Chapitre 11

Mercredi 14 septembre

Malia attendait depuis exactement 10 minutes devant la porte, jetant des regards fréquents à sa montre. Plus les minutes défilaient, plus elle perdait patience. Son pied tapait contre le sol nerveusement.

Pour une fois que je suis à l'heure! S'indigna t'elle.

Elle était assise sur une chaise bleue à dossier rigide et anti-confortable. Elle remuait dans tous les sens, et se sentait très ridicule. Le garçon qui était passé tout à l'heure dans le couloir lui avait jeté un regard méprisant, fronçant un nez épaté.
Sympa... avait pensé la jeune fille.
Elle tordit des cheveux en chignon, et essuya ses mains moites sur son jean. Les pensées tourbillonnaient dans sa tête, et elle ne faillit pas remarquer la pianiste arriver. C'était une très belle femme d'une trentaine d'années, élancée, qui avait des jambes interminables. Ses cheveux noirs étaient noués en un chignon serré qui donnait un mal de crâne à Malia rien que d'y penser.
Deux yeux émeraude bordés de cils immenses la fixèrent.
-Malia Hernandez?
-Oui, c'est moi.
Malia déglutit.
-Viens, on va commencer maintenant.

Malia suivit Mme Garnier dans la pièce. Celle-ci était plutôt exiguë. Un piano droit se tenait sur le mur. Un tabouret était placé devant, et une chaise en bois était un peu plus loin. Le sol était en moquette bleue élimée et râpeuse. Les murs étaient peints en rose. (Drôle de choix! pensa Malia). Un petit meuble se tenait à droite de la porte. Un classeur bleu qui semblait être rempli  de partitions était posé dessus. Une fenêtre ronde était entrouverte laissait entendre le brouhaha de la ville. Malgré cet aspect légèrement douteux, Malia se sentait bien. Des ondes positives semblaient émaner de la pièce. 

-Je t'en prie, assied toi. 

Malia s'assit, tendue. Cornélia Garnier resta debout, un carnet rouge à spirale à la main. 

-Joue moi quelque chose.

Malia fronça les sourcils, déconcertée. Elle ne s'était pas préparée...

-Heu...

-C'est juste pour évaluer ton niveau. Ne t'inquiète pas. Le premier morceau qui te passe par la tête. 

New Moon, Alexandre Desplat.

Malia détendit ses épaules, tenta d'oublier son stress, et effleura les touches. Un do sonna dans l'air. Puis un si.La mélodie commença, et Malia faisait attention à bien placer ses mains. Les doigts bougeaient avec douceur et fermeté en même temps. Les notes sortaient du piano, résonnaient dans la petite salle. La main gauche se fit plus légère qu'une plume. Le pied de Malia rebondissait à rythme régulier sur la pédale. Ses épaules montèrent et descendirent ensuite, tandis que le morceau s'accélérait légerement. Son cœur battait dans sa poitrine, et son buste se penchait de temps à autres, entraîné par la musique. Des frissons lui parcoururent les bras. Quand le morceau termina, Malia n'osa pas tourner la tête vers Mme Garnier.

Elle se racla la gorge.

-Bien, vraiment bien... Ta position est presque parfaite. Je n'aurai pas grand chose à t'apprendre!

Malia rigola d'un air gêné.

-C'est un morceau que je pratique depuis longtemps... C'est normal...

-Je ne crois pas. 

La pianiste sembla sonder Malia avec son regard.

-Je vais te proposer quelques morceaux que nous travaillerons durant quelques semaines, entre autres.

Elle s'arrêta un instant, et pinça les lèvres.

 -Ce sont des morceaux rythmiquement compliqués, si je puis dire. 

Malia sourit. Isabelle l'avait drillée si souvent que croches, doubles croches, noires, blanches et rondes n'avaient plus de secrets pour elle. Elle saisit la partition que Mme Garnier lui tendait.  "Allegro Con Brio", Mouvement 1 de la symphonie n°5 de Beethoven(pour piano).

