Chapitre 17




Le reste de la semaine fila à la vitesse de la lumière. Le stress montait en flèche. Malia était dans son monde tout le temps, les yeux en quête d'un objet, d'une personne inspirante. Rien ne lui venait. Pour la première fois dans sa vie, elle était bloquée en musique. La petite salle était devenue sa meilleure amie, elle s'endormait pratiquement tout le temps dedans. Les cernes qu'elle avait sous les yeux étaient énormes, et pour en rajouter, Liam ne semblait pas démordre de sa décision de ne plus lui parler. Leur relation étant devenue platonique, les morceaux qu'ils jouaient étaient médiocres, et Malia s'en désolait chaque jour. Mais que pouvait-elle y faire? Elle avait quand même le droit de dévoiler certaines choses à une autre personne que Liam! Des qu'elle y repensait, la colère montait en elle. Un autre problème qui la tourmentait, c'était Louisa. Malia l'avait vue dans une position pas très catholique, derrière un buisson, accompagnée d'un jeune homme. Celui-ci lui avait fait peur avec tous ses tatouages et son air menaçant, elle avait donc décidé de ne pas intervenir. Mais si c'était lui le "connard", pourquoi Louisa l'embrassait comme si sa vie en dépendait? Elle secoua la tête pour chasser ces pensées. Demain, c'était vendredi, il fallait donc qu'elle compose aujourd'hui, obligatoirement. Son estomac se noua si fort qu'elle cru que son petit déjeuner allait y passer. Toute la journée, Malia fut dans les vapes. Elle n'avait pas vraiment conscience des gens qui l'entouraient.

Quand elle arriva à la petite salle, c'était juste après le cours collectif. Elle s'assit sur le piano, déterminée à rester là jusqu'au matin. Elle commença comme d'habitude, en jouant quelques gammes pour s'échauffer. Puis, elle enchaîna avec des millions de morceaux différents, qu'elle avait joué quand elle avait 6, 8, 13 ou 16 ans. Ils se mélangeaient tous dans un tourbillon de notes, mais Malia ne ressentit pas de fatigue, alors elle continua, encore et encore, durant quatre heures. Elle se leva de son tabouret, massa ses mains endolories, et alla chercher un café au distributeur. Le piano la fatiguait mentalement, elle avait besoin d'un remontant. Elle s'estima prête pour commencer la composition. Elle saisit son crayon, son papier à musique, et s'assit sur le piano. Ses mains se posèrent toutes seules sur le clavier. Malia tenta un début. Un mi. Non. Un octave de la? Non plus. Un do dièse ? Encore moins.

