7 - Rollercoaster
Lorsque nous arrivons dans le parc qui héberge occasionnellement la fête foraine, je suis illuminée par tous ces spots qui sont suspendus de partout, et par des cris au loin. Il y a du monde mais je pensais qu'il y en aurait bien plus. Duncan nous dirige vers le stand où nous devons acheter des tickets. Je ne sais pas combien il en a achetés, mais il en a un paquet dans les mains. Il a tout payé et je l'en remercie ; il me répond par un sourire.
Nous regardons autour de nous afin de nous rendre compte de notre environnement. Je vois différents manèges, certains ont l'air conçus pour les enfants, d'autres ont l'air du genre à procurer des sensations fortes. Parfaitement ce dont j'ai envie. Mon regard se pose sur un grand huit au loin, c'est la plus grosse attraction du parc. Je le pointe du doigt :
— Je veux faire ça, déclaré-je.
— Tu veux pas commencer mollo, genre avec la grande roue ? Ou un stand de tir ? propose-t-il.
— Quoi, t'as peur ? l'amadoué-je. T'as pas peur de mettre un motard en rogne, mais t'as peur d'un manège de rien du tout ?
Il plisse les yeux et puis, un sourire se forme sur son visage. Typique. Sous entendez à n'importe quel homme qu'il a peur de quelque chose et il fera toutes les choses les plus stupides au monde pour vous prouver qu'il n'est pas un enfant apeuré et qu'il est le plus fort. Soit ça, soit il vous fera la gueule pour échapper à votre provocation et au défi. Duncan a eu la réaction que j'espérais et je suis amusée de découvrir qu'il a peur du grand huit.
— J'ai pas peur, OK ? répond-il. On y va. C'est pour toi que je dis ça.
— Oh, je vois. Peureux et de mauvaise foi en plus de ça ! rétorqué-je, amusée.
Il rit en secouant la tête et nous nous dirigeons vers le manège. Il y a un peu de queue mais une fois qu'on se retrouve tout devant la file, je vois Duncan observer le manège attentivement.
— Et si ça déraillait ? me demande-t-il.
— Et bien... ça arrive, je réponds avec un sourire joueur. On se sera bien amusés, c'est le principal, non ?
Il me fusille du regard tandis que je me tords de rire. La vérité, c'est que j'ai toujours aimé les manèges à sensations fortes. Mais maintenant que je sais que je vais mourir, c'est comme si je n'avais plus peur de rien. Si je devais choisir entre mourir dans quelques semaines à cause de mon pancréas ou mourir aux côtés de Duncan en plein moment euphorique dans un manège, mon choix serait vite fait. D'accord, c'est glauque, mais plus rien n'a d'importance aujourd'hui.
Le forain nous indique que nous pouvons prendre place dans le wagon, ce que nous faisons. Duncan et moi montons dans la première voiture, tout à l'avant, pour son plus grand plaisir. Nous abaissons la sécurité sur nos épaules et l'homme passe vérifier si tout le monde est bien attaché.
— Imagine que ta sécurité lâche en plein looping ? demandé-je à Duncan, faussement paniquée.
— Pourquoi tu fais ça ? Tu es la personne la plus horrible que j'aie rencontrée.
Ses yeux sont vifs et son sourire bien présent, mais je vois qu'il est en panique. Je m'amuse de la situation, j'ai toujours adoré me moquer des gens qui ont peur. La dernière fois que j'ai été à Disneyland, à Orlando, avec ma famille, j'ai pris un malin plaisir à les taquiner ; mes parents ont le vertige et ne font pas confiance en toutes ces structures de métal. Ils disent qu'il y a trop de risques de mourir. D'ailleurs, ce qui m'a le plus amusée, c'est que Flynn était en sang à la fin de la journée. Mais pas à cause des attractions, non, il a trébuché sur une bosse d'après lui – ou plutôt sur ses lacets défaits – et a saigné du nez et de la bouche. Alors j'ai passé tout le trajet du retour, soit près de deux jours de voiture à me moquer de leurs appréhensions.
Du son se met à retentir d'enceintes placées quelque part sur la structure de l'attraction et le wagon se met à avancer. Je regarde Duncan et le salue de ma main avant d'attraper les poignées de ma sécurité.
— Adieu Duncan, c'était un plaisir de te rencontrer.
Il s'apprête à me répondre mais le wagon se met à accélérer à toute vitesse et ne semble plus pouvoir s'arrêter. Il roule à toute vitesse sur les rails, le vent fouette mon visage et l'adrénaline parcourt mon corps entier, je me sens vivante. Le comble dans tout ça, c'est que je ne me suis jamais sentie aussi vivante de ma vie que lorsque je grimpe dans une attraction de ce genre. Quand le wagon effectue ses loopings, que ça va tellement vite que je ne discerne même pas mon environnement, c'est le moment où je me sens vivante. Je me sens vivante parce que je prends des risques et que je risque presque ma vie. Sauf que ma vie est déjà engagée, et je ne me sens absolument plus vivante depuis que je sais que je vais mourir. J'ai besoin d'un entre deux pour me sentir bien, cet entre-deux se trouve dans cette adrénaline. Hilarant, n'est-ce pas ?
