Chapitre 19




Malia nageait dans la sueur. Elle n'avait pas couru depuis un plomb, et ses muscles brûlaient. Elle entendait déjà la voix de sa mère : "Malia, il faut entretenir son corps régulièrement, sinon le reprise sera dure! " Elle soupira d'exaspération. Si seulement elle avait tord! Malia continua à courir, inspirant à pleins poumons l'air de Central Park. Elle était dans une partie déserte, on se serait cru dans une vraie forêt, au milieu de nulle part. Les feuilles cuivrées qui tombaient presque en continu avaient quelque chose d'hypnotisant.
Elle n'entendait pas les klaxons et bruits de moteurs incessants. Ses oreilles bourdonnaient de tout ce calme. La course lui faisait oublier le monde extérieur, et ce n'était pas plus mal. McThorn lui avait demandé de composer un morceau à quatre mains, et elle n'arrivait pas à s'y mettre. Si elle avait un petit temps libre, elle le passait avec Hugo. Il était adorable, et le cœur de Malia s'emballa encore plus en pensant à lui. Pas plus tard que la veille, il lui avait fait la surprise d'aller regarder les étoiles. Bon, ils avaient passé deux heures dans la voiture, parce qu'à New-York, les lumières empêchaient une quelconque observation, mais c'était pour la bonne cause. Malia avait vu une étoile filante. Un vœu spontané s'était formé dans son esprit. "Voir Hugo jouer du violon... Ça doit être splendide" Ce souhait l'avait fortement étonné. Elle décida alors que ce souhait serait dans sa liste de priorité. Elle obliqua d'un coup, et sortit du parc, un sourire large sur le visage, et une idée folle en tête. Les gens la regardaient bizarrement.

Les gens heureux sont-ils devenus tellement rares pour qu'on s'étonne d'un sourire?

***

Malia alla frapper à la porte de ses voisins dans l'après midi. Elle avait eu envie de les voir, tout à coup.
-C'est Malia !
On lui ouvrit aussitôt. Jo apparut ses cheveux bleus fourrés sous une casquette de baseball.
-Ca fait longtemps que ta pauvre petite âme perdue ne s'était pas bougée le cul pour venir ici! Entre !
L'appartement était dans un bordel monstre. Des bâches étaient disposées un peu partout sur les meubles.
-On repeint les murs.
Malia ne savait pas si c'était autorisé, mais elle saisit le pinceau que Jo lui tendait en souriant. La couleur choisie était le jaune canari, et cela ne l'étonna même pas.
-Alors, tu as décidé d'arrêter de venir nous voir exercer notre suprême talent au jazz ?
-J'ai un copain.
L'autre fit tomber son pinceau sur le parquet.
-Hugo? fit elle d'un air dubitatif.
Hochement de tête.
-J'y crois pas.
- Tu me vexes.
Jo sourit.
- Je m'en fiche. Ce soir tu viens au bar !
- D'accord, concéda Malia.
- Amène Liam, j'aimerais le voir aussi. Bon, tu veux pas prendre une bière ? Ca m'énerve de peindre ce mur! J'avance pas depuis ce matin.
Elle se dirigea sans attendre de réponse vers le frigo pour saisir les deux boissons. Elle décapsula la sienne, et avala une gorgée.
- Je l'attendais depuis ce matin !
Malia pouffa en saisissant la sienne.

***

-Les filles ! Vous êtes pas tenables!
Matteo était rentré, et il fixait les deux filles avec amusement. En effet, il y' avait de quoi.
Jo avait les cheveux coiffés en dizaine de tresses et portait une chemise à Matteo qu'elle avait trouvé par terre. Elle jouait "Sound of Silence" debout sur le canapé, les yeux à moitié plissé, du gloss noir étalé grossièrement sur ses lèvres, et un air mélancolique forcé au visage. Malia, elle, tenait deux bières à la main. Ses cheveux étaient coiffés en couettes, et, en prime, elle était maquillée comme un pot de peinture(les vestiges des palettes de maquillage test de Jo étaient par terre). Elle fredonnait en bougeant son corps de manière saccadée, tout en renversant de la bière partout.
- Vous avez foutu quoi ?
Question purement rhétorique : il voyait bien la pile de canettes de bière près du canapé.
- INFÂME MONDE ! JE PARTAGE MA MUSIQUE POUR T'EMBELLIR DE TOUS TES MALHEURS!
Jo enfourna une poignée de cacahuètes sans s'arrêter de chanter.
Inutile de dire que les miettes qui s'échappaient de sa bouche n'avait rien de séduisant.
Matteo eut un regard autant exaspéré qu'enamouré pour sa chère et tendre.
- Bien dit ! fit Malia.
Jo entama une chanson plus énergique, et Malia se défoula.
- Allez, Matt! Viens danser, c'est drôle !
Elle rigola, et se mit à sauter dans tous les sens. Le garçon enleva sa veste de moto et déposa son casque, ses clés et son sac à dos sur une chaise à l'entrée. Il les rejoignit sans aucune gêne. Jo se défoulait sur la guitare. Moment d'euphorie. De légèreté. Malia tournoya au ralenti. Irréel.
Linkin Park remplaça Jo.
Les trois étudiants dansèrent de toute leur âme sous le son de What I've done.
Malia se sentait planer. Un sourire gigantesque fendait son visage. Le bonheur irradiait d'elle. Après avoir expérimenté la résistance du parquet en sautant dessus sur du Nirvana, Malia finit par partir. Elle alla dans la petite salle après avoir envoyé à Liam:
" Ca te dis une sortie au bar à jazz ce soir ? Ça fait longtemps ! xxx "

Et à Hugo :
" Je vais au bar à jazz ce soir, tu viens avec ? "

Les deux réponses arrivèrent en même temps.

