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𝐇𝐚𝐧𝐚 ³ ⁶⁶⁴


Nous sommes sortis du théâtre où avaient lieu les auditions si tard que le soleil commençait déjà à donner sa place à la lune. Nous ne sommes plus que cinq sur trente-six, mais ceux qui n'ont malheureusement pas été pris ont été heureux d'apprendre qu'une seconde audition aura lieu. Pour l'instant, je n'ai fait la connaissance que de Jiny. Deux garçons ont été retenus et une autre fille, qui nous toisent avec de mauvais yeux. Elle est fine, grande et ses cheveux noirs sont très longs. J'évite de la regarder pour ne pas m'attirer d'ennuis.

— Et si on allait fêter tout ça ? S'exclame Jiny à l'attention des danseurs.

— Ouais, bonne idée, renchérit l'un d'entre nous, je connais un bon restau !

Les deux autres acquiescent, puis l'attention est tournée sur moi.

— Tu viens aussi, Hana ?

— Bien sûr qu'elle va venir, répond une personne dans mon dos.

Su-ah nous rejoint, heureuse d'avoir eu le temps de prendre une décision à ma place, avec l'homme qui nous a auditionné et Seojun. Je ne peux m'empêcher de rougir de honte.

— Euh, non, non, désolé, je...

— Mademoiselle Choi, toute l'équipe y va. C'était déjà prévu avant que Mademoiselle Kang ne le propose.

Son ton sévère me fait froid dans le dos. Je consulte Su-ah du regard qui me présente un sourire désolé et je me dis que je vais devoir faire des efforts à partir d'aujourd'hui. J'inspire un grand coup avant d'acquiescer, ce qui semble satisfaire l'homme qui me fait face.

Apparemment, le restaurant qu'ils ont réservé se trouve juste à l'arrière du théâtre. En marchant, je me mets un peu en retrait pour respirer et je suis contente que Jiny me lâche un peu. Elle discute avec l'un des garçons qui parait ravi de faire sa connaissance.

— Ça va, ma grande ? Me demande Su-ah en me rejoignant.

Pour seule réponse, je lui présente un sourire.

— Je t'ai vu danser, cette après-midi... C'était magnifique, Hana, t'a pas idée !

Je me tourne vers elle et croise une fraction de seconde le regard de Seojun qui n'a pas l'air heureux d'être ici.

— C'est vrai ? murmurais-je. Tu n'es pas obligé de mentir, tu sais. Je l'ai vu se lever et partir à la fin de ma présentation...

Pour appuyer sur mes propos, je montre Seojun d'un coup de menton discret. Su-ah rit en me tapotant l'épaule.

— Ne t'inquiète pas pour ça. S'ils t'ont choisi, ce n'est pas pour rien.

Cette fois, mon sourire est sincère.

— C'est dingue... Je n'arrive pas à réaliser !

— Je suis fière de toi.

Quand ils ont dit qu'ils avaient réservé, je ne pensais pas qu'ils avaient réservé tout le restaurant ! Je suis soulagée, parce que ce genre d'endroit (surtout un vendredi soir) est très fréquenté. Je devrais alors survivre uniquement face à mes nouveaux partenaires, au manager (qui s'est enfin présenté en tant que tel sur le chemin), Su-ah et Seojun. Nous avons la plus grande table du restaurant et sommes accueillis comme si nous étions des célébrités. Enfin, c'est en partie Seojun qui reçoit toute la gloire, mais les serveurs restent professionnels jusqu'au bout. Jiny s'installe à ma droite, son nouvel ami face à moi, Su-ah à ma gauche et Seojun à côté du nouvel ami de Jiny (je devrais connaître leur nom, c'est honteux).

Comme si Yoo-Joon, le manager de Seojun, avait lu dans mes pensées, il s'exclame :

— Et si on faisait un tour de table pour se présenter ?

— Okay, je commence, dit Jiny en se dandinant sur sa chaise. Je m'appelle Kang Jin-Huy, j'ai 24 ans, je suis passionnée de mode et je danse depuis toute petite. J'ai également eu le premier rôle dans Le Lac des Cygnes.

Elle fait une pause avant de reprendre :

— Ah et je suis célibataire !

Tout le monde éclate de rire, sauf moi. Je suis trop stressée par tout ce qui se déroule, je ne sais même pas comment me présenter.

— Moi, c'est Lee, 26 ans ! J'ai fait des études d'art, mais j'ai préféré choisir la danse. Avant, j'avais un groupe de hip-hop, puis j'ai dû arrêter à cause du confinement.

