Chapitre 30


MALIA

Tout le monde avait fini par partir, la tête légère, les pensées heureuses et les joues pleines de courbatures. Il sembla à Malia que les rires résonnaient encore dans l'appartement, le rendant presque en vie pendant un instant. Elle s'avança au centre de la foule fantôme, les yeux brillants comme des flammes. Elle se dirigeait vers Liam, dont l'ombre était noire. Son obscurité formait une aura malheureuse autour de lui, si bien que les silhouettes hautes en couleurs ne s'en approchaient pas. La pianiste s'approcha de lui, le cœur au bord des lèvres. Elle ne savait même pas quoi lui dire, elle voulait juste détruire ces ténèbres qui l'encerclaient. Elle pressa une main timide et anxieuse sur l'épaule de son ami.

-Arrête, Malia. Arrête. Tu me fais du mal, tu ne le vois pas ?

Les larmes perlèrent sur ses joues.

-Je suis désolée. Pour tout. Je ne comprends rien à ce qui m'arrive. J'ai l'impression de jouer une pièce de théâtre. Je joue un rôle, je ne sais pas qui je suis. Comment je pourrais le savoir ?

-Tiens, c'est drôle. Une pièce de théâtre.

-Je ne sais pas ce que je fais. J'avance dans ma vie, mais j'ai l'impression de passer à côté de quelque chose d'essentiel. J'arrive pas à comprendre! C'est tellement dur. Je dois devenir adulte et responsable, mais je n'ai pas envie. Je dois faire des choix, mais...

-Tu n'en as pas envie, je me trompe ? Moi aussi, j'ai peur. Mais il faut choisir !

-Liam...

-Malia...

-Malia...

-MALIA !

-MALIA !

Elle voyait flou. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, la panique saisissant ses membres. Les cheveux roux de Louisa lui chatouillaient le visage.

-Pourquoi est ce que je suis couchée sur le parquet ?

-Tu viens de t'évanouir! Tu m'as fichu une de ses trouilles, je t'interdis de recommencer !

-Je me suis évanouie ?

-Tu étais trop fatiguée ! Si seulement tu pouvais arrêter de bosser ton piano toute la nuit, peut-être que ça irait mieux !

Louisa l'examina scrupuleusement.

-J'ai eu vraiment peur.

-Je vais avoir une bosse.

-Non, sans blague !

Elles restèrent assises par terre, le regard vague. Le corps de Malia palpitait au rythme de son cœur, elle ne se sentait vraiment pas bien. La jeune pianiste savait que les études allaient être stressantes, mais à ce point, quand même... L'émotion principale qui régnait au sein de son être était le stress ou plutôt la peur panique. L'examen se faisait en présence du public, et la jeune fille ne pouvait affronter des centaines de paires de yeux. L'attention de chacun rivée sur ses doigts. Les oreilles de tous à l'aguet d'une erreur. Le cœur qui se serrait, les mains qui palpitaient de peur, l'étourdissement quand on monte sur scène étaient des sensations aussi incroyable que pénibles. Chaque fois que Malia représentait un morceau au public, elle avait l'impression de vivre autant que de mourir. Toute personne devant qui elle avait parlé de ce phénomène l'avait prise pour une folle, aussi n'en parlait t'elle pas trop.

Elle observa la neige qui tombait doucement dehors. Les flocons qui semblaient flotter dans l'air avaient quelque chose d'hypnotique et de rassurant. D'un coup, Malia fut calme. Le concert qui approchait, la panique qui en résultait et le tremblement incessant de ses mains cessèrent . Elle ne pensait à rien d'autre qu'à la neige. Un soupir de soulagement lui échappa. Ses épaules se décrispèrent. La jeune fille s'était toujours trop inquiétée. Elle ne faisait pas confiance. L'audition le lui avait prouvé ! Une perturbation sentimentale, et tout le travail effectué disparaissait comme neige au soleil. Mais ce concert était réellement important. Sa mère serait là, et elle devait se montrer digne. Digne de son père, digne de son grand-père. Son rôle était de transmettre la beauté de la musique aux autres, il s'agissait de ne pas échouer.

Qu'est-ce qu'elle aimait voir les sourires s'esquisser sur les visages, les yeux s'illuminer, les airs ébahis remplacer les airs impatients. Pour elle, la musique insufflait la vie dans les âmes. Quels mots, quels gestes pouvaient remplacer la douceur et la justesse d'une mélodie ? Rien ne traduisait mieux les émotions que les notes. C'était comme un langage universel, mais qu'au fond, personne ne comprenait vraiment.

Les battements de son cœur se firent douloureux. Une immense pression lui alourdissait à nouveau les épaules. La panique s'insinuait une fois de plus dans ses veines, empoisonnant toute note positive. Ce n'était pas normal, de stresser autant. Elle observait les autres. Ils arrivaient à rire tout le temps et sans se forcer! Elle devait vraiment faire semblant d'être détendue, sinon les autres s'inquiétait. Ce stress maladif quant aux représentations en public l'accompagnait depuis sa plus tendre enfance.

-Malia, je pense que tu devrais dormir.

La jeune fille se retourna lentement vers la rousse.

-Je n'arriverai pas.

-Tu penses encore à Liam et Hugo ?

-Je pense à l'examen.

-Pense à autre chose ! J'ai toujours l'impression qu'un combat se déroule en toi. D'abord, c'est choisir entre Hugo et Liam, ensuite c'est un combat contre toi-même !

