Bruises and silence (Mike)

Niveau d'angst : 9/10

Lucas lorgnait d'un œil inquiet sur la silhouette voûtée de Mike, lui-même assis sur le muret quelques mètres plus loin. Il semblait gribouiller sur son carnet depuis à présent une demie-heure, en position fœtale, la capuche rabattue sur sa tête, symptôme typique de son humeur "ne venez pas me parler je déteste tout le monde".

Il se mordit la lèvre, hésita un moment, puis avertit Max qu'il quittait le groupe un instant. La jeune fille lui renvoya un pouce levé légèrement indifférent.

Lucas s'éloigna en sautillant. Il était mitigé : d'un côté, ça le chagrinait de devoir abandonner son nouveau groupe de basketball, ne serait-ce que le temps d'une récréation. Il commençait tout juste à se faire une place dans la bande malgré son jeune âge, et il ne s'intégrerait jamais s'il leur faussait trop souvent compagnie. D'un autre côté, il n'avait pas oublié son premier groupe. Celui dont il s'était juré qu'il supplanterait tout, peu importe ce que ça impliquait.

Et Mike, s'il visait juste, avait besoin qu'on s'absente pour lui.

Son ami ne remarqua pas son arrivée, ou bien si c'était le cas, ne fit pas signe de l'avoir remarquée. Il griffonnait nerveusement sur un cahier abîmé sans se soucier des vas et viens des élèves qui murmuraient dans son dos.

Lucas respira, puis ayant abandonné l'idée de lui laisser s'apercevoir tout seul de sa présence, abaissa son carnet avec deux doigt et déclara :

-Allô Mike ? Ici Lucas. On doit parler.

Mike fronça les sourcils et ouvrit la bouche, ennuyé par l'intervention de son ami au milieu de sa séance de croquis. Il prit une mine renfrognée, et Lucas soupira intérieurement. Lorsque le garçon avait cette moue méfiante -le menton en arrière, la mâchoire crispée, le nez retroussé-, la conversation était mal engagée.

Lucas sentit sa gorge se nouer. Il connaissait Mike depuis presque dix ans. Il n'avait jamais vraiment été un boute-en-train, un clown, ou même excessivement rieur.

Mais il avait été heureux. Et ce n'était pas le cas.

-Pourquoi ? grogna Mike.

-Tu agis tellement bizarrement en ce moment.

Le garçon brun roula des yeux mais Lucas ne se laissa pas impressionner. Mike grogna sarcastiquement :

-Qu'est-ce qui te fait dire ça, Sherlock ?

-Eh bien, peut-être le fait que c'est le quatrième cours de sport que tu manques, répliqua Lucas d'un ton faussement léger. Tu n'aimes plus nager ou quoi ?

-Je... commença Mike, embarrassé. Je n'aime pas le sport en général. Et le prof est un connard.

-Ouais, peut-être, concéda Lucas sans pour autant renoncer. Mais ça ne te ressemble pas de sécher les cours.

Mike détourna le regard, un peu plus boudeur encore, mais à la grande surprise de son ami, il ne se défendit pas. Il resta simplement silencieux quelques instants puis marmonna :

-C'est tout ?

-Non. Est-ce que tu dors assez ? Tu ressembles à un zombie les trois quarts du temps, tu as des cernes, tu manges à peine, tu es encore plus pâle que d'habitude, tu dors en classe... Sérieusement, je m'inquiète pour toi. C'est comme si tu étais dans un état de fatigue perpétuelle.

-Je vais bien, merci, répliqua sèchement Mike.

Mais il s'était trahi lui-même et se frottant les yeux quelques secondes auparavant. Lucas dodelina dubitativement de la tête et termina :

-Michael...

-Ne m'appelle pas Michael, l'interrompit le garçon, presque par réflexe.

Il eut un rire nerveux.

-P... personne ne m'appelle jamais Michael. C'est... c'est ridicule. Ne le fais plus.

Lucas le fixa, dubitatif, puis recommença avec une attention exagérée :

-Okay... Mike, pardon. On ne te voit plus. Tu ne nous invite pas, tu restes chez Will tout le temps, je... je ne sais pas, je regrette l'époque où on jouait à D&D dans ta cave...

-Oh, tu es trop occupé pour ça, rétorqua Mike en lui lançant un regard noir. Tu as de nouveaux amis maintenant.

-Okay, tu sais que ce n'est pas le sujet, s'agaça Lucas, vexé. Et... s'il te plaît, arrête d'être si dur avec moi ! J'essaie juste d'être un bon ami, je m'inquiète pour toi, mec, sérieusement ! Est-ce qu'il... s'est passé quelque chose avec Eleven ?

