4 - Daddy

En rentrant à la maison, ma mère a manqué de faire une syncope en découvrant Flynn recouvert de chocolat. Elle a hurlé, il a pleuré, elle a hurlé pour qu'il arrête de pleurer, il a encore plus pleuré. Papa est arrivé, s'est rangé du côté de Flynn, faisant passer maman pour la méchante de l'histoire. Elle a crié, il a crié, Flynn s'est enfermé dans sa chambre. Je crois que je préfère encore les regarder se disputer pour tout et n'importe quoi que les entendre me parler de ma mort imminente. Mais d'un côté, je me rends bien compte que c'est ma situation qui les rend si stressés et à bout de nerfs.

Maman a posé sur ma coiffeuse mon stock de médicaments. Un tas de pilules à prendre. Elles ne me soigneront pas, non, mais elles me feront me sentir mieux. Actuellement, rien ne peut me faire me sentir mieux à part la glace. Vous devez vous demander pourquoi je suis si obsédée avec ça. Déjà, il faut savoir que mon faible pour la crème glacée remonte à mon enfance, j'ai toujours été accro, il n'y a que ça qui me calmait. J'aime son mélange onctueux, sucré et surtout, froid. Surtout maintenant, le combo sucre-froid calme mon ventre. Autant vous dire que mes repas en sont essentiellement constitués. Ça, et les médicaments.

Lorsque je prends mon pot de glace au beurre de cacahuète entre les mains, je ne peux m'empêcher de sourire. Pourquoi Duncan s'évertue à m'offrir de la glace ? Il ne me connait même pas et il est si gentil avec moi. Sauf que la gentillesse, ça ne paie pas. J'ai été une fille gentille toute ma vie, je me suis écrasée au lycée, je n'ai jamais manqué de respect à un professeur, je traverse même quand le feu est vert, sans déconner ! Je mets un casque quand je fais du vélo pour ne pas inquiéter ma mère, je lui ai dit la vérité chaque fois que ses lasagnes maison étaient dégueulasses. Je ne mens jamais et je ne martyrise même pas Flynn, alors que c'est clairement mon droit en tant que grande sœur.

Alors pourquoi moi ? Je suis gentille, pourquoi dois-je mourir ? Je connais un tas de gens qui méritent plus de mourir que moi. Comme Derek, par exemple. Comme je le dis, la gentillesse ne paie pas, elle ne sert à rien d'autre que rendre la vie des autres agréable, Duncan devrait s'en rendre compte.

J'allume mon ordinateur portable et enlève le couvercle du pot de glace. J'attrape une des extrémités de l'opercule et quelque chose dessus attire mon regard. Il y a quelque chose sur l'opercule et ce n'est pas seulement le logo de la marque. Il y a des chiffres gribouillés au stylo noir. Un numéro de téléphone. Le numéro de Duncan, j'en suis sûre.

C'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de sourire. C'est une réaction totalement féminine et naturelle, OK ? Et puis je reviens vite à moi, je ne peux pas être heureuse juste parce qu'un type plutôt mignon rencontré dans un drugstore qui m'offre de la glace vient de me donner son numéro de téléphone. Si ? De toute façon, après que je lui aie dit que j'allais en Alaska, il doit probablement regretter ce geste. Il doit espérer que je n'aie pas vu son gribouillis et me maudire de tout son être. C'est ce que j'aurais fait à sa place.

Ça fait deux heures que je m'abrutis en séries et glace, je n'arrête pas de penser au numéro de Duncan qui trône sur ma table de chevet. Est-ce qu'il veut que je l'appelle ? Pourquoi veut-il me parler ou même trainer avec moi ? Il dit que je suis cool, mais je n'ai rien d'une fille cool. Je repense à toutes ces sorties que je faisais avec Emily ou avec Blake, je repense à lorsque j'étais encore heureuse, que nous rigolions et faisions n'importe quoi dans la rue. Je me rappelle toutes ces heures passées au café du coin de la rue à se raconter les derniers potins du lycée ou à parier sur quelle fille Blake emmènera au bal. Il disait qu'il irait avec nous deux parce qu'on lui faisait trop de peine.

Quelqu'un toque à la porte, je n'ai même pas le temps de répondre qu'elle s'ouvre d'un coup ; heureusement que je ne suis pas à poil.

— Je peux ? demande papa.