-Je...

-Tu n'as pas confiance en ton talent ! Et c'est complètement débile !

-Tu me traites de débile ? fit Malia.

-Oh, et puis merde! J'en ai marre de jouer les fines psychologues et de vous remotiver les uns après les autres !

-Qui d'autre as-tu remotivé ?

-Personne. On s'en fiche ! Va répéter, si ça peut t'aider. Parce que ta tête de déterrée, non merci!

-Charmant ! rigola Malia tout en saisissant sa veste.

Elle finit par sortir pour affronter le froid. Mais si elle répétait, ça en valait la peine ! L'air glacial lui gifla le visage, et le ciel gris lui sembla moins pesant. Elle était impatiente de jouer. Ses inquiétudes allaient la quitter, rien que pour un instant. Malia accéléra le pas. Ses mains bougeaient déjà impatiemment dans l'air. La neige trempait ses chaussures et son pantalon, et les courants d'air lui gelaient la peau. Elle allait mourir!

Ses mouvements étaient entravés par la neige, et son pantalon était mouillé de flocons. Malia se mit à courir dans un sursaut d'énergie, qui la quitta aussi instantanément qu'il était apparu. C'était vraiment une malédiction ! Elle avança plus vite, la détermination dans son regard. Elle devait atteindre la pièce, il le fallait ! Sa volonté d'y arriver inhiba toutes autres pensées geignardes du style "JE DÉTESTE LE FROID!" ou encore "JE HAIS NEW YORK!". (Des pensées, qui, il faut le noter, étaient complètement incorrectes, puisqu'elles étaient alimentées par la colère). Enfin, le bâtiment se dressa majestueusement devant elle, provocant en elle un profond soulagement. La pensée des radiateurs qui habitaient la construction l'emplit d'une joie démesurée. Malia poussa la porte du bâtiment, essuya ses bottes, et se dirigea d'un pas décidé vers la petite salle.
Elle pénétra dans la pièce tout en ôtant sa veste.
-C'est donc ici,ton petit jardin secret ?
Elle fit volte et découvrit Hugo, qui lui souriait depuis le couloir.
-Excuse moi, je ne t'avais pas vu !
Hugo lâcha un petit rire.
-Tu vas répéter pour l'examen ? Tu veux que je te donne des petits conseils ? Tu pourrais m'aider aussi ?
Malia eut un mouvement de recul.
-Non, je préfère répéter seule, si ça ne te dérange pas.
Une lueur de déception passa dans son regard, mais il acquiesça.
-Je comprend.
Il se détourna, et Malia sentit qu'elle devait faire quelque chose. Parce que la, elle passait pour une petite amie complètement froide et distante. Depuis son hallucination de tout à l'heure, elle avait prit conscience que Liam avait réellement une place énorme dans son cœur et dans sa tête. Il lui restait donc à savoir si sa place était plus grande que celle d'Hugo.
-J'ai pas droit à un bisou?
Il se retourna, le visage rayonnant. Elle avait bien fait de dire ça. Hugo s'avança vers elle, déposa un baiser aussi léger que le vent sur ses lèvres, et s'en alla, les mais dans les poches. Malia resta plantée comme une idiote devant la porte, l'esprit en ébullition.
Je n'ai rien ressenti. Strictement rien.
Depuis quand ne ressentait-elle rien quand le garçon qu'elle aimait l'embrassait ? Elle continua de se creuser les méninges pour trouver une explication logique. Il y'en avait pas. Elle leva les yeux vers le plafond, et sembla implorer une réponse. Il était parfait. Beau, intelligent, passionné. Et Malia ne trouvait rien d'autre à faire que de ne rien ressentir ? Tout ce cirque n'avait aucun sens. Elle devait être fatiguée. La jeune fille c'était évanouie, elle ne devait pas avoir les sens en bon état. Elle secoua sa tête très fort pour chasser ses interrogations stupides de son esprit. Elle devait se consacrer à l'examen, maintenant.
Elle s'assit sur le tabouret. Il racla contre le sol' tandis que l'odeur du cuir atteignit le nez de Malia. Elle inspira une immense bouffée d'air, et commença à jouer.
Dès que ces doigts furent posés sur les touche nacrées, elle se sentit perdre pied. Un torrent de vie l'agitait, si bien qu'elle commença à trembler,à bouger. Un sourire gigantesque naquit sur son visage, tandis que ses yeux rêveurs fixaient les touches. Une torpeur délicieuse l'enveloppait. Le monde avait disparut, et seule les sensations restaient. La chaleur de la pièce qui léchait ses joues. Les fourmillements de ses doigts, les sursauts de son pied, la neige qui lui refroidissait le mollet, les marteaux du piano qui frappaient inlassablement. La sueur de son front qui collait le long de ses joues, les crampes aux poignets. Puis l'instant de grâce du morceau. Les mouvements s'accélèrent, le cœur aussi. Les octaves s'emmelaient, les notes s'enchaînaient pour former une œuvre somptueuse. Malia était si belle, à sa place. Elle savait qui elle était.

Une pianiste.

Et une pianiste n'a peur de rien.
Une pianiste affronte sa peur, car elle a un but.
Rendre le monde plus beau avec ce merveilleux outil qu'est la musique.
Les mélodies lient les cœurs, suppriment les différences, coupent le souffle.
La musique est,à certains égards,synonyme de la vie.

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