Mike ouvrit de grands yeux et il s'empressa de le détromper :

-Quoi ? Oh non ! Non, tout va bien, Je... Ça n'a rien à voir avec elle, elle est parfaite.

Il se frotta le bras et répéta en baissant les yeux :

-... Peut-être trop parfaite.

-Qu'est-ce que ça veut dire ? grimaça Lucas.

-Ça veut dire que..

Mike leva les yeux au ciel et fit de grands gestes pour s'aider à trouver ses mots. Il finit par souffler :

-Je ne sais pas. C'est confus. Je suis confus. Elle est... El, et je suis un désastre qui fait du mal aux gens. C'est tout.

-Ne dis pas ça. Mike, regarde-moi.

Lucas lui prit les épaules, et en sentant ses doigts se refermer sur beaucoup de tissus et pas beaucoup d'épaule, il réalisa à quel point il était maigre. C'était de pire en pire.

Lucas se força à ne pas paniquer, mais le garçon à la peau pâle évitait constamment son regard. Il regardait ses pieds, se mettant lui-même dans une position d'infériorité. Il lui releva la tête pour le forcer à le regarder.

-Si quelque chose allait mal, articula Lucas avec précaution, genre, vraiment mal, tu nous le dirais, pas vrai ?

Mike laissa passer un long et angoissant silence. Ses yeux brillaient d'émotions mélangées et de beaucoup de doute, si bien que Lucas fut pris d'un moment de panique.

-Tu as besoin d'aide ? articula-t-il. Agite la main si tu as besoin d'aide.

Mais Mike réagit enfin : il se dégagea doucement de l'emprise de son ami et marmonna :

-Je vais bien. Ne dis pas n'importe quoi.

Et avant que l'autre ait pu ajouter un mot, il empoigna son cartable par la anse et se glissa dans le flot de collégiens.

Lucas resta immobile un long moment, et il sursauta lorsqu'il sentit la main de Max sur son épaule. Elle dégagea ses oreilles de son casque et lui lança un regard interrogateur en désignant du menton la silhouette de Mike qui disparaissait dans la foule.

-Alors ? questionna-t-elle d'un air maussade.

-Tu connais Mike, grinça Lucas avec un air impuissant. Plus têtu qu'un rocher !

Il passa sa langue sur ses lèvres et soupira :

-Je suis inquiet, Max.

-Tu n'as pas à l'être, répliqua-t-elle sans état d'âme. Tu ne peux pas sauver quelqu'un qui refuse obstinément d'être aidé. Et tu sais quoi ? Tu t'inquiètes trop. Il ira bien ! C'est Mike, c'est une drama queen. Il s'en sortira.

Lucas ne répondit pas. Avait-elle raison ? Était-il fou de remarquer des choses que personne ne semblait remarquer ? Il secoua la tête :

-Tu as raison. Je flippe pour rien.

.

Mike laissa échapper un hoquet de douleur lorsqu'il sentit le coin glacé de la table s'enfoncer dans sa tempe. Le choc manqua de l'étouffer, et il sentit le sang encore chaud s'infiltrer sous ses lèvres.

Il tenta de se relever le plus vite possible, mais un violent coup de pied s'abattit contre ses genoux et brisa son équilibre. Il s'écroula face contre terre.

-Comment as-tu pu me faire ça à moi ??! A nous ?!!

La voix qui s'élevait était grave et râpée par la boisson, et bien trop puissante pour la tête abîmée de Mike. Il se retint de plaquer les mains contre ses oreilles pour faire cesser les cris qui lui martelaient le crâne, rebondissant dans son tympan en une multitude d'échos.

Il parvint à se soulever en position assise, et profita d'un bref répit dans le flot de vocifération pour gémir :

-Papa, c'était le seul moyen, je jure que...

-Ne m'appelle pas papa, putain !

Un pied robuste s'enfonça dans son bassin, lui coupant la respiration et le clouant de nouveau au sol. Il encaissa les coups de pieds qui s'abattaient au hasard sur toutes les parties de son corps susceptibles de se briser.

-Sécher les cours ! Les cours de sport en plus ! Qu'est-ce que tu veux, espèce de petite merde ? Que les gens disent que les Wheelers sont faibles ? Qu'ils ont un fils pédé qui n'aime pas le sport ?

-P... père, je...

