25 - Breaking News
Le salon est tellement obscur que si maman voyait ça, elle me dirait d'ouvrir les rideaux car la lumière du jour rend de meilleure humeur. Tarée, vous avez dit ?
Confortablement affalée dans le canapé, je zappe les chaines de la télévision, j'ai l'impression qu'il n'y a rien à regarder mais c'est probablement parce que nous sommes au beau milieu d'un jeudi après-midi, les gens travaillent.
Je suis finalement rentrée lundi de l'hôpital. J'ai pensé que mes parents allaient en vouloir à Duncan, l'injurier et lui dire qu'il a été totalement inconscient. Enfin vous savez, ça n'était pas de sa faute à lui, mais quand les gens sont énervés, un amas de rancune injustifiée se manifeste. J'ai eu tort, mes parents n'ont pas jugé Duncan, ils étaient plus inquiets d'autre chose. Ils m'ont sommée de rester à la maison pour me reposer un peu avant de sortir et m'amuser de nouveau. J'ai l'impression qu'ils ne savent pas ce qu'ils veulent, quand je reste à glander dans mon lit devant Netflix mon père m'éjecte presque de la maison, et quand je sors, on me dit de me reposer. D'ailleurs nous avons profité de ces derniers jours pour profiter les uns des autres et passer plus de moments en famille.
Flynn s'installe dans le canapé à côté de moi et tousse grassement, ce qui me fait me rappeler que je ne suis pas seule et qu'il n'est pas à l'école aujourd'hui.
— Regarde Charlie, je t'ai fait un dessin ! s'exclame-t-il.
À chaque fois qu'il dit ça, tous mes sens sont en alerte et c'est comme si une alarme se déclenchait dans ma tête. Danger ! Danger ! Danger ! À chaque fois, j'ai l'impression qu'on me met à l'épreuve, j'entendrais presque une voix de présentateur télé : « Est-ce qu'aujourd'hui, Charlie sera capable de ne pas vexer son petit frère, pour dix mille dollars ? Et poussons le vice, pour vingt mille dollars, sera-t-elle capable de deviner ce que représente le dessin ? ».
Je me détends et lui adresse mon plus beau sourire lorsqu'il me tend son dessin.
J'aimerais le tourner parce que je suis sûre qu'il n'est pas dans le bon sens, mais Flynn m'a engueulée la dernière fois que j'ai fait ça, « Si je te le donne dans ce sens, c'est que c'est dans ce sens ! » s'était-il énervé. Je regarde bien et je discerne finalement une maison maladroitement dessinée, le toit nécessiterait un bon coup de travaux, si vous voulez mon avis. Il y a des traits bleus au sol. Qu'est-ce-que c'est ?
— C'est... la mer ? demandé-je prudemment.
— Mais non Charlie, c'est de l'herbe ! dit-il en se tapant le front de sa paume.
— Tu as déjà vu de l'herbe bleue ? le taquiné-je.
— J'avais plus de vert ! s'exclame-t-il.
— D'accord, t'énerve pas...
Je regarde mieux et je vois trois petits bonhommes qui ont visiblement un léger problème d'anatomie, leurs bras ne sont pas à la même hauteur mais je vais me garder de le lui dire. Il me pointe du doigt le plus grand personnage, il me dit que c'est papa. Ensuite, il y a maman et un tout petit bonhomme qui le représente.
— Et moi, je suis où ? demandé-je.
— Ici.
Il désigne le ciel dans lequel un bonhomme semble flotter. Il a des ailes qui rappellent des ailes de mouche. Pourquoi les enfants sont aussi glauques ?
Je pose le dessin et frotte la tête de Flynn, il déteste quand je fais ça. Il me regarde avec ses grands yeux bruns, on dirait qu'il va pleurer.
— Tu vas vraiment mourir, pour de vrai ? me demande-t-il.
— Oui, murmuré-je.
— Si tu meurs, ça veut dire que je ne pourrai plus te voir ? demande-t-il tristement.
Il a enfin compris et ça me broie le cœur. Ses petits sourcils sont froncés et je vois bien qu'il tente de retenir ses larmes, s'il continue c'est moi qui vais pleurer.
— Exactement, je lui réponds gentiment.
— Ça veut dire que je ne pourrai plus te parler ? Et avec qui je vais jouer, moi ? Pourquoi tu dois mourir ?
Sa dernière question avait une intonation tellement désespérée que je n'ai pas pu empêcher mes larmes de couler. Je crois que ce qui me tue le plus dans toute cette histoire, c'est Flynn.
— Flynn, je suis malade et je ne peux pas être guérie.
— Mais je veux pas que tu meurs, moi !
— Je sais.
Il pleure pour de bon et je le prends dans mes bras, ça me fait mal. Il est bien trop jeune pour vivre quelque chose de pareil.
— Tu sais Flynn, si tu penses fort à moi, je serai toujours dans ton cœur. Et je veillerai sur toi.
Nous avons passé un long moment ainsi, puis nous avons parlé et rigolé. Flynn a fini par s'endormir dans le canapé à côté de moi, je continue de zapper, ça fait passer le temps. Mon téléphone vibre sur la table basse en face du canapé, je m'empresse de le récupérer pour lire le message que Duncan vient de m'envoyer :
Duncan : Allume la télé et mets CNN.
Moi : Pourquoi ?
Duncan : Fais-le.
