8 - Friends

Nous montons dans une nacelle et nous asseyons l'un en face de l'autre. Il est hors de question que je m'asseye à côté de lui. Je sais, vous devez me trouver ridicule, je dois avoir l'air d'une fille paumée et totalement contradictoire avec elle-même, mais je vous y verrais bien à ma place, ce n'est pas facile, vous savez.

La roue se meut doucement puis s'arrête, jusqu'à ce que les nacelles soient remplies. Puis, elle se met à tourner doucement sans s'arrêter. J'ai toujours trouvé cette attraction ennuyante. Elle a juste un côté pratique, si vous voulez prendre de magnifiques photographies panoramiques. Bien que je ne sois pas sûre que les photos panoramiques de Portland soient vraiment magnifiques. Duncan me fixe, avec un sourire étendu sur ses lèvres.

— Quoi ? demandé-je.

— Tu es vraiment une fille... spéciale.

— Oh, pitié. Tu ne m'as pas amenée ici pour me coincer et jouer aux romantiques ? Tu m'as piégée ?

— Non, je dis juste que... Tu sais quoi, laisse tomber.

Il tourne la tête et observe le paysage. Sa mâchoire est contractée et j'ai l'impression de l'avoir froissé. Ce qui m'arrive à peu près tous les jours dans ma vie, je suis un vrai boulet et je passe mon temps à froisser tout le monde. Encore cette histoire de tact. Vous voyez, mes parents m'ont éduquée en me répétant que je devais devenir une personne honnête, sauf que j'ai pris leur instruction au pied de la lettre. Je suis trop honnête et naturelle, visiblement, il y avait un juste milieu et mes parents ont oublié de me le dire lors de mon éducation. Je prends une profonde inspiration et prends sur moi.

— Je suis... désolée. Pourquoi tu dis que je suis spéciale ?

Il tourne la tête vers moi et semble toujours fâché.

— Si je m'assieds à côté de toi, tu seras toujours fâché ? tenté-je.

Il ne répond pas, mais j'ai l'impression qu'il se détend. Alors je me déplace et viens me placer à côté de lui, mais pas trop près non plus. Il tourne la tête et l'espace d'un instant, mon regard se perd dans le sien, il est tellement expressif.

— Tu es spéciale parce que je n'arrive pas à te comprendre. Tu as des réactions vraiment imprévisibles, à vrai dire, je ne sais même pas si tu es heureuse ou frustrée d'être là, à cette fête foraine. Une minute tu me repousses, celle d'après tu t'amuses et ensuite, tu me repousses encore.

— Eh bien, je suis heureuse d'être ici avec toi. C'est vrai, c'est toujours cool de sortir et de s'amuser avec un ami, n'est-ce pas ?

Un sourire se dessine au coin de ses lèvres, je n'ai pas l'impression qu'il m'ait comprise. Vous voyez pourquoi je ne jure que par la franchise ? J'ai essayé de me la jouer subtile et il n'a pas l'air de comprendre.

— T'as compris ce que j'essayais de te dire ? lui demandé-je.

— Oui, j'ai compris. Tu es heureuse d'être ici avec moi.

Son sourire s'élargit et je discerne de la malice dans son regard. Clairement, il se fout de moi. Je laisse un rire s'échapper.

— Duncan, j'ai fait dix ans de taekwondo, je pourrais te broyer l'entrejambe et te balancer hors de la nacelle si tu m'énerves.

Duncan rit et secoue la tête. Est-ce qu'il croit à mon mensonge ?

— C'est vrai ? Dix ans de taekwondo ? demande-t-il faussement impressionné.

— Non, en fait c'était faux. Mais pas besoin de ça pour exécuter ma menace.

— Pourquoi tu fais ça ?

— Pourquoi je fais quoi ?

Je suis insupportable, je sais. Dès que je ne suis pas à l'aise, j'évite le sujet comme je le peux. Alors je me mets à raconter n'importe quoi et à presque provoquer une dispute. C'est bas, je sais.

— Tu te comportes tellement étrangement. A t'entendre, on croirait que tu penses vraiment que je suis un pervers sociopathe.

— Tu m'as quand même invitée dans ton sous-sol, ce n'est pas rien.

— Charlie !

— Quoi ? m'énervé-je.

Il passe une main dans ses cheveux, les mettant encore plus en bataille. Wow, pourquoi les garçons font des trucs comme ça ?

— Je n'attends rien de toi, tu peux te détendre. Je ne connais personne ici, tu es la première personne sympathique que je rencontre, je veux juste qu'on passe un moment cool. Je ne veux rien d'autre qu'une amie.

— Vraiment ?

