Beauties and monsters (Max)
Niveau d'angst : 6/10
It doesn't hurt me (yeah, yeah, yo)
C'était la troisième fois que Max se repassait cette chanson au volume maximum, désirant par-dessus tout noyer tout ce qui la préoccupait.
Elle marchait d'un pas complètement automatique en direction de son vieux van qui l'attendait dans le terrain vague. Elle n'était pas ce qu'on pouvait qualifier de pressée de rentrer, la perspective de rejoindre son domicile n'était pas particulièrement réjouissante, et sachant qu'elle n'était pas vraiment attendue, l'adolescente ne se privait pas de faire quelques détours.
Peut-être qu'elle n'aurait pas dû. Voyez-vous, la solitude a des avantages, mais ce n'est pas un facteur qui joue en votre faveur lorsque vous vous retrouvez face à des crétins.
-Hey, Mad Max !
Max n'entendit pas l'insulte, la musique occupait tout l'espace de ses tympans. Elle ne se rendit compte qu'elle était interpellée que lorsque son casque fut arraché à ses oreilles.
-Alors tu ne réponds plus quand quelqu'un te parle ? C'est plutôt grossier !
Max grogna et sauta pour rattraper son casque. Malheureusement pour elle, le garçon la dépassait largement et semblait s'amuser de ses efforts pour récupérer sa prise.
-Va te faire foutre Belch, s'agaça Max en renonçant à rattraper l'objet. Rends-le moi ou je te frappe dans les couilles.
Belch gloussa en basculant la tête en arrière, et la jeune fille ne put s'empêcher de trouver qu'il ressemblait à un dindon. Cela se confirma par l'arrivée du reste de la basse-cour, et ils furent bientôt deux autres à l'encercler.
Max soupira. Contrairement au reste du groupe, elle n'avait jamais vraiment eu affaire à des intimidateurs. Elle avait eu le droit à son lot de commentaires mais elle était assez impressionnante pour qu'aucun de ses camarades n'ait un jour osé l'intimider frontalement, ces derniers choisissant principalement de lancer des rumeurs dans son dos.
Enfin, jamais jusqu'à Belch. Ce n'était un secret pour personne qu'il avait, ou bien qu'il avait eu, un petit béguin pour elle. Mais c'était une brute et un débile complet, et elle avait clamé haut et fort qu'elle préfèrerait coucher avec un demogorgon que de sortir avec lui.
Elle n'était pas certaine de la raison pour laquelle il avait commencé à s'en prendre à elle depuis. Sûrement son égo avait-il pris un trop gros coup, ou bien était-ce simplement le fait qu'elle se rendait inaccessible et qu'en bon fils de riche, ça lui suffisait pour être frustré.
Et voilà qu'il était là, avec sa bande d'amis tous aussi stupides que lui, qui ne perdait pas une occasion pour l'ennuyer.
Sa patience diminuait drastiquement à mesure que son petit jeu continuait.
-Belch, je te jure, ma patience fonds plus vite que la banquise, rends-moi mon walkman.
Belch rit encore et siffla :
-Oh, et qui vas-tu appeler ? Toothless, Frogface ou cette fille taré qui hurle comme un animal et qui ne va même pas à l'école ?
Max lui donna un coup de pied dans le tibia et souffla :
-Non connard, je vais appeler le service de dératisation, pour les avertir que j'ai trouvé un GROS parasite.
Cette fois, le garçon ne rit pas. Son regard s'assombrit et il lui prit le poignet, à la surprise de ces deux acolytes. Max secoua son bras de toutes ses forces mais ne parvint qu'à resserrer l'emprise qu'avait l'autre sur elle. Le garçon lui tordit le bras.
-Hugh ! T'as craqué ? Laisse-moi partir !
-O... ouais, intervint même l'un des deux autres, dont Max semblait se souvenir qu'il s'appelait Patrick. Laisse-la tranquille, ce n'est pas ce que tu avais...
Mais Belch n'écoutait personne, et il susurra :
-Je peux te laisser partir, si tu m'embrasses !
Max s'étrangla de rire.
-Woow ! Tu es sous crack ou quelque chose comme ça ? Pour un million de dollars je ne...
Elle fut interrompue par un coup de poing dans le ventre.
Ce ne fut pas tant le choc que la surprise qui lui laissa la gorge sèche. C'était la première fois que quelqu'un mettait la main sur elle. Même Billy n'avait jamais osé par peur de devoir répondre de ses actes auprès de son père.
