21 - Surf

Je n'ai jamais eu autant de paires d'yeux qui me fixent en même temps et aussi intensément.

- Salut, dis-je prudemment.

Ils regardent Duncan d'un air interrogateur. Alors quoi, ils n'ont jamais vu d'humain de type femelle de toute leur vie ? Je n'y crois pas une seconde, ils ont tous un certain charme, je suis certaine qu'ils n'ont qu'à sourire ou cligner des yeux pour avoir la fille qu'ils veulent. Je dirais même qu'ils n'ont rien d'autre à faire que respirer, ils inspirent de l'air, mais aussi l'âme de toutes les filles alentour. Bon d'accord, peut-être que j'abuse, mais au moins vous voyez où je veux en venir.

Le premier à arrêter d'agir étrangement et à me sourire est Miles, celui qui est surexcité.

- Salut, moi c'est Miles, me dit-il.

- Tu es surtout hyper méga bizarre, dis-je en riant.

Et merde, c'est sorti tout seul. Je vous le dis, il ne faut pas me mettre en situation de stress intense, voilà ce qui arrive. Je suis insortable, il ne faut pas me présenter à votre entourage ou il vous catégorisera immédiatement comme étant une personne ayant des fréquentations louches. Je ne déconne pas ; la première fois que je suis allée chez Emily, sa mère m'observait exactement de la même manière que la bande de Duncan l'a fait. Pourtant, je n'avais rien fait de spécial, j'avais juste dit haut et fort ce que je pensais à propos de la série nulle que regardait sa mère, j'ai rigolé fort et j'ai dit que je pensais sérieusement à commencer à trouver une place en maison correctionnelle pour mon frère. Emily m'a raconté que quand je suis partie, sa mère l'a mise en garde contre moi, elle lui a dit que j'étais étrange et que le fait que mon frère soit un criminel était trop dangereux. Forcément, quand on sort les choses de leur contexte...

- Désolée, dis-je. Je m'appelle Charlie.

- C'est un diminutif de Charlotte ? me demande-t-il.

Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à croire que mon prénom est un diminutif ? On m'a posé cette question autant de fois dans ma vie qu'il y a d'étoiles dans le ciel. C'est-à-dire, beaucoup. Vraiment trop. Sauf qu'il n'y aura jamais trop d'étoiles.

- Non, Charlie pour Charlie, lui répond Duncan en m'adressant un regard perçant.

Je ne peux m'empêcher de sourire à l'évocation de ce souvenir. Duncan vient juste de répéter ce que je lui avais dit quand nous nous sommes rencontrés et qu'il m'avait lui aussi posé la question qui fâche.

Les autres garçons s'empressent de se présenter à moi ; Xander est un grand brun à la peau halée, il m'a dit qu'il était originaire de Cuba, nous avons blagué sur la différence de climat entre là-bas et l'Oregon. Lucas est un blond à l'air timide et aux cheveux mi-longs, il est physiquement le stéréotype parfait du surfeur typique. Vient ensuite Cameron, un brun ténébreux qui n'a pas l'air de causer énormément, il souriait poliment, s'est présenté poliment, mais j'ai l'impression qu'il s'est créé une armure pour qu'on ne puisse pas lire en lui.

Duncan me présente comme étant sa petite-amie, il leur raconte qu'on s'est rencontré dans le supermarché de son oncle, ce qui leur a valu un fou rire, ils m'ont demandé si je n'avais pas eu peur du comportement étrange de leur ami. Nous passons du temps à parler, rire et faire connaissance sur le sable, je dois bien avouer que cette petite bande est vachement cool. Même Cameron a fini par se décoincer un peu. Ce dernier fait tout pour devenir un professionnel du surf, Lucas étudie la psychologie, Xander entraine des enfants aux joies du surf et Miles est en école d'informatique. À aucun moment mon problème n'est venu sur le tapis, je me suis sentie totalement libre, normale et vivante. Mais je sais que ce n'est qu'un leurre.

Duncan, qui était parti me chercher une tenue au petit magasin spécialisé de la plage, en revient avec une combinaison noire et grise dans les bras. Il me la tend et m'indique qu'il a pris du S. Lucas et Xander sont déjà à l'eau avec leurs planches et quant à Miles et Cameron, ils sont en train de cirer énergiquement la leur. Personne ne s'occupe de moi et pourtant, j'hésite à enlever mes vêtements afin de mettre ma combinaison.

