Warm and cold

Eleven avait les poignets en feu à force d'être maltraitée par les vignes, et la friction autour de ses chevilles devenait à la limite du tolérable.

Mais l'inconfort qu'elle éprouvait n'étais qu'une infime, ridicule portion de la douleur qui sévissait dans sa tête.

El pleurait des torrents de ces larmes vaines, gorgées de désespoir. Des lourds fardeaux salés qui se brisaient sur la digue de ses joues comme un torrent d'affliction.

Elle se sentait bouillir et frire en même temps, à la fois débordante de fureur et de rage. Elle voulait trouver chacun de ceux qui avaient fait souffrir ces proches.

Ceux qui avaient touchés Jonathan, Celui qui avait brisé Mike, Celui qui effrayait Joyce.

Elle voulait entendre la symphonie de leurs os brisés. Elle voulait voir leur sang et savourer leur détresse.

Et une autre partie d'elle fondait de chagrin. Elle souhaitait les prendre dans ses bras et ne pas les lâcher pour qu'ils ne se sentent plus jamais

Seuls.

-As-tu apprécié le spectacle, petite Eleven ? demanda suavement la voix grave.

-Tu es le mal, sanglota rageusement El. Pourquoi m'as-tu montré ça ?

-Je voulais te les montrer pour que tu les vois tels qu'ils sont. Naufragés. Brisés. Plein de cicatrices.

La voix eut un petit rire condescendant.

-Regarde-les. Tellement faibles et tellement persuadés d'être capable de m'arrêter. Pathétique. Chacun d'entre eux pourrait mourir si je levais un doigt.

Elle prit une tournure presque rêveuse :

-Je dois admettre qu'il y a quelque chose que je ne comprends pas. Ce monde les a blessés de la pire façon qui soit, et ils continuent à se battre pour le sauver. Peut-être sont-ils courageux. Ou peut-être qu'ils sont fous.

-Ils, déglutit El, sont amis.

-Et ça ne les empêchera pas de mourir.

El frémit.

-Ne les touche pas !!

La voix eut un rire lourd et glaçant.

-Ooh, ils sont déjà condamnés. Écoute, il n'y a rien de personnel, mais quand j'aurai décidé qu'ils seront devenus trop gênants, je mettrai fin à leur vie comme tu souffles sur une bougie.

-Tu ne le feras pas, fulminait El. Je t'en empêcherai.

La voix se tut pendant un moment, puis elle reprit, sérieuse :

-Tu sais, je pense que tu es la seule parmi tout l'univers à être capable de me résister. C'est assez ennuyeux.

L'inconnu marqua de nouveau une longue pause puis admit :

-Je ne peux pas te blesser directement. La seule option que j'ai est de te contrôler dans tes rêves, c'est tout. Puis j'ai eu une idée : je devais te rendre faible. Te briser. Te dévaster à tel point que tes défenses s'effondreraient et que je finirais par t'attaquer. J'ai d'abord pensé à tuer ton petit ami après l'avoir violé brutalement ; je vous aurais fait regarder tout du long, brisant par la même occasion ton frère à la coupe au bol, mais je n'étais pas sûr de ta réaction. J'avais peur que cela te mette tellement en colère que tu me tues.

El avait le souffle coupé et les membres tremblants. Est-ce qu'elle avait sérieusement entendu tout ce que le monstre avait envisagé de faire subir à Mike ? Le simple fait d'imaginer la scène lui donnait des crampes à l'estomac.

La voix continua en fredonnant :

-Puis j'ai eu l'idée. Te livrer leurs souffrances sur un plateau d'argent. Leurs blessures les plus secrètes et les plus traumatisantes. Et ça a marché... si bien... !

La voix partit dans un rire révulsant. Eleven cracha :

-Qui es-tu ? Je t'ordonne de me laisser partir !!

-Eh bien, c'est prévu. Tout de suite. Et à propos de qui je suis ? C'est une question amusante, tu connais déjà la réponse.

-Q... quoi ? souffla El, la bouche sèche.