Elle étouffa une exclamation. Elle leva les yeux vers Mme Garnier. Celle-ci souriait,l'air de rien, notant dans son carnet rouge.

Comme si elle ne venait pas de m'imposer un des morceaux les plus durs à jouer!

Cornélia lui fit travailler ses gammes, d'abord. Elle ne cessait de complimenter Malia, si bien que celle-ci se sentit rapidement à l'aise. Quand elles commencèrent à travailler le morceau, Malia n'eut pas de mal à jouer. Isabelle lui en avait pourtant parlé, de ce morceau!

"-Fait attention, avec celui là... Ils te le demanderont surement! "

"-La symphonie n°5... Tu devras bosser dur... Des concours sont sans cesse organisés, là bas! "

"..."

Malia avait fini par prendre en horreur ce morceau. Mais maintenant qu'elle le jouait, elle sentait juste le sentiment grisant de savoir que des milliers de pianistes avait joué ce morceau avant elle. Les trois heures qui suivirent furent épuisantes, et les doigts de Malia faisaient mal. Si le début avait été facile, la suite n'était pas une partie de plaisir! Cornélia lui faisait refaire les mesures des millions de fois, pour être sure que la position soit exactement celle qu'elle voulait. Elle était très pointilleuse, et à la fin du cours, la pianiste donna à Malia un livre avec des exercices pour s'entraîner. Malia en fut un peu vexée, mais ne dit rien, massant sa main crispée.

-Tu as beaucoup de talent, Malia. Mais si il n'est pas exploité, il est inutile. Alors il faudra travailler dur. Des salles sont à disposition le midi aux étudiants désirant s'entraîner plus. Je te conseille vivement de y'aller. A demain, Malia.

Après un regard percant, elle se retourna vivement, et un parfum fleuri vint chatouiller les narines de Malia.

-Aurevoir! 

 Son téléphone vibra tandis qu'elle se dirigeait elle aussi vers l'escalier.

"Ça marche princesse! A tout de suite, devant le bâtiment principal!^^"

Liam! Elle avait complètement oublié. Elle résista à l'envie de se baffer.

"Parfait! Et évite de m'appeler princesse, j'apprécierais! ;) "

Elle descendit les marches, qui grinçaient légèrement. Elle passa devant l'accueil, où Johanna, la réceptionniste, mangeait un donut au nappage rose. Elle lui adressa un bonjour du bout des lèvres, ce à quoi la réceptionniste répondit par:

"mmmhfour!"

Elle cracha un bout de donut et devint toute rouge. Malia se retint de rire, par politesse, et se précipita d'aller dehors, où Liam l'attendait déjà.

-Salut!

-Salut! Alors ce cours? 

-Ma prof est très sévère. Mais je l'aime bien, elle me met en confiance. Et toi?

Liam mit des lunettes de soleil, et invita Malia à marcher à sa suite.

-Cool! Moi j'ai un prof qui est littéralement fan de moi. Julian Muller. Tu connais? 

Malia lui donna une tape sur l'épaule. 

-Arrête un peu d'être narcissique ! Ça ne te vas pas au teint.

-Oh non! Zut alors... je vais arrêter alors! fit il d'un air faussement horrifié, ses paumes contre ses joues.

-Pff... Alors, ou va t'on?

-Chez Viand. C'est un petit café sur la Madison Avenue. J'y ai été avec quelques potes, c'est assez sympa. Et maintenant, tu vas me dire pourquoi tu m'as invité?

Malia haussa un sourcil.

-Comment ça?

Liam lui lança un regard plus qu'éloquent, et Malia se rappela soudain qu'est ce qui l'avait poussé à l'appeler.

-Je t'en parlerai quand on sera là-bas.

 Liam parut surpris et un peu inquiet.

-Ok...

-Rien de grave, t'inquiète.

Il parut se détendre, et ils discutèrent cette fois d'opéra. Liam en avait été voir tellement dans sa jeunesse que Malia s'emmêlait les pinceaux avec tous les noms qu'il lui avait donné.