Elle fronça les sourcils, repensant à l'improvisation qu'elle avait une fois testé avec Isabelle. Elle n'y était pas arrivée et avait trouvé cet exercice idiot. Les notes ne lui étaient pas venues, et Malia avait fait n'importe quoi. Ses mains étaient devenues toutes molles.Ça avait ressemblé à une cacophonie. Elle sourit d'un air triste à ce souvenir en faisant des octaves. Le cours de l'impro, c'était le lendemain du coup de téléphone qui lui avait fait annoncé la mort son père. Elle releva soudain la tête. Son père. Elle avait pensé à tout, sauf lui. Si elle pouvait exprimer son histoire à travers les notes, ça lui rendrait aussi un hommage. Il adorait le piano... Une détermination nouvelle s'empara d'elle. Pas une obligation...une manière de s'exprimer! Son père était sans cesse avec elle, elle y pensait tout le temps. C'était omniprésent. Mais si elle trouvait comment extérioriser! Elle commença avec un si. Le début de la Marche Turque. Son père avait toujours voulu la voir jouer ce morceau. Une octave. Il était mort avant. Un début de mélodie. Lente, triste .Malia voulut continuer de ce pas, mais son père était joyeux, heureux. Elle ne voulait pas d'une chanson triste,non.Elle voulait lui rendre un hommage pétillant de bonheur envers les 10 ans passés en sa compagnie. Elle recommença avec un si, mais en piqué. Les sourires de ses parents le matin, quand ils la réveillaient le samedi matin avec un croissant à la confiture. Les câlins du soir, juste tous les trois. Les parties de badminton dans le jardin. Les rires devant les films de Louis de Funès. Sa tarte aux pommes , qu'il cuisinait lors des anniversaires de Malia. Leurs vacances en Espagne, chaque Noel, et chaque été. Son crayon griffonnait avec frénésie sur le papier, et avait quasi rempli une demi page. Elle la sentait, la boule. Là dans son ventre, elle n'attendait qu'à sortir. Les notes lui venaient, elles étaient là, devant elle. Elles avaient toujours été là,en fait. Et ce depuis 7 ans. Elle sourit. La mélodie se formait toute seule dans sa tête, et ses mains exécutaient le boulot. Les notes apparaissent comme une évidence. Le ton de la mélodie était guilleret, enfantin. De l'innocence s'en dégageait. Ça dura des heures, car le premier jet n'était pas parfait. Malia le corrigea, ajoutant des notes ça et là. Elle ajouta une partie lente et triste, pour tenter d'exprimer le vide ressenti à sa mort. Les petites notes étaient nombreuses et sa main gauche jouait dans les graves, tandis que sa main droite jouait dans les aigus. C'était un peu bizarre et inhabituel, mais Malia trouvait la mort étrange, elle l'avait donc représenté dans cette partie. Pourquoi elle s'attaquait à des gens tels que son père? Un homme tellement bien? Pourquoi la mort n'allait pas voir ailleurs, chez les psychopathes et meurtriers qui le méritaient? Une partie un peu brutale, désarticulée. Ses doigts se heurtèrent au clavier avec des mouvements brusques, qui reflétaient sa colère contre l'injustice. Elle avait conscience que ça arrivait à tout le monde, mais comment ne pas être profondément triste? Encore une heure, deux, ou trois et elle avait harmonisé le tout, pour que les différentes parties se mêlaient malgré tout. Il lui fallait une fin, une conclusion, comme un deuil. Mais l'avait t'elle fait? Était-elle passée au dessus? Elle repensa à sa crise de larmes, début septembre. Evidemment que non. Un père, ça ne s'oublie pas. C'est une partie de soi perdue à jamais. Alors, elle regarda sa partition, pas parfaite, mais c'était un morceau d'elle.

-Pas de fin pour le moment, désolée.

Pas de réponse de la part des feuilles. Malia sourit, exténuée, et inscrivit au dessus de la première portée : Tributo as los padres. (hommage à mon père)

Elle écrirait la fin quand elle aura fait le deuil. Prise d'une folie soudaine, elle envoya un message à Hugo:

"Demain soir, dans le hall à 20h, soit là ! xxx Malia"

Elle voulait lui montrer sa partition, à tout prix.


****

-Hum.

Malia attendit une quelconque réaction. Un sourire, un cri, un hurlement. Mais rien. Cornélia haussa les épaules d'un air méprisant.

-Il n'y a pas de fin.

-Je sais.

La réplique lui valut un regard intrigué, et elle lui expliqua. Evidemment, la vieille mégère n'avait pas compris le titre.

-Très bien. Rejoue-le moi, s'il te plait.

Malia prit une inspiration, et commença le morceau, ses yeux scrutant la partition. Elle ne se sentait pas encore tout à fait à l'aise avec son morceau, d'autant plus qu'elle avait dormi deux heures cette nuit. C'était une sensation très étrange de se dire que c'était ELLE qui avait composé le morceau qu'elle jouait. Elle s'impliqua à fond, exprimant par son visage les différentes émotions de la mélodie. Le monde s'effaça face à un plus beau.


CORNELIA

C'était de la musique brute, tellement spontanée qu'elle en devenait belle. Les défauts étaient nombreux, le rythme pas au point, mais c'était incroyable. Cornélia Garnier ressentait presque les émotions que dégageaient le morceau. Elle avait joué la méprisante, elle le DEVAIT! Malia l'avait composé hier, le morceau, la pianiste française le savait. Les immenses cernes sous ses yeux en témoignaient. A Juilliard, on aimait pas le hasard. Si dès sa première année, elle rencontrait des difficultés devant un exercice aussi ridiculement facile que de composer, Cornélia devait être exigeante avec elle. Malia avait un potentiel énorme, ça c'était sur. Il semblerait qu'elle ne sache l'exploiter seulement par moments, ou selon ses humeurs, ses envies. Cornélia devait lui apprendre à l'utiliser à tout moment, ce potentiel. Et allait avoir besoin d'un peu d'aide. Après le cours, elle alla chercher Spencer McThorn.

