32 - Perfect



L'eau est glacée. Le vent fait onduler les vagues, virevolter mes cheveux et rend la sensation de l'eau sur mon corps encore plus gelée. Mais pourtant, j'apprécie ce moment. Je me sens bien. Je lève la tête vers le ciel gris qui menace d'exploser d'une minute à l'autre et de nous déverser toute sa colère sous forme liquide et électrique. Je sais pourtant que je ne devrais pas être dans l'eau. Mais j'aime la sensation des vagues sur moi, j'aime la sensation de l'eau qui m'engloutit et qui essaye de m'emporter au loin, telle la meurtrière qu'elle est.

J'entends une voix au loin. À quelques mètres, je dirais. Elle n'est pas distincte mais pourtant, je reconnais bien Duncan qui m'appelle. Je retourne sur le sable où ma serviette rouge m'attend, m'emmitoufle dedans et je me mets à trembler ; mes cheveux trempés font un contraste pas des plus agréables avec mon corps réchauffé par la serviette. Je trottine pour rejoindre la maison en bord de mer de Duncan.

Lorsque j'entre dans la maison, c'est étonnamment calme et la chaleur de l'entrée me fait du bien et me réconforte.

— Duncan, t'es où ?

— En haut ! crie-t-il.

Je monte tranquillement l'escalier pour le rejoindre, je me demande ce qu'il a de si urgent à me dire. J'arrive dans sa chambre, qui est vide ; la fenêtre est ouverte et le rideau vole au gré du vent. Je l'appelle, mais il ne répond pas. Je l'appelle de nouveau :

— Duncan ?

— Ici.

Je me retourne, sa voix était tellement proche qu'on aurait cru qu'il était dans la chambre. Je me retrouve face à lui, à l'entrée de la pièce, ce qui me fait sursauter. Aujourd'hui, il ne sourit pas. Ses yeux ne sont pas rieurs et ses fossettes sont invisibles. Il est juste de marbre à me fixer comme s'il avait une terrible nouvelle à m'annoncer.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je.

— Charlie, je...

Il se met à pleurer et je ne comprends pas. Je resserre la serviette autour de moi, prise d'un frisson incontrôlable qui me parcourt l'échine. Je capte son regard pour le pousser à me parler. Des larmes ruissèlent sur ses joues et je me demande si j'ai fait quelque chose de mal.

— Je suis tellement désolé, dit-il.

— Désolé de quoi ?

— Je n'ai pas pu te sauver, c'est de ma faute.

Je fronce les sourcils.

— Duncan, mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu es morte maintenant, et je n'ai rien pu faire pour toi, dit-il en essuyant ses larmes.

Je ris nerveusement, je ne le suis plus du tout.

— Mais enfin, de quoi tu parles ?

Sa mâchoire se contracte, ses yeux s'assombrissent, on dirait qu'il est en colère, je ne vois plus une once de tristesse sur son visage. Son tee-shirt blanc devient subitement rouge au niveau de son abdomen, la tache se répand rapidement, devenant bientôt d'un rouge presque noir.

— Duncan, qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandé-je affolée.

Lorsque je lève la tête, ce n'est plus le visage de Duncan que je vois mais le mien. Mon visage, celui d'avant. Celui qui n'était pas fatigué, celui qui souriait encore quelques fois, celui qui n'était pas malade. Je reporte mon attention sur le sang qui tache le tee-shirt blanc qu'elle porte, elle pose ses mains dessus et le sang les engloutit à leur tour, c'est comme s'il ne pouvait pas s'arrêter de couler.

— Je ne veux pas mourir, dit-elle.

Je fixe le sang, sans pouvoir regarder ailleurs, j'en suis hypnotisée, je ne vois plus que ça, je n'entends même plus les plaintes de mon clone qui saigne et qui dit qu'elle ne veut pas mourir. Et puis, elle crie de plus en plus fort, je suis prise de vertiges, je crois entendre la voix de Duncan, puis la mienne.

— Tais-toi ! hurlé-je.

— Aide-moi.

— Non, ferme-la ! hurlé-je, encore plus fort.

Elle ne dit plus rien et tombe à terre, les yeux grands ouverts, quelques larmes s'en échappant. Duncan réapparait, les yeux humides et l'air plus en colère que jamais. Il regarde le corps de mon double au sol, gisant dans son sang.

