29 - Hide and Seek

Pourquoi tout fait aussi mal ? Pourquoi tout est aussi calme ? Pourquoi suis-je encore là, dans un hôpital, branchée dans tous les sens ? Pourquoi le son que produit le monitoring m'est insupportable ?

Je me redresse sur mon lit mais quelqu'un appuie sur mes épaules, me forçant à rester allongée.

- Ne bouge pas, je vais surélever le dossier, dit la voix de mon père.

Je fais ce qu'il me dit, je ne bouge pas et quelques secondes plus tard, je suis surélevée sans effort. Le regard de mon père est inquiet et sa main passe sur mon front puis dans mes cheveux. Il m'adresse un sourire mi triste mi heureux et mon cœur se tord.

- Comment te sens-tu ? me demande-t-il.

Mal. Très mal. Je sens bien l'effet des anti-inflammatoires, cette sensation de bien-être que je ressens est tout sauf normale, elle est superficielle et je ne dois pas m'y fier. Je suis surtout fatiguée. C'est comme si je n'avais pas dormi depuis quelques jours.

- Ça va aller, me contenté-je de répondre.

- Les médecins insistent pour que tu restes ici. Et ta mère est du même avis. Elle pense que ce serait moins douloureux pour toi et plus facile aussi...

- Je veux sortir d'ici.

- Tu sais chérie, je suis le premier à t'avoir poussée à sortir t'amuser et à profiter de ta vie, et je ne regrette pas. Mais aujourd'hui, ton état est assez critique et si jamais tu pousses plus sur tes forces, je ne suis pas sûr que les médecins puissent quelque chose pour toi.

- Je vais mourir de toute façon !

Hausser le ton m'a donné le tournis. Je ferme les yeux et respire tranquillement, je ne dois pas m'énerver.

- Charlie, tu étais seule dans la rue. Si un passant n'avait pas été là pour appeler les secours, qui sait ce qui serait arrivé ? Tu as assez joué, tu dois te reposer.

J'émets un rire nerveux.

- Tu ne penses pas que j'aurai tout le temps de me reposer plus tard ? demandé-je d'un air mauvais. J'aurai le repos éternel.

- Oh non, ne commence pas ce petit jeu avec moi Charlie, ce n'est pas...

- Le bon moment ? m'emporté-je. Papa, tu sais pertinemment que je vais mourir, ce n'est plus qu'une question de jours, ça sera peut-être aujourd'hui, peut-être demain !

Il baisse les yeux et je l'entends souffler. Oh, je vois.

- Les médecins me donnent combien de temps ? demandé-je en fermant les yeux.

- Ce n'est qu'une estimation, tu le sais...

- Combien ?

- Moins d'une semaine.

Je le savais. Je ne peux pas dire que ça ne me fait pas mal, l'entendre de vive voix, ça ne peut que faire mal. Mais d'un côté, je m'en doutais.

- Mais ils disent que tu peux vivre un peu plus longtemps si tu te ménages.

- Pour obtenir deux jours de plus ? demandé-je sèchement. Entre vivre une semaine et demie cloîtrée dans un hôpital et vivre deux jours dehors avec ceux que j'aime, je prends la deuxième option. Je m'en fous du temps qu'il reste, tu comprends ? À partir du moment où c'est foutu, qu'est-ce que ça importe, d'à quel point c'est foutu ? Je vois une différence entre vivre et vivre. Est-ce que tu la vois, papa ?

Ses yeux sont brillants, je sais que j'y vais un peu fort, mais il est empli d'un mauvais espoir que les médecins lui ont donné. Je sais qu'ils pensent tous bien faire, mais à ce stade je n'ai pas besoin ce tout ça. Vous me trouvez peut-être inconsciente. Ou il se peut que vous me compreniez. Mon père laisse ses larmes s'écouler et sinuer sur ses joues, prend mes mains dans les siennes et pince les lèvres.

- Je la vois, dit-il.

- Est-ce que tu vas me laisser sortir ?

- Si c'est ce que tu veux.

Je le remercie d'un sourire et Flynn entre dans la chambre.

- Charlie ! crie-t-il en se ruant vers moi.

- Doucement mon grand, le prévient mon père. Où est maman ?

- Elle parle avec le docteur, il a dit que Charlie ne rentrait pas à la maison.

J'appuie mon père du regard, il fronce les sourcils et frotte les cheveux de Flynn qui râle.

- Je vais arranger ça, me dit-il.

Il s'en va et Flynn me fixe avec ses grands yeux qui font la navette entre moi et tout le matériel médical qui m'entoure.

- C'est quoi ça ? demande-t-il en désignant le monitoring.

- C'est pour surveiller les battements de mon cœur.

- Et ça ?

Cette fois il désigne une poche remplie d'un liquide transparent qui est reliée à moi.