Lorsque le manège s'arrête, la sécurité se débloque et je me tords de rire en voyant que Duncan est toujours agrippé à ses poignées alors que tout le monde s'en va. Il ouvre finalement les yeux et me perce du regard.
— Bienvenue en enfer, lui dis-je.
Il libère ses épaules de la sécurité et se lève enfin, il a l'air déboussolé mais me sourit tout de même. Une fois de retour parmi la foule et surtout, une fois les pieds sur le béton, Duncan expire bruyamment.
— Je n'arrive pas à croire que j'ai fait ça ! dit-il.
— Quoi, tu veux dire que tu n'étais jamais monté dans des montagnes russes ?
— Non. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de me forcer... je n'ai jamais accepté.
— Et ce soir, tu l'as fait, remarqué-je.
— Et je ne regrette pas une seconde. Bon OK, j'ai flippé et j'ai dû pousser des cris pas très virils, mais je l'ai fait.
Je ne sais pas pourquoi, je me sens flattée de lui avoir offert son baptême du grand huit. Soit les personnes qui avaient essayé n'ont pas trouvé les mots pour motiver Duncan – c'est-à-dire, insinuer que c'est un peureux et ajouter qu'il va probablement mourir –, soit il a voulu le faire parce qu'il me trouve spéciale. Je ne vais pas jouer à la fille niaise qui ne comprend rien, je pense bien avoir compris les intentions de Duncan, il veut probablement être plus qu'un ami, si vous voulez mon avis. Le fait est qu'il ne doit absolument pas s'attacher à moi dans ce sens-là. Parce que je vais lâchement l'abandonner, tout comme mon pancréas m'abandonne moi.
— Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demandé-je.
— On pourrait faire quelque chose de plus calme. Comme la grande roue par exemple.
— Non, sûrement pas, je réponds un peu trop brusquement.
Il me fixe et ne semble pas comprendre mon refus assez brusque. Je me justifie :
— La grande roue, c'est un truc de famille, de couple, ou bien l'endroit parfait pour attendrir une fille afin de se la mettre dans la poche. Est-ce que toi et moi, on a l'air de représenter une de ces trois options ?
Duncan me fixe un peu plus et plisse les yeux.
— T'es toujours aussi brutale ? me demande-t-il au bout de quelques secondes silencieuses.
— Je ne suis pas brutale, je t'expose juste les faits ! je me défends.
Il s'approche de moi et un large sourire se dessine sur ses lèvres.
— En fait, tu te moques parce que j'avais peur du grand huit, mais tu es encore pire. Toi aussi, tu as peur.
— Moi, j'ai peur ?
— Oui !
— Ah oui, et de quoi j'ai peur, Duncan ?
J'ai croisé les bras sur ma poitrine et je le défie du regard. Il pense que j'ai peur de quelque chose, mais ce n'est pas moi qui hurlais comme une fillette lorsque le wagon entamait sa première montée. Il fait deux pas de plus, réduisant l'espace entre nous, ce qui est assez inconfortable.
— Tu as peur d'être coincée et seule avec moi, dit-il enfin.
J'aimerais lui rire au nez, mais je dois bien avouer qu'il a totalement raison. J'essaye d'obéir à mes pulsions égoïstes qui me poussent à passer du temps avec lui, mais j'essaye aussi d'écouter ma conscience et de le repousser, une certaine limite ne doit jamais être franchie et croyez-moi, son regard me transperce tellement que j'ai envie de monter dans cette grande roue avec lui, j'aimerais qu'elle reste bloquée, afin que je puisse lui sauter dessus et profiter du fait qu'il ait apparemment jeté son dévolu sur moi. Mais ce serait tellement égoïste. A vrai dire, j'aurais dû refuser ce rendez-vous, j'aurais dû lui balancer un truc vexant lorsque j'en avais encore l'occasion et j'aurais surtout dû m'exiler dans un autre état.
Mais maintenant, il est là devant moi et m'adresse le sourire probablement le plus sexy qu'il a en stock, et comme je suis faible et égoïste, je vais lui dire oui. Non Charlie, tu dois dire non. Non, comme le premier mot que tu as dit, tu le connais si bien celui-ci. «Charlie, arrête de t'abrutir devant Netflix – Non maman, c'est la meilleure invention de l'univers.», «Charlie, range donc un peu ta chambre – Non papa, laisse-moi vivre dans mon bordel organisé, je m'y sens si bien.», «Charlie, regarde ma crotte de nez, elle est toute rouge – Non Flynn, va t'étouffer avec». Vous voyez, je maitrise le refus.
— Alors, on y va ? me demande-t-il.
Non, jamais.
— S'il te plait..., ajoute-t-il.
— OK, très bien !
Il fouette l'air de son poing, il a l'air visiblement heureux que pour la première fois de ma vie j'aie dit oui.
Publié le 26/10/17
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