Mike avait la gorge nouée par l'injustice. Comment lui expliquer ?? Comment lui dire que s'il séchait le sport, c'était justement pour ne pas offrir son corps mutilé à la vue de tous ? Comment était-il censé s'en sortir face à de telles contradictions ?

Il se sentait lentement glisser dans un engourdissement de souffrance. Finalement le martèlement de coups sembla cesser. Mike ne tenta pas de se relever cette fois, il se laissa mollement faire lorsqu'il sentit la chaussure de son père appuyer contre son visage. Il goûtait le cuir sur ses lèvres et il grimaça lorsque la semelle écrasa son nez.

-Tu as une réputation, Michael, tonna son père avec une colère sourde. Tu sais ce qu'est une réputation ?

Le cerveau de Mike s'agita confusément. Que répondre ? Oui ? Non ? Rien ?

Aucun choix ne le mettait en sécurité de toute façon. Il gémit doucement.

-Ce sont, espèce de petit morveux ingrat, des attentes qui ont été placées en toi, et dont les gens attendent de toi d'être à la hauteur ! Est-ce cela que tu as fait Michael ?

Mike avait un goût amer en bouche. Il n'y avait plus de bonnes réponses.

-Non.

-Pourquoi ça ?

-... Parce que je suis faible ? Parce que... parce que je... te déçois. Parce que je suis un connard.

Mike prit une grande inspiration lorsque la chaussure se détacha de sa tête, et il roula sur le côté, écrasant son bras, les cheveux collant de la bière imprégnée sur la moquette.

-Debout.

Le garçon s'exécuta du mieux qu'il put, chancelant. Lorsqu'il fut enfin debout, il se tint droit devant son père, les bras pendants le long du corps, la tête baissée.

Son pull était encore déchiré, un long filet ocre et épais coulait le long de sa tempe, sa joue brûlait encore de la gifle qu'il avait reçue en rentrant, et il dissimulait du mieux possible les tremblements de son menton écorché.

Son père le toisait de sa hauteur. Mike avait bien trop peur pour le regarder dans les yeux, mais il savait très bien ce qu'il y trouverait.

Des vapeurs d'alcool, une fureur inextinguible, de la folie, de la déception, toutes sortes de choses terribles.

Ted le toisa un long moment, réfléchissant sans rien dire. Mike savait très bien à quoi il jouait. Il cherchait un prétexte pour le blâmer, le mettre en faute, et se sentir légitime à lui éclater la gueule. Le garçon en était sûr.

-Tu reviens tard. Où étais-tu ?

Mike ne répondit pas vraiment, triturant la manche de son pull, se balançant nerveusement d'une jambe sur l'autre. Son père passa la main dans ses cheveux et secoua sa tête en l'agrippant par leurs racines. L'adolescent s'empressa de donner la réponse :

-Chez Will !

-Ce pédé, encore ?

Mike glapit, les yeux écarquillés. Ted continua d'un air méprisant :

-Tu n'as pas vu la façon dont il te regarde ? Un jour, il t'enculeras dans ton sommeil, tu ne devrais pas le fréquenter. Je t'interdis de le revoir.

-Q... Quoi ? s'étouffa Mike, à court d'oxygène. M... mais... c'est mon meilleur ami ! Pourquoi... ?

-Michael ? crépita l'homme. Veux-tu vraiment que je répète ?

Mike se tut et déglutit, la gorge serrée. Il bouillonnait de rage et d'injustice, les larmes s'accumulant au bord de ses yeux.

Pourquoi son père lui infligeait-il ça ? Était-ce uniquement par sadisme, par satisfaction de le voir souffrir, s'éloigner des personnes qui lui étaient le plus chères ?

Il lui avait déjà tant pris, pourquoi vouloir la seule chose qui le faisait encore tenir ?

Le garçon souffla de colère, la mâchoire crispée, et claqua :

-Non.

-Je te demande pardon ?

-Si tu m'empêches de voir Will, je m'enfuirais.

Il s'écoula quelques instants de flottement durant lesquels le cerveau de Ted s'efforça de comprendre l'audace de son fils.

Mike ne perdit pas de temps : il profita de son hébétement pour tourner les talons et se mettre à courir, titubant, pour s'échapper avant que son père n'intègre ce qu'il venait de dire et qu'il ne soit trop tard pour se sauver.

Il courut avec foi pourtant. Il courut comme si sa vie défilait devant ses yeux. Comme s'il avait la mort aux trousses. Il entendit les bruits de pas tonitruants de son père qui le poursuivait.

Une poigne grasse s'enroula autour de son poignet fin et le tira en arrière avec tant de brutalité que son épaule manqua de se détacher. Il sentit avec horreur une force tétanisante l'entraîner en arrière, le forçant à pivoter dans une danse macabre, puis l'abattre contre le mur.