- C'est... je t'avoue que je ne sais pas vraiment ce qu'il y a dedans. Probablement des médicaments.

- Est-ce que tu as mal ? Si tu as mal, je peux te faire un bisou magique, tu sais, ça marche pour de vrai, affirme-t-il en hochant la tête d'un air certain.

Je ris en voyant l'innocence et la candeur de mon frère. Si seulement mes maux pouvaient se soigner avec des bisous magiques. Je me penche pour que mon visage soit à sa hauteur et je pointe ma joue du doigt pour qu'il vienne me faire un bisou magique, ce qu'il fait. Ma joue est toute mouillée, comme à chaque fois. Pourquoi les enfants bavent autant ?

- Flynn, quand tu seras plus grand et que tu feras un bisou à une fille, tu essayeras de ne pas baver, d'accord ?

Il rigole et je fais pareil. Flynn s'arrête, fait un large sourire et se remet à rire, je me demande à quoi il pense.

- Charlie, on pourrait faire une blague à papa et maman ! s'exclame-t-il.

- Quel genre de blague ?

- Je pourrais me cacher et toi, tu dis que j'ai disparu ! dit-il euphorique.

Dois-je répéter que cet enfant est démoniaque ? Sérieusement, quelque chose ne tourne pas rond chez lui.

- Flynn, c'est horrible. Ils vont s'inquiéter et maman va se mettre à hurler. Tu sais, perdre son enfant, ce n'est pas quelque chose de super drôle...

- Oui, mais ils vont savoir que je me suis caché !

- Non, ils vont plutôt appeler la police.

- S'il te plaît, dis oui, me supplie-t-il en usant de son regard maléfique et adorable.

- OK, mais si ils s'inquiètent trop, je leur dirai que tu t'es caché.

Il bat l'air de son poing et pousse un cri euphorique. Et puis, il se met à courir dans tous les sens dans ma chambre, il cherche une cachette. Il se met d'abord derrière le rideau, puis sort de là car ce n'est pas une assez bonne cachette d'après lui.

- Va sous le lit.

Il sourit et s'exécute. Je l'entends rire sous le lit et si je n'étais pas au courant qu'il s'agit de Flynn qui joue à cache-cache, j'aurais trouvé ça super flippant. À peine quelques minutes après, mes parents arrivent dans la chambre, accompagnés de Duncan qui m'adresse un large sourire. Je ne l'ai pas vu depuis hier, depuis que je suis allée faire des emplettes au drugstore.

- Bon, les médecins sont plutôt contre, mais on leur a fait appeler le Docteur Michaels qui a appuyé notre demande et tu pourras sortir dans la journée, annonce ma mère.

- Super !

- Où est Flynn ? demande-t-elle en tournant sur elle-même, parcourant la chambre du regard.

- Il est sorti vous rejoindre. Vous ne l'avez pas vu ?

Ma mère se décompose et je m'y attendais. Elle plisse les yeux et finit par les lever au ciel. Elle sort de la chambre et revient quelques secondes plus tard.

- Charlie, est-ce que tu es sûre qu'il est sorti ? Il n'est pas dans le couloir.

- Oui...

- Il n'a pas dû aller bien loin, tente de la rassurer mon père. Viens, on va le chercher.

Il est resté bien calme, contrairement à ma mère qui est sur le point de faire une syncope. Duncan semble impliqué et inquiet :

- Je vais vous aider à chercher !

- Non !

J'ai crié en lui attrapant la main, ils me regardent tous trois comme si j'étais folle. Je tente d'avoir l'air calme.

- Reste avec moi, lui demandé-je en le suppliant du regard.

Mes parents n'attendent même pas sa réponse, ils s'en vont chercher mon frère. Duncan a l'air nerveux, je lui adresse mon plus beau sourire pour qu'il se détende.

- T'es super bizarre, remarque-t-il.

- Flynn est sous le lit.

- Quoi ?

Il s'est baissé pour regarder sous le lit et j'entends mon frère rire. Lorsqu'il se relève, il fronce les sourcils.

- Tes parents sont déjà en train de perdre un enfant et donc toi, tu leur fais croire qu'ils ont perdu le deuxième ? C'est...

- Cruel ? C'est une idée de Flynn.

J'hausse les épaules et esquisse un sourire. Ils seront énervés quand ils l'apprendront, mais dans quelques années, ils en riront bien, c'est toujours comme ça.

- Est-ce qu'on pourra se voir quand tu rentreras ? me demande Duncan avec un regard suppliant.

Je ne sais pas pourquoi il pense qu'il est utile d'user de ce genre de regard sur moi, je vous l'ai déjà dit, il a juste à respirer et cligner des yeux pour que j'accepte tout et n'importe quoi.

- Bien sûr.

