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𝐇𝐚𝐧𝐚 ³ ⁶⁸⁵


         — Aujourd'hui, on termine la chorée ! Annonce joyeusement James quand j'entre dans le studio, suivit par Seojun.

J'avoue être tendu à l'idée de déjà la terminer, parce que ça voudrait dire que nous tournerons le clip demain et qu'il sera diffusé ce week-end. 

J'ai peur de décevoir les fans de Seojun, ou de le décevoir lui. Ces deux derniers jours ont été géniaux ! La chorégraphie se concentre en particulier sur Seojun et moi, laissant apparaître quelque fois les autres. Et à force d'écouter cette musique, je me surprends à la fredonner dès que j'en ai l'occasion.

— Combien de huit nous restent-ils ?

James semble réfléchir un instant avant de répondre :

— Je dirais quatre ou cinq, mais nous sommes dans les temps !

Étant donné que la partie où nous dansons avec les autres est finalisée, je serais seule avec Seojun aujourd'hui. Cette fois, c'est lui qui a ramené le petit-déjeuner et j'ai été super contente de voir qu'il avait fait des pancakes. J'adore ça. Quand j'en mange, j'ai l'impression d'être à New York. À la maison. 

Nous avons mangé au réfectoire dans un silence réconfortant avant de monter au studio nous échauffer. C'est étrange de me dire qu'il n'y a pas même une semaine je le détestais et maintenant j'aime être en sa compagnie. Seojun m'apporte quelque chose qui me rend joyeuse, il me fait baisser ma garde. 

Quand je raconte tout cela à Suwon il semble septique, me disant de faire quand même attention, mais j'y décèle surtout de la jalousie. J'aime bien le taquiner concernant cela. Moi, je suis amie avec une star et pas toi !, l'avais-je nargué.

— Vous êtes prêts ?

J'acquiesce en même temps que Seojun.

— On va répéter le début de la chorégraphie et ensuite j'ajoute des mouvements petit à petit, dit James.

Nous nous mettons en place, Seojun et moi, et quand la musique emplie la salle je ne pense à rien d'autre qu'à la danse. Qu'à ma respiration, mon cœur qui bat. Il bat !! Et je respire, je tiens debout.

Je vis.

Seojun pose ses mains sur mes hanches pour me faire tourner encore plus vite, encore plus fort, puis je m'éloigne en un battement de jambes gracieux. Je me cale sur le rythme de la musique, ignore mon souffle irrégulier en me disant que je peux bien faire. Que je peux briller encore plus.

Plus, plus, plus, plus, je veux briller plus !

Aussi fort que les étoiles.

★★★


— Bravo les enfants, vous avez assurés !

James tape dans ses mains, fière que nous ayons pu terminer la chorégraphie. D'après lui, nous avons une heure d'avance. 

Quand il part, j'en profite pour répéter quelques mouvements pour être (presque) parfaite demain. J'ignore les crampes qui commencent à me ronger les mollets, mais suis soudainement arrêté par une main sur mon avant-bras :

— Et si tu en arrêtais là pour aujourd'hui ? Ton corps te remerciera...

Seojun me sidère des pieds à la tête, voulant presque se convaincre de m'arrêter. Ses épaules s'affaissent quand j'opine.

— À quelle heure devons-nous venir, demain ?

Il se baisse pour ramasser ses affaires, puis me tend les miennes.

— Ne t'en fait pas pour ça. Je viendrais te récupérer à sept heures.

Mon air étonné lui saute aux yeux.

— Parce que nous tournerons le clip à une demi-heure d'ici. C'est un décor que j'ai choisi avec Su-ah, se justifie-t-il.

— Ah ! Su-ah sera là ?

Il répond par la négative tandis que ma joie s'évapore soudainement.

— Mais nous la verrons lors de la soirée de la sortie du clip.

Encore une soirée ? M'entends-je dire.