— Tu l'as tuée, dit-il.

— Je n'ai rien fait.

— Tu l'as tuée ! hurle-t-il. Pourquoi t'as fait ça ?

Il continue d'hurler, encore et encore et encore...

Je me redresse sur mon lit. Mon premier réflexe est de regarder autour de moi. Ma chambre est plongée dans une lueur matinale, j'entends du bruit provenant du rez-de-chaussée ; mes parents ont pris une semaine de congé depuis que le médecin leur a dit que c'était le temps qu'il me restait. J'entends des oiseaux piailler, des gens rire fort dans la rue. OK, respire Charlie. Ce n'était qu'un cauchemar, juste un cauchemar. Il était flippant certes, mais rien de tout cela n'était réel.

Je regarde mon téléphone, je fais toujours ça après un cauchemar ; ça m'aide à me replonger dans la réalité et à me prouver que tout tourne rond, que tout est normal et que tout va bien. Je vois un message de Duncan envoyé il y a dix minutes, il m'indique qu'il est au travail mais qu'il a laissé ce matin un colis à mes parents : je dois faire ce qui est écrit, même si je trouve ça bizarre. Voilà qui est rassurant.

Sans que je ne m'y attende, je ressens de terribles douleurs, mes intestins tiennent à me montrer que je suis bel et bien vivante et éveillée, comme c'est aimable de leur part. Je m'empresse de courir à la salle de bain.

Je me sens horriblement mal, mais quand on me posera la question, je répondrai « ça va aller ». Je préfère nettement cette version. Après avoir pris une bonne et longue douche chaude, je descends au salon et trouve ma mère en train de lire ses factures, ses lunettes sur le bout du nez. Quant à mon père, il est en train de me préparer un petit déjeuner et j'en suis ravie, j'ai plus que tout besoin de reprendre des forces à cet instant.

— Bonjour ma chérie, bien dormi ? demande ma mère.

— Super.

Je m'assieds à la table à manger et mon père m'amène une assiette remplie de pancakes que je tartine de beurre de cacahuète. Il m'embrasse le front et sort de la maison, nous prévenant qu'il va au garage pour bricoler.

— Duncan a laissé un colis pour toi, me dit ma mère en se levant.

Elle se déplace dans le salon et revient vers moi, posant un carton sur la table. Je finis en vitesse mon petit déjeuner et m'empresser d'aller ouvrir le carton dans ma chambre.

Le scotch cède après quelques coups de ciseaux et la première chose sur laquelle je tombe, c'est une feuille de papier blanche. Je la déplie et la lis :

« Charlie, comment est-ce que tu te préparerais si tu allais au bal de fin d'année ? J'ai trouvé la robe, à toi de faire le reste. Sois prête à vingt-trois heures. »

J'ai déjà imaginé une centaine de fois mon bal de fin d'année. Mais à vrai dire, la chose sur laquelle je fantasmais le plus, ce n'était pas à propos quelle tenue j'allais porter ou comment est-ce que j'allais me maquiller, mais plutôt à propos de quel garçon déciderait de m'inviter. Et j'avais beau m'imaginer au bras de n'importe qui de mon lycée, ce n'était jamais aussi parfait que je l'imagine avec Duncan. Parce que Duncan n'a rien à voir avec les autres garçons. Je souris bêtement et puis mon sourire s'estompe.

Qu'est-ce que Duncan entend par là ? Qu'est-ce qu'il a encore préparé ? Est-ce qu'il est sérieux ou est-ce que je dois prendre ces mots au second degré ? Et puis je me rappelle son message qui me disait de faire ce qu'il me demandait, il avait probablement prévu que je me poserais un tas de questions. Je regarde mon réveil et je me rends compte qu'il est midi. Ce qui me laisse énormément de temps pour me préparer.

Je regarde alors ce qu'il y a à l'intérieur du carton et la première chose que je vois, c'est une masse rouge. Je la sors alors du carton et elle semble interminable. Il s'agit d'une très longue robe rouge en mousseline qui a l'air très près du corps. Où est-ce que Duncan a trouvé ça ?