Voilà, il s'appelle Lee. Il faut que je retienne les noms, parce que je n'ai pas l'habitude de faire autant de connaissance en une journée. La troisième danseuse, assise à côté de lui, se présente à ton tour :

— Je suis Lin, la jumelle de Lee. On ne fait rien l'un sans l'autre et je suis d'ailleurs vexée qu'il ne m'ait pas inclus dans sa présentation.

Sa remarque le fait rire, mais elle poursuit en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

— J'étais dans son groupe de Hip-Hop également et dans la même faculté d'art que lui, informe-t-elle fièrement.

Toute la tablée se tourne vers moi, je prends conscience que c'est à mon tour de parler.

— Euh... Je m'appelle Hana, j'ai 23 ans et...

Le silence me coupe la parole. C'est stressant d'être la seule à devoir parler. Su-ah m'encourage à poursuivre en posant une main rassurante sur mon épaule.

— J'ai commencé la danse classique à 3 ans, puis j'ai découvert le contemporain...

— Chez moi ! Chantonne fièrement Su-ah.

— Et tu as un diplôme ? Me demande Lin, l'air sincèrement intéressé.

— J'ai fait un cursus en médecine, mais j'ai lâché... Avoué-je sans entrer dans les détails.

— Ah, dommage pour toi...

— Si on est blessé, on peut venir te voir alors ? Demande celui qui ne s'est pas encore présenté, le numéro 35, je crois.

— Euh... Oui, enfin, je crois.

— Mec, elle vient de dire qu'elle n'est pas allée jusqu'au diplôme, répète Lee.

— Et alors ? Ce n'est pas parce qu'elle n'a pas de diplôme qu'elle n'a pas de connaissance. Pas vrai, Docteur Choi ?

Il appuie sa question en me lançant un clin d'œil. Je rougis jusqu'aux oreilles, parce que je ne sais pas quoi répondre. Je suis également étonnée qu'il ait retenu mon nom.

— Tu es américaine ? Demande le manager.

Cette fois, je hoche la tête en serrant les lèvres.

— Vous n'êtes pas des racistes, là-haut ?

— Lin ! Tu n'es pas sérieuse ? S'exclame son jumeau.

— Ça va, je demande, s'indigne-t-elle en levant les mains.

Je sers les doigts si fort contre ma paume que je m'irrite la peau. Ça devait arriver un jour où l'autre... Encore.

— Mais ça ne se demande pas, Lin, renchérit Jiny, et pour info Hana est née en Corée. J'ai vu sa carte d'identité !

Je la remercie silencieusement tandis que Lin se confond en excuse. Le numéro 35 semble remarquer ma gêne puisqu'il change de sujet :

— Bon, eh bien, moi, c'est Jun-oh, j'ai 25 ans. Je n'ai pas fait d'études, mais j'ai travaillé dans le magasin de mon père quand j'ai fini le lycée. Je faisais de la gymnastique étant enfant, puis j'ai commencé à danser à l'adolescence. Comme Hana, je fais du contemporain.

Et pour la deuxième fois en quelques minutes, il me refait un clin-d'œil. J'ignore pourquoi, mais j'ai l'horrible impression qu'il se moque de moi.

— Et c'est quoi le magasin de ton père ? Demande Lee.

— D'électro-ménager, je passais ma journée à conseiller des clients. Je suis bien content d'être danseur, maintenant !

Lorsque nous sommes servis, je me sens moins tendue. Je mange, mais ne parviens pas à finir mon assiette. Je pense que la pression des auditions redescend, car j'ai un abominable coup de barre. Je me contente alors d'écouter, bien heureuse que personne ne me pose de questions. Lorsque je consulte mon téléphone, j'ai trois appels manqués de papa, deux de maman et un de Suwon. Je remarque qu'il m'a laissé une myriade de SMS. Je les lis et panique dans la seconde :

Suwon : Bien arrivée dans ta loge ? 14h58

Suwon : Alors, tu es passée ? 17h14

Suwon : Tu as fini ? Je peux venir te chercher si tu veux. 18h16

Suwon : Pas de nouvelle, bonne nouvelle ? 18h38

Suwon : Tout se passe bien ? Tes parents t'ont appelé, mais tu n'as pas répondu. 18h38

Suwon : Hana, je dois m'inquiéter là ? 19h05

Le dernier message date d'il y a deux minutes.

— Merde !

Le brouhaha cesse et je me rends compte que je viens de jurer à voix haute. Su-ah me demande ce qu'il y a, elle comprend lorsque je lui montre les messages de Suwon.

— Ah, fit-elle.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Dit Jiny.

— Rien, rien, m'empressais-je de dire. Je reviens...

Je fais racler ma chaise sur le sol et sort du restaurant en composant le numéro de Suwon. Il décroche à la première intonation :

— Hana, tout va bien ?

