul a dit que tu m'avais appelé ?

— Oui, il faut que je vous dise un truc. Met le haut-parleur !

J'actionne le haut-parleur et pose le téléphone sur la table.

— On t'écoute, déclare Misul.

Suwon murmure comme s'il s'apprêtait à nous dire quelque chose de secret :

— Ça peut vous paraître fou, mais les parents de mon amie nous ont offert des billets pour le Metropolitan Opera.

— Mais nan, sérieux ? S'exclame Misul en se penchant sur la table. On va enfin pouvoir rencontrer ta fameuse super-pote ?

Suwon râle de l'autre côté du fil.

— Mais elle n'est pas censée savoir qu'on est amis, si ? Dis-je en pensant à mon image.

— Justement, c'est pour ça qu'on s'appelle. Vous avez votre vol à quelle heure ?

— On l'a à 9h, à Séoul-Incheon, déclarais-je. Et vous ?

— Ah, tant mieux ! Notre vol est à 14h. On ne se croisera pas dans l'avion...

Misul se marre en disant qu'on joue aux espions justes pour qu'une fille ne me croise pas.

— Excuse-moi d'être célèbre, dis-je.

— C'est pas que pour ça, intervient Suwon. Si je ne lui ai jamais dit, c'est aussi pour la préserver... Enfin, bref ! En tout cas, si on se croise à New York – ce qui m'étonnerait – faites comme si on ne se connaissait pas, pareil une fois au théâtre.

Pour la préserver ? De qui, de moi ? Je ne cherche pas à comprendre, Misul déblatère des théories sans queue ni tête concernant son amie.

— Après, si elle me demande mon numéro, je ne lui dirai pas non, se marre-t-il.

— Ferme-là, mec, t'es pénible ! Râle notre interlocuteur.

Je retire le haut-parleur et m'adresse à Suwon :

— Merci de nous avoir prévenus. Et à demain si jamais on se voit de loin !

Lorsque je raccroche, Misul me lance un regard en coin. Je lui demande à quoi il pense.

— Je me demandais... T'a pas envie de la rencontrer cette fille ?

— Pourquoi est-ce que j'aurai envie de la rencontrer ? Je ne la connais même pas.

— Justement, idiot ! Suwon est ami avec elle depuis plus de cinq ans et on ne connait même pas son prénom. On a le droit de savoir qui est la meilleure amie de notre meilleur ami, non ?

Je serre la mâchoire en lui répondant.

— Je ne veux pas la connaître, ok ? Et puis, je sais comment les filles sont quand elles apprennent à quel point tu es populaire. Tiens, tu n'as qu'à compter le nombre de filles qui t'ont ignoré après s'être servi de toi !

Un ange passe. Je déclare d'une voix moins colérique :

— C'est l'amie de Suwon, pas la nôtre.


★★★


— C'est dingue ! Tu es toujours du côté hublot, c'est pas juste...

Je lève les yeux au ciel en mettant mes affaires au-dessus de nos places attribuées.

— Arrête de râler. Soit content qu'on soit en première classe, dis-je.

Misul objecte, puis change d'avis lorsqu'une hôtesse se dirige vers nous.

— Bonjour messieurs, que puis- Oh mon Dieu ! Vous êtes Seojun ? Min Seojun ?

J'écarquille les yeux, pris de court. Misul se marre en déclarant fièrement que je suis son meilleur ami. L'hôtesse rougit en me demandant un autographe.

— Bien sûr, assurais-je en me saisissant du stylo et du carnet qu'elle me tend, mais rendez-moi un service ; ne dites à personne que je me trouve dans cet avion... Je n'ai pas envie d'avoir de problèmes.

Elle hoche la tête.

— Promis ! Merci pour l'autographe... Ma petite sœur est fan de vous !

— Comme toutes les petites sœurs, rétorque Misul en haussant ses épaules.

Nous nous attachons et l'avion décolle dans les minutes qui suivent. Pour l'instant, il n'y a qu'une personne qui m'a reconnu et tant mieux. Je ne devrais pas faire de voyage sans mes gardes du corps, mais j'espère que mon masque, mes lunettes de soleil et ma casquette me feront passer inaperçu.

