26 - Truth
Il est dix-neuf heures et comme Duncan me l'a demandé, je suis prête. J'ai passé la journée à jouer avec Flynn, on a construit une cabane en carton, puis je m'y suis cachée tandis qu'il me tirait dessus avec son pistolet qui projette des balles en mousse. Je n'ai pas pu m'empêcher de ressortir mon appareil photo à impressions instantanées pour nous immortaliser en faisant les imbéciles. Sur l'une d'elles, Flynn fait un large sourire et a rentré son doigt dans mon nez tandis que j'écarquille les yeux, étonnée par son geste. Je crois que c'est ma préférée. Il m'a demandé de les accrocher dans sa chambre, alors je les ai collées sur son mur au-dessus de son lit et j'y ai ajouté celles en famille que je possédais déjà.
J'arrange mon pull en maille rouge et je réarrange mes cheveux de mes doigts. Vous voyez, je fais des efforts. Et puis je ne sais pas où compte m'emmener Duncan, ça pourrait être n'importe où avec un être aussi imprévisible que lui. Je me suis aussi légèrement maquillée, juste pour masquer mes cernes, mon teint cadavérique et redonner vie à mon regard fatigué. J'entends le carillon de la porte, ça doit être lui, alors je m'empresse de dévaler les escaliers.
Lorsque j'ouvre la porte, je le vois, tout sourire, les mains dans les poches. Il s'est changé, il porte un pull bleu marine et un jean qui lui sied à merveille.
— T'es prête ? me demande-t-il.
— Oh que oui elle l'est, dit mon père en passant derrière moi. Salut Duncan.
Ce dernier lui adresse un signe de main, on dirait deux amis de longue date. Mon père se place à côté de moi et s'appuie sur le chambranle de la porte, les bras croisés sur son torse.
— Alors, vous allez où ? demande-t-il.
— C'est une surprise, lui répond Duncan.
— Oh, je vois. Amusez-vous bien en tout cas.
— On n'y manquera pas et... il se peut que Charlie rentre tard, est-ce que ça pose un problème ?
Mon père balaye l'air de sa main.
— Aucun problème, mais pense à m'appeler s'il y a un problème.
— Merci monsieur et ne vous en faites pas.
— Allez, filez.
J'embrasse mon père et à peine ai-je mis les deux pieds sur le seuil, il referme déjà la porte. Duncan commence à marcher tranquillement, je le suis.
— Je rêve ou mon père vient juste de me mettre à la porte ? demandé-je en riant.
Il se retourne pour regarder ma maison et rit.
— On dirait bien. J'aimerais bien t'embrasser, mais il se trouve que tes parents sont en train de nous mater par la fenêtre de ton salon.
Je me retourne et lorsque mes parents voient qu'ils ont été démasqués, je vois le rideau blanc bouger et recouvrir la fenêtre, ce qui me fait rire. Nous déambulons dans mon quartier, nous n'allons pas en direction de là où la ville est la plus vivante, nous déambulons juste entre les maisons.
— Maintenant, je pense que mes parents ne nous voient plus, décrété-je.
— Tu as raison.
Il me prend la main et nous nous arrêtons de marcher. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, il s'approche de moi, accentuant la tension que je ressens déjà en moi ; maintenant, c'est mon ventre qui en pâtit, il se tord dans tous les sens. Duncan s'approche considérablement de moi, son front est posé contre le mien et nos nez se touchent. Il ne m'embrasse cependant pas, j'ai l'impression qu'il essaye de me rendre folle.
J'ouvre les yeux et je vois un sourire dessiné sur ses lèvres incroyablement attirantes.
— Je t'embrasserai si la surprise se passe bien.
— Quoi ? m'exclamé-je en m'éloignant subitement de lui. Mais si c'est ta surprise, il ne tient qu'à toi qu'elle se passe bien. Je ne comprends pas très bien.
— Tu vas comprendre.
Il se remet à marcher et je le suis tout en cogitant. J'ai des questions plein la tête, je me demande ce qu'il manigance, je me demande quel genre de surprise il me réserve.
Nous passons dans le quartier d'Emily et mon cœur se serre lorsque nous passons devant sa maison. Je baisse la tête, je préfère faire comme si ce lieu m'était indifférent, au cas où elle serait en train de regarder par sa fenêtre.