-Il est temps pour toi de retourner auprès de tes amis, ils sont inquiets à ton sujet.

-Attends, qui es-tu ?? Comment je te connais ?

De nouveau, le monstre partit dans un petit rire effrayant et glissa :

-Tes amis m'appellent Vecna.

Tout à coup, l'esprit de la jeune fille s'embrouilla violemment et ses paupières s'écrasèrent.

.

El réveille-toi, réveille-toi tu m'entends ? Allez, tu m'entends ? Merde, merde, réveille-toi !

La jeune fille était complètement grisée par le tourbillon de voix qui parvenait difficilement à ses oreilles. Elle se sentait plongée dans une sorte de sommeil léthargique dont elle n'arrivait pas à s'échapper. Comme enfoncée dans un matelas si mou que chaque effort pour en sortir la ramenait un peu plus dans les draps.

El, il faut que tu te réveilles, est-ce que... est-ce que tu penses pouvoir faire ça pour moi ? S... s'il te plaît, El...

Mike.

C'était sa voix, son timbre, son ton. Il semblait si fragile maintenant, sur le point de se briser. Plus que jamais elle fut tentée de se laisser engourdir dans un réconfortant coma.

J'ai d'abord pensé à tuer ton petit ami.

La phrase venait de ressurgir dans sa tête, affolant tous ses sens.

Non, il fallait qu'elle se réveille. Pour prendre soin d'eux, de lui. Elle ne laisserait pas le monstre le toucher.

Elle s'arma de toutes ses forces et repoussa ses limites comme elle l'avait jamais fait. Elle lutta de toute son âme. La vie était là, droit devant. Elle pouvait en voir la lumière, les sons qui s'en échappait, des souffles sur sa peau.

El poussa un cri en ouvrant les yeux.

-Elle s'est réveillée !! brailla Dustin, un large sourire aux lèvres.

-El !! s'exclama Mike en poussant Dustin de l'épaule pour se frayer un chemin jusqu'à elle. El, oh mon... tu vas bien ?? J'avais tellement peur, je pensais que...

-Bouge, débile ! le réprimanda Max en le poussant à son tour. Elle est forte, elle n'est pas un petit chiot, laisse-la respirer !

-Ferme ta gueule, Max ! répliqua Mike. Tu lui fais peur !

-Fermez-la tous les deux ! ordonna Nancy, restée à l'écart. El, mon coeur, comment vas-tu ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Un silence s'abattit sur l'assemblée pourtant tumultueuse quelques secondes auparavant. Tous leurs yeux étaient posés sur elle, inquiets, intrigués.

Ils étaient tous là. Tous là pour elle, à essayer de la réveiller depuis elle ne savait combien de temps. Ils avaient eu peur, ils voulaient l'aider.

Mais plus jamais elle ne les regarderait de la même façon à présent. Elle regardait mieux, au-delà de la surface, de ce qu'ils laissaient paraître, et son coeur se brisa à mesure qu'elle les dévisageaient un par un.

Elle remarquait cet air constamment inquiet sur le visage de Max, tous ces moments où elle se mettait à paniquer sans raison, à se retourner tout le temps comme si elle avait peur.

Elle se rappelait des soudaines sautes d'humeur de Nancy. Ses envies inexplicables de sucré. Ces longues heures qu'elle passait au téléphone.

Ses yeux passèrent sur Will. Il était à côté de Mike.

Bien sûr.

Ça semblait si évident maintenant, la manière dont il le regardait, dont ses yeux s'illuminait lorsqu'il avait son attention, dont sa main effleurait trop souvent la sienne. Même si elle avait encore du mal à déterminer à quel point elle lui en voulait, elle sentit son coeur se serrer quand elle comprit pourquoi il pleurait parfois le soir dans son lit.

Jonathan. Ses pensées s'échauffèrent dans son esprit. Elle était dans ses bras, et il lui tenait la main avec inquiétude. Elle se sentit immédiatement morte de honte.

