Chapitre 1

Pendant un instant, un mince espoir s'empare de moi. Ludovic a peut-être changé d'idée et est venu me dire qu'il m'aime encore ! Sinon, je ne vois pas qui cela pourrait être. Il est trop tôt pour que mon père soit revenu de travailler et de toute façon, il a la clé. Ma sœur ne passe jamais pendant la semaine, ma mère non plus, et c'est écrit « Interdit aux colporteurs » sur la porte d'entrée.

Je regarde la blessure que je me suis faite. Elle saigne un peu. Ce n'est rien de bien grave. Je n'aurai qu'à la désinfecter et mettre un diachylon et le tour sera joué.

Lorsqu'une deuxième sonnerie retentit, je décide d'aller ouvrir. Après tout, peut-être que c'est important.

Lorsque la porte s'entrouvre, mes yeux s'arrondissent de surprise. Un homme dans la mi-vingtaine, en apparence, et que je n'ai jamais vu de ma vie se trouve devant moi. La première chose que je remarque, ce sont ses yeux d'un bleu intense qui me fixent d'un air impassible. Il n'y a aucune émotion qui passe à travers ce regard. C'est comme s'il était détaché de la réalité et qu'il n'avait qu'un objectif en tête.

Je me rends compte que l'alcool doit affecter mes pensées, car je secoue la tête pour me concentrer à nouveau sur ce visiteur inopportun.

La seconde chose que je remarque, c'est son blouson en cuir marron dont le capuchon est rabaissé sur sa tête. Je ne vois pas ses cheveux ni son front. Ses mains sont cachées dans les poches de sa veste.

-       Excusez-moi, me dit-il d'une voix grave. Je suis tombé en panne juste devant votre maison et mon téléphone est mort.

Il sort de sa poche son Iphone et me montre l'écran qui demeure noir.

-       Pensez-vous que je puisse me servir du vôtre ?

Je le fixe, méfiante. Mes parents m'ont toujours dis de ne pas ouvrir la porte aux inconnus, qu'ils pourraient avoir de mauvaises intentions. Je viens de faire le contraire de tout ce que j'avais appris. Bah...après tout...j'étais sur le point de commettre un acte beaucoup plus grave, alors je me m'en fiche pas mal. Il peut bien me tirer une balle entre les deux yeux, au moins je ne souffrirai pas.

Il se racle la gorge, comme s'il était impatient d'avoir une réponse, me faisant revenir immédiatement au présent.

-       Bien sûr, lui réponds-je. Je revins dans un instant.

Je tourne les talons et me dirige vers la cuisine, où mon téléphone portable est déposé sur le comptoir. Je le prends rarement ; de toute façon plus personne ne m'appelle. Seul mon père m'envoie des messages pour m'informer qu'il rentrera tard...ou pas du tout.

Je me retourne et sursaute en voyant que l'individu m'a suivie.

-       Euh...voilà, lui dis-je en lui tendant l'objet en question.

Il ne le prend pas immédiatement et, lorsqu'il fait un geste, c'est pour s'emparer de mon bras dont le sang dégouline.

-       Que s'est-il passé ? me demande-t-il. Vous êtes blessée ?

-       Oh ! ce n'est rien. Je...je me suis coupée avec une bouteille cassée.

Ce qui est la vérité.

Son regard se promène dans la cuisine, puis il s'arrête au salon, tout spécialement sur la bouteille d'alcool qui git par terre.

Il n'est sans doute pas stupide. Qui pourrait se couper au poignet en ramassant des débris ? Pourtant, il ne fait aucun commentaire.

-       Il faut vous soigner, dit-il en plantant son regard dans le mien. Avez-vous une trousse de premier secours ?

-       Ce n'est pas nécessaire. C'est une petite coupure de rien du tout.

-       J'insiste.

Il ne pourrait pas prendre le téléphone, appeler la dépanneuse et me laisser avec mes idées noires ? Est-ce que je veux poursuivre ma tentative de...de me libérer de cette farce qu'est ma vie ? Je l'ignore, mais je veux avoir la paix pour réfléchir à tout ça.

Il me fixe toujours, et, avec un long soupir, je me dirige vers la salle de bain. J'ouvre le tiroir de la vanité et en retire la trousse. Il me la prend aussitôt des mains et me fait signe de ne pas bouger.

-       La coupure n'est pas profonde, mais elle saigne abondamment. Ne bougez pas le temps que je vous soigne.

Avec des gestes assurés et plutôt connaisseurs, il applique le désinfectant, ce qui me fait grimacer, mais il ne s'en préoccupe pas et poursuit ses gestes. Puis, il appose un long diachylon sur ma blessure et le colle à l'aide d'un adhésif qu'il roule autour de mon bras.

-       Veillez à ce que la plaie ne s'infecte pas, me dit-il.

Je hoche la tête, puis dis avec ironie :

-       Merci, docteur.

Il me jette un regard noir, première émotion qu'il laisse transparaître, puis range le matériel. En silence, nous retournons dans la cuisine, puis il se dirige vers le salon comme s'il se trouvait chez lui. Son regard balaie les lieux, puis il s'assoit sur le grand fauteuil en cuir que mon père affectionne. Il compose aussitôt un numéro avec le cellulaire que je lui ai prêté.

-       C'est moi, dit-il. Tout est sous contrôle. Non, pas besoin, je gère.

