Chapitre 15
Les individus restent immobiles et m'observent comme une bête de foire.
- C'est donc toi la petite pute que nous recherchons, dit l'homme en ouvrant les hostilités.
Bon...étant donné le beau petit surnom dont il m'a affublé, il n'est pas venu en ami. J'ignore quoi faire, mais je sais que si je sors vivante d'ici, c'est que j'ai un bon ange gardien.
Je le détaille et me rends compte qu'il paraît un peu plus âgé que moi. Je dirai fin vingtaine. Il a un accent que j'ai du mal à identifier.
- Je suis Maxim Goussev, se présente-t-il. Ton frère a envoyé mon père en prison.
Mon plan de l'amadouer vient de tomber à l'eau...tout comme mon frère.
Lorsque je vois apparaître Darel accompagné de Jaime et Nathan au bout du sentier, je respire plus librement, tout juste avant de réaliser que je ne suis pas tirée d'affaires pour autant. Ils semblent calmes, du moins en apparence, mais je suis certaine qu'ils bouillent de colère contre moi. J'ai été stupide de les semer ainsi.
- Tiens, tiens, Darel en chair et en os, le provoque Maxim, qui vient de remarquer l'agent. Nous avons quelques comptes à régler, toi et moi. Tu m'as coupé l'herbe sous le pied, cette fois-ci, mais je n'ai pas dit mon dernier mot.
Le russe se tourne à nouveau vers moi.
- Mickael est une vieille connaissance, m'informe-t-il. Il m'a appris que tu te trouvais ici sous sa protection, je ne peux donc pas te faire la peau que j'en rêve depuis plusieurs mois. Je ne voudrais pas créer de conflit avec la mafia américaine.
Il me détaille de la tête aux pieds avec un petit sourire mauvais qui me donne la nausée.
- Mes plans viennent de changer, m'informe-t-il. Je jure que lorsque tu quitteras sa protection, je te baiserai par tous les trous avant de t'égorger comme un lapin. Tu me supplieras de t'achever.
Si je n'avais pas le ventre vide, je vomirais par terre.
Darel sort son fusil et le pointe sur Maxim.
- Pas tant que je vivrai, lui assure-t-il.
- Ça peut s'arranger, le nargue le russe avec un sourire féroce. N'oublie pas que si tu me tues, tu déclencheras une guerre entre la Russie et l'Amérique. C'est ce que tu veux ?
Darel finit par baisser son arme.
- C'est ce que je croyais.
Sur ce, nos ennemis tournent les talons tout juste après que Maxim m'ait fait un petit clin d'œil suggestif.
Je reste immobile, les bras ballants, pendant qu'ils s'en vont. Sa petite menace contre ma personne a eu l'effet escompté : je tremble comme une feuille.
- Rentrons, nous dit Nathan.
Il s'approche de moi et me prend par la main en voyant que je n'ai aucune réaction. Je devrais crier, fuir ou pleurer, mais je me retranche dans un endroit où personne ne peut m'atteindre, c'est-à-dire dans mes pensées.
Nous marchons jusqu'à l'extérieur du parc, puis prenons un taxi jusqu'à l'immeuble à logements. Une fois arrivés, Nathan et Jaime nous laissent seuls Darel et moi. Je vais tout droit vers la chambre, rempli un sac à poubelle de linge sale, puis me dirige vers la sortie du loft.
- Où vas-tu ? me demande Darel d'un ton cinglant.
- Laver mes vêtements, réponds-je tout aussi froidement.
- Je t'accompagne.
Je sais que je n'arriverai pas à le faire changer d'idée, alors je ne réponds rien et prends l'ascenseur en sa compagnie. À l'exception de la petite musique agaçante de la cabine, l'atmosphère est pesante. J'essaie de paraître décontractée, mais même mes orteils sont tendus.
Je ne veux pas laisser paraître à quel point cette rencontre inattendue m'a ébranlée. J'essaie de ne pas basculer dans la panique. Dans ma vie, on m'a détestée, tourmentée, intimidée, mais jamais on ne m'a menacée de viol ou de meurtre. Ma détresse menace d'exploser à tout moment, mais je ne veux pas que l'homme à côté de moi s'en aperçoive. Déjà qu'il me prend pour une pauvre fille atteinte.
Soudain, Darel appuie sur un bouton et l'ascenseur s'immobilise.
- Qu'est-ce que tu f...commençais-je, mais je m'interromps lorsqu'il s'approche de moi et me colle contre la cloison.
L'agent pose ses deux bras de chaque côté de ma tête et je distingue la tempête féroce qui fait rage à travers ses iris. Il se retient visiblement pour ne pas m'étrangler.
- Fais-tu exprès pour que j'échoue cette mission ? gronde-t-il à deux centimètres de mon visage.
- Non...
- Parce que j'en ai ma claque de toi, petite écervelée ! Tu n'as aucune conscience du danger.
En vérité, j'ai compris depuis le début que je n'aurais pas de fin heureuse.
- Si, j'en ai conscience, je réponds en soutenant son regard furieux, mais je sais que c'est peine perdue. Tôt ou tard, ils me tueront. Ce n'est qu'une question de temps. Et tu le sais aussi bien que moi.
Il secoue la tête.
- Ça n'arrivera pas. Mickael ne les laissera pas...
- Mickael est un traître, le coupai-je. C'est lui qui leur a dit où nous étions. Sans lui, jamais ils ne nous auraient retrouvés.
- Tu te trompes. La mafia russe possède des mercenaires hautement qualifiés et Maxim est un des meilleurs.
Quel soulagement !