La vérité, c'est que je me trouve horrible. J'ai éloigné Emily et Blake pour leur bien, en leur faisant du mal, mais j'ai laissé Duncan entrer dans ma vie et y prendre une place considérable. Je vais vous faire un résumé simple de mon ressenti. À gauche, il y a mon amitié avec Emily et Blake, à droite, il y a la benne à ordures et au milieu, il y a moi. J'ai pris l'amitié qui nous unissait tous les trois et j'ai fait un magnifique dunk avec dans la benne à ordures.
Duncan s'arrête de marcher, mais je continue, alors il m'attrape par le poignet, me forçant à me stopper. Est-ce qu'on pourrait s'arrêter ailleurs, pitié ?
— Duncan, tu fais quoi ? C'est la maison d'Emily, il faut qu'on avance ! chuchoté-je.
— Je sais que c'est la maison d'Emily.
— Quoi ?
Ma mâchoire s'en décrocherait presque. Qu'est-ce qu'il entend par « Je sais que c'est la maison d'Emily » ?
Réponse a, il m'a caché qu'il la connaissait et il a des choses à m'avouer.
Réponse b, je suis en plein cauchemar.
Réponse c, il m'a tendu une embuscade, un piège, c'est un gros couteau qu'il me plante dans le dos.
Alors ? Vous l'avez ? C'est la réponse c, Duncan m'a amenée là avec une idée bien précise derrière la tête.
Réponse c, avec un C comme «Connerie», un C comme «C'est pas la peine de te mêler de mes affaires, Duncan, vraiment», un C comme «Charlie est dans la merde».
— Alors, c'est quoi le plan ? lui demandé-je avec un rire amer.
— Tu dois dire la vérité à tes amis. Ils doivent savoir, tu dois leur dire au revoir comme il se doit.
— C'est sympa, mais c'est pas à toi de t'occuper de ça ! m'énervé-je. Je les ai merveilleusement bien éloignés, ils sont censés me détester. Et tu sais quoi ? Depuis le jour où j'ai insulté Emily, elle n'a plus cherché à me joindre, ni elle ni Blake. Ils m'ont oubliée, ils s'en sont remis et tu vois ce que j'ai fait, ça parait malsain, mais j'ai juste fait en sorte de les protéger !
— Charlie...
— Et puis comment t'as eu son adresse ?
Je me pose vraiment la question. Soit j'avais raison à propos de ma théorie sur le fait qu'il travaille pour la CIA, soit il est devin.
— Eh bien quand tu étais à l'hôpital, j'ai pris ton téléphone et j'ai trouvé le numéro de tes amis. Je les ai appelés.
Je me sens tellement énervée que je ne sais pas quelle information traiter en première.
— Tu as fouillé dans mon téléphone ? m'indigné-je.
— Oui, répond-il comme si c'était quelque chose de banal.
— Comment tu as pu y accéder ?
— Je sais ce que t'es en train de faire, me dit-il en plissant les yeux.
— Quoi ? Qu'est-ce que je suis en train de faire, Monsieur je sais tout sur tout et mieux que les autres ?
— Tu crées une dispute pour échapper au sujet initial. Je te connais bien maintenant, je sais que tu pourrais hurler et me reprocher un tas de trucs pendant deux heures si ça peut t'empêcher d'entrer dans cette maison.
— Comment tu as pu te permettre de les appeler ? lui craché-je.
— Pour information, c'est toi Madame je sais tout sur tout et mieux que les autres, tu penses savoir ce qu'il y a de mieux pour tes amis mais au fond, tu sais que tu fais une grosse erreur.
Il a raison, c'est une grosse erreur. Il a raison sur tout.
— Tu veux que je te remette les idées en place ? Tu aimes tes amis, tu as pensé bien faire en les éloignant mais tu sais que ce n'est pas la solution. Tu les as juste fait fuir tout comme moi, mais au fond, tu te fais du mal à toi-même. Alors oui, j'ai pris ton téléphone, j'ai fouillé dedans pour trouver le numéro de tes amis et je sais très bien que tu n'en as strictement rien à foutre, n'en fais pas une affaire. Et pour info, ta date de naissance pour un code, c'est vraiment pourri !
C'est maintenant lui qui s'énerve. Je vous l'accorde, j'ai un sale caractère et celui qui passe à travers est bien courageux. Duncan est courageux. Depuis qu'il me connait, il fait tout pour rendre ma vie merveilleuse et moi, je fais quoi ? Je me la joue égoïste.