— Fais comme chez toi, lui dis-je en engouffrant une cuillère de glace dans ma bouche.

Il s'installe au bord de mon lit et pose un regard triste sur moi. Peut-être que ce moment doit arriver. Depuis trois jours, je fuis le moment où mes parents et moi allons avoir cette conversation déprimante pendant laquelle nous allons parler de mon problème. Je suis d'avis que cette conversation serait inutile vu les circonstances, mais mes parents sont d'avis que nous avons besoin de pleurer un bon coup pour mieux avancer.

J'aimerais tellement qu'ils adoptent la même idéologie que moi, j'aimerais qu'ils profitent de moi, j'aimerais que mon père me fasse toutes les blagues nulles qu'il a en stock avant qu'il ne puisse plus et j'aimerais entendre maman me reprocher mon manque d'organisation pendant toutes les heures qu'elle voudra. La seule personne qui agit comme si je n'allais pas mourir, c'est Flynn, mais je ne suis pas sûre qu'il ait tout compris.

— Pourquoi tu agis comme ça ? me demande-t-il.

— Pourquoi vous voulez absolument être déprimés ? rétorqué-je.

— Ne commence pas ce petit jeu énervant Charlie...

— Alors finis-le. Clos cette conversation. On mange quoi ?

Il ferme les yeux et secoue la tête, puis souffle bruyamment. Charlie 1 – Papa 0. C'est toujours comme ça, sauf que d'habitude papa trouve un moyen de gagner et nous finissons par rire. Là, il n'a pas vraiment envie de rire vu la tête qu'il fait.

— Est-ce qu'on pourrait avoir une conversation sérieuse ? s'énerve-t-il.

— Mais qu'est-ce que tu veux ? m'énervé-je à mon tour. Tu veux mon ressenti sur le fait que je vais mourir ? Tu veux que je te dise que la vie est injuste ? Oui, elle l'est, non, je ne veux pas mourir et oui je suis triste de tous vous laisser ! Mais c'est comme ça et on n'y peut rien. Ce n'est pas en vous lamentant sur mon sort que ça ira mieux, d'ailleurs. Vous devriez arrêter d'absolument vouloir cette conversation déprimante et profiter de moi tant que je suis encore là !

C'est ce qu'il voulait non ? Que je lui ouvre mon cœur. Eh bien, c'est chose faite et j'espère qu'il est satisfait de m'avoir entendue m'énerver et des larmes qui se sont mises à couler le long de mes joues. Je ne veux pas mourir, mais qui le veut ? On va tous y passer, mon tour est juste un peu prématuré. Papa baisse la tête et je vois qu'il pleure lui aussi. Super, comme ça, on est deux déprimés en train de pleurer.

— Je suis désolée, dis-je.

Il relève la tête et ça me fend le cœur de le voir aussi triste pour moi. Il me prend dans ses bras, alors je m'y blottis et je pleure, comme si je n'avais pas déjà déversé toutes les larmes de mon corps il y a trois jours. Lorsque je m'écarte de lui, il rit :

— Tu sais, tu me fais penser à moi à ton âge. J'étais pareil, le même caractère. Terre à terre et déterminé. Je crois que c'est ce qui a plu à ta mère, elle me trouvait cool. Enfin, aujourd'hui elle s'en plaint mais c'est bien connu, les femmes ne savent pas ce qu'elles veulent.

— Peut-être que maman te trouverait toujours cool si tu arrêtais de mettre des chemises aussi laides.

Il m'adresse un regard assassin alors je lui donne un coup de coude dans les côtes ; il relâche la pression et finit par rire.

— Tu sais papa, je ne veux pas avoir cette conversation parce que c'est trop bizarre. Je suis encore là, j'aimerais me sentir vivante autant que possible ces trois prochaines semaines, et qu'on arrête de me rappeler que la faucheuse est en route.

— C'est ce que tu veux ? me demande-t-il le plus sérieusement du monde.

— Oui. Je veux que vous soyez heureux et que tu continues à m'engueuler pour rien comme tu en as l'habitude. Ne prenez pas de pincettes, blaguez sur mon sort, faites ce que vous voulez, mais ne déprimez pas devant moi.

— Je te promets de faire mon maximum.

Il serre ma main dans la sienne et me sourit chaleureusement, je préfère ça.

— Tu seras toujours ma fille chérie, tu sais ?

— Je sais. Mais pas de sentimentalisme, c'est interdit, OK ?