La force de la propulsion fut telle qu'il rata une respiration. Tout son monde vacillait alors que sa tête vibrait encore de l'incroyable choc qu'elle venait de subir.

Il se retrouva très vite épinglé contre le papier peint. Il n'était qu'à quelques centimètres de son père, fulminant, plus ivre et plus violent que jamais. Le garçon osait à peine respirer de peur d'énerver Ted davantage, tant il le terrorisait.

Une gifle envoya sa tête valser sur le côté et s'écraser contre le mur.

-RÉPÈTE SALE PETITE MERDE ! JE TE METS AU DÉFI DE ME CONTREDIRE DE NOUVEAU !

-Pardon... souffla Mike en retenant ses larmes.

Mais il n'écoutait pas, et un puissant coup de poing pressa contre son ventre. L'onde de choc remonta dans sa bouche et il cracha quelques gouttes de salive teintées de rouge.

-Exactement ce que je pensais, siffla son père, avec dans la voix quelque chose qui s'approchait plus du dégoût que de la colère. Tu n'es qu'une tapette. Comment crois-tu que j'ai réussi dans la vie ? J'ai clamé ce que je voulais dire, même si cela dérangeait les gens. Je pensais que tu ferais une brillante carrière comme moi...

Il resserra sa prise pour malmener un peu plus ses poignets broyés. Il grimaça :

- Mais je réalise que j'ai trois filles...

Mike aurait vraiment dû se taire. Il aurait vraiment dû, pour une fois, se laisser humilier, maltraiter, insulter, rudoyer docilement, peut-être tout aurait fini plus vite. Mais c'était quelque chose que Mike ne savait pas faire. Fermer sa gueule.

-Si tu étais... Mike avala sa salive pour humidifier un tant soit peu sa gorge râpeuse. Si tu étais si brillant... Alors pourquoi t'as perdu ton travail ?

Un silence de mort s'abattit dans la pièce, à peine froissé par les tortillements du garçon pour se dégager de son inconfort.

Soudain les deux mains qui le retenaient cloué au mur le lâchèrent sans ménagement, et il s'écroula par terre dans un claquement sec.

Il tenta de se relever lorsqu'un coup de pied d'une monstrueuse violence déblaya sa tête sur le côté, le projetant contre le sol.

Complètement sonné, il entendit vaguement un ricanement nerveux grincer au-dessus de sa tête. Il trouva la force d'ouvrir les yeux, et tomba nez-à-nez avec la vision oppressante de son père, qui persifflait de toute sa hauteur :

-Tu es tellement mort Michael. Tellement mort, putain.

Aussitôt il sentit une paire de main se glisser sous son col et le soulever dans les airs. Il ouvrit la bouche pour protester, une erreur vraiment stupide. Au moment de l'atterrissage, lorsqu'il s'écrasa contre la table basse, sa mâchoire se referma d'un coup sec sur sa langue. Il sentit aussitôt le sang se déverser dans sa bouche, inondant la cavité à tel point qu'il débordait sur son menton et coulait en de longues traînées visqueuses.

Il se pencha en avant, submergé par le flux, et cracha le surplus d'hémoglobine sur le tapis.

Il comprenait à moitié le tonnerre d'insultes que lui envoyait son père à propos des saletés qu'il faisait, bien trop engourdi par un aller retour de coups sur ses côtes.

Une nausée dévastatrice le gagna à mesure que son calvaire s'intensifiait. Le monde tournait soit beaucoup trop vite soit beaucoup trop lentement, accélérant et décélérant si abruptement que son corps supportait mal la pression. Sa vision devenait floue et il ne parvenait plus à ouvrir complètement sa paupière gauche.

Et il y avait la douleur.

Un incommensurable océan de douleur crue et vive, qui enchaînait les coups sans répit, sans cesse ravivée, titillée. Une douleur si atroce qu'il ne pourrait plus supporter ne serait-ce qu'on le frôle avant quelques jours.

Mais il résistait, à son échelle. Il repoussait ses limites, grappillait quelques secondes de lucidité, refusant de sombrer dans l'inconscience. S'il tombait d'inanition, il laissait son père gagner. Il lui montrait qu'il était clairement aussi faible qu'il le pensait, et en un sens ç'aurait été presque pire.

Mais son esprit s'embrouillait de plus en plus et les pics de souffrance devenaient insupportables à tel point qu'il fut à deux doigts d'abandonner.

.