"Je commençais à croire que tu m'avais oublié! Bien sûr princesse, à tout' ! "

"Désolé jolie Malia, je dois bosser mon piano, j'ai une composition à rendre... On se voit demain si j'ai fini? Hâte de te voir ^^ ! "

Malia fut d'abord déçue du refus de son petit ami, mais en fait ce n'était pas plus mal, car Liam et Hugo ne s'entendaient pas très bien... Prise d'un élan d'inspiration, elle saisit du papier à musique, et inscrivit sur le dessus:
Hymne à la musique.
Titre complètement nul. Elle barra. Pas de titre pour cette composition.
Elle décrivit son euphorie de tout à l'heure. Comme si son cœur allait éclater. Les notes sortaient d'elle comme un torrent. Malia pensa à son père, sa passion. Au bar de jazz, le sourire des clients. La musique embellissait les gens, les faisait rajeunir. C'était un langage universel, sans mots ni phrases. Tous pouvaient communiquer par ce simple biais. C'était incroyable. Tellement incroyable. Un rire gonfla dans sa poitrine tandis qu'elle se meurtrissait les doigts sur les touches. Elle étalait ses pensées sur des pages et des pages, les noircissant à coup de triple croches et de rondes. La mélodie était joyeuse et dynamique. Pas de tristesse cette fois ci.  Malia se sentait légère, si légère... Elle faillit s'envoler.

LIAM

Le jeune homme regardait Jo chanter. Sa voix était rauque, c'était vraiment sublime. Quand il tourna la tête, il aperçut Malia, qui était fascinée. Ses yeux étaient fermés, et ses lèvres formaient un demi sourire rêveur. Liam pouvait voir d'ici le bonheur qui irradiait de son corps. Quand le morceau finit, Jo et Matteo vinrent s'installer à côté des deux pianistes, comme d'habitude. Malia sortit de sa transe avec regret. Liam la regarda en souriant.
- Bravo, les gars! fit-il, tapant l'épaule de Matt.
- Ton morceau de saxo était génial, Matt ! fit Malia, avant d'enfourner une poignée de pistache avec gourmandise.
Jo grogna.
- Je crève de faim. Je crève de soif.
Elle fronça les sourcils.
- J'ai besoin d'une bière, conclut-elle.
-Je vais te la prendre, annonça aussitôt Matteo en se levant.
- Merci mon amour!
Le blond leva les yeux au ciel, tandis que sa petite amie ricanait.
- Il n'est pas parfait, mon chéri?
- J'ai l'étrange impression qu'il y'a du chantage dans l'air, dit Malia.
Liam était tout à fait d'accord avec elle. Ils rigolèrent, les yeux pétillants.
La serveuse arriva avec les plats. Liam plongea aussitôt sa fourchette dans ses spaghetti. Il mourrait de faim.
Durant tout le repas, ils firent les fous. Des amis à Jo et Matteo s'étaient rajoutés, et la table était de plus en plus animée. Les rires explosaient dans l'air, et ils fêtèrent le week-end avec du champagne. Tout le bruit qu'ils faisaient leur valurent quelques coups d'œil, mais Liam s'en fichait. Il rigolait tellement. Il avala une gorgée de son champagne. Son septième verre. Il commençait à glousser. Ce n'était jamais bon, pour un mec. Malia en avait conscience. Elle prit congé de toute la tablée, et tira Liam hors du bar. Le froid lui mordit les joues, le réveillant un peu.
-Tu ne sais pas t'arrêter, toi?
-Je ne tiens pas bien l'alcool.
-Sans blague, ricana t'elle.
Ils se mirent à marcher en riant.
-C'est quand ton anniversaire?
-Le 20 octobre, pourquoi?
- C'est bientôt, fit-il bêtement.
Il se sentait idiot, mais elle le regardait avec ses grands yeux vert, alors peu lui importait. Il perdait un peu les pédales. Il n'était plus lui même. Ses sens étaient comme exacerbés par la nuit, il frissonnait au moindre effleurement entre lui et la jeune fille.
On aurait dit un adolescent de 15 ans ! Arrête un peu ton cinéma !
Soudain, elle posa sa main sur l'avant bras gauche de Liam. Il s'arrêta. Elle sortit de son sac des feuilles de partitions.
-Heu...Je me suis dit que tu pouvais... Eventuellement, si tu as le temps.... Jouer ce morceau avec moi, et me dire les défauts ?
Liam hurla de joie, intérieurement bien sûr. Il était complètement sobre à présent.
-Evidemment que je veux bien !
Malia sourit, soulagée. Le garçon ne put s'empêcher de la serrer dans ses bras.
- On y va maintenant?
Elle ne parut pas surprise, et elle hocha la tête.
-Malia, tu comptes jouer quoi au concours pour l'école de danse ?
-Je vais jouer Spring Waltz, le premier mouvement.
- Pas mal. Moi je répète pour mon examen, pour le moment ! Je ne suis pas vraiment organisé, et mon prof me rend fou. Mais je crois que je vais jouer un morceau de Rachmaninoff, dans les Préludes. Si je suis pris au deuxième tour, je sais pas ce que je vais jouer. Peut être La Campanella ?