Papa et maman reviennent dans la chambre, ils ont l'air moins tendus que lorsqu'ils en sont sortis.

- Je crois qu'on a foiré quelque chose dans l'éducation de nos enfants, dit mon père à ma mère.

- Oui, je pense aussi, confirme-t-elle.

De quoi est-ce qu'ils parlent ? Mon père s'active dans la chambre, il ouvre la porte de la petite salle de bain attitrée à la chambre, la referme et soulève le rideau de la chambre.

- Oh Flynn, je me demande bien où est-ce que tu te caches ! dit-il d'un air théâtral.

Il finit par s'accroupir et passer la tête sous le lit. J'entends Flynn crier et rire, mon père fait de même, ainsi que ma mère.

- Comment tu as su ? lui demandé-je.

- Je me suis rappelé cette fois où tu avais maquillé Flynn pour qu'on pense qu'il s'était blessé. Et puis s'il était sorti de la chambre, on l'aurait vu, puisqu'elle se trouve dans un cul de sac.

Flynn et mon père se chahutent tandis que ma mère les observe avec un regard bienveillant.

*

Ça ne fait que quelques heures que je suis sortie de l'hôpital, je m'active déjà. J'ai fini de ranger ma chambre, j'ai retrouvé plein de choses ; des livres que je pensais perdus, des chaussettes que je pensais perdues et encore d'autres choses... que je pensais perdues. J'ai l'impression d'être dans un lieu inconnu, sérieusement. J'entends mon père m'appeler d'en bas :

- Charlie, t'as de la visite !

- J'arrive !

Il ne me reste plus qu'à faire mon lit, je crois que la dernière fois que je l'ai fait, ça remonte à mes dix ans. Pourquoi le faire alors que je vais le défaire le soir même ? Vous êtes probablement en train de lever les yeux au ciel en ce moment même, mais sachez qu'en consacrant deux minutes par jour à faire son lit - je ne parle pas des gens comme Duncan qui font probablement leur lit en moins de trente secondes, je parle pour nous, les gens bordéliques - vous en perdez sept cent trente par an. Depuis ces sept années durant lesquelles je n'ai pas fait une seule fois mon lit, j'ai économisé cinq mille cent dix minutes, ce qui équivaut à trois jours et demi. Ce n'est pas rien, vous savez !

Alors que je me débats avec mon drap, je sens des mains m'encercler la taille et une sensation agréable dans mon cou qui me provoque des frissons dans tout le corps. J'en lâche mon drap et me tourne pour faire face à Duncan et son sourire insolent. Je l'embrasse et me détache de lui :

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- On sort, il reste des choses sur la liste. Est-ce que tu te sens bien ? me demande-t-il.

- Oui Duncan, ça va aller, ne t'inquiète pas !

- Non, je ne parle pas de ça. Ta chambre est rangée. Et t'es même en train de faire ton lit. Est-ce que tu as pris ta température ? Tu n'aurais pas dû quitter l'hôpital...

Je le bouscule tandis qu'il rit.

- Je fais des efforts, je te signale.

- Je remarque surtout que tu ne sais pas faire ton lit. À quel âge on apprend ce genre de chose, déjà ?

Je fais mine de bouder, ce qui l'amuse encore plus.

- Laisse faire le pro.

Je le laisse faire et c'est exactement ce que je vous disais, en dix secondes, mon lit est parfaitement fait. Je me prépare à sortir, je me demande où il a cette fois décidé de m'emmener. Je me demande aussi si je réussirai à passer le barrage de l'entrée, autrement dit, mes parents super inquiets.

- Vous sortez ? demande mon père.

- Oui, je réponds.

- OK. Duncan, tu la ramènes en un seul morceau, c'est compris ?

- Oui monsieur.

Il a joint à sa parole un geste digne d'un soldat, la main sur la tempe, ce qui a fait rire mon père. Je ne m'attendais pas à ce qu'on passe le barrage si facilement.

Alors que nous descendons la côte et arrivons dans un quartier plutôt animé, ma curiosité s'accroît. Je n'ai pas le temps de me poser un million de questions puisque nous nous arrêtons rapidement devant une boutique dont l'enseigne est un néon bleu. J'y lis « tatouages et piercings ». Une panique s'empare de moi, je vais vraiment me faire tatouer.

- T'as la trouille ? me demande Duncan avec un air de défi dans la voix.

Je ne peux m'empêcher de penser à cette fois à la fête foraine où nous nous accusions mutuellement d'avoir peur pour nous motiver.

- Non, bien sûr que non !

- Ne t'inquiète pas, je te tiendrai la main quand tu pleureras, me taquine-t-il.

- C'est plutôt toi qui vas pleurer.

Nous rions et entrons dans le petit salon.

Publié le 17/02/18

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