HUGO

Il s'était assis en hauteur, pour avoir une vue plongeante. Il avait toujours préfèrer prendre de la distance par rapport à la scène, mais pour quelle raison ?

Lui même ne le savait pas.
C'était rassurant, en quelque sorte. Il pouvait observer l'effet que la musique avait sur les gens. Leurs visages passionnés, ou bien l'ennui. Mais surtout, il avait une vue d'ensemble sur l'artiste.

Il attendait Malia. Elle allait être tellement belle, et en même temps, elle allait briser son cœur.

Hugo pensait avoir cerné Malia. Elle n'avait jamais eu une enfance très heureuse à Boston, et les amours n'avaient pas du être nombreux. Peut être que le jeune homme avait été une sorte de déclic pour la pianiste. Pour la faire réaliser qu'elle n'était pas rien, comme elle le pensait.

Elle était exceptionnelle, dans tous les sens du terme. Elle était intelligente, drôle, belle, passionnée, souriante.

Hugo ne voulait que son bonheur, et le fait que Malia l'ai au moins aimé une fois le rendait déjà heureux.

Si seulement Liam n'était pas si génial, il aurait peut être eu une chance.

Malheureusement, Hugo était Hugo. Et les filles...c'étaient les filles.

En général, elles le trouvaient trop niais, trop mielleux, trop ceci, trop cela. Mais quand Hugo était plus distant, ce n'était pas bon non plus. Au bout de quelques relations foireuses, il avait décidé d'abandonner. Il n'était peut-être pas fait pour avoir une âme sœur. De toute façon il n'y croyait pas vraiment. Hugo faisait partie de ceux qui tombent amoureux énormément de fois. Quand il croise quelqu'un, les "et si..." envahissaient son esprit. Il était ouvert à toutes les possibilités, et en général, ça lui faisait défaut.

Malia lui semblait un peu abstraite. D'un coup c'est comme si elle l'aimait, et juste après, la distance se creusait.

Les sentiments évoluent, naissent et disparaissent très vite, c'était ça, la vie. Et Hugo l'avait vite compris. Il s'attache très vite aux gens, comme il peut s'en détacher tout aussi vite.

Le truc, c'est que sa définition de l'amour, ce n'est pas l'exclusivité. Pour lui l'amour, c'était pas unique. Une âme sœur ? Il n'y croyait pas vraiment. Mais de belles relations, de beaux moments ? Ca oui. Alors peut être que cette philosophie est la cause des relations foireuses qu'il a entretenu au cours de ces dernières années, mais il jugeait cela très vrai.

Mais ce n'était pas pour ça qu'il ne tombait pas amoureux. En fait, il tombait amoureux très vite. Chez Malia, c'était sa passion qui l'avait d'abord attiré. Chez les autres filles, c'était parfois une façon de parler, de s'habiller.

Sa mère lui avait dit un jour qu'il voyait la beauté en chaque personne. Mais est-ce un défaut, ou une qualité ?

Parce peut être qu'il n'était jamais assez amoureux que pour marquer le cœur de quelqu'un.

Hugo soupira, fatigué de tourner les mêmes pensées encore et toujours.

C'était dur à digérer, mais Hugo était sur qu'il allait s'en remettre. Il allait juste tenter une petite chose, juste après le spectacle. Aller lui parler, avoir une petite intention envers elle. Peut être qu'elle ne le trouvera pas de trop ?

Hugo était vraiment pathétique. Sa vie sentimentale était un fiasco. Il finirait seul, il en était sur.

Ce n'était pas du pessimisme, juste du réalisme.

LIAM

Son cœur battait à tout rompre. C'était sûr que la déclaration qu'il venait de faire n'était pas très poétique, mais au moins, il pensait s'être fait comprendre.

Il se sentait enfin léger, heureux. Plus d'anxiété, de crispations, de nervosité. Il rentra dans la salle, montrant sa carte d'étudiant au vigile. Il s'installa dans un siège vide, au beau milieu de la salle. Liam espérait que personne n'avait acheté une place pour ce siège, sinon il serait obligé de bouger. Ses mains se joignirent tandis qu'il s'adossa sur son siège, un demi-sourire aux lèvres. C'était l'entracte, et tout le monde revenait peu à peu à leurs places.L'impatience agitait son être tout entier, son pied tapota le sol. Malia allait cartonner, et il allait être aux premières loges.

  L'odeur de la dame à côté de lui était nauséabonde, un mélange de choux fleurs et de gâteau au chocolat moisi. Assez étonnant, c'était clair. Liam plissa le nez, s'empressant de tourner la tête vers son voisin de droite, un gamin avec des cheveux roux. Il réprima un haut le coeur, et respira plus profondément.

Le gosse se pencha vers lui.

-Toi aussi, tu as senti la mauvaise odeur ?

Liam éclata d'un rire tonitruant quand la mère du petit garçon le réprimanda d'un coup sec sur la tête avec le petit programme de la soirée. Il se pencha vers le petit roux.

-Oui, j'ai senti. C'est la dame à côté de moi, figure-toi.

-Pas de bol ! ricana-t'il.

Il replongea le regard dans son smartphone, ses pouces tournoyant si vite qu'il ne les voyaient bientôt plus.

Liam fixa quant à lui le rideau rouge. Lui était passé la veille au soir. Tout avait été comme sur des roulettes, du moins il le pensait. Quand il s'était levé, ses membres tremblaient, et ses doigts tressautaient. Le jeune homme s'était abandonné à son morceau tout entier. Ses émotions s'étaient transformées en notes, ses sentiments en mélodie. Plus que jamais, il avait été heureux. Telle était sa place. Sur une scène, et nulle part ailleurs.