Je me regarde dans le miroir, la robe me sied parfaitement. Elle est à la bonne taille, elle met en valeur chaque parcelle de mon corps. Le plus étonnant, c'est qu'elle est échancrée au niveau des côtes, laissant mon tatouage visible et à l'air libre ; connaissant Duncan, je suis persuadée que c'était prévu. Je dois dire que j'aime me voir dans cette robe. Elle aurait pu ne pas me plaire, mais le fait est que je l'adore. Elle moule mon corps et traîne au sol, on dirait une robe qu'on aurait pu voir sur une célébrité aux Oscars.

J'ai passé la journée à téléphoner à Emily, elle me raconte les potins du lycée, elle me dit qu'il a été tagué et que le principal est en colère, il cherche qui a fait ça. Elle m'a dit que la fille représentée me ressemblait énormément. Je ne lui ai rien dit. Je ne lui ai pas raconté que c'était bel et bien moi, ni que Duncan et moi en étions les responsables. J'ai fait comme si je ne savais rien, comme si j'étais étonnée. À la fin de chaque appel, elle me rappelle à quel point elle m'aime et j'en fais de même. Elle a chaque jour peur que je disparaisse subitement, alors d'après elle, il faut qu'on n'oublie pas de se le dire au cas où.

Je regarde le réveil et il est vingt-trois heures tapantes. J'ai fait une sieste, pris un repas riche et je me suis préparée. Je ne pouvais pas porter une si belle robe et ressembler à une souillon. Alors je me suis occupée de mes cheveux et je me suis maquillée, en me disant que c'est probablement la dernière fois de ma vie que je m'occuperai ainsi de moi. Ça vous parait peut-être surfait ou superficiel, mais j'avais envie de me sentir belle une dernière fois. Mes cheveux sont légèrement ondulés et tombent en cascade dans mon dos. Quant à mon maquillage, j'ai simplement caché légèrement mes cernes et mon teint blafard. J'ai aussi ajouté un fin trait d'eye liner et une couche de mascara. J'ai fini avec ma bouche qui est désormais rouge, tout comme ma robe.

J'entends la sonnette retentir, mon ventre se tord subitement et je suis prise d'une soudaine panique. J'espère que Duncan sera heureux du résultat. Je descends les escaliers et je remarque que mon père a déjà ouvert la porte, Duncan - habillé très classe - se trouve dans l'entrée et son regard, celui à l'instant où je descends ces marches en essayant de ne pas trébucher sur ma robe, c'est probablement le regard le plus admiratif qu'il m'ait adressé. On dirait presque que sa mâchoire va s'en décrocher, ce qui me fait rire.

Mes parents sont émus, je le vois, maman essuie une larme et brandit son téléphone.

— Oh ma chérie, tu es magnifique, dit-elle. Collez-vous, je veux prendre une photo.

J'obtempère, je sens le bras de Duncan me serrer la taille, me rapprochant de lui. J'adresse mon plus beau sourire à l'objectif. Une fois que ce moment est immortalisé, ma mère me prend dans ses bras, mon père nous rejoint, ils me disent qu'ils m'aiment.

— Moi aussi, je vous aime.

Ils se détachent de moi et j'ai presque l'impression qu'ils me font leurs adieux alors que je vais juste m'amuser une énième fois avec Duncan. C'est probablement la belle robe qui leur fait cet effet. Les belles robes font toujours cet effet.

— Allez, amusez-vous bien, dit mon père en tenant ma mère par les épaules. Duncan tu te rappelles...

— Je vous appelle en cas de problème !

Une petite voix nous crie d'attendre, c'est Flynn qui court vers nous en pyjama.

— T'es pas au lit, toi ? demandé-je.

Il rit et regarde mes parents qui le couvent du regard.

— Pourquoi tu as mis une robe de princesse ? demande-t-il.

— Je ne suis pas une princesse.

— Si, tu ressembles à une princesse !

— Et est-ce que tu as déjà vu une princesse faire ça ?

Je tire la langue et fait loucher mes yeux, ce qui le fait éclater de rire, comme à chaque fois que je fais ça. Une fois, je lui ai fait croire que mes yeux étaient restés bloqués, il a hurlé tellement fort que maman a cru qu'il s'était blessé.

— Flynn, au lit maintenant ! dit mon père.