- Écoute-moi attentivement, me dit-il. Aussi longtemps que Mickael est de notre côté, tu ne risques rien. Personne n'osera le défier.
- Mais pour combien de temps ?
- Le temps qu'il faudra.
Donc, je devrai rester à New York pour le reste de ma vie. Vue ainsi, ça semble un bon plan. La ville est vaste ; peut-être que je pourrai me trouver un emploi comme serveuse ou, encore mieux, comme musicienne. Si j'arrive à chanter devant la mafia, j'y parviendrai probablement sur scène.
Pendant un instant, je m'imagine réaliser ce que j'aime et mon attention dérive vers les spectateurs imaginaires de mon rêve. Puis, lorsque je comprends que je devrai côtoyer Mickael pour un long moment, je déchante. Ce type ruinera ma vie, j'en suis convaincue. Je ne veux pas être sous son joug juste pour avoir sa protection.
- Tu lui fais confiance ? m'enquis-je.
- Non, mais je crois que, pour l'instant, votre marché lui convient. Le temps que ça l'amusera de te faire chanter, tu n'as rien à craindre.
- Me faire chanter ?
Ses paroles à double sens me perturbent. Mickael pourrait en effet me faire chanter d'une autre façon, mais je suppose (et je l'espère) que Darel ne le laissera pas faire.
Celui-ci actionne à nouveau le bouton et nous descendons au sous-sol jusqu'à la laverie libre-service. Elle est bien éclairée, comporte des dizaines d'électroménagers de luxe en acier inoxydable, plusieurs tables de pliage blanches et des fauteuils gris pour patienter. Les murs blancs et virginaux expriment bien la propreté de la grande pièce. Nous sommes seuls, alors je prends une laveuse au hasard démarre une brassée. Je cherche ensuite des yeux l'agent, qui fait lui aussi son lavage à quelques mètres de moi. En cet instant, j'ai envie de le provoquer.
- Tu sais quoi ? lui lançai-je alors. Je crois que tu es furieux parce que tu as eu peur.
- Peur ? répète-t-il.
- Oui, tu as eu peur de me retrouver morte et ça te trouble de ressentir cette émotion.
- En effet, j'ai eu peur d'avoir failli à ma mission, affirme-t-il d'une voix dénuée d'expression.
Sauf que je ne le crois pas. Je m'avance jusqu'à la laveuse devant laquelle il se tient et c'est à mon tour de le prendre au piège entre l'électroménager et moi.
- Dans ce cas, regarde-moi dans les yeux et dis-moi que ça ne te ferais ni chaud ni froid de me trouver étendue par terre le cou tranché, les yeux ouverts fixant le vide et le corps froid et raide...
Je ne peux continuer ma phrase parce qu'il me plaque contre lui et s'empare avec avidité de mes lèvres. Le choc m'empêche de réagir promptement.
Il en profite pour glisser ses mains sous mes jambes et m'assoit sur la laveuse qui vibre pendant le cycle « Superwash ». La sensation est si inattendue que je lâche un petit cri, qui est vite étouffé par ses lèvres.
Elles fusionnent.
Nos langues s'agacent.
Nos corps s'emboîtent comme s'ils étaient faits l'un pour l'autre. Le sien est bouillant, le mien s'anime comme une marionnette dont je ne tire pas les ficelles.
J'ai l'impression qu'un électrochoc me traverse et descend jusqu'à ma culotte, qui s'humidifie instantanément. Darel appuie sa main sous ma nuque tandis que l'autre glisse dans mon dos, sous mon t-shirt, et longe ma colonne vertébrale. De délicieux frissons m'assaillent et j'agrippe ses épaules comme si j'avais peur que l'homme devant moi soit un mirage. Le plus beau et sexy des mirages.
La passion dont il fait preuve m'étonne, moi qui pensais qu'il était du genre platonique. Jamais je n'aurais cru qu'un être aussi passionné se cachait sous ce masque froid.
Nathan avait raison ; Darel cache ses émotions.
Lorsque son téléphone se met à sonner, je crois d'abord qu'il va l'ignorer, mais l'agent pousse un soupire et regarde l'écran qui s'illumine.
Je jette également un coup d'œil et mon sang se glace dans mes veines lorsque je distingue le prénom : Mickael. Qu'est-ce qu'il veut encore ?
Darel décroche tout en séparant nos corps. Je reste quelques secondes grisée par notre baiser tandis qu'il me fixe de ses yeux bleus perçants. Il a repris cet air impénétrable que je lui connais si bien et, pendant une seconde, je me demande si je n'ai pas rêvé de cette scène.
- Elle arrive, dit-il finalement à son interlocuteur en raccrochant.
Je reste silencieuse et attends.
J'attends que Darel m'explique ce qu'il vient de se passer.
- Tu as raison, dit-il seulement. Ça me dérangerait de te savoir morte. Ne parle plus jamais de cela devant moi. Je ne supporte pas la défaite.
C'est tout ? Il ne supporte pas la défaite et mon trépas lui rappellerait qu'il a échoué sa mission ! Alors, j'ai imaginé cette connexion qui nous a traversés le temps d'un instant. Je suis pathétique.
- Mickael t'attend, ajoute-t-il en se détournant de moi, ce qui me procure une tristesse infinie.
La rage s'empare de moi.
Lorsque je disais que cet enfoiré de mafieux ruinerait ma vie ! A-t-il fait exprès pour appeler Darel au moment où je pouvais enfin sentir son corps contre le mien ?
Je lève la tête à la recherche d'une caméra et, lorsque je l'aperçois, je ne peux m'empêcher de faire un doigt d'honneur à la personne qui nous épie de l'autre côté.
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