Il raccroche, me laissant pantoise. Il n'avait pas du tout l'air d'avoir besoin qu'on vienne s'occuper de sa voiture.

-       Ce n'est pas bien de boire seule, me dit-il alors en me fixant d'un air étrange.

-       Je...je ne buvais pas...bafouillé-je.

Il émet un petit rire amusé.

-       Sauf que votre haleine ne ment pas, à moins que l'alcool n'ait atterri dans votre bouche par magie.

-       Qui êtes-vous, au juste ? m'emporté-je. Sortez de chez moi, maintenant !

Je commence à avoir peur. Il n'a pas l'air d'en avoir fini avec moi et mes membres commencent à trembler d'effroi.

-       Je suis Darel, me répond-il.

-       Est-ce que votre voiture est réellement en panne ? lui demandé-je alors.

-       Non.

Je prends une grande inspiration afin d'essayer de rester calme et de ne pas paniquer. Je jette un coup d'œil par la fenêtre. Personne ne pourrait me venir en aide si cet homme est un psychopathe. Premièrement, je vis dans un rang et nos seuls voisins habitent à un kilomètre d'ici et, deuxièmement, c'est lui qui a mon téléphone. C'était tout de même une astuce géniale pour me rendre inoffensive. Je ne pourrais même pas composer le 911 qu'il m'aurait déjà tuée.

Un fou rire me prend alors. Me tuer ? N'est-ce pas ce que je comptais faire un quart d'heure plus tôt ?

-       Pourquoi riez-vous ? me demande-t-il en fronçant les sourcils.

-       Rien, réponds-je en reprenant mon sérieux.

Ce n'est pas la mort que je redoute. Je l'aurais accueilli à bras ouverts. C'est plutôt la douleur, la torture. Je suis habituée à la douleur mentale, mais je ne suis pas naïve au point de croire qu'un assaillant ne s'amuserait pas avec moi avant de me tuer.

Mon ex-petit copain m'a toujours dit que j'étais la plus belle fille qu'il avait croisée. Il exagérait sans doute, mais j'aimais bien l'entendre me le dire. Je n'ai pourtant rien de particulier. Châtaine aux yeux verts, je suis ce qu'il y a de plus banal. Je suis plutôt mince, je m'habille normalement, souvent en jeans et en débardeur, alors je ne voie pas pourquoi les regards convergent vers moi. En fait, oui, je le sais. Depuis que mon frère est mort, tout le monde me regarde bizarrement. Ils chuchotent en pensant que je ne les entends pas. J'ai même frappé une fille qui avait chuchoté à une autre que mon frère avait fait une overdose.

-       Je vous proposerais bien un verre, lui dis-je d'un ton sarcastique, mais comme vous pouvez le constater, je suis à cour de vodka.

Je ricane, satisfaite de ma petite blague, mais il ne bronche pas et je déglutis ; je ne suis pas parvenue à le dérider, ce qui veut dire qu'il n'est pas ici pour rigoler.

-       Vous devriez peut-être vous asseoir, me dit-il en remarquant mon teint blafard. Vous avez perdu du sang, alors vous ne devriez pas rester debout.

-       C'est mon salon, à ce que je sache ! l'apostrophé-je.

En réalité, le temps que je ne connais pas ses intentions, je veux être prête à décamper s'il démontre qu'il me veut du mal. Peut-être que si je parviens jusqu'à ma chambre, je pourrai m'y enfermer et sortir par la fenêtre. Elle est au deuxième étage, mais je suis prête à me casser la jambe si je peux échapper à ce malfaiteur.

Puis, je me rends compte que c'est inutile. Jamais je ne parviendrai chez le voisin dans cet état. Il aura le temps de me rattraper avant que je ne fasse dix mètres. Allait-on me retrouver dans le lac derrière la maison comme mon frère ? Manquerais-je à quelqu'un ? Mes parents m'aiment, mais pas assez pour qu'ils se fassent du souci pour moi. La preuve : je passe mes semaines seule dans cette immense maison.

-       Nous devons avoir une petite conversation, tous les deux, me dit l'individu en me fixant.

-       J'écoute, lui lancé-je en croisant mes bras sur ma poitrine. Dites-moi donc pourquoi vous êtes venus ici. Pour me tuer ?

Il éclate de rire.

-       Si j'avais l'intention de vous tuer, je ne vous aurais pas aidée à soigner votre blessure.

Il marquait un point. Toutefois, il pouvait toujours me battre ou abuser de moi.

Mon visage devait exprimer mes craintes, car il ajoute :

-       Je ne vous veux aucun mal.

-       Vous n'auriez pas pu le dire avant ? l'invectivé-je.

Et moi qui m'imaginais plein de scénarios !

Son visage reste imperturbable, mais sa lèvre se retrousse légèrement, démontrant son amusement.

-       Peut-être, mais votre visage est un livre ouvert, alors c'est quelque peu comique de suivre vos pensées.

Un livre ouvert ? Mes pensées ?

-       Que faites-vous ici ? interrogé-je.

-       On m'a envoyé vous retrouver.

Hein ?

-       Pardon ? Je n'étais pas perdue.

-       Vous en êtes sûre ?

Je reste bouche bée. Alors, il avait deviné. Il était malin, ce mec !

Il me désigne le canapé et, puisque les forces commencent à me manquer, je m'exécute, mais m'assis à l'opposé de lui.

-       Qui vous a envoyé chez moi ? je ne peux m'empêcher de lui demander.

-       Votre frère.

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