— Rhô, râle-t-il. Pourquoi moi je dois toujours aller au lit quand vous, vous vous amusez ?

Mon père lui frotte le crâne, ce qui le fait râler encore plus. Je me baisse pour qu'il puisse me faire un câlin, je lui fais un bisou sur sa petite joue, lui mettant du rouge à lèvre partout. Il ne s'en est même pas rendu compte et je ris intérieurement en imaginant sa réaction quand mes parents vont le lui dire. Nous les saluons et nous mettons à déambuler dans la rue.

— Tu es magnifique, me dit Duncan, brisant le silence.

— Tu dis toujours ça, je réponds en levant les yeux au ciel.

Il s'arrête de marcher et me regarde droit dans les yeux.

— C'est parce que tu l'es toujours. Et pas parce que cette robe est vraiment sexy sur toi ou parce que tu t'es maquillée. Même dans un pyjama troué et avec des nœuds dans tes cheveux, tu es magnifique.

Je rougis, je le sens. Je sens mes joues chauffer et je parierais qu'à cet instant je suis aussi rouge que ma robe.

— Tu dis ça parce que je vais mourir ? demandé-je en riant.

— Non, absolument pas.

— OK, et bien puisqu'on est dans l'instant confidences, sache que toi, tu es vraiment super méga ultra beau. Sans déconner Duncan, t'es tellement sexy avec ton regard qui m'incendie à chaque fois que le poses sur moi et ton sourire qui me fait fondre. Je ne sais pas comment tu fais, ça ressemble à de la sorcellerie en toute honnêteté. Sans parler de ton corps qui me rend folle et de ta manière de rire, oh mon dieu Duncan, tu ne t'en rends pas compte ? C'est trop pour moi, tout ça.

Il écarquille les yeux et je me rends compte de ce que je viens de lui déballer. Il ne faut vraiment jamais me mettre en confiance, je me mets à dire des choses qui n'auraient jamais dû franchir mes lèvres. Est-ce que c'est mal ? Il doit bien s'en douter de toute façon, il doit savoir qu'il me plait. Son sourire s'élargit et son regard devient profond et s'insinue dans le mien.

— Tu parles de ce regard ? murmure-t-il.

— Ouais. Arrête ça Duncan.

— Pourquoi ?

Il se rapproche de moi, son sourire toujours aussi insolent placardé au visage.

— Donc là, t'as genre super chaud, c'est ça ? demande-t-il.

Oui, c'est exact. Pourquoi, bordel, je lui ai avoué une telle chose ? Un conseil, ne dites jamais rien à un mec, il va s'en servir contre vous. Il est tellement proche que je sens son souffle chaud contre ma peau. Et puis, il finit par mettre fin à mon supplice - ou bien à le démarrer, je ne sais pas trop - et m'embrasse, je suis comme liquéfiée sur place, j'ai l'impression que mes pieds sont ancrés dans le béton et que je m'enfonce dans des sables mouvants. Ouais, tout ça en même temps, je vous assure.

Lorsqu'il se détache de moi, il a du rouge à lèvres sur la bouche, ce qui m'amuse.

— Tu t'en es mis partout, lui fais-je remarquer en désignant sa bouche.

— Je m'en doute, répond-il en riant.

Il n'essuie même pas sa bouche, peut-être qu'il compte s'en mettre encore plein. Nous marchons et au bout d'un moment, je remarque que nous arrivons au lycée.

— Emily m'a dit que le proviseur était en colère, dis-je.

— Oh, alors c'est parfait, répond Duncan avec un sourire sadique aux lèvres.

Nous rions et je me rends compte qu'on ne fait pas que passer à côté de l'école, nous nous y dirigeons. Un vertige me vient, je me tiens fermement au bras de Duncan qui s'est arrêté de marcher.

— Hey, ça va ? demande-t-il inquiet.

— Oui, c'est juste un vertige. J'en ai eu toute la journée, je me sens un peu faible malgré mes repas riches.

Il acquiesce et contracte sa mâchoire, je sais qu'il n'est pas du tout rassuré, mais c'est la vérité et il m'a demandé d'être honnête avec lui, ce que je fais.

— Qu'est-ce qu'on fait au lycée ? demandé-je.

— Tu verras ça très vite.