Et voilà qu'elle recevait son premier coup, de la part d'un garçon dont elle n'avait jamais réalisé la menace jusqu'ici. Les émotions se mélangeaient dans son esprit, et pour la première fois, elle n'avait plus rien à répondre.
Elle sentait comme un creux se former dans son ventre.
Elle avait peur.
Et elle se dégoûtait d'avoir peur.
-Tu aimes ça Maxine Mayfield, cracha Belch avec des yeux de fous. Sarcasme. Te foutre de tout. Mais je ne m'amuses pas.
-Putain, de quoi tu...
Plus Max se débattait, plus sa peur bouillonnait en elle. Soudain elle croisa son regard et son sang se glaça.
Oh mon Dieu.
Sans le vouloir, elle avait vu juste.
Oh mon Dieu !
Ses pupilles étaient monstrueusement dilatées et tout leur contour était rouge. Il avait pris de la drogue. Et pas qu'un peu.
Il ne répondait de plus aucun de ses actes.
Max se tortilla de plus belle, appelant dans sa tête n'importe qui susceptible de l'aider.
Et si El utilisait ses pouvoirs pour regarder ce qu'elle faisait en ce moment même ? En un mouvement de tête elle pouvait lui casser le bras.
Peut-être qu'Eddie avait entendu du bruit ? Il n'habitait pas loin de son van.
Peut-être que...
Peut-être que Lucas l'avait suivie ?
C'était d'autant plus improbable qu'elle l'avait envoyé dans les roses quelques heures auparavant.
Pourquoi s'éloignait-elle constamment de tous ceux qui auraient pu la protéger ?
-Merde, Mayfield, tu aurais pu... ça aurait vraiment pu marcher pour nous deux. Pourquoi tu es... si... sauvage ? Ça aurait pu marcher.
Il avait les yeux embués, comme s'il s'apprêtait à pleurer.
Max haletait, la circulation complètement bloquée. Elle jeta un coup d'œil à Patrick et au troisième dont le nom lui échappait complètement. Ils semblaient tous deux aussi confus et stupidement mal à l'aise.
Tout d'un coup elle devint livide.
Belch avait sorti un couteau de sa poche. Un putain de couteau. Il avait de la bave au bord des lèvres et ses mains tremblaient.
Max sentit son cœur battre à une vitesse inimaginable, parce qu'elle savait qu'il allait le faire.
Il avait perdu la raison.
Patrick et son ami hurlaient derrière, dépassés par la situation. Ils tentaient de calmer Belch, mais aucun des deux n'osaient faire un pas pour aider la jeune fille.
Finalement, le troisième se tordit le visage de panique et hurla d'une voix stridente :
-Je... Je ne fais pas ça !! Je peux pas ! Je peux pas !! Je...
Il tourna sa tête de droite à gauche puis courut sans se retourner, répétant compulsivement :
-Je ne voulais pas le faire !! Je n'ai jamais voulu !! J'y suis pour rien putain !!
Lâche.
Elle aurait pu se réjouir de voir le nombre de ses intimidateurs réduit à deux. Mais ce fut tout ce qu'elle arrivait à penser.
Patrick plaça sa main sur l'épaule de Belch.
-Mec, arrête ça. Tu n'es pas sérieux...
Belch lui écrasa son coude dans la mâchoire. Patrick bascula en arrière et s'aplatit contre un morceau de tôle plate, le bas du visage en sang.
Il fit volte-face et ses yeux se plantèrent dans ceux de Max.
Elle comprit à ce moment-là ce que signifiait l'expression "regarder la mort dans les yeux".
Plus rien ne faisait sens autour d'elle.
Tout était lent et compliqué.
Belch déverrouilla la sécurité de son couteau.
Max criait. Elle ne voulait pas mourir.
Pas comme ça.
Non.
Pitié pas comme ça.
Elle n'avait pas fait exprès.
Le couteau avait frôlé ses côtés, elle n'avait pas réfléchi,
Non.
C'était un réflexe. L'instinct de survie peut-être.
Elle n'avait jamais voulu ça,
Non.
Tout avait dérapé
Tout était hors de contrôle,
Ouais.
Ce n'était pas de sa faute si le couteau se trouvait à présent enfoncé entre deux bourrelets de chair.
Ceux de Belch.
.
Max appuyait sur le poing du garçon de toutes ses forces. Elle avait réussi à dévier le coup.
Elle sentait le propre couteau de l'adolescent pénétrer grassement dans son ventre.
Max jeta un œil à son visage. Il était trempé de sueur, et ses yeux la regardaient toujours avec un regard fou. Elle prit peur de nouveau, et fit pivoter le couteau, l'affaissant un peu plus dans sa chair.