Mike était en boule contre le mur, sifflant, gémissant comme un animal blessé. Il grimaça à la bruine jetée sur son visage, déduisant qu'il s'était fait cracher dessus mais bien trop comateux pour ouvrir les yeux.

Ted renifla et fit craquer ses poignets comme après un exercice intense, puis il balança sèchement :

-Tu masqueras les traces. Si ta mère ou ta soeur remarque quoi que ce soit, je te tue.

Mike émit un petit couinement, incapable d'articuler un mot. Ted attrapa une bière au hasard dans le frigo, la décapsula, et rajouta d'un ton naturel :

-Oh, et tu lisseras tes cheveux. Ils recommencent à boucler et c'est dégueulasse. Mon frère vient dimanche, et je ne veux pas qu'il te voies avec ces cheveux. Bien sûr, pas besoin de venir à table ce soir.

Enfin, l'homme quitta la pièce, éteignant la lumière derrière lui sans se soucier de l'adolescent mutilé encore blotti contre le mur.

Mike poussa un long soupir de délivrance, et bascula immédiatement dans l'inconscience.

.

Lorsque Mike se traîna enfin jusque dans sa chambre, il devait être aux alentours de 23 heures. Il avait comaté tout du long, et la quantité de sang perdue l'affolait lui-même. Il marchait en vacillant, pâle comme la mort, affamé et épuisé.

Il referma sa porte sans verrou, et il souffla de désespoir.

Il fallait encore se lisser les cheveux.

Maquiller les blessures.

Nettoyer le salon.

Bander les plaies.

Se mettre en pyjama.

Il décida qu'à l'exception de la dernière obligation, il ferait tout le lendemain, vers six heures avant que son père ne se lève.

Merde, il avait regardé le miroir.

Ce miroir le hantait. Il lui rappelait chaque instant à quel point son père était cruel.

Mike gémit doucement.

Oh non... pas encore...

Les traces de coup sur le visage étaient un enfer à dissimuler.

Il se déshabilla lentement, les membres raidis par une infinie précaution. Malgré tous ses efforts, ses vêtements raclaient contre les plaies, ravivant des frissons d'inconfort.

Il frémit lorsque son torse maigre et blanc s'imposa à lui dans le miroir. Il était atomisé. Jonché de cicatrices, de traces, de bleus, d'entailles, de morsures, de blessures, de sang, lacéré, rougi.

Il pensa avec amertume à Lucas.

Tu n'aimes plus nager ou quoi ?

Oh, si, il adorait ça. Mais comment expliquer ce cimetière de balafre ? Il se glissa dans ses draps en grimaçant.

C'est comme si tu étais dans un état de fatigue perpétuelle.

Pas étonnant, il lui était impossible de trouver une position pour dormir. Chaque morceau de son corps irradiait de douleur, et chaque pose appuyait contre ses plaies. Il lui arrivait de passer des nuits blanches sans parvenir à se reposer une seconde, sans cesser réanimé par la souffrance.

Mike renifla et se retourna. Ses hanches l'élancèrent de nouveau à tel point qu'il enfonça ses ongles dans son oreiller.

Tu ne nous invite plus, tu restes chez Will tout le temps.

Les Byers étaient si gentils. Joyce lui donnait le sentiment d'avoir une vraie mère. Hopper, même s'il ne lui avouerai pour rien au monde, lui donnait un rassurant sentiment de sécurité. Il admirait Jonathan, et Will était l'obligeance même, les heures passées avec lui filaient comme dans un rêve.

Et El lui faisait se souvenir que le bonheur existait. Parce qu'il ne vivait que pour le moment où leurs lèvres se rejoignaient enfin après une longue et intense journée de séparation, remplie de douleur et de larmes. Ses mains effaçaient ses cicatrices, et ses mots l'emmenaient dans un monde où son fardeau n'existait pas, où il était libre de son père.

Il avait tellement de chance de l'avoir. Tellement de chance de les avoir tous, tous ses amis. Il avait été odieux avec Lucas. Il ne le pensait pas, il était si désagréable sans le vouloir, une vraie merde. Max avait raison, son père aussi : il ne méritait personne.

Les gens pleureraient-ils à mon enterrement ?

Se demanda le garçon en tirant anxieusement une mèche de cheveux. Il finit par conclure, la gorge nouée, que c'était peu probable. Les gens ne pleurent pas les connards.

Ça lui torpillait le cœur, mais il avait une consolation.

Au moins ça ne serait pas trop douloureux si,

un jour,

par erreur,

son père frappait,

un coup de trop.

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