5 - Bad Boy

J'ouvre les yeux et je me sens agressée par la lumière du jour. En bougeant mes jambes, je donne un coup dans mon ordinateur portable avec lequel je m'étais endormie ; il tombe au sol, le bruit de l'impact est étouffé par la moquette. Je me rappelle, hier soir, j'ai longtemps scruté mon téléphone. Peut-être vingt minutes. Ou peut-être le double, OK ! Duncan ne répondait pas. J'ai ajouté son numéro à mes contacts et j'ai juste attendu qu'il me réponde. Il ne l'a pas fait. Alors j'ai essayé de m'occuper l'esprit, en regardant quelques épisodes d'une série, comme d'habitude. A deux heures du matin, il ne m'avait toujours pas répondu. Alors j'ai fini par me dire qu'il ne voulait plus me parler, c'est vrai quoi, une fille qui vous dit qu'elle part en Alaska pour échapper à un rendez-vous en votre compagnie, c'est clair, net et précis.

Il a dû prendre un coup dans sa fierté. Déjà que ce n'est pas facile d'aborder une fille sans se faire insulter de pervers, alors si en plus la fille en question vous repousse en vous prenant pour le dernier des abrutis, vous avez raison de vous sentir mal. Je ressens de la culpabilité mais à la fois, je me dis que c'est pour son bien. Ce garçon n'a pas à s'attacher à moi ni à devenir mon ami. Je ne serai bientôt plus là et il vaut mieux qu'il se souvienne de moi comme de la fille qui est supposément allée en Alaska plutôt que comme la fille qu'il appréciait et qui l'a abandonné aux alentours du 19 octobre.

Sauf que mon père, cet être à la fois si ringard et cool a décidé de s'en mêler. Quel genre de père ferait ça, sérieusement ? Il n'est pas censé appeler Duncan et le menacer de le tuer s'il osait ne serait-ce qu'une seule fois reparler à sa fille ?

Je me suis donc endormie avec mon ordinateur quelque part sur la couette en pensant à Duncan. Je sais, ça craint. Je me sens fatiguée, alors que d'après mon réveil, j'ai dormi dix heures. Il est donc midi, mais je me sens faible et fatiguée comme s'il n'était que six heures. Est-ce que je commence à mourir ? Mon ventre me fait mal, je m'empresse d'avaler mes médicaments pour le calmer. Et puis, mon regard se pose sur mon téléphone. Est-ce que je vais oser le déverrouiller ?

Je veux juste voir si j'ai reçu un message. Depuis quand je suis si pressée de voir si j'ai reçu un message ? Habituellement, j'en reçois, je mets une heure à les lire et une flemme s'empare de moi, j'y réponds deux jours après. Il faudrait que j'aille voir sur Google si c'est un symptôme de ma maladie. J'inspire un grand coup et je déverrouille mon écran de téléphone. Je n'ai reçu aucun message. Pas un seul. Avec un peu de chance, il n'a pas reçu mon message. Peut-être même que ce numéro n'était même pas celui de Duncan et que c'était juste le fruit du hasard. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Quelle imbécile je fais.

Une fois prête et habillée, je fouille tous les placards de la cuisine à la recherche de quelque chose à manger. Il n'y a rien à manger ici. Enfin, si on oublie tous ces féculents et biscuits bios au blé complet et ces baies de goji à la con qui n'ont aucun goût.

— Qu'est-ce que tu cherches ? demande maman.

Je tiens un paquet en carton dans la main, il y a dedans des sortes de chips de légumes qui ont un goût étrange.

— N'importe quoi d'agréable à manger. Pas ce... truc, dis-je en reposant la boite.

— Tu n'as qu'à aller faire le plein, achète ce qui te fera plaisir.

Elle me tend sa carte de paiement, mon regard fait quelques allers retours entre elle et ma mère. Est-ce qu'elle s'est réveillée du pied gauche ? Je tente de lui prendre sa carte mais elle effectue un mouvement de recul avec sa main, comme si elle ne voulait finalement plus me la donner. Elle me fixe étrangement.

— Quoi ? demandé-je.

— J'ai parlé avec ton père et... je suis désolée si je réagis mal. Tout ça est trop dur pour moi. Mais on a longuement parlé, il m'a expliqué ce que tu voulais, c'est difficile de l'accepter, mais si c'est ce que tu veux alors je ferai mon maximum.

C'est exactement ce dont j'avais besoin. Je la prends dans mes bras, lorsque je m'en défaits, je vois bien qu'elle a les yeux humides et qu'elle se retient de pleurer. Elle me tend la carte, je la récupère.

— Allez, va acheter des cochonneries ! me dit-elle avec un mouvement de main.

— Merci.

— Est-ce que tu peux emmener...

— Flynn ? la coupé-je. Hors de question. Vous pouvez me dire la vérité maintenant, vous avez trouvé ce gamin dans une décharge, n'est-ce pas ?

— Charlie ! s'offusque ma mère.

— Je ne peux pas croire que cet enfant et moi soyons de la même famille, me justifié-je.