-Tu sais, il y'a des opéras en plein air, dans Central Park, fit-il après avoir raconté un des opéras les plus spectaculaires qu'il avait vu. Il dit même qu'un des personnages a jeté une caisse sur scène, et qu'elle a pris feu. (Malia avait poussé une exclamation d'horreur, avant que Liam ne lui dise que ça faisait partie de l'opéra)

-Oui. Je pense que ma mère m'en avait parlé, mais je n'ai jamais été.

-Je vais aussi t'emmener là bas,tiens.(Il sourit, les yeux dans le vague) En amis, bien sur.

Malia éclata d'un rire franc.

-J'espère bien. 

Ils parlèrent ensuite de livres, et cette fois, c'est Malia qui en avait lu des centaines. Elle lui fit une liste des livres qu'il devait absolument lire selon elle. Une dizaine d'ouvrage couvrirent le ticket de caisse sur lequel Malia écrivait. Elle finissait sa liste quand elle s'écria soudainement :

-Le compte de Monte Christo, c'est un classique!(Malia secoua la tête, sidérée de l'avoir oublié) Lis aussi Fidèle au Poste,d'Amélie Antoine. Ce livre est génial. 

-Tant que ça?

-Tu n'as pas idée. On croit enfin connaître le pourquoi du comment quand une nouvelle donnée perturbe tout ton jugement! C'est très frustrant, mais le dénouement est vraiment... 

Malia n'avait même pas les mots.Liam rigola.

-Tu as vraiment adoré, toi! 

Malia ne prêta pas attention à sa remarque et poursuivit:

-Si tu aimes ce style de dénouement, il y'a aussi Central Park, de Musso. C'est une sorte d'enquête... Et aussi...

-Oui,oui ! interrompit il. Je pense que j'ai assez de livre pour les quatre ans à venir.

-Tu as raison.

-On est arrivés, viens.

Il l'entraîna à l'intérieur, une main sur son épaule(que Malia repoussa avec un rire) et ils s'assirent sur une table, sur laquelle une carte les attendait.

-Leurs "mozzarella sticks" sont excellents ! Et leurs burgers... Une tuerie!fit Liam.

-On prends ça, alors? dit Malia, dont le ventre commençait à gargouiller atrocement.

-Je vais commander. Et après, tu me dis ce que tu as à dire,sourit il.

Il  passa commande à une jolie serveuse qui avait des cheveux blonds coupés au carré, affublé d'un casquette de Baseball de l'université Stanford. Liam était accoudé au comptoir, et un sourire charmeur était accroché à ses lèvres. Malia le surprit même à faire des clins d'œil. Son cœur se serra légèrement. Elle fronça les sourcils. Pourquoi son cœur se serrait il? Elle secoua la tête, déboussolée. Elle connaissait ce gars depuis même pas 5 jours, si on ne tenait pas compte de la gare, évidemment...La jeune fille déposa sa main dans sa paume en fixant la fenêtre.Des mèches ondulées lui tombaient dans les yeux, et elle s'empressa de les remettre en place que Liam revint avec leurs plats. Il sourit de joie en fixant les hamburgers avec convoitise.

-Ça sent super bon... fit Malia.

-Je te le fait pas dire! (Liam croqua dans son hamburger, une expression euphorique peinte sur le visage). Qu'est ce que tu  voulais me dire?

Malia hésita un instant, mais le regard chaleureux de Liam la mit en confiance. 

-C'est Louisa... Elle est bizarre ces temps-ci...

Malia lui raconta ses soupçons, et Liam l'écouta parler tandis que le café se vidait peu à peu. Il y'avait tellement à raconter et en même temps si peu.

-Je crois qu'elle a rencontré un mec...

-Oui, ça me semblait clair, merci!

-...qui joue avec elle.

Malia réfléchit.

-A quoi tu déduis ça?

-Elle est triste, puis de bonne humeur, elle mentionne un certain connard...Il y'a pas photo!

Les yeux de Malia arrondissèrent, et elle faillit recracher son eau.