— Il y en aura autant que les sons de mon nouvel album, dit Seojun comme s'il m'avait entendu penser. C'est ainsi toutes les deux années.

Nous nous dirigeons vers la sortie du studio, mais Seojun se retourne en me murmurant :

— Et je devrais te surveiller autant de fois que tu devras m'accompagner.

Puis il sort en déclarant :

— C'est-à-dire tout le temps. Mais tu vas bien te comporter.

Mon cœur loupe un battement.

— N'est-ce pas, Hana ?

Ma vue se brouille en repensant à ma bêtise de l'autre soirée. Non, pas d'autres soirées. Il y a trop de monde, trop de choses que je ne peux pas boire ni manger, trop d'alcool, trop de musique...

Trop de choses normales auxquelles je n'ai pas le droit.

— Hé...

Deux doigts se posent sur la naissance de ma mâchoire, me forçant à regarder Seojun dans les yeux.

— Ça va aller, ok ?

— Ouais, soufflais-je incertaine, ça va aller.

Est-ce que ça va vraiment aller ?

Nous sortons du conservatoire en silence. Seuls les claquements de nos baskets se font entendre, en rythme avec les battements effrénés de mon cœur qui ne cesse de se demander si tout va réellement bien. 

Suis-je stressée ? Excitée ? Apeurée ? Fatiguée ? Certainement un mélange de tout cela avec un supplément de je-ne-sais-quoi. C'est bon et douloureux à la fois.

Comme des douleurs musculaires après une longue journée à avoir dansé. D'une voix tremblante, je salue Seojun avant de sauter dans ma voiture. 

Je l'entends demander si je ne souhaite pas dîner avant de rentrer, mais je démarre en feignant ne pas l'avoir entendu. J'ignore pourquoi j'agis ainsi. J'ignore pourquoi je me sens si...

Si bien.

Je devrais m'en réjouir, être heureuse et savourer ce bonheur. Mais je n'y arrive pas. Comme si je savais que rien de tout cela n'était réel ou permanent. Comme si je savais que, tôt au tard, l'ombre que j'essaie de fuir me rattraperai pour terminer son travail. 

C'est horrible de penser ainsi, mais que voulez-vous ? Même la mort n'a pas voulu de moi et voilà que je refuse même le bonheur que la vie m'offre.

Quelle égoïste !

En rentrant chez moi, je me surprend dans le reflet que me renvoie le miroir. Une serviette enroulée autour de ma taille, une seconde dans mes cheveux, je ne vois qu'une petite fille qui se bat dans le vent pour devenir la meilleure version d'elle-même.

— Je vais y arriver, murmurais-je, je vais y arriver et je serais la plus grande danseuse que le monde ait connue.

Je dois y croire. Si je ne le fais pas, personne ne le fera à ma place. Je suis bien consciente d'avoir le soutien de ma famille et de Suwon. J'ai même celui de Seojun, de Jiny et mes nouveaux amis. 

Alors pourquoi Diable ressens-je cette boule au ventre ? Pourquoi suis-je si apeuré ? Je suis tombée une fois, je ne peux pas chuter une seconde fois, si ? Si je m'accroche tant aux étoiles, je ne devrais pas regarder le sol aussi longtemps que je le fais avec le ciel.

— Je ne vais pas tomber, me dis-je en fixant du regard la battante qui me fait face.

Oui, je suis une battante. Je dois me battre.

Je descends dans la cuisine et me fait chauffer de l'eau. Ellie me regarde faire du coin de l'œil et je me rends compte qu'elle n'est pas allée dehors de la journée.

— Oh, excuse-moi...

J'enfile un jogging par-dessus mon pyjama, saute dans mes baskets et Ellie s'excite lorsqu'elle aperçoit la laisse. Après m'être battue avec elle, l'air frais de Séoul m'enveloppe d'une légèreté rassurante. 

Il y a toujours du bruit, ici en Corée, comme à New York. Mais mon quartier est le plus calme, je crois. En face de mon appartement se trouve un parc et en bas de la rue se situe une boulangerie. En dehors de cela, le silence règne.