Je respire un grand coup.
— Je suis désolée, marmonné-je.
— Pardon, tu dis ? demande Duncan en regardant le ciel.
— Est-ce que tu es sérieux ? m'offusqué-je.
Il ne me répond pas, il fait comme si je n'existais pas. J'ai trouvé plus malin que moi au jeu du « Qui sera le plus insupportable ? ».
J'attrape sa mâchoire de ma main droite et la fais pivoter vers moi ; ses yeux se plantent dans les miens, je pensais qu'il faisait semblant d'être en colère mais la puissance de son regard qui me lacère comme des lames me prouve qu'il a bel et bien été vexé.
— Je suis désolée, répété-je.
Il ne répond pas et sa mâchoire se contracte.
— Tu me pardonnes ? demandé-je d'une petite voix et avec un regard de chien battu du même genre que ceux de Flynn quand il se fait engueuler.
— Si tu vas parler à tes amis.
— Oh, du chantage ? Très original !
— C'est ça où je reste fâché.
Il n'est question que de fierté à cet instant. J'ai envie de renouer avec mes amis, je me sens prête pour leur dire la vérité. Mais le côté manipulateur de Duncan me donne envie de résister et de le pousser à bout ; j'ai l'esprit de compétition, que voulez-vous ?
— OK t'as gagné ! dis-je en levant les mains au ciel.
Un large sourire apparait sur son visage et son regard redevient doux, comme s'il n'avait jamais été empli de colère juste avant.
— Sage décision, dit-il. Et au fait, j'étais pas vraiment fâché.
Je lui envoie un coup dans le bras, il fait semblant d'avoir mal, comme la dernière fois. Il me raconte qu'il a appelé Emily, puis Blake. Il s'est présenté à eux et s'est arrangé pour qu'ils acceptent de me revoir sans pour autant leur dire que j'étais malade. D'après lui, ils n'étaient pas en colère, seulement déçus et dans l'incompréhension la plus totale. Dans cette maison, il y a Emily et Blake. Moi, je viens leur apporter la vérité et mes membres commencent à trembler.
Je sais très bien que ça va vite devenir larmoyant, tout le monde va pleurer, moi comprise. Tout ce que je voulais éviter.
Nous nous trouvons devant la maison de mon amie, je suis totalement tétanisée. Je sens la main de Duncan s'emparer de la mienne, il effectue une légère pression dessus, comme pour me rassurer. J'appuie sur la sonnette de ma main libre.
La porte ne s'ouvre pas. L'attente me semble interminable, mais c'est très probablement le stress qui ralentit le temps, qui le fait passer trois fois plus lentement que la réalité.
Finalement, la porte s'ouvre et mon amie se tient en face de moi. Ses cheveux roux sont attachés en une queue de cheval à la va-vite. Elle ne me sourit pas, elle ne me fusille pas du regard. Elle me regarde juste, le plus simplement possible.
Nous nous fixons pendant quelques secondes et puis elle finit par se décaler de l'entrée et ouvrir plus grand la porte.
J'entre chez elle, dans cette maison qui m'est si familière, dans laquelle j'ai passé tant de temps à rire, pleurer ou à regarder la télévision pendant des heures. J'avance jusqu'au salon au bout du couloir et je vois Blake, qui a l'air de faire la gueule, contrairement à Emily.
Le moment qui suit est des plus gênants. Personne ne parle, personne ne bouge. Nous nous regardons juste. Emily finit par s'affaler dans un des canapés, Blake s'installe à côté d'elle. Alors je prends le canapé d'en face, Duncan s'assoit à mes côtés.
— Il a dit que tu voulais nous voir, dit-elle en désignant Duncan du menton.
Je regarde ce dernier, il hoche la tête pour me signifier que tout va bien.
— Ouais, euh... Je suis désolée.
Emily se mord la lèvre et Blake prend son visage en coupe dans ses mains, il a l'air de sacrément s'ennuyer. Mais c'est tout Blake ça, je le connais bien. Quand il n'est pas satisfait, il aime montrer son mécontentement. Il ne crie pas, il ne s'énerve pas. Non, il vous montre à quel point son temps est précieux, il vous montre que vous lui faites perdre du temps et il aime donner l'air de se foutre de tout. Si je ne le connaissais pas si bien, je me sentirais probablement vexée par son comportement.