Elle l'avait vu de façon trop intime. Les images tournaient dans sa tête et elle aurait aimé ne jamais découvrir toutes ces choses de lui. Mais c'était trop tard, et elle ne voyait plus que ses cernes et sa fatigue. Ses vêtements qui se déchiraient à un rythme anormal. Cette façon qu'il avait de lui préparer son petit déjeuner le matin, les cheveux emmêlés, les yeux rouges comme s'il avait pleuré, les lèvres abîmées. Jusqu'où était-il prêt à aller pour les mettre à l'abri du besoin ?

Ses yeux s'échappèrent sur Steve. Elle n'avait pas vu à quel point il semblait triste en ce moment. Il s'isolait de plus en plus, et son haleine était toujours étrange, comme un écœurant mélange de menthe et d'alcool.

Les ongles de Joyce étaient rongés jusqu'au sang et elle devenait de plus en plus protectrice avec Will, le laissant toujours partir de la maison avec cet air excessivement inquiet, comme si elle redoutait le pire.

Et puis Mike était là, penché au dessus d'elle, les yeux plissés d'appréhension. Il était rivé sur ses lèvres, attendant qu'elle lâche un mot, un son pour qu'il sache qu'elle allait bien.

Oh comme son tourment la chagrinait ! Comme elle l'aimait pour être là pour elle, par n'importe quel temps ! Il l'avait protégée dès le premier jour, dans la forêt, lorsqu'elle n'était qu'une petite fille timide et sauvage.

Et maintenant elle pensait qu'elle le protégerait contre tout, alors qu'il partait tous les jours affronter son père qui le battait à mort et qu'elle le laissait se tuer à petit feu.

-Mike... murmura-t-elle, la voix remplie de larme.

Elle passa machinalement sa main sur son col. Il avait toujours des cols relevés, des manches longues, des pantalons. Il ne laissait plus un centimètre de sa peau dépasser.

Le garçon tressaillit au contact, surpris. El lui caressa doucement la joue et sa main plongea délicatement sous son col.

Mike grimaça immédiatement et émit un petit sifflement. Il lui prit la main par réflexe, pour la retirer de sa peau.

El esquissa une moue de pur déchirement. Elle ne l'avait sentie que quelques instants, mais c'était évidemment une cicatrice qu'elle avait effleuré. D'ailleurs, la légère teinte bleue-jaune qui marbrait sa mâchoire ne lui échappait pas.

Certes, elle était habilement maquillée, mais pas indétectable. A quel point avait-elle été aveugle pour ne pas le voir ?

Le garçon serrait toujours son poignet en l'air, encore tout tremblant. Il desserra son étreinte et murmura :

-Pardon. Tu m'as... tu m'as surpris.

Eleven poussa un sanglot, puis sans prévenir, elle se jeta contre lui, passa ses bras derrière son dos et l'enlaça avec délicatesse, pour ne pas presser ses fraîches ecchymoses.

Le garçon demeura troublé un instant, puis il referma hâtivement ses bras sur elle, refermant l'étreinte.

-El... qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

-Oh, Mike... souffla-t-elle en appuyant sa tête contre son épaule. Si seulement tu savais...

Et tandis que les bras du garçon se faisaient plus forts encore pour lui donner sa chaleur, El sentit son coeur se durcir dans sa poitrine.

Ce n'était pas douloureux... non, c'était plutôt comme un frisson glacé qui emplissait son corps, comme si son coeur s'était solidifié, enveloppé d'une carapace de béton, et battait avec fureur.

Elle enfonça ses ongles dans les omoplates de Mike, indifférente au couinement d'inconfort qu'il émit en conséquence. Oui, son coeur s'emballait.

Il pulsait le sang dans sa tête, hurlant en boucle son message obstinant, qui s'infiltrait dans chaque veine, qui rampait dans son sang, infusant son corps tout entier de sa funeste persuasion.

Mes amis sont blessés. On les a brisés, torturés, tourmentés. On a profité d'eux et on les a laissés seuls, avec leurs yeux pour pleurer et leur coeur à ronger.

Mais c'est terminé. 

Oh, vengeance. Douce vengeance. 

Ton heure de gloire est sur le point d'arriver.

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