Belch poussa un sorte de gloussement dégénéré, et une gerbe de sang moite s'écoula de son orifice buccal.
Il bredouilla quelques dernières paroles complètement inaudibles, noyées dans son sang, et s'écroula face contre terre.
Quelques secondes de pur terreur s'écoulèrent sans que Max n'osa remuer un cil.
Puis lorsqu'elle fut assez vigoureuse pour pencher la tête et observer le corps, elle fut envahie par la nausée. Elle jeta un regard atterré à ses mains tremblantes. Elles étaient couvertes de sang, et le liquide rouge semblait lui brûler la peau. Elle sentait un fourmillement sous la croûte d'hémoglobine, et fut prise d'une furieuse envie de gratter compulsivement le sang de ses mains pour ne plus en laisser une trace.
Mais il lui semblait qu'il était trop tard, et que l'horreur était incrustée dans son ADN jusqu'à la fin des temps.
Max s'agenouilla si fébrilement qu'elle crut que ses genoux allaient lâcher. Elle rassembla tout son courage et donna une faible impulsion sur la joue du garçon inerte.
Réveille-toi, enfoiré. Allez.
L'absence totale de mouvement l'encouragea à donner une petite tape plus vive, et la tête se retourna pour sa plus grande horreur.
Deux yeux vitreux et déjà blanchis scrutaient intensément le vide.
Et c'est en se confrontant à ce regard désert qu'elle sut avec certitude.
Il est mort.
Mort, mort, mort.
A cause de moi.
Une myriade de picotements turbulents secouèrent son ventre si fort qu'elle fut prise d'un spasme affolé. La panique gagnait peu à peu chaque particule de son être.
Je l'ai tué.
Je l'ai simplement tué.
Je suis un meurtrier. Je vais être poursuivie. Je vais aller en prison.
Pour avoir tué quelqu'un.
Quelqu'un que je connaissais.
Je ne dois pas crier. Pas le moment, n... non, non, non, non, non...
Hhh... hhh...
Mon Dieu je vais étouffer.
Comment je respire?
Merde, merde, merde, merde, merde.
Qu'est-ce que j'ai fait ?
Je devrais être celui qui est mort.
Je devrais être morte.
-Qu'est-ce... qu'est-ce que tu as fait ?
Max releva la tête et se retrouva nez à nez avec Patrick, la mâchoire toujours sanguinolente.
Il fixait la scène d'un air mortifié. Il avait l'air sur le point de vomir ou de s'évanouir. Il émit un petit gémissement et ses yeux roulèrent dans leurs orbites. Max se précipita pour l'agripper avant qu'il ne sombre dans l'inconscience.
Elle le secoua vivement et il reprit ses esprits. Il était pâle comme un linge, et ses yeux allaient et venaient du corps jusqu'à Max.
Il bredouilla de manière à peine perceptible :
-Je lui ai dit que tu étais dangereuse. Je lui ai dit. Il ne m'écoute jamais
Dangereuse.
Max trembla.
Puis elle se ressaisit, et le secoua de nouveau, les mains ancrées sur ses épaules :
-Wow, wow, wow, calme-toi poupée. C'était...
Elle se rendit compte qu'il ne l'écoutait pas, et que son regard s'évanouissait sur le sol. Agacée, elle donna deux tapes sur ses joues pour le recentrer.
-C'était un accident, okay ?
Patrick la regardait toujours avec de grands yeux effrayés. Il plaida lamentablement :
-Ne me tue pas...
Max fut prise d'une douleur sourde animée de colère. Elle fut à deux doigts de lui envoyer une gifle.
Elle se calma et expira avec aplomb.
-Je ne suis pas un tueur.
Elle enchaîna avant qu'il puisse dire quoi que ce fut pour la contredire.
-C'était un accident, je te l'ai dit ! J'essayais juste de sauver ma... "nos" vies !
-"nos", grimaça le garçon.
-Ouais, "nos" ! Il était... il était complètement défoncé ! Il m'aurait tué, puis il t'aurait tué aussi, parce que tu étais là ! Alors, oui, j'ai sauvé ton cul, de rien !
Les yeux de Patrick grandissaient à mesure qu'il comprenait, et ses poils se dressèrent sur sa peau.
Il regardait à présent Max avec une sorte de respect mélangé à de la crainte. Il souffla :
-Qu'est-ce... Qu'est-ce que fait ?