— Emily, ce que je t'ai dit chez moi, je ne le pensais pas.
— Ah bon, ça semblait tellement réel pourtant ! s'emporte-t-elle.
— Oui, c'était fait exprès, je voulais que tu m'en veuilles, je voulais que tu me détestes. Mais je suis désolée, je ne pensais pas un traitre mot de ce que j'ai dit. Quant à toi Blake, je suis désolée d'avoir dit que tu étais un abruti. C'est vrai, tu en es un, mais un gentil abruti.
Un sourire se forme sur ses lèvres pendant une fraction de seconde, je sais comment lui parler. Il le fait disparaitre immédiatement, conscient qu'il a fait une erreur. Il tente de prendre un air fâché, alors je fais la même chose. Toutes les fois où il a fait mine de s'ennuyer ou d'être en colère, je l'imitais pour lui montrer à quel point son comportement était stupide. Et à chaque fois, on finissait par rire et se taquiner. Il fronce encore plus les sourcils, je fais de même. Il finit par rire et semble soudainement plus détendu. Emily le fusille du regard et prend un air mauvais.
— Pourquoi tu es là ? Pourquoi tu m'as dit toutes ces choses si tu ne les pensais pas ? demande-t-elle.
Allez Charlie, tu peux le faire. Inspire, expire, inspire, parle.
— Mon but était de vous éloigner de moi parce que... Il y a deux semaines, j'ai appris que j'étais malade. Et je vais mourir. Surprise ! ajouté-je d'un air faussement joyeux.
Pendant un instant, personne ne parle et tous me fixent comme s'ils n'avaient pas compris ce que j'avais dit.
— Quoi ? Mais... Tu veux dire que... Non. Mais qu'est-ce que tu racontes, bordel ? s'énerve Emily.
— C'est mon pancréas. Il est tout pourri, cet enfoiré. Le médecin dit que j'ai une maladie de vieux et qu'il n'y avait aucune raison que ça m'arrive mais comme j'ai la poisse...
— Juste... arrête de parler, me coupe-t-elle.
Elle s'est levée et se met à tourner en rond dans le salon, sa tête dans les mains. Elle répète « Non, non, non, non, non ». Elle s'arrête subitement de marcher, je vois ses yeux briller et son visage se déformer à cause de la colère.
— Pourquoi tu n'as rien dit ? hurle-t-elle.
— Le plan, c'était que tous les deux vous m'oubliiez et que personne ne soit triste.
— Mais comment aurais-tu voulu que ça fonctionne ? crie-t-elle. Ça fait deux semaines que tu ne viens plus en cours, j'ai pensé que tu avais rencontré des gens louches et que tu avais décidé de devenir une rebelle ! Il y a des rumeurs sur toi au lycée, ils disent que tu t'es suicidée ou encore que tu t'es enfuie de la ville et moi, en conne que j'étais, je te défendais coûte que coûte alors que tu me cachais la vérité !
Un silence s'abat sur la pièce et rien que je ne pourrai dire n'arrangera les choses. Je sens toujours la main chaude de Duncan autour de la mienne, m'enveloppant et créant une sensation de réconfort en moi. Quant à Blake, il reste mutique et regarde le vide.
Personne ne parle et cinq minutes sont passées d'après l'horloge analogique murale. J'ai compris. J'ai fait une connerie, peut-être bien que je suis allée trop loin et que désormais je ne peux plus revenir en arrière et racheter l'amour de mes amis. Peut-être bien que je l'ai mérité, j'aurais dû être honnête. Je me lève, autant s'en aller d'ici. Ils connaissent la vérité, c'est le principal.
— Tu vas où ? crie Blake.
— Je rentre à la maison. J'ai fait une connerie et j'en suis désolée. Je comprends si vous ne voulez plus me parler, je l'ai bien cherché.
Emily fronce les sourcils et des larmes s'écoulent de ses yeux. Elle fonce sur moi et me prend dans ses bras, sanglotant sur mon épaule. Blake nous rejoint et nous prend à son tour dans ses bras. Je crois qu'il pleure aussi, je ne vois pas son visage, je ne vois que celui de Duncan resté sur le canapé, qui m'offre un sourire doux. Je referme mes bras autour d'Emily et de Blake, et frotte leur dos, dans une tentative désespérée de réconfort.
Publié le 28/01/18
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