28 - Farewell
Ces deux derniers jours ont été plutôt mouvementés pour moi. Hier, avec mes parents et Flynn, nous avons rendu visite à mes grands-parents. La première heure était assez déprimante je dois l'avouer, et puis quand j'ai dit à grand-mère qu'elle pouvait me retirer de son testament, tout le monde m'a regardé sans rien dire et le temps semblait s'être arrêté. Elle a été la première à rire et les autres ont suivi. Enfin, sauf maman, elle ne se fait toujours pas à cette forme d'humour.
Quant à aujourd'hui, je suis restée avec mes parents, nous avons rattrapé le temps perdu et je dois dire que c'était très agréable. Ils ont essayé d'aborder avec moi le sujet de mon décès imminent, ils m'ont demandé si j'avais des souhaits particuliers, tout en ayant les larmes aux yeux. Maintenant que vous me connaissez bien, vous savez ce que j'ai fait. Je me suis fermée comme une huître. Je leur ai dit que je ne voulais pas aborder ce sujet, trop étrange pour moi. Mais je sais qu'ils ont besoin que je fasse ça pour eux. Il le faut.
Me voici donc devant une feuille depuis maintenant deux heures. Deux heures que je m'arrache les cheveux sur ça ; encore plus compliqué que la plus compliquée des dissertations que j'ai eue à faire. Qu'est-ce que je suis censée écrire sur cette fichue feuille ? Est-ce que je préfère me faire enterrer ou me faire incinérer ? Ou encore offrir mon corps à la science ? L'idéal serait qu'on envoie ma dépouille dans l'espace, pour que je me désintègre parmi les étoiles.
Et puis, je suis trop jeune pour faire un testament, je n'ai rien à léguer. Flynn sait qu'il peut récupérer tout ce qu'il veut dans ma chambre et j'ai déjà donné mon cœur à Duncan. Qu'est-ce qu'il me reste ?
Soudainement, j'ai une idée. Je vais faire la chose la moins originale qui soit, mais au moins, c'est adapté. Je vais écrire une lettre.
Après une heure passée dessus, je suis plutôt satisfaite du résultat, je la relis une dernière fois avant de la mettre dans une enveloppe :
« Maman, papa, Flynn.
Je sais ce que vous vous demandez, mais je n'ai pas envoyé cette lettre de l'au-delà, j'ai fait mieux : j'ai demandé au service postier de l'envoyer deux semaines après ce jour. Maligne, n'est-ce pas ? À l'heure où vous lisez ça, vous êtes probablement dévastés, vous pleurez peut-être beaucoup et regardez des photos de moi en vous rappelant quand j'étais encore là. Mais vous avez interdiction de faire tout ça, parce que premièrement, c'est bien trop déprimant et deuxièmement, ça ne me ramènera pas.
Alors bien sûr, vous avez le droit d'être triste, j'étais tout de même la meilleure fille, celle que tout parent rêverait d'avoir ! Mais vous devez surtout vous dire que là où je suis maintenant, je vais mieux. Je ne suis plus malade, je n'ai plus aucune douleur ni peine. Si je n'ai plus mal, alors vous non plus, vous ne devez plus souffrir.
Papa, je voulais te dire que tu es le meilleur père que l'univers ait porté. Et puis tes chemises ne sont pas si moches que ça. Juste un peu. Mais si tu veux me faire plaisir, continue de mettre tes sweats de l'équipe de soccer de Portland, ils sont bien plus cools. Tu remarqueras aussi que j'ai rangé ma chambre, comme ça vous aurez moins de mal à y entrer, ça fait tout de suite moins personnalisé. C'est vrai quoi, tout est à sa place, qui croirait qu'il s'agit de ma chambre ?
Maman, tu es toi aussi la meilleure maman, même si tu n'arrives toujours pas à réussir tes lasagnes maison après une vingtaine de tentatives, mais ne t'inquiète pas, tu m'as donné tout l'amour dont un enfant a besoin pour son épanouissement et ça, ça vaut plus que les lasagnes.
Flynn, à l'heure où j'écris ça, tu ne lis pas encore très bien alors je compte sur papa et maman pour t'en toucher deux mots. Je retire toutes les méchancetés que je t'ai dites, tu es le petit frère le plus génial, même si j'ai parfois eu envie de t'exiler en Alaska. Tu peux récupérer tout ce qui te fera plaisir dans ma chambre, même mon appareil. J'espère que tu feras des jolies photos, et ne t'en sers pas pour photographier l'intérieur de tes narines !
Vous êtes tous parfaits et je vous aime, je regrette ne pas avoir eu assez de temps pour vous le prouver. Vous m'avez offert la meilleure vie possible, alors vous devez être heureux à votre tour et avancer.
Adieu, Charlie. »
Une larme s'échappe de mon œil, je la balaye de ma paume et plie la lettre en trois pour la ranger dans l'enveloppe. J'y écris mon adresse et il ne manque plus qu'un timbre. Je m'empresse d'aller au drugstore pour en acheter, nous n'en avons pas.