— Salut ! Désolé ! Oui, je n'avais pas vu que...

— Mais bordel, Hana !

Je ferme les yeux et éloigne le téléphone de mon oreille. Suwon est paniqué, je peux le concevoir, mais je n'aime pas que l'on me hurle dessus.

— T'es complètement inconsciente ! Tu sais ce qu'il s'est passé la dernière fois que tu n'as pas décroché ?

— Oh, ça va ! M'emportais-je à mon tour. C'était il y a deux ans, tu abuses !

— Si j'abuse ? Putain, Hana, tu nous as fait peur !

— Oui et j'en suis désolé ! Mais bordel, Suwon, laissez-moi respirer !

Il doit entendre mes sanglots, puisqu'il fait une pause. Lorsqu'il reprend la parole, il s'adoucit :

— Excuse-moi... J'ai eu peur, tu sais.

— Je sais, dis-je. Désolé... Tu pourras appeler mes parents pour leur dire ? Je ne crois pas avoir envie de me faire hurler dessus une seconde fois...

— Bien sûr. Mais dis-moi d'abord où tu es.

— Je t'envoie ma localisation.

Puis je raccroche sans un mot de plus. Je me sens idiote, mais plus que tout en colère. Aujourd'hui, je n'ai plus aucun problème, en dehors de mes angoisses et de mon alimentation. Je ne comprends pas pourquoi ils s'acharnent à savoir où je suis et ce que je fais à tout bout de champ ! Je n'ai pas l'intention de me suicider, quand même ! Ils savent à quel point je suis attachée à la vie, ils devraient juste me laisser respirer et prendre mon envol toute seule. Même les oisillons n'ont pas l'aide de leur mère pour s'envoler ! Je respire profondément pour chasser ma colère, puis envoie ma localisation à Suwon sans lui donner d'explication. J'ai bientôt 24 ans, nom de Dieu !

Soudain, j'entends des pas dans mon dos et la surprise doit certainement se lire sur mon visage lorsque je me retourne.

— Quoi, tu vas encore m'agresser avec une bonbonne de poivre ?

Ah, donc il s'en souvient. J'ignore s'il plaisante, mais je renchéris pour ne pas laisser ma gêne prendre le dessus.

— Non, puisque tu n'es pas dans les toilettes des femmes.

Il s'adosse contre le mur et me détaille patiemment. Je me sens soudainement à la merci dans ma robe légère.

— Quoi ? Dis-je enfin.

Seojun hausse les épaules en ancrant son regard dans le mien. Je frisonne, mais pas de froid.

— C'était qui, au téléphone ?

Surprise qu'il me pose une telle question, je bégaye lorsque je réponds.

— Euh, eh bien, un ami.

— Et donc, tu préfères appeler tes amis au lieu de dîner avec ta nouvelle équipe de danse ?

Cette fois, je ne réponds pas. La seule chose qui me vient à l'esprit est qu'il n'est absolument pas le même qu'au Metropolitan Opera. Ici, il est froid et distant, alors qu'à New York, il était attentionné et gentil.

— Tu devrais retourner à l'intérieur, Anaïs.

— C'est Hana, rétorqué-je sèchement.

Je sais qu'il en a bien conscience. Je lui ai donné mon nom la semaine dernière, il l'a vu aujourd'hui, lors des auditions, et je l'ai répété une énième fois à table. Et puis, ce n'est vraiment pas un nom compliqué. N'ayant plus aucune envie de rester dehors avec lui, je retourne à l'intérieur et reprends place à côté de Su-ah et Jiny. Je leur murmure que tout va bien et Jiny m'attrape le bras au moment où les desserts arrivent.

Oh my God, il est sorti juste pour voir si tu allais bien ? Chuchote-t-elle.

— Qui, Seojun ?

— Bah oui, qui d'autre ?

— Non, pas du tout, dis-je rapidement, il ne m'a même pas adressé la parole.

C'est mal de mentir, je sais, mais je n'ai pas envie qu'elle pense que Seojun m'apprécie plus que les autres. Jiny glousse en m'informant :

— En tout cas, pas besoin de parole avec Seojun. On a tous vu la manière dont il t'a regardé avant d'annoncer que tu étais prise, lors des auditions...

— Peut-être parce que je suis la seule qui ne ressemble pas à une coréenne, ajoutais-je, c'est original.

Elle hausse les sourcils avec un sourire taquin, puis s'affaire à sa glace à la menthe.

Quand Seojun revient prendre place, je ne peux pas m'empêcher de le toiser. J'espère, au plus profond de moi, me tromper sur sa personne.

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