-Tu cours, ordonna la fille rousse. Et tu retrouves ton autre ami. Tu lui dis qu'il ne s'est rien passé, que j'ai réussi à m'échapper, tout ce que tu veux, juste... utilise ton putain de cerveau, pour une fois ! Vas-y.
Elle le lâcha. L'adolescent mit quelques instants à percuter, puis il acquiesça, la gorge sèche. Il glissa sur ses fesses pour se relever, après une tentative infructueuse, il se mit debout et courut sans se retourner.
Bien. Voilà une bonne chose de faite, pensait Max.
Elle tourna ses yeux vers le cadavre, et fut prise d'un haut le cœur en apercevant les mouches qui s'empressaient déjà d'en récupérer un morceau.
Elle ne pouvait pas le laisser pourrir là, quelqu'un allait forcément tomber dessus, c'était déjà un miracle que personne ne soit déjà apparu.
Max s'approcha avec courage, la mâchoire crispée. Elle pencha la tête au-dessus de lui et regretta immédiatement, détournant la tête avec violence.
Oh, mon dieu l'odeur !
Puis elle contrôla ses narines et agrippa ses chevilles. Elle entreprit de le traîner dans l'herbe, répugnée par le contact avec la chair morte.
Ce fut une longue lutte acharnée pour arriver à déplacer le corps, bien plus lourd que ce qu'elle supposait, dans un constant combat avec les mouches, écrasée par la chaleur et la panique.
Finalement elle parvint derrière le vieux camping-car défoncé que personne n'avait jamais revendiqué comme étant le sien.
Max plaça les mains sur les hanches et eut enfin une minute pour réfléchir.
Elle sentait une vague frayeur s'intensifier en elle.
Tout était allé beaucoup trop vite.
Elle avait agi dans la précipitation, uniquement motivée par l'affolement. Maintenant elle se rendait compte de son erreur.
Elle aurait sûrement dû appeler la police, plutôt que de prendre des initiatives. C'était trop tard à présent, ses empreintes étaient disséminées sur tout son corps.
Max prit une inspiration désespérée et passa la main dans ses cheveux.
Stupide. Stupide, stupide, stupide.
Elle pouvait brûler le corps.
L'idée lui était venue d'un coup, à l'instant. Elle hésita un moment.
Putain, non. Elle ne pensait pas sérieusement.
Mais que faire du corps ?
La terre était définitivement trop sèche pour l'enterrer à mains nues, et l'heure tournait à toute vitesse, quelqu'un allait surgir d'une minute à l'autre, elle devait prendre une décision.
Elle trancha : elle allait dissimuler grossièrement le corps, sous des branches et des feuilles, un peu en marge du terrain, et elle reviendrait dans une ou deux heures avec des pelles et des pioches pour creuser.
La jeune fille s'affaira à la hâte, en nage sous le soleil brûlant.
Quelques minutes plus tard, c'était chose faite : on ne distinguait plus le cadavre. Elle l'inspecta sous tous les angles possibles : impossible de trouver quoi que ce fut sans fouiller.
Max fit quelques pas en arrière puis partit en courant, le ventre tordu d'angoisse.
Je reviens tout de suite, pensait-elle.
.
Il était 21 heures quand Max revint sur les lieux du crime, une pelle à la main.
Sa tête martelait d'inquiétude, elle avait mis beaucoup trop longtemps. Mais elle avait dû faire pratiquement trois fois le tour de son terrain vague avant de parvenir à se procurer une pelle.
Elle en avait eu tellement marre qu'elle avait été à deux doigts d'éclater en sanglots, d'appeler la police et de se rendre.
D'appeler Lucas et de tout lui raconter.
Elle en avait tellement marre putain, de toujours ramer toute seule, à contre-courant.
Tellement marre d'être seule face à toutes ces merdes.
Elle se traîna, exhaussée, jusqu'à la petite butte avec le corps et s'activa pour retrouver son emplacement.
Une longue rainure glacée descendit le long de sa colonne vertébrale.
Elle ne retrouvait pas le corps.
Max dut rassembler toute l'énergie qui lui restait pour ne pas se mettre à paniquer et faire une nouvelle fois une inspection générale des lieux.
Aucune trace de Belch.
Et alors que son cœur cognait contre sa poitrine avec une telle rage qu'il semblait vouloir s'échapper, elle reconnut le tas de branches sous lequel elle avait caché le garçon.
Sueurs froides.
Il gisait à terre, encore éclaboussé de sang, fraîchement remué.
Vide total. Blanc.
Quelqu'un avait trouvé le corps.
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