-Tu n'as jamais pensé à faire psychologue? Tu as une logique infaillible!

-Non,Malia. C'est toi qui est aveugle. Je suis sure que tout le monde le sait.

-Oui enfin tout le monde, n'exagérons pas! 

Liam rigola.

-Alors, parle moi un peu de ton histoire avec le piano. 

-J'ai commencé quand j'avais trois ans. Mon grand père m'a appris à jouer. Maintenant, j'ai une autre professeure, Isabelle. Elle est vraiment adorable. Et toi?

-J'ai commencé à 8 ans, j'avais vu un pianiste qui jouait en rue, comme ça. Des passants s'attroupaient autour de lui, tandis qu'il jouait du jazz. Et je sais pas, j'ai voulu faire la même chose. Il y'a une flamme qui et née en moi, tu vois? Enfin bref, depuis ce jour là, je suis dans mon monde à moi,comme on dit. Mes amis m'ont un peu abandonné pour faire des trucs d'ados, pendant que moi, je vivais dans ma bulle. Des fois, je travaillais jusque 2 heures du matin, ingurgitant café sur café pour rester éveiller et travailler mes morceaux de Schubert et Berlioz. Mais parents ont fini par me menacer de me virer de la maison si je continuais comme ça. C'était  une période un peu dure, mais j'ai fini par redevenir sociable, et je pratiquais seulement deux heures par jour. Je ne voulais pas rater les auditions de Juilliard. Et après : ME VOICI !

-Tes parents ne te soutenaient pas? 

-Ils préféraient que je soie avocat. Le métier le plus brabant pour quelqu'un comme toi.

Malia sourit.

-Et qui c'est, quelqu'un comme toi?

-Un artiste, Hernandez. Un artiste. Depuis tout petit, je ne vis que pour le dessin, la peinture, la musique. Cette passion s'est agrandie à mes huit ans. L'art était dans mon âme quand je suis né, j'en suis sur! Je n'ai fait que le développer, cet art. Il sommeillait en moi. Tu comprends?

-Oui. 

Une réponse qui en disait long. Ce que Liam disait, ce n'était que les échos de ses pensées. Ils se sourirent, et partirent du café, sans un mot.  Malia leva la tête, laissant le soleil inonder son visage. Elle ferma les yeux, et s'arrêta un instant, concentrée sur l'air caressant sa peau, sur ses cheveux qui voletaient autour d'elle, sur son pull qui grattait sa nuque. Quand elle rouvrit les yeux, et elle fixa les branches d'un arbres, qui se découpaient dans le ciel. Sans qu'elle ne sache pourquoi, cette vision la remplissait de joie. Elle lui rappelait son père, qui adorait les arbres, et les photographiait de tous les angles, prenant Malia comme son "mannequin de la nature" comme il disait. Elle se remit à marcher, les yeux un peu humides. Elle chercha un sujet de conversation pour cacher son état.

-Tu les liras, les livres? 

-Bah oui.

-Tant mieux. Je voulais te parler d'un concours qui avait lieu, je sais pas si tu en as entendu parler?

-Oui. Pour faire une fusion avec l'école de danse? Tu veux participer, mais tu as peur, je suppose?

Malia le frappa.

-Arrête! J'essaye de me confier là! Il faudra que tu m'expliques comment faire abstraction du reste dès le début, pour m'empêcher de mourir de stress.

-Quand tu ne réfléchis pas, tu joues parfaitement et magnifiquement! Et je suis sur que tu vis dans un autre monde, quand tu joues?

Malia sursauta.

-Comment tu le sais?

-Une intuition.

-Heu...?

-Je t'expliquerai tout à l'heure, si tu y tiens. Mais c'est ma technique, elle marche peut-être pas pour toi...

-J'essayerai.

Ils entrèrent dans le hall de l'école.

-J'ai une blague. C'est...

Malia cessa d'écouter. Des yeux turquoises venaient de rencontrés ses yeux, à elle.

Hugo...




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