-Spencer! Spencer!

Le professeur se retourna d'un coup sec.

-Oui, Cornélia? Malia a encore fait des siennes?

Le pauvre avait l'air lassé.

-Non. Elle a réussi. (Les yeux de McThorn s'illuminèrent). Le seul soucis, c'est qu'elle semble l'avoir fait hier, ce morceau.(Elle brandit la partition, dont elle avait fait une copie, et la tendit au quadragénaire).Jouez moi ça ce soir, chez vous. Vous aviez raison, sur son potentiel. Il faut juste l'exercer. Demandez lui d'écrire des morceaux pour quatre mains, tiens! Un chaque semaine, ce serait parfait.(L'autre eut l'air embêté, mais ne dit rien.) Comme ça, elle apprendra, c'est le seul moyen pour elle! Et faites la bien répéter pour le concours, c'est à la fin du mois.

-Oui nous allons voir ça aujourd'hui, mais c'est plus lors de vos cours qu'elle doit le travailler.

-Nous nous concentrons sur son morceau pour l'examen de Noel, mais ne vous inquiétez pas pour ça. Je dois y'aller, si cela ne vous ennuie pas. Au revoir, Spencer!

Il lui répondit par un signe, et s'en alla dans le sens opposé.


MALIA


Elle trépignait d'impatience depuis au moins 10 minutes. Hugo n'était pas en retard, c'était elle qui était en avance. Elle avait si souvent regardé l'horloge du hall que le moindre détail était imprimé dans sa tête. L'aiguille était légèrement rouillée, et le 2, le 5 et le 6 était à moitié effacés. Elle connaissait une foule d'autre détails, mais elle stoppa son exmination quand elle vit Hugo. Beau comme un dieu, il fendait la foule, ses cheveux châtain clair accrochant les derniers rayons de soleil, un sourire aux lèvres.

-Tu sais, je me doute que tu as dit à Liam que nous étions allés au restaurant. Mais c'est oublié, d'accord? Ne le refais plus, c'est tout, parce que ça empiète un peu sur notre travail à moi et Liam en tant que pianistes.

Hugo fit un sourire amusé.

-D'accord.

Ils entrèrent dans Central Park, tout sourire. Ils se dirigèrent vers un banc, en dessous d'un arbre, face au lac. La brise légère faisait voleter les mèches rebelles de Malia. Celle-ci sortit sa partition.

-Tu te rappelle de mes problèmes de composition?(Hochement de tête). Et bien, hier, je suis arrivée à composer un morceau, et je voulais savoir ce que tu en pensais.

Hugo sourit jusqu'aux oreilles, et saisit la partition. Il parut comprendre le titre, puisque il regarda Malia avec un regard entendu. Ca fait du bien non? semblait-il demander. Elle hocha la tête, se rappelant que le père d'Hugo était également parti de ce monde, vers un meilleur? Ou bien un pire? Elle s'interrogeait souvent à ce sujet. Hugo se mit à lire la partition. La nervosité inexplicable de Malia augmenta d'un cran quand sa bouche remua, chantant surement les notes. Ses yeux brillaient, peut être de joie? De tristesse? Malia n'aurait su dire. Il sourit, et quand il arriva au moment ou la morceau était coupé au milieu d'une phrase, il ne parut même pas surpris. il avait compris en une demi-seconde.

-C'est génial, Malia. C'est encore un peu maladroit, mais c'est très beau. Le style est vraiment particulier, très changeant. J'adore. Tu pourras me le jouer? J'aimerais beaucoup l'entendre en vrai.

-Si tu veux. Je te montrerai sur un piano à midi, si tu veux.

Elle ne voulait pas encore partager la petite salle avec quelqu'un. Hugo voudrait surement l'utiliser, mais elle préférait que la pièce reste une sorte d'antre, ou elle pouvait se réfugier afin d'être seule.

-Ca te dérange si on écoute de la musique?

