Chapitre 14


Darel me soutient par le coude afin que je me dépêche à avancer.

Une fois dans l'ascenseur, l'agent soupire.

- J'espérais que, pour une fois, tout se déroulerait bien, me dit-il. Il faut toujours qu'il y ait des complications avec toi.

Je suis déjà dans mes petits souliers, pas la peine d'en rajouter.

- Ce pervers était si bourré que tu aurais facilement pu le repousser si tu avais été en pleine possession de tes moyens.

Je vois. Il me reproche d'avoir bu...Pour ma défense, qui aurait été capable de chanter tout en étant vêtue d'un bikini devant une bande de mafieux ? Je suis d'un naturel timide, c'est pour cette raison que je n'ai jamais participé à des spectacles. Je chantais dans ma chambre ou avec mon frère. M'exposer ainsi ne me plaît vraiment pas. Cependant, il est trop tard pour avoir des regrets, comme me l'a si bien fait remarquer Darel.

Celui-ci lâche mon coude et son pouce frôle la peau mince de mon poignet, là où une légère marque apparait, celle que je me suis moi-même faite.

- L'alcool, c'est fini pour toi, annonce-t-il. Ça te fait faire des choses stupides.

Je suis d'accord avec lui, du moins, pour cette fois-ci.

Nous entrons finalement dans notre petit studio et, lorsque j'aperçois deux silhouettes debout devant la fenêtre, je réagis instinctivement et recule. Darel a sorti son pistolet, mais l'abaisse presqu'immédiatement, ayant reconnu nos invités. Quelques secondes plus tard, je saute dans les bras de Jaime et de Nathan, heureuse de les revoir. Ils paraissent surpris par cet accueil, mais se reprennent vite.

- Comme ça, il parait que tu as mis tes talents de chanteuse à profit de la mafia ! me dit Nathan.

Darel leur a sûrement raconté au téléphone.

Je hoche la tête.

- J'avais proposé à Mickael de chanter pour lui et il a voulu que je fasse un spectacle pour ses amis et lui, expliquai-je.

- Il exagère toujours, ce sale con, remarque Nathan. Tu aurais dû t'en douter...

Sauf que je n'avais jamais eu affaire à ce genre de personnes auparavant. J'en veux un peu à Darel de m'avoir emmenée dans cet endroit, mais s'il l'a fait, c'est sans doute parce qu'il n'en avait pas le choix.

- J'ai la solution pour te changer les idées ! s'exclama alors Jaime.

- Quoi ?

- Un petit jogging dans Central Park. Qu'es dis-tu ?

Ce parc est mondialement connu et j'ai le goût de le découvrir à mon tour.

- Est-ce que c'est sécuritaire de sortir ? demandai-je en fixant Darel.

- La mafia russe ne nous attaquera pas sur le territoire de Mickael, me répond-il. Mais, pour ne pas prendre de risques inutiles, nous devrions rester ici.

- Allez, insistai-je. J'ai envie de découvrir New York. C'est peut-être mon unique chance.

Surtout si je meure assassinée.

Il finit par accepter, à ma grande satisfaction.

- Mais avant, je devrais peut-être trouver une laverie...ajoutai-je.

- Il y en a eu au sous-sol de l'immeuble, m'informe Darel. Je t'y emmènerai.

J'ai l'impression qu'il ne me lâchera pas d'une semelle jusqu'à ce que cette histoire de vengeance soit terminée.

Nous prenons donc le taxi jusqu'à Central Park. Darel nous distance facilement tandis que Nathan coure à mes côtés. Jaime, lui, reste derrière nous, probablement par mesure de sécurité. J'arrive à jogger pendant un quart d'heures, mais je décide de continuer le trajet en marchant.

- Tu devrais vraiment commencer à t'entraîner de façon régulière, me suggère mon compagnon de marche.

- Pourquoi ? je lui demande. Pour fuir mes ennemis ? Je devrais plutôt m'acheter une moto !

Il lève les yeux au ciel.