— Mec, tu sais qu'en te voyant comme ça, les gens se demandent immédiatement si tu n'es pas une célébrité ?

— Que veux-tu que je fasse d'autre ? Ils se doutent certainement que je suis une célébrité, mais au moins, ils ne savent pas laquelle.

C'est une chance que je sois à côté du hublot. Ça me permet de mieux me cacher. Avant de mettre mon téléphone en mode avion, je reçois un message de Suwon :

Suwon : Bon vol. J'ai oublié de te demander : Vous l'avez quand votre retour ? Nous c'est dimanche matin.

Je tape rapidement mon message, soulagé de ne pas devoir être dans le même avion qu'eux. La discrétion et la curiosité de Misul aurait fait tomber notre secret à l'eau.

Moi : On rentre lundi matin. Bon vol à toi aussi !

Si Suwon ne dit pas à son amie qu'il m'a en tant qu'ami, c'est pour la préserver, elle autant que moi. Depuis l'abandon de mes parents, je refuse d'avoir des liens supplémentaires avec d'autres personnes. Elle peut alors rester loin de moi, il n'y a aucun problème. Je peux vivre ma vie sans elle. De plus, si un jour elle raconte à sa famille ou à ses autres amies qu'on a un ami en commun, je suis un homme mort. Mon manager me prendra la tête en me sermonnant que ma sécurité devra être renforcée. Oui, croyez-moi que quand les fans hystériques commencent, ils ne terminent plus ! Lors de mes premières années, j'avais eu des commentaires négatifs et parfois même des menaces. Misul m'avait dit que c'est grâce aux haters qu'on devient connu. Mais je n'ai pas envie que mes amis aient des ennemis. Je me sentirai trop coupable de m'être rapproché d'eux et j'aurai d'autant plus peur de les perdre.

Puisqu'aujourd'hui, nous sommes vendredi et que les vendredis j'écris, je profite de consacrer mes quatorze heures et vingt minutes de temps libre aux chansons. Je mets mon casque, lance ma playlist, sors mon carnet et...

À moi de jouer !


𝐇𝐚𝐧𝐚 ³ ⁶⁵⁶

La première chose que je fais une fois seule dans ma chambre d'hôtel, c'est de m'isoler dans la salle de bain. Suwon a insisté pour rester auprès de moi, mais je lui ai assuré que j'allais bien. Mensonge. Mes mains tremblent et j'ai du mal à trouver un souffle régulier. En voulant me passer un peu d'eau froide sur le visage, une nausée me secoue et je me retrouve la tête dans les toilettes.

Certains diraient que c'est à cause du voyage ou du stress. Pour moi, c'est bien plus que cela. C'est la foule. Le regard de tous ces inconnus, les parfums qui se mélangent, les bousculades, ce poids qui pèse sur mon cœur et me prive d'oxygène.

Ce mal-être qui me tourmente de l'intérieur.

J'essaie de me calmer en murmurant que tout va bien, que je suis seule, en sécurité et en bonne santé. J'évite mon regard dans le miroir lorsque je me rafraichis l'esprit. Ensuite, je découvre ma chambre, lance une playlist qui me change les idées et range mes vêtements. Pour ne pas sombrer, je dois m'occuper. C'est ainsi que je fonctionne. Parfois, j'agis comme un robot pour ne pas laisser mes sentiments faire surface.

Pour être honnête, le décalage horaire me chamboule également. Nous avions notre avion à 14 h à Séoul, et voilà qu'il n'est que 15 h à New York. J'ai l'impression que le temps s'est suspendu, mais je ressens la fatigue du voyage.

J'accroche la robe que je porterai demain soir sur un ceintre pour qu'elle ne se froisse pas. J'y pense à peine que mon estomac se retourne déjà. J'ai des cachets dans une poche de mon sac qui devraient me calmer d'ici la pièce de théâtre. Et puis, je suis avec Suwon. Ce n'est pas comme si mes parents m'envoyaient seule à New York... J'avale un cachet sous une gorgée d'eau et vais me coucher pour faire descendre la tension. 

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