Étrange requête, que Malia accepta tout de même. Le jeune homme lui plaça un écouteur dans l'oreille, et enfonça l'autre dans sa propre oreille. Il saisit son téléphone, et appuya sur play. Malia reconnut directement Riverside, de Agnes Obel. Elle sourit, repensant à l'année de ses 12 ans, ou elle avait joué le morceau pour un concert à l'école.Elle commença à chanter.

Down by the river by the boats
Where everybody goes to be alone
Where you won't see any rising sun
Down to the river we will run

Elle avait conscience qu'elle chantait faux, mais elle aimait tellement cette chanson qu'elle s'en fichait. Hugo se mit à chanter aussi. Lui, au contraire, avait une belle voix, grave, mais magnifique. Malia se tourna vers lui en souriant.

When by the water we drinks to the dregs
Look at the stones on the riverbed
I can tell from your eyes
You've never been by the riverside

Il lui sourit en retour, mais sa voix ne changea pas. Il ferma les yeux, les rouvrit. Battement de cil. Leurs yeux ne se quittaient pas, tandis qu'ils chantaient, ensemble.

Down by the water the riverbed
Somebody calls you somebody says
Swim with the current and float away
Down by the river every day

Les deux pianistes s'étaient rapprochés, et le cœur de Malia battait plus vite à chaque seconde. Une tension régnait, celle de l'attente.

Oh my god I see how everything is torn in the river deep
And I don't know why I go the way
Down by the riverside

Le visage d'Hugo s'approchait lentement, très lentement. Un supplice. Malia avait envie de l'embrasser, là tout de suite. Ses lèvres l'attiraient tant...

When that old river runs past your eyes
To wash off the dirt on the riverside
Go to the water so every near
The river will be your eyes and ears

Leurs souffles se rapprochaient,se mélaient, se cherchaient,toujours avec lenteur. Le cœur de Malia battait si fort, si vite.

I walk to the borders on my own
Fall in the water just like a stone
Chilled to the marrow in them bones
Why do I go here alone

Malia faillit faire une crise cardiaque quand Hugo toucha sa joue brulante.

Oh my god I see how everything is torn in the river deep

Malia rougit encore plus quand il plaça sa deuxième main sur son autre joue.Leurs lèvres étaient si proches, elles se touchaient à peine. Des frissons parcoururent Malia de haut en bas.

And I don't know why I go the way
Down by the riverside

D'un coup, aussi brusquement que doucement, Hugo écrasa-enfin-ses lèvres contre celles de Malia. Celle-ci crut qu'elle allait mourir tellement ce qu'elle ressentait était fort. Elle perdit le sens de la raison. Ses lèvres étaient devenues ultrasensibles. Son cœur sautait frénétiquement dans sa poitrine et cognait ses côtes. Elle frissona encore plus, et plaça ses mains dans les cheveux de Hugo. Elle se colla à lui, huma son odeur.

Oh my god I see how everything is torn in the river deep
And I don't know why I go the way
Down by the riverside

Leur baiser prit de l'intensité quand Hugo la serra dans ses bras, sans lâcher une seconde ses lèvres. On aurait dit qu'il avait attendu ça toute sa vie. Son corps tremblait presque. Leurs langues dansaient ensemble, et les frissons ne cessaient pas.dans la tête de Malia, tout ce mélangeait. Elle perdait ses repères. Malia ébouriffa les cheveux d'Hugo, tout en se collant encore plus à lui, si c'était possible.

Oh oh
Ah ah ah
Oh oh
Ah ah ah

Son cœur semblait lui faire mal. Elle sentait le cœur d'Hugo battre aussi fort que le sien, alors elle approfondit encore plus le baiser, ce qui arracha un grognement de contentement de la part d'Hugo.

Oh oh
Ah ah ah

Le coeur de Malia faillit éclater de bonheur. Elle se sentait tellement bien, tellement légère.

Down by the riverside

Hugo se détacha d'elle, à contre cœur. Malia avait encore envie de le toucher. Leurs visages se rapprochèrent encore.

Down by the riverside

Contre ses lèvres, Hugo murmura:

-Tu chantes comme une casserole.

-Je sais.

Deux sourires plus tard, les lèvres se rencontrèrent à nouveau. Le jeune homme prononça ensuite une phrase qui laissa Malia tremblante de joie:

-Tu es merveilleuse, jolie Malia...Et je pense que je suis en train de tomber amoureux de toi...

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