— OK ! dit-il en levant les mains.

— T'es plutôt censé me faire la morale parce que ma chambre n'est pas rangée et que je sèche les cours en me gavant de glace devant Netflix.

— En parlant de ça, tu devrais peut-être profiter de tes amis et sortir. Il y a tellement de choses à vivre à ton âge, profite-en !

— Hors de question. De toute façon, j'ai dit à Emily que c'était une pétasse et j'ai aussi dit que Blake était un abruti. Ils doivent me détester, comme ça, ils ne seront pas tristes.

— Charlie, ils le sauront un jour où l'autre, tu devrais renouer...

— Non, si Emily se pointe, vous lui direz que je suis partie... en Alaska ! Vous direz que j'ai pété un câble et que je me suis émancipée.

Il rit et scanne ma chambre de ses yeux, il semble dépassé par tout ce bazar, de mes livres de cours qui jonchent le sol à mes vêtements qui sont un peu partout dans ma chambre, sur le bureau, sur ma chaise et même sur la poignée de la porte. On dirait qu'un cataclysme a eu lieu ici mais ce n'est que moi, je suis bordélique et je m'y complais. Et puis, son regard se pose sur l'opercule qui est sur la table de chevet, il la prend entre ses doigts et y lit le numéro.

— C'est quoi ce numéro ? demande-t-il.

— Un garçon que j'ai croisé au magasin.

— Tu vas l'appeler ?

— Non.

— Tu devrais l'appeler !

— C'est pas le genre de conversation à avoir avec son père, si tu veux mon avis, lui dis-je.

— Si, quand le père en question est aussi cool que moi. Et mes chemises ne sont pas moches, OK ?

— T'as raison, elles ne sont pas moches. Elles sont carrément affreuses ! rétorqué-je en m'esclaffant.

Mon père rit, sauf que moi, je ne ris plus. Il a mon téléphone portable entre les mains, il tape quelque chose. Comment a-t-il pu prendre mon téléphone sans que je ne m'en rende compte, c'est un ninja ou quoi ? Et qu'est-ce qu'il fait avec, d'ailleurs ? Je tente de le récupérer, mais il se lève et lorsque je vois sa tête faire des allers retours entre l'opercule du pot de glace et l'écran de mon téléphone, j'ai soudainement peur.

— Qu'est-ce que tu fais ? je demande tandis qu'il me repousse.

— Je te rends un service.

— Ne lui envoie rien, par pitié. Je te jure que si tu écris un truc de vieux genre hey, ça roule ?, j'irai vraiment vivre en Alaska. Rend-moi mon téléphone !

Il me repousse de son bras, j'ai vraiment peur pour la suite des évènements à l'heure actuelle.

— Et puis, depuis quand on vous apprend à vous servir d'un smartphone au club du troisième âge ? demandé-je.

— Depuis quand les jeunes ne sont pas au courant qu'une date de naissance ne constitue pas un mot de passe fiable ? rétorque-t-il.

Il me tend l'opercule et mon téléphone, je les lui arrache pratiquement des mains, tandis qu'il a l'air fier de lui. Je n'ose même pas regarder ce qu'il a fait, j'ai vraiment peur. Je me décide quand même courageusement à jeter un œil au message que mon père a envoyé à Duncan.

Moi : Salut, c'est Charlie :)

Je le déteste. Vraiment. Vous pensez détester des gens, mais je crois que vous ne savez pas ce que c'est réellement que de détester quelqu'un.

— T'as pas fait ça ? demandé-je en fixant mon écran.

— Quoi ? C'est plus cool de dire salut ?

— T'as mis un smiley. On n'en met pas à n'importe qui.

— Tu m'en mets plein ! Si t'en envoies à ton vieux père, tu peux en envoyer à un mec qui te drague, non ?

— Non !

Il se met à rire et quitte ma chambre, comme si de rien n'était. J'abuserais si je disais que ma vie ne peut pas être pire ? Honnêtement, ce Duncan a l'air tout à fait charmant, gentil, attentionné et drôle. Mais moi, je suis condamnée, je ne dois pas mêler une personne de plus à ma vie. Je voulais laisser ce garçon gentil et drôle en dehors de ma vie, parce que tous ceux qui y entreront en paieront le prix fort. Tous ceux qui font partie de ma vie en pâtiront quand je ne serai plus là.

Publié le 09/10/17

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