Liam est interrompu dans ses pensées par les lumières qui diminuèrent progressivement.

Un frisson hérissa tous les poils de ses bras. Son cœur gonfla. Ses yeux brillèrent.

Quelqu'un sur scène annonça le nom de Malia Hernandez, et elle apparut.

Sa belle robe rouge, sa chevelure aubrun, et ses tremblements.

Ses belles lèvres, ses yeux qui parcouraient la salle avec frayeur, et une étoffe de grande musicienne.

Ses talons claquèrent.

Le tabouret crissa.

Le cuir grinça.

Et puis, telle des plumes, les mains se posèrent sur le clavier.

MALIA

A l'instant ou elle s'assit sur le tabouret, elle oublia tout. Sa boite crânienne se vida de toute pensée. Ne restaient plus que les émotions.
Amour, Colère, Peur, Joie.
Surtout amour.
Elles s'emparèrent d'elle avec fureur quand les premiers accords retentirent dans l'air. L'air s'échappa de sa cage thoracique, et son cœur se mit à battre en décalage. C'était son moment à elle. Malia ne devait pas se louper.
Elle insuffla plus d'énergie dans ses mains. Un sourire comblé éclaira son visage.
Elle voulait que chacun dans cette salle comprenne à quel point la musique était importante pour elle. Les chutes de notes étaient presque sa raison de vivre. Toutes les émotions qu'elle contenait au plus profond d'elle explosèrent sans qu'elle s'en rende vraiment compte.
Des morceaux de pensées, d'idées, de sentiments qui l'avait traversée au cours des derniers mois prirent forme à coups de do et de la.

C'était une libération émotionnelle. Elle bougeait sans cesse, ses mains tempêtant sur les touches. Ses cheveux volaient autour d'elle, et son front luisait.

Malia se sentait tellement vivante.

Chaque note était un hommage à son père, à son abuelo, à sa mère. Tous ceux qui l'ont toujours soutenue pour qu'elle puisse être ici, sur scène.

Encore un autre sourire, encore plus de virulence dans ses mouvements, encore plus magie.

Elle pensa à Liam qui venait de lui ouvrir son cœur. Qui était joyeux, énergique.

Elle pensa à Hugo, qui était tendre et en colère à la fois.

Leurs deux visages flottaient autour d'elle comme des ombres, mais le dilemme ne sa posa pas, cette fois. Pour l'instant, il ne fallait pas choisir. Non. Il fallait leur jouer une mélodie, leur livrer un morceau de son âme. Même si soudainement, les frissons avaient disparu pour Hugo, et d'autres étaient apparu pour Liam, ils avaient droit tous les deux à une jolie suite de notes.

Et si c'était possible, la musique l'enivra encore plus.

LIAM

Ça faisait longtemps que Liam pleurait. En fait, il ne s'en rendait pas compte. Son sourire comblé l'illuminait comme une aura. Ses mains tremblaient.

Malia avait réussi. Elle le faisait si bien. Sa musique était grandiose, majestueuse, somptueuse.

Chaque cœur battait au même rythme devant tant de beauté.
Le projecteur illuminait la virtuose comme si elle était seule au monde.

Chacune des notes faisait frissonner Liam de la tête au pied. Il était subjugué. Les doigts de Malia s'enfonçaient, implacables et sans pitié, la musique retentissait, rebondissait contre les murs. Ses ondes traversaient le monde comme une vague de bonheur.

C'était un instant intemporel.
Magique.
Irréel.

Quelqu'un aurait pu crier au feu, Liam n'aurait pas cessé de la regarder.

Elle était tellement sublime que son cœur s'arrêtait par moment, comme si c'était trop intense.

Sa robe rouge scintillait, et à chaque seconde, Liam retombait amoureux.

Il était amoureux de sa passion, de sa musique. Le piano faisait partie d'elle même.

Liam pensait que Malia ne voyait pas vraiment le piano comme les autres.

C'était un moyen de s'exprimer, d'embellir le monde, oui.

Mais pour elle, c'était sa vie.

Le piano lui était autant indispensable que de manger.

Et c'est ça qui la rendait encore plus vivante. Sa passion flamboyait en elle comme un feu ardent, et les étincelles dans ses yeux l'embellissaient toujours plus.

Liam porta une main nerveuse à son cou. Il était tellement subjugué qu'il transpirait. C'était de loin la meilleure performance qu'il avait jamais vue. Avec des fautes, oui. Les maladresses ont été nombreuses.

Mais quelle importance, quand la passion domine ?

MALIA

Et elle finit son morceau sur une note plus douce, le regard flou. Elle se leva comme au ralenti, les mains tremblant encore.

Les applaudissements étaient sourds dans ses oreilles, ses yeux étaient presse fermés. Elle avait donné tant d'elle même dans ce morceau, elle se sentait vidée.

Des yeux elle chercha sa mère. Impossible de l'apercevoir dans cette marée humaine qui s'égosillait, qui hurlait à s'en déchirer la gorge. La fierté fit battre son cœur si douloureusement que son souffle se coupa un instant. Son bonheur était là, devant elle.

Malia leur avait donner une once de joie pure qui leur donnerait la force de continuer à vivre.

Elle croisa le regard de son professeur, au premier rang.

Cornélia Garnier, croyez le ou non, avait les yeux brillants de larmes.