- À moins que tu ne me trouves grasse, mais que je tu n'oses pas me l'avouer.

- J'ai seulement dit que tu pourrais avoir une meilleure endurance physique.

- Je ne vais pas sauter d'un véhicule en marche ou escalader des immeubles comme James Bond, rétorquai-je. Je ne vois pas l'utilité.

Je constate qu'il commence à perdre patience. Mon but dans la vie n'est pas de devenir agent secret comme eux.

Soudain, je m'arrête, terrassée par cette pensée : Je n'ai aucun projet. Rien. En réalité, je ne vis pas vraiment. Je me conditionne depuis des années à étudier pour enfin travailler comme tout adulte, mais ça ne m'aidera pas à être heureuse.

- Qu'est-ce qu'il y a ? me demande Nathan. Tu devrais avancer avant que Darel ne rapplique en pensant qu'on se fait attaquer.

Je devrais, mais je ne le fais pas. Au lieu de ça, je regarde les canards nager dans le petit étang. Ils sont libres, contrairement à moi.

- J'aimerais voler comme un oiseau pour pouvoir m'enfuir où personne ne me trouverais, me confiai-je alors.

Nathan détecte alors mes sombres pensées.

- C'est pour cette raison que je coure, m'annonce-t-il. Parce que je c'est ce qui se rapproche le plus de voler. Plus tu avances, plus tu laisses tes émotions et tes tracas derrière toi. Tu te déconnectes de la réalité et tu as l'impression que tes pieds décollent du sol pour prendre ton envol.

Je n'ai jamais eu cette impression en courant. J'ai plutôt tendance à me prendre les pieds dans une craque sur l'asphalte. Toutefois, j'ai déjà ressenti une exaltation de ce genre en jouant de la guitare. J'aimerais être capable de réitérer sans cesse cette impression de légèreté. Peut-être qu'un autre sport m'aiderait. Il suffit de trouver lequel.

Lorsque je vois Darel, toujours aussi sexy malgré son visage en sueur, venir vers nous en courant, je toussote en m'imaginant bien un sport qui m'aiderait à oublier...et qui se fait en duo.

Je retombe vite sur Terre lorsque l'agent nous demande sèchement pourquoi nous n'avançons plus.

- Sarah voulait observer les canards, répond Nathan.

Jaime nous a laisser un peu d'intimité afin de discuter, mais il arrive également à nos côtés.

- Rien ne presse, dit-il à Darel.

- Sauf que le soleil baisse et que nous devrions partir avec que la nuit tombe, réplique l'agent.

Il semble ne jamais s'amuser.

- Est-il toujours aussi sérieux ? demandai-je à Nathan une fois qu'il est reparti.

- Oui, je l'ai toujours connu ainsi.

- Qu'est-ce qui lui est arrivé pour qu'il soit aussi froid qu'un glaçon ? Ce type ne ressent aucun sentiment.

- C'est ce qu'il veut nous laisser croire. Darel est renfermé et impénétrable, mais c'est seulement pour cacher sa véritable nature. Je crois que, derrière cette carapace qu'il veut infranchissable, il est fragile. Il a peur de s'attacher à quelqu'un, ce qu'il a toujours refusé de faire, de peur que ses ennemis en profitent pour le manipuler.

- Donc, s'il est aussi reclus, c'est pour se protéger.

- Oui, d'aussi loin que je me souvienne, il a toujours été ainsi.

- Vous vous connaissez depuis longtemps ?

- Depuis environ cinq ans.

J'ai envie d'en connaitre plus sur le mystérieux agent.

- Pourquoi avoir choisi de faire cette carrière ? interrogeai-je. Ça me semble vraiment dangereux.

- L'adrénaline.

Bon, certains aiment sauter en parachute, d'autres préfèrent risquer leur vie pour attraper les criminels ! Chacun ses choix.