— Oui ! Et sérieusement, tu devrais arrêter de te demander si le garçon en question attend quelque chose de toi, tu risques de tout gâcher un jour.

Au moins, les choses sont claires. Je me demande s'il a dit ça pour me rassurer ou s'il a été sincère et que de ce fait, je me suis fait des films tout ce temps. Je suis si stupide, comment j'ai pu croire que parce qu'un garçon était sympa avec moi, il voulait forcément une petite-amie ? Mais d'un côté, je n'ai pas inventé les regards et les sourires de Duncan, les signaux ont été très clairs. Ils ont été aussi visibles que toutes ces lumières que je vois d'ici clignoter de partout, du vert, du rouge, du bleu, du jaune. Je vais faire comme si je le croyais et comme s'il ne tentait pas juste de me rendre moins bizarre.

— Je suis désolée. Alors, tu t'amuses dans cette nacelle ?

Il plisse les yeux et je pense que je ne pourrai pas arrêter d'enchainer les bourdes, mais au moins il y a un point positif, je suis totalement naturelle, il me voit sous mon vrai jour. Je ne vais pas jouer à la fille précieuse qui se passe la main dans les cheveux et qui lui adresse des sourires mignons. Je ne vais pas rire bêtement en mettant ma main délicatement devant ma bouche pour paraitre polie. Je n'ai jamais réussi à être cette personne et franchement, je n'en ai pas envie.

Quand j'étais petite, je tirais toujours la langue sur les photos de classe, ou bien je faisais des oreilles d'âne avec mes doigts à mes camarades de classe. Je faisais des grimaces horribles et ma mère était exaspérée parce que je n'étais pas cette petite fille qui était gentiment assise, les mains délicatement posées sur ses genoux frêles. Au lycée, je n'ai pas changé, juste le procédé. J'étais toujours superbe sur les photos de classes, c'était juste Emily qui grimaçait à chaque fois parce que je lui pinçais les fesses ou les côtes au moment où l'appareil nous immortalisait. Depuis que nous sommes dans la même classe, elle n'a jamais réussi à être présentable sur une de ses photos.

— Eh bien, je dois t'avouer que c'est le meilleur endroit pour te tirer les vers du nez sans que tu ne tentes de t'enfuir. Pourquoi tu me fuis ? demande Duncan.

— Tu n'es qu'un lâche.

— Répond à la question.

— Je ne te fuis pas.

— Tu sais, je te trouve vraiment jolie, dit-il changeant littéralement de sujet.

— Tu sais, tu n'es pas censé dire un truc pareil à ton amie. Retire ce que tu viens de dire.

Il se met à rire, mais cette situation n'est pas drôle et Duncan devient hors de contrôle. Il réussit par je ne sais quelle sorcellerie à me convaincre d'être coincée ici avec lui, puis il se met à me faire des compliments. Rien de tout ça ne devait arriver. Et puis pourquoi me trouve-t-il jolie ? J'ai tout fait pour être le moins apprêtée possible.

— Tu vois, tu me fuis. Et je ne vais rien retirer du tout.

— Duncan, retire ce que tu viens de dire ou je te promets que lorsqu'on descend de cette foutue roue, tu ne me reverras plus jamais !

— OK, je retire. Tu n'es pas jolie.

— Merci, je réponds soulagée.

— Tu es magnifique.

Il m'adresse son plus beau sourire, qui est encore plus beau que son plus beau sourire de tout à l'heure. Est-ce que vous me suivez ? Note pour moi-même, la fête foraine est encore plus dangereuse que le cinéma. N'y allez jamais avec un mec super craquant qui vous promet que vous n'êtes que des amis. Ce sera juste un gros mensonge, il va vous bloquer dans une grande roue, vous arracher votre âme et vous voler votre confiance. Je crois que la prochaine étape, c'est celle où il vous prend votre cœur, je vous dis adieu, je ne serai plus jamais moi-même après ça.

— C'est quoi ton but au juste ? lui demandé-je.

— Passer un bon moment avec mon amie, répond-il le plus naturellement du monde.

— Définis amitié.

— C'est un sentiment d'affection et d'attachement pour une personne. L'amitié entraine de la sympathie et de la gentillesse envers cette personne. Je trouve que ça correspond assez bien à la situation actuelle.

— Parce que tu ressens de l'affection pour moi ? lui demandé-je en riant.

— Et toi aussi, sinon tu ne serais pas là.

Duncan est un joueur, à ce que je vois. Il est beaucoup plus malin que moi. A vrai dire, je ne suis pas maligne, je suis juste impulsive. Je sens la nacelle se stabiliser, nous sommes arrivés en bas et un homme nous presse de descendre, ce que nous faisons.