Mon père arrive dans la cuisine, embrasse ma mère sur la joue avant de se préparer un café.

— La chambre de ton frère est mieux rangée que la tienne, me fait-il remarquer.

— Les fous sont souvent maniaques, rétorqué-je.

Mes parents rient de bon cœur et heureusement que Flynn est dans sa chambre - si bien rangée - parce que je sais qu'autrement, il se serait vanté. Je récupère les clefs de la maison et j'en sors, marchant tranquillement dans la rue. Je descends la côte qui sépare ma maison du magasin et soudainement, je me rends compte de quelque chose. Je ne peux pas aller dans ce foutu magasin. Parce qu'apparemment, Duncan aime bien y aller en même temps que moi, et je suis censée être en Alaska. De plus, il n'a même pas répondu à mon message... rectification, au message de mon père, alors je ne me vois pas entrer dans ce magasin et le revoir. D'un côté, peut-être qu'il ne viendra plus, vu qu'il est fâché contre moi.

Est-ce que je fais demi-tour, je me rabattrai sur les biscuits sans goût que ma mère affectionne tant ? De toute façon, c'est trop tard. Je n'avais pas remarqué que j'étais déjà arrivée devant le drugstore. Je prends mon courage à deux mains et y entre. Je regarde l'intérieur de la boutique, j'y vois un garçon roux qui patiente au comptoir de la pharmacie. Mais pas de Duncan à l'horizon. Je me sens à la fois rassurée et à la fois déçue. Ne cherchez pas à me comprendre, je ne suis pas une personne logique.

Lorsque j'ai fait le plein en cochonneries, comme dit ma mère, et que je sors du magasin munie d'un sac en papier rempli à rabord, je le vois. La première question que je me pose, c'est est-ce que ce mec me traque ? Puis, je me rends compte qu'il est installé sur une grosse moto noire, et alors, je me demande qu'est-ce que ce mec fout sur une moto ?

La moto est immobile, garée sur le trottoir, tenant en équilibre grâce à sa béquille. Et Duncan, il est installé dessus comme s'il posait pour un shooting photo. Je tente de l'ignorer, j'ai un peu honte de le voir après le message désespéré que mon père lui a envoyé. Sauf qu'il me voit, il m'appelle et j'ai presque l'impression qu'il met trop de cœur à la prononciation de chaque syllabe de mon prénom. Je me tourne vers lui et lui adresse un pauvre sourire ; je dois paraitre cool, je n'ai pas du tout honte et il ne m'intimide pas. C'est juste un psychopathe qui me traque et qui essaye de m'amadouer avec de la glace pour que j'accepte un rendez-vous dans sa cave. Rien de si terrible.

— Salut... Duncan ! dis-je l'air heureuse de le voir alors que j'ai envie de détaler comme un lapin.

— Salut, répond-il d'une voix suave en passant une main dans sa chevelure.

Est-ce que j'ai imaginé ce que je viens de voir ou est-ce que Duncan est en train de tenter de m'impressionner avec sa moto, tout en essayant de se donner un air de bad boy ? J'ai envie de rire, je ne suis pas du tout ce style de fille. Vous pouvez avoir la voiture la plus chère, la moto la plus grosse ou même une montgolfière, vous ne m'impressionnerez pas. Je n'en ai rien à faire de la super grosse moto de Duncan.

— Alors, tu ne pars plus en Alaska ? me demande-t-il en me perçant du regard.

— Non, on a annulé. Mon petit frère a fait une crise de foie après tout le chocolat qu'il a ingurgité hier, il vomit partout, donc on a dû annuler le voyage pour lui. Tu comprends...

— Evidemment. Ce serait dommage qu'il ne puisse pas profiter !

Je sais très bien qu'il ne gobe pas mon mensonge et je sais aussi qu'il sait que je le sais. Il joue, il aime me voir m'enfoncer dans cette galère, j'ai même l'impression que ça l'amuse.

— Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? lui demandé-je, ne sachant pas quoi lui dire.

— Je te suivais.

— Évidemment, question stupide.

Il me perce encore plus du regard et je dois dire que c'est la conversation la plus bizarre que j'ai eue de ma vie, mais elle est vraiment plaisante. Nous n'avons pas besoin de préciser que nous rions et c'est fort agréable. Même si Emily me connait depuis dix ans, je dois toujours lui préciser que je blague, elle ne comprend toujours pas le second degré.

— Alors comme ça, t'as une moto ? demandé-je.

— Ouais. Elle te plait ?

Je le fixe un instant, il a un regard étrange et je n'arrive pas à l'analyser. Est-ce qu'il va se vexer si je lui dis que sa moto est le cadet de mes soucis ? Les propriétaires de voitures et de motos sont vraiment susceptibles quant à leur bébé, si je dis un mot de travers, il pourrait avoir envie de me rouler dessus avec.

— Je n'aime pas spécialement les motos, en fait, dis-je.