-J'adore La Campanella. Mon grand père le jouait souvent, ce morceau.

Ils arrivèrent dans la pièce. Ils avaient marché vite. Liam s'installa sur le tabouret déchiffra rapidement la partition. Les doigtés étaient déjà notés.
-Alors, princesse, on y va ?
Elle sourit en s'asseyant.
La mélodie commençait doucement. Leur doigts effleuraient à peine le clavier, et le son du piano à queue résonna dans la pièce. C'était très beau.
-Pas mal, pour un deuxième essai, chérie.
Malia leva les yeux au ciel.
-Concentre toi un peu, imbécile!
Liam ricana tandis qu'elle butait sur une note, déconcentrée.
Le reste de la mélodie était vraiment incroyable. Le jeune homme n'osa pas ouvrir la bouche, de peur de briser la magie. Son cœur battait trop fort, trop vite. Il lui faisait presque mal. Il se pencha un peu. Ses poignets ondulaient d'eux même, et ses épaules se soulevèrent. Il était complètement fasciné par la musique. Le morceau se finit sur quatre octave de .
-Malia, c'est vraiment très beau. J'aime beaucoup le style.
Elle sourit,et ensuite Liam saisit son crayon.
-Un des principaux défauts, c'est que il n'y a pas assez de silences et de soupirs. La musique fonce, et c'est joli, mais ce serait mille fois mieux avec des petits blancs.
Il nota là où c'était le plus évident.
- J'ai trouvé que le passage ici( Il indiqua la deuxième portée de la page trois) devrait être en forte. Il y'a trop de pianissimo, ça devient trop calme, presque mélancolique, alors que c'est sensé être joyeux, je me trompe? (Hochement de tête) Bien ce qu'il me semblait. Alors ici, tu pourrais faire un crescendo, puis rester en forte.
Ils essayèrent.
- Tu as raison! C'est plus beau comme ça!
Ensuite, il corrigea quelques fautes de rime, rajouta des demi-soupir quand il le jugeait nécessaire, et nuança le morceau.
-Les nuances, c'est très important, Malia. Il ne faut pas les utiliser au hasard. Ne l'oublie pas. (Il en profita pour donner un autre conseil) Mon professeur me disait toujours, à propos des silences, que c'était comme la ponctuation. Ton morceau faisait l'effet d'une énorme phrase, sans aucun point ni virgule. Il faut bien faire attention à ça.
-D'accord.
Elle avait l'air vexée.
-Ne sois pas si susceptible, Malia ! fit-il en souriant.
-Je ne suis pas susceptible!
-Si.
-Non.
-Si.
-Non.
-Si.
-Bon, peut être un peu.
- Ce n'est pas un défaut. C'est même carrément mignon.
- Mignon? Tu te fous de moi?
-Du tout.
Elle s'apprêtais à répliquer, l'air faussement fâché, quand son téléphone bippa.
J'ai fini ma compo, tu veux qu'on se voit maintenant ? xxx
Liam savait que c'était Hugo, bien que le message ne soit pas signé. Les yeux de Malia s'étaient mis à briller de mille feux. Elle le regarda.
-Va rejoindre ton chéri, allez !
-Ca ne te dérange pas?
- Mais non !
Elle lui claqua un bisou sur la joue.
-Merci Liam, t'es le meilleur !
Elle sauta presque hors de la pièce.
-Malia?
Elle se retourna.
-Protégez vous !
Elle rougit.
-Non, mais tu n'as pas honte d'insinuer des choses pareilles? On n'es ensemble depuis une semaine!
Elle sortit dans la couloir.
- Ouais c'est ça ! lui cria t'il, je suis sûr que vous n'allez rien faire! En tous cas, ce sera moi le parrain, et sans discussion !
Liam entendit la jeune fille éclater de rire nerveux dans le couloir. Il savait qu'elle était gênée.
Une fois seul, il perdit son sourire. Il caressa sa joue, où les lèvres de Malia s'était posées il y' a à peine deux minutes.
La jalousie lui serra le cœur.
Mais enfin Liam! Qu'est ce qui te prends? se dit-il.

Mais il savait bien ce qui lui prenait. Il ne pouvait plus le nier.
Il était en train de tomber amoureux de ce joli brin de fille qu'était Malia. Et ça, c'était mal barre. Pour lui, comme pour elle.

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