— T'as faim ? me demande Duncan.

Oui, j'ai très faim.

— Non.

— Tu n'as pas diné pourtant, insiste-t-il. On pourrait trouver un truc à manger, comme... des frites ?

Je meure d'envie de manger des frites, mais je suis au régime, voyez-vous. Bon d'accord, ce n'était pas drôle.

— Je ne mange pas de frites, en fait, je réponds.

— Alors, on pourrait prendre des barbes à papa ?

Interdit aussi. Ma vie est devenue si ennuyante, vous comprenez pourquoi je passe mon temps à manger de la glace ?

— Non plus, je réponds.

Duncan rit, je sais ce qu'il va dire. J'aurais dit la même chose.

— Alors c'est ça ton secret pour être aussi belle ? Tu ne manges rien ? C'est nul.

— Premièrement, répète encore une fois que je suis belle et tout ce que tu vas manger les prochains jours, ce sera de la glace pour alléger la souffrance de tes dents que je t'aurais cassées. Et ensuite, je mange. Des trucs. Mais pas ça.

— Tu manges de la glace, dit-il.

— Par exemple.

— Alors allons trouver de la glace !

Il se met à marcher et je le suis, nous finissons par trouver un stand qui vend de la glace, nous en prenons chacun un pot. Je dois dire que ça fait du bien de manger, surtout si c'est de la glace. Duncan m'a probablement prise pour une fille capricieuse, mais il s'en remettra. Si ça peut m'enlever un point dans son cœur, si ça peut le convaincre de moins m'apprécier, ce n'est pas plus mal.

Duncan pointe une autre attraction du doigt. Au début, j'ai peur de suivre son doigt du regard, qu'est-ce qu'il peut bien avoir encore trouvé, un truc pour les amoureux probablement ? Je finis par suivre la trajectoire de mes yeux et je découvre des auto-tamponneuses.

— Ça te dit ? demande-t-il.

— Et comment !

Nous nous y précipitons et je dois dire que c'est une bonne idée. Je n'ai jamais vraiment aimé les auto-tamponneuses ; trop lent, piste trop encombrée pour réellement faire quelque chose de cool, trop d'enfants qui n'ont pas compris comment conduire. Mais je ne vais pas faire la rabat-joie, je crois que j'en ai déjà assez fait pour aujourd'hui.

Une fois dans l'auto et une fois le signal lancé, tout le monde se met à conduire dans tous les sens. Certains finissent déjà bloqués sur le côté, comme je l'avais prédit. Je repère Duncan dont l'auto était à l'autre bout de la piste. Je lui fonce dessus et lorsque le choc se produit, je me sens presque propulsée en avant. Finalement, ce n'est pas si nul que ça, foncer dans Duncan, c'est comme extérioriser tout ce qu'il y a en moi, ça me défoule. Une sorte de course poursuite entre lui et moi s'ensuit, rythmée par des chocs d'autos. Je dois dire que je m'amuse bien.

Lorsque nous en descendons, nous rions aux éclats, je pense que la simplicité de cet instant et surtout le fait d'avoir été avec Duncan m'a énormément fait de bien. J'avais tort d'à tout prix vouloir l'éviter. Soudainement, je me remets à penser à Emily et Blake que j'ai abandonnés sous prétexte que j'allais mourir. Je passe du temps avec Duncan à m'amuser, ce que je devrais faire avec mes amis. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

Nous divaguons dans le parc, parlant de tout et rien, je dois dire que le feeling passe plutôt bien. Duncan, c'est comme une opportunité que je dois laisser filer, vous voyez. Il est génial, je me sens bien avec lui, mais je ne dois pas me faire d'illusions. Nous n'avons aucun avenir ensemble, ni en tant qu'amis, ni en tant que n'importe quoi d'autre. Je regrette avoir accepté ce rendez-vous, mais à la fois, ça faisait une éternité que je ne m'étais pas autant amusée.

— On devrait rentrer, proposé-je.

— Tu ne t'amuses pas ? demande Duncan surpris.

— Si mais... j'ai envie de rentrer.

— Quelque chose ne va pas ? Si j'ai fait quelque chose de mal, tu peux me le dire, tu sais...

— Non, ce n'est pas toi, c'est juste... que je veux rentrer. S'il te plait.

Il fronce les sourcils et je discerne de la déception dans son regard.

— OK si tu veux mais...

Un sourire malicieux apparait sur son visage.

— Mais avant de partir, on pourrait faire un dernier truc ?

— Quoi comme truc ?

Je regarde dans la même direction que lui et ce que je vois me laisse perplexe.

Publié le 30/10/17

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