Je ne comprends pas bien pourquoi il veut que je mette la chaine d'informations, mais je le fais. Je me demande s'il se passe quelque chose de grave.
Moi : C'est fait.
Je me concentre sur la télévision, une présentatrice habillée d'une veste bleu marine et d'une écharpe orange se tient devant la caméra. Il faudrait que quelqu'un lui dise que ces deux couleurs ne sont pas compatibles, surtout quand on est filmé. Ses cheveux sont d'un blond peu naturel et elle tient fièrement un gros micro entre les mains. Vu son sourire niais, je ne pense pas qu'il se passe quelque chose de grave.
Et puis, je vois le petit rectangle en haut à gauche de l'écran, dans lequel est indiquée la localisation du reporter ; je vois Portland, OREGON. Alors je me concentre sur l'environnement derrière elle et je reconnais clairement mon quartier, je dirais même qu'elle est en bas de la rue, un peu avant le drugstore.
Des bourrasques de vent soulèvent ses cheveux décolorés et son écharpe aussi vole au vent. De la pluie tombe en trombe, comme toujours.
— Comme je vous le disais, la météo n'est pas très clémente ici, à Portland. Les précipitations sont plus denses, une pluie diluvienne s'abat sur cette petite ville et...
Ma mâchoire se décroche littéralement.
Duncan apparait dans le cadre et la présentatrice le regarde avec un air gêné ; elle garde le contrôle alors qu'il y a un intrus. Mais qu'est-ce qu'il fout ici ? Il empoigne le micro et l'approche de lui. Ses cheveux sont trempés et son tee-shirt blanc aussi ; tellement trempé qu'il devient transparent et laisse deviner chaque parcelle de son torse. Il a son badge sur le côté gauche de sa poitrine, il était au travail.
— Bonjour, dit-il avec un sourire charmeur en fixant la caméra.
— Euh, bonjour, répond la présentatrice qui tente de faire croire qu'elle a le contrôle sur la situation. Vous qui êtes un habitant de Portland, comment vivez-vous ce temps au quotidien ?
Elle garde le sourire et tourne la situation à son avantage mais Duncan l'ignore, il fixe intensément la caméra, j'ai l'impression qu'il me regarde, comme s'il se tenait en face de moi, ses yeux plongent dans les miens et je n'ai jamais été aussi absorbée par la télévision.
— Je voudrais faire passer un message, dit-il à toute vitesse. Charlie Hollyer est la fille la plus cool et je l'aime. Charlie, je t'aime ! hurle-t-il avec un sourire radieux aux lèvres.
— OK, que quelqu'un le fasse sortir du champ, s'énerve la fausse blonde. Vous interrompez notre programme pour ça ?
— Il pleut tout le temps à Portland, n'en faites pas tout un plat !
Je le vois se faire embarquer par un homme assez baraqué, Duncan s'en va et la présentatrice tente de récupérer un peu de prestance. Je suis toujours absorbée par la télévision. Est-ce que j'ai rêvé ou Duncan vient juste de clamer haut et fort qu'il m'aime devant trois cent vingt-trois et quelques millions de potentiels téléspectateurs ?
Je m'apprête à lui envoyer un message pour lui faire remarquer qu'il est complètement malade, mais je suis interrompue par la sonnette de la porte d'entrée. Je m'empresse d'ouvrir. Vous direz que j'abuse, mais j'ai l'impression d'être l'héroïne d'un film à l'eau de rose ; vous savez ce genre de film où le mec le plus parfait de la planète jette son dévolu sur une pauvre fille qui n'a rien de plus que les autres.
Duncan se tient sous mon porche, ses cheveux sont trempés, son tee-shirt l'est encore plus qu'il y a deux minutes, comme si c'était possible. Il m'adresse le sourire le plus adorable qui soit et je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.
— Tu es complètement fou, lui dis-je.
— Fou de toi, oui.
Il m'embrasse, me pousse doucement pour entrer à la maison et me plaque contre le mur du couloir de l'entrée. Ses baisers sont tendres, puis ils s'intensifient et Duncan a beau être trempé et glacé, j'ai l'impression que nous sommes plus bouillants qu'autre chose ; sans mauvais jeu de mot.
Mes mains parcourent son dos et son torse congelés, on dirait qu'il a été sculpté dans la glace. Il finit par se détacher de moi pour murmurer près de ma bouche :
— Je reviens ce soir, sois prête à dix-neuf heures.
Je ne prends pas la peine de lui demander où nous allons, je sais qu'il ne me donnera aucune réponse. Alors je me contente d'hocher la tête ; il plante un dernier baiser sur mes lèvres et s'en va aussi vite qu'il est arrivé, sous une pluie battante.
Mon cœur s'emballe et un sourire niais est placardé sur mon visage.
J'ai l'impression que l'amour est comme une maladie. Quand on ne l'a pas trouvé, on se moque des gens qui l'ont, on rit de leur air béat et niais, on se dit qu'on ne sera jamais comme eux parce qu'ils sont vraiment trop gerbants.
Et puis comme un virus qui se faufile discrètement en vous, vous finissez un jour atteint sans même vous en rendre compte, les premiers symptômes se développent et se montrent, vous devenez l'homonyme de toutes ces personnes dont vous riiez bien quelques temps plut tôt. Mais contrairement à une maladie quelconque, celle-là me fait me sentir bien, étrangement bien.
Publié le 21/01/18
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