- Jaime et moi étions voisins durant notre enfance. Nos parents étaient amis et nous passions tout notre temps ensemble. Nous jouions au policier, arrêtions des criminels, sauvions des princesses en détresse, chassions des monstres imaginaires, bref, nous avons toujours eu cet envie de travailler pour le bien de la population. Au début, nous voulions devenir soldats dans l'armée, mais, un jour, un parent d'un élève dans notre classe est venu parler de son travail. Il était détective. J'ai aimé beaucoup aimé ce job. Toutefois, je trouvais qu'il manquait un petit quelque chose. J'ai toujours recherché les sensations fortes. Puis, c'est en regardant un film d'action que je ne nommerai pas que j'ai eu envie de devenir agent secret. Ce que j'aime, c'est qu'on peut changer d'identité selon les missions. C'est comme avoir plusieurs vies pour une seule personne. Et la fierté que l'on ressent après avoir accompli sa mission n'a pas de prix.

Il a l'air passionné par son job.

- Jaime a toujours eu les mêmes champs d'intérêts que moi, alors lorsque je lui ai parlé de mes projets, il a immédiatement été emballé lui aussi. Nous avons fait des études, puis avons été embauchés par une entreprise spécialisée travaillant en collaboration avec le gouvernement.

- Ça semble plutôt cool comme parcours, remarquai-je. Et Darel ?

- Le sien est plutôt différent. Tu sais probablement que ses parents ont divorcé lorsqu'il était enfant. Sa mère s'est remariée quelques années plus tard à un riche homme d'affaire. Ce type était une raclure. Il détournait des fonds, blanchissait de l'argent, volait aux pauvres pour enrichir les riches, bref, tu vois le genre.

Je l'écoute attentivement.

- Darel était un enfant intelligent. Il a monté seul un dossier incriminant son beau-père et, pendant six ans, n'a pas arrêté de monter des preuves accablantes contre lui, si bien que, lorsqu'il est allé voir la gendarmerie, ils n'ont pas eu d'autres choix que d'arrêter le criminel.

- Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?

- Il croupit en prison pour une durée de vingt-cinq ans. à cause de lui, des familles ont été brisées, des vies détruites et de grosses entreprises ont fait faillite. Par la suite, le gouvernement a tellement été surpris par les talents de Darel, qu'on lui a payé ses études et qu'on a immédiatement engagé par la suite.

- Et sa mère ? Qu'est-elle devenue ?

Nathan hausse les épaules.

- Elle en a voulu à Darel d'avoir fait arrêté son mari et ne lui a plus jamais reparlé. Il n'a plus de famille depuis ce jour.

- Jaime et toi en êtes une pour lui...

Il secoue la tête négativement.

- Nous sommes de bons collègues et nous partageons une belle amitié, mais sans plus. Il a toujours été seul. C'est ainsi.

Je trouve cela très triste. Je comprends un peu Darel puisque ma famille aussi a été détruite. Je me sens seule au monde. Seule et traquée.

- Ne dis pas à Darel que je t'ai parlé de lui, me dit son collègue. Il n'aime pas divulguer son passé.

Je hoche la tête.

- Es-tu prête à reprendre la course ? me demande Nathan. Je te laisse de l'avance avant de te rattraper, ça te va ?

Joueuse, j'accepte et détale en vitesse. De toute façon, je n'arriverai jamais à le battre à ce jeu ! Sauf si je triche...

Tout en ricanant, je dévie de notre parcours et prend un petit sentier à droite. Je continue ainsi pendant un moment et regarde derrière moi. Personne.

Bon, finalement, ce n'était peut-être pas l'idée du siècle. J'imagine Darel furieux comme un taureau en train de me chercher et ça coupe mon amusement. Je devrais peut-être faire demi-tour. En plus, les joggeurs ne courent pas dans ce sentier car il y a trop de racines et de branches par terre. En gros, je suis seule.

Avec les animaux.

Je décide de rejoindre les agents en faisant demi-tour, mais, lorsque je me tourne, je sursaute en voyant un homme debout au milieu de sentier. Il m'observe attentivement. Puis, lorsque je constate qu'il est accompagné de trois autres hommes, un peu en retrait derrière lui, je réalise que je suis vraiment mal barrée. 

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