Suicidaire, vous avez dit ? Il baisse les yeux vers le guidon, regarde autour de lui, m'adresse un pauvre sourire et finit par se gratter la nuque. Puis, il se met à rire étrangement, comme s'il était gêné.

— C'est vrai ? me demande-t-il.

— Ouais.

— Ça tombe bien, parce qu'en fait, c'est pas ma moto.

Il continue de rire étrangement pendant que j'assimile cette information. Est-ce qu'il se fout de moi ?

— Pardon ?

— Ouais tu sais, je voulais attirer ton attention puisque tu préfères me faire croire que tu pars à trois mille neuf cent soixante-dix kilomètres plutôt que d'accepter de passer du temps avec moi. Et comme en général les filles aiment les motos...

Je me mets à rire, cette situation est presqu'aussi drôle que gênante. Ce garçon est vraiment plein de ressources et je me rends compte que j'aimerais passer du temps avec lui. J'aimerais passer ces trois semaines avec lui, sauf que ce serait égoïste de ma part, il ne doit pas s'attacher à moi alors que je vais bientôt l'abandonner. C'est pour ça que je voulais rester enfermée chez moi avec Netflix pour seule compagnie, au moins je ne ferai de mal à personne.

— Hé toi ! Descend de là !

Nos deux têtes se tournent à l'unisson vers la voix qui nous a interpellés. Un homme baraqué vêtu d'une veste en cuir, tenant un casque à la main. Il fonce dans notre direction et je vois que Duncan se dépêche de descendre de l'engin. Je ne peux m'empêcher de rire, alors que lui a l'air totalement paniqué. L'homme se tient désormais devant nous, l'air très en colère.

— C'est quoi ton problème ? demande-t-il à Duncan.

— Écoutez, c'est un malentendu, je suis vraiment désolé.

— Désolé mon cul, oui ! Je vais te refaire le portrait avec mon casque si tu te barres pas d'ici tout de suite !

— Ce serait dommage d'abimer votre si beau casque donc...

— Me cherche pas..., le menace le motard.

— On va y aller, encore désolé.

Duncan m'attrape par le coude et me mène un peu plus loin dans la rue, tout en lançant des regards par derrière, pour être sûr que le fou furieux soit assez loin. Nous nous arrêtons et il se met à rire bêtement, ce qui est assez contagieux car je le rejoins et me mets à rire également.

— T'es complètement malade, lui dis-je.

— Je suis surtout ridicule. Tu dois te dire que je suis un abruti et à vrai dire, je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Je t'ai vue entrer, alors j'ai grimpé sur la moto et... Et je devrais arrêter de parler.

— Je crois aussi, affirmé-je en riant.

Nous nous regardons quelques secondes sans rien dire, puis il regarde ses pieds et moi, je suis hypnotisée par le feu de signalisation tricolore, est-ce que les couleurs ont toujours mis énormément de temps à se succéder ?

— J'ai reçu ton message, dit Duncan, brisant ce silence inconfortable.

Je pivote soudainement la tête.

— Mais tu n'y as pas répondu, remarqué-je nerveusement.

— J'étais occupé, à vrai dire.

Je vois. Monsieur m'offre de la glace et son numéro mais ensuite, il est trop occupé pour me répondre. Désolé, mon cher Duncan, mais tu fais désormais partie de la liste des mecs à fuir et à éviter à tout prix.

— À nettoyer les conneries de ton frère, ajoute-t-il. Il avait mis du chocolat partout sur la vitre du frigo.

— Quoi ? Tu veux dire que...

— Je travaille là, oui.

Je retire ce que j'ai dit, je le retire de la liste des mecs qui craignent et à la place, j'y place Flynn en première position. Il l'a bien méritée.

— Attend, tu croyais vraiment que je te traquais ? demande-t-il en riant.

— Oui. Enfin non, je veux dire... Je pensais que ce n'était qu'une coïncidence !

Maintenant je comprends. Comment j'ai pu croire un instant à un quelconque complot ? Je suis vraiment ridicule. Je repense à quand il est venu m'annoncer que mon démon de frère s'enfilait du chocolat en plein rayon, il l'a laissé faire, il me l'a dit comme si c'était la plus banale des choses. J'ai soudainement honte. Je dois changer de sujet.

— Je ne t'ai jamais vu au lycée, dis-je.

— C'est parce que je ne viens pas d'ici. J'ai emménagé il y a deux semaines à Portland, j'aide mon oncle au magasin.

— Je suis vraiment désolée pour ce que Flynn a fait.

— Eh bien, tu pourrais peut-être te faire pardonner...

En général, quand je dis que je suis désolée, c'est par politesse. Quand Flynn fait une connerie, c'est à lui de la réparer. Duncan ne le voit pas de cet œil, il va probablement me demander de trainer avec lui, mais qu'est-ce que je pourrais inventer cette fois ?

— Comment ? demandé-je, même si je connais la réponse.

— On pourrait trainer ensemble, aujourd'hui. Enfin, si tu n'as pas prévu d'aller à New York.

Je ne peux m'empêcher de rire.

— C'est d'accord.

Publié le 16/10/17

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