Nous contournons le bâtiment et Duncan ouvre la grande et lourde porte du gymnase. J'ai plusieurs questions. Qu'est-ce qu'on fout dans le gymnase ? Cette porte n'est pas censée être fermée à clef ?

— Cette porte est toujours verrouillée, remarqué-je.

— Ouais, elle l'était. Mais comme je suis super méga ultra beau, elle s'est ouverte direct en me voyant.

Je ris et il fait de même.

— Bon OK, en fait, c'était un peu plus compliqué que ça. J'ai crocheté la serrure et ça m'a pris une heure entière. Je me suis même fait attaquer par un raton laveur qui traînait dans les poubelles. Et ose me dire que ces animaux sont « vraiment trop mignons », parce qu'ils ne le sont pas, OK ? Ils sont le mal incarné.

— D'accord Duncan, je veux bien te croire, dis-je en riant. Mais qu'est-ce qu'on fait ici ?

— Regarde autour de toi.

Je détache mon regard de lui pour regarder l'intérieur du gymnase. Il est plutôt grand, rempli de grandes tribunes ; il y en a assez pour recevoir pas mal de monde pendant les matches de basket. Sauf que le gymnase n'est pas comme d'habitude, il est décoré. Je vois des ballons, des guirlandes lumineuses, des confettis par terre. Je suis émue, parce que jamais personne n'a fait autant d'efforts pour me rendre heureuse. Duncan se donne à fond pour moi depuis qu'il me connait et jamais je ne pourrai le lui rendre.

— C'est merveilleux, dis-je en tournant sur moi-même.

— Et encore, t'as rien vu !

Il appuie sur l'interrupteur de la salle et la lumière s'éteint, elle est remplacée par quelques spots qui donnent tout de suite une ambiance romantique. Il se déplace vers une des tribunes sur lesquelles un ordinateur portable est posé. Il y branche son téléphone et de la musique retentit des enceintes perchées au plafond. C'est grandiose et il a fait tout ça pour moi. Il m'adresse un sourire plus que séducteur et me tend la main :

— Est-ce que tu acceptes d'être ma cavalière ? demande-t-il.

— Évidemment, dis-je en lui prenant la main.

Il m'emmène au centre du gymnase tandis qu'une musique calme et douce retentit. Il pose ses mains sur ma taille, j'enroule les miennes autour de son cou. Son regard est vraiment expressif. J'y lis de la tendresse, de l'amour, mais aussi de la tristesse et de l'inquiétude. Duncan ne se laisse jamais aller devant moi, il ne montre aucun signe d'inquiétude vraiment excessif. Il me demande souvent si je vais bien, mais il ne fond pas en larmes. Ce soir, son regard est différent. Je vois bien qu'il pourrait craquer, je vois de la souffrance. Mais j'espère plus que tout qu'il fait comme moi. J'espère que pendant que nous nous balançons au rythme de la musique, il profite du moment et ne pense à rien d'autre. Il ne doit pas penser à ce qui se passera après.

J'ai moi-même plus que tout envie de fondre en larmes parce que tous ces moments passés avec Duncan étaient parfaits, il a même réussi à réaliser mon plus grand souhait, celui de m'emmener au bal. On pourrait se faire chopper, engueuler et dégager à coups de coups de pied au cul. Mais on s'en fout de ça, parce que l'instant présent est la seule chose qui importe. Je lui souris, je fais de mon mieux pour lui transmettre tout ce que je ressens en un seul sourire, le plus honnête et sincère que j'aurai fait de toute ma vie. J'essaye de lui faire comprendre à quel point je l'aime, à quel point je suis reconnaissante qu'il ait rendu ma vie merveilleuse.

— Duncan ? murmuré-je.

— Oui ?

— Je voulais te dire quelque chose. Tu sais, je... je suis vraiment...

— Adorable quand tu ne trouves pas tes mots ?

— Non ! Je ne sais pas comment te dire ça.

Il plonge son regard dans le mien et je prends une profonde inspiration.

— Alors balance tout, comme tout à l'heure.