Alors que je descends la côte qui me mène au magasin, je suis plus attentive à ce qui m'entoure. Je me rends compte que tout est beau. Les arbres sont magnifiques, avec leur feuillage jaune et orange, on croirait qu'ils brûlent lorsque le vent les fait bouger. Le ciel gris est terne, il ne laisse aucun rayon du soleil passer à travers ses nuages de formes diverses et variées ; ils me font penser à du coton, j'ai toujours aimé les regarder.
Je dépasse un couple qui rit, ils ont l'air heureux et ils ont l'éternité pour rire et s'aimer. Je les envie, tout comme j'envie les nuages et les feuilles qui se renouvellent et ne disparaissent jamais réellement.
J'ignore la douleur que je sens poindre dans mon dos et dans mon abdomen, je tire la porte du drugstore, provoquant un tintement aigu, signalant la venue d'un nouveau client. Harry qui est occupé à organiser le rayon des boissons me salue, je fais de même. Avant d'aller à la caisse, je me dirige au rayon des confiseries et je prends tous les Reese's en rayon ; une quinzaine. Alors que je m'avance à la caisse, Duncan est en train d'encaisser un client. Il a décidé d'aller travailler hier et aujourd'hui, puisque je passais du temps avec ma famille.
Lorsque son client s'en va et qu'il me voit, il m'adresse un sourire doux et se penche pour m'embrasser.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée que tu manges tout ça... commence-t-il d'un air inquiet en voyant tous les sachets de chocolats que j'ai posés sur le comptoir.
— C'est pour Flynn, je voulais lui faire plaisir. Et j'aurais besoin d'un timbre, s'il te plaît.
Duncan scanne mes articles et me tend un timbre, en plissant les yeux. Il se demande probablement ce que je compte faire avec ça.
— Je peux savoir ce que tu fabriques ? demande-t-il méfiant.
— Je... j'ai fait une lettre d'adieu. Pour ma famille. Et je vais la faire envoyer chez moi.
— C'est bien, me dit-il sans se départir de son sourire doux.
Et puis son sourire disparaît et il fronce les sourcils :
— Pitié, dis-moi que tu n'en as pas fait une pour moi aussi...
— Non.
— Très bien. C'est trop triste, je ne veux pas de lettre d'adieu. Si tu as des choses à me dire, et bien je préfère que tu me les dises de vive voix. Parce que me connaissant, je serais capable de lire ta lettre tous les jours et de devenir complètement taré.
— Je ne t'en ferai pas, le rassuré-je. Respire, Duncan !
Il rit nerveusement et me tend un sachet contenant tous mes articles après m'avoir encaissée.
Une fois à la maison, je donne les chocolats à Flynn, qui hurle de joie, tandis que papa hausse le son de la télévision et que maman se plaint d'une migraine fulgurante. Je frotte la tête de mon frère pour l'entendre râler une dernière fois et m'empresse de coller le timbre sur ma lettre.
Je ressens une sensation étrange, c'est comme si un étau m'enserrait la poitrine, je me sens à la fois libérée d'un poids et anxieuse, comme si quelque chose de mauvais se profilait, sans que je ne puisse l'expliquer. J'avale mes médicaments pour calmer mes douleurs et m'empresse d'aller poster ma lettre.
C'est fait. La lettre est postée, je ne peux plus revenir en arrière. Dans deux semaines, elle arrivera à la maison, ma mère récupèrera le courrier sur le perron et reconnaîtra mon écriture. Elle croira peut-être à une blague, elle appellera mon père et tous deux découvriront ce que j'ai écrit.
Pourquoi deux semaines ? C'est évident que je ne vivrai pas plus. Même si mon temps de survie est très aléatoire, je sais analyser mon corps. Je ne me sens pas aussi bien qu'il y a trois semaines. Je suis bien plus faible, j'ai de plus en plus de douleurs. Je suis de plus en plus en proie à des problèmes gastriques, ce qui m'affaiblit davantage. Je me sens partir à petit feu, je me sens mourir. Je serais folle de le nier et de penser que je tiendrai deux semaines de plus. Je sais que je ne serai bientôt plus de ce monde.
Mon corps m'en fait voir de toutes les couleurs, comme actuellement. Alors que je remonte la côte qui mène à chez moi, ma tête se met à tourner, je suis prise d'un vertige. Je me tiens au lampadaire qui surplombe le trottoir. J'entends du bruit, trop de bruit. Des voix, des sons. De la panique, de l'empressement. On me touche, je me débats, ne me touchez pas.
Quelqu'un serre mon épaule, une sensation d'inconfort s'empare de moi. Une douleur lancinante se diffuse dans mes rotules, je crois que je suis tombée, je suis trop faible pour réfléchir. Les sons se mélangent tout autour de moi et même si j'essayais de comprendre quelque chose, ce serait impossible. Parce que le monstre est en train de m'attaquer et je ne peux rien contre lui, il occupe toutes mes pensées, il contrôle mon corps, mes émotions, mes douleurs. Il devient de plus en plus fort et un jour il me tuera. Ce sont mes dernières pensées avant que tout ce que je n'entende soit mon cri, je pense au monstre et à sa force ; il est devenu trop fort.
Publié le 11/02/18
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top