Un kilomètre ou deux plus loin, je m'apprête à faire demi-tour quand j'aperçois une voiture qui ralentis à mon niveau. Je pense d'abord qu'il s'agit d'une personne que je connais, mais la voiture ne me dis rien alors les battements de mon cœur s'emballent et la panique me gagne.

Baissant la tête, je ne m'arrête pas en priant pour qu'Ellie soit un bon chien de garde. Une vitre s'ouvre, puis je suis brusquement aveuglée par un flash qui me force à m'arrêter net. Aussitôt venu, aussitôt parti, je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'il vient de se passer que la voiture démarre en faisant crisser les pneus sur le sol.

— Bandes d'idiots ! Pestais-je à bout de souffle.

J'avoue avoir eu affreusement peur. On ne sait jamais ce qu'il peut arriver à une femme qui se promène seule tard le soir.

Enfin, bien sûr qu'on sait ce qu'il peut arriver. Tout le monde le sait, certain décide juste de rester ignorant. J'ai beau me sentir plus en sécurité dans les rues de Séoul que dans celles de New York, je reste sur mes gardes.

De retour à la maison, je bois ma tisane – un masque sur le visage – tout en regardant la télé. Devinez quoi ? Je regarde les chaînes coréennes. 

J'ignore pourquoi puisque je me suis habituée à regarder les chaînes new-yorkaises, mais ce que je sais c'est que je m'endors aux environs de vingt-trois heures sans avoir coché ma case journalière.

C'est la première fois que j'oublie de le faire.

La première fois depuis que je suis en vie.

J'appelle Suwon, excitée et à la fois apeurée.

— Allô, Hana ? Tout va b-

— J'ai oublié de cocher ma case !

Je l'entends marmonner, puis se taire subitement.

— Ma case... Mon 3 685ème jour ! Je n'y ai même pas pensé !

— Et c'est bien ou pas bien ?, demande-t-il perplexe.

— J'en sais rien, dis-je en riant à la fois. J'en sais rien...

— Alors pourquoi pleures-tu ?

J'essuie le coin de mes yeux et renifle en haussant les épaules jusqu'à que je me souvienne que Suwon ne me voit pas.

— Je sais pas...

— Tu saurais me dire pourquoi tu as oublié de cocher cette case qui était si importante pour toi ?

Suwon a raison, il n'y a pas de chose plus importante dans ma journée que de cocher cette case. Je le fais tout de même depuis plus de dix ans.

— Franchement je l'ignore, dis-je honnêtement. Je suis très occupée la journée et je mentirais en disant que je ne passe pas de bons moments. En fait, je ne fais que rire, danser et manger des choses saines.

— Hana... C'est génial ! Je suis fière de toi. Mais es-tu heureuse ? Es-tu certaine de l'être ?

Je me surprends à réfléchir. C'est vrai ça, suis-je heureuse ? Je souffle, mais Suwon ne retire pas sa question.

— Tu sais... le jour où le médecin m'a dit que j'étais atteinte d'un cancer qui ne se soignerait probablement pas, j'ai cessé d'être heureuse.

Un silence s'installe. Suwon ne répond pas, je devine qu'il attend plus de moi.

— Je ne me suis même pas accroché à ça. J'ai laissé filer le bonheur comme un papillon en cage et je crois que je ne le retrouverais jamais comme je l'avais auparavant.

Je déglutis mais ne m'arrête pas.

— Alors non. Je ne suis pas certaine d'être heureuse. Mais je ne suis pas la Hana d'il y a dix ans, tu sais. Cette fois je m'accroche au bonheur. Je ne veux plus en être dénuée, alors je savoure chaque instant comme si c'était le dernier. Chose que je n'ai pas su faire quand je le devais. Je veux être heureuse. Je veux pouvoir dire « ce bonheur, c'est le mien et personne ne pourra me l'enlever ».

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