— OK. Eh bien, le jour où tu m'as percutée dans le magasin de ton oncle, c'était le plus beau jour de ma vie. Honnêtement, j'avais dans l'optique de t'éloigner le plus possible de moi, parce que je pensais que je ne méritais pas d'être aimée et d'aimer dans de telles conditions. Mais tu as commencé à blaguer, tu as commencé à faire des choses vraiment ridicules, comme quand tu es monté sur cette moto...

— Ce n'est pas très gentil de rappeler les moments gênants, me fait-il remarquer en souriant.

— C'était hilarant et tu vois, j'ai compris que t'étais un mec vraiment cool. Je suis vraiment reconnaissante envers toi d'avoir été un gros lourd. Tu as insisté quand je faisais en sorte que tu restes un ami et ça, c'est la meilleure chose que tu pouvais faire. Parce que tout ce que j'ai vécu avec toi, c'était les expériences les plus folles de ma vie, c'était dément et je recommencerais mille fois si j'en avais l'occasion.

Il plisse les yeux et fronce les sourcils.

— Charlie, serais-tu en train de m'arnaquer ? Je ne voulais pas de lettre d'adieu. T'es en train de m'en faire une à l'oral.

— Laisse-moi finir, s'il te plait ! Tu es la meilleure personne que j'aie rencontrée et ça, c'est le plus beau cadeau que la vie m'ait fait. Je préfère mourir en t'ayant connu que vivre une longue vie morne et sans toi.

— Ne raconte pas n'importe quoi...

— C'est la vérité.

Ses yeux brillent, je sens les miens devenir humides.

— Quand je ne serai plus là, je veux que tu tiennes bon, d'accord ?

— Je ne te promettrai pas cette chose.

— C'est ma dernière volonté, Duncan. Est-ce que tu vas le faire pour moi ? Tu vas vivre chaque jour de ta vie pour moi. Vis tous les jours que je ne pourrai pas vivre comme s'ils étaient tous importants. Fais-le pour moi. Et ne te morfonds pas, je préfère quand tu souris.

Des larmes s'écoulent de ses yeux et je pleure moi aussi.

— S'il te plaît.

— D'accord, cède-t-il.

— C'est bien, lui dis-je avec un sourire bienveillant en passant ma main dans ses cheveux. Je t'aime Duncan.

— Moi aussi, je t'aime Charlie.

J'embrasse Duncan, enroule son cou de mes bras et me blottis contre lui, nous nous remettons à danser. La musique douce me fait du bien. Elle me fait oublier la douleur qui déchire mes entrailles. Mes larmes étaient emplies de tristesse, mais aussi de douleur. Je pense qu'aujourd'hui est mon dernier jour. Je pense que ces larmes sont mes dernières, que ce baiser était le dernier. Je pense que c'est la dernière fois que mon cœur battra contre celui de Duncan, la dernière fois qu'il entendra le son de ma voix et que j'entendrai la sienne. C'est la dernière fois que je lui souris, la dernière fois que j'entends de la musique.

Je pense que mes parents ne me reverront plus mais au moins, notre dernier souvenir tous ensemble était joyeux. Je leur ai dit au revoir comme il se devait. Mes douleurs ont été particulièrement insistantes tout au long de la journée et j'ai senti quelque chose d'anormal comparé à d'habitude. J'ai senti que je me perdais et que je venais au bout de mes forces.

Bientôt, je ferai partie de ces cinquante-neuf millions de personnes qui ont perdu un combat contre la vie. Je ne sais pas quand, mais bientôt. Pas maintenant. Maintenant, je me serre un peu plus contre Duncan, la chaleur de son corps me réconforte. Je ferme les yeux et j'imagine les vagues de Newport. J'imagine que nous courons dans l'eau. Je me souviens quand il m'apprenait à surfer, je me souviens de notre premier baiser dans la maison hantée. Je me souviens de ses yeux humides, de ses larmes à l'instant et de ses sourires charmeurs d'hier.

Je sens mes entrailles me déchirer de l'intérieur, je serre Duncan plus fort. Je crois que je pleure mais ne vous en faites pas, je suis heureuse. Nous sommes là, tous les deux et nous dansons, c'est tout ce qui compte. Nous sommes tous les deux heureux et rien n'est plus important. Je continue de profiter de son étreinte, sentir son odeur, ressentir le réconfort qui émane de lui.

Tout est vraiment parfait.

Publié le 28/02/18

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