- Qu'est-ce que tu attends Duncan, que je me déshabille devant toi ? demandé-je d'un air taquin.

Il secoue vivement la tête et se passe une main dans les cheveux ; je le vois rougir légèrement, il est visiblement gêné et je dois bien avouer que je suis amusée de la situation.

- Non, je... enfin... je vais cirer ma planche.

- D'accord.

Je lui adresse un sourire doux et j'enlève mon tee-shirt ; Duncan qui est toujours planté devant moi semble hypnotisé par ma poitrine, il ne s'en cache même pas et je devrais peut-être me sentir gênée, mais le fait est que cette situation est plus comique qu'autre chose. Il secoue la tête et revient à lui, le feu toujours aux joues tandis que j'éclate de rire.

- C'est plus intéressant que cirer ta planche, n'est-ce pas ? demandé-je pour le taquiner.

- C'est sûr. Enfin, non. Oui. Mais non. Enfin, tu vois..., s'emmêle-t-il en faisant plein de mouvements avec ses mains.

Il désigne du pouce sa planche qui l'attend plus loin dans le sable, pince les lèvres et plisse les yeux, tandis que j'enlève mon jean.

- Je vais cirer.

Cette fois, il y va vraiment et une fois que j'ai enfilé ma combinaison, je me sens d'abord mal à l'aise dans le néoprène, cette matière est trop étrange et j'ai à la fois chaud et froid, ce qui est une sensation assez déstabilisante. Elle couvre mon corps de la base de mon cou à mes chevilles, tout comme celles des amis de Duncan. Quand je lui ai demandé pourquoi dans les films, les filles avaient seulement un haut avec une culotte ou bien des combinaisons plus sexy que celle que je porte, il m'a expliqué que la taille de la combinaison dépendait tout simplement de la température de l'eau, détail que les films semblent laisser de côté.

Je réussis en trois fois et en tordant mon bras dans tous les sens, à fermer la fermeture éclair qui se trouve dans le dos de ma combinaison. Lorsque je regarde Duncan, il est en train de cirer ma planche ; je le rejoins.

- Alors, tu te sens bien ?

- Duncan, tu ne vas quand même pas me demander toutes les cinq minutes si je vais bien ? m'exclamé-je.

- Je parlais de la combinaison. Tu te sens bien dedans ?

- Oh, pardon. Oui, c'est parfait. Tu fais quoi ?

- Eh bien, j'ai fini de cirer ta planche donc maintenant, je pense que le cours va débuter.

Je me sens toute petite tout à coup. Oui, je suis ridicule, combien de fois devrons-nous le répéter ? Tellement loin de la Charlie d'il y a deux semaines. Duncan a installé dans le sable nos deux planches face à face, pour que je puisse exécuter les mouvements adéquats en même temps que lui.

- D'abord, tu dois attacher le leash à ton pied, me dit-il.

Je n'y connais rien en surf mais je connais au moins le vocabulaire de base. Je sais ce qu'est un leash, une planche et la wax. Pour le reste, demandez à Duncan. Je scratche donc cette sorte de bracelet à mon pied, il est relié à un cordon attaché à la planche. Il me servira à ne pas perdre ma planche, mais il faudra d'abord que je réussisse à rester dessus plus de dix secondes avant d'envisager des choses aussi folles.

Duncan m'explique comment je dois me tenir, il est plutôt calme et patient, des qualités que je n'ai pas. Je suis désormais en position allongée, les pieds touchant la queue de la planche.

- Pour commencer, tu vas ramer avec tes bras.

- Duncan, tu es au courant que nous sommes dans le sable et que je n'irai pas bien loin en ramant ?

Il plisse les yeux et rit doucement :

- C'est pour te familiariser avec le mouvement, explique-t-il comme s'il n'avait pas compris ma blague.

Je lève les yeux au ciel et pouffe. Je fais ce qu'il me dit, j'exécute des mouvements de nage avec mes bras et je suis étonnée d'à quel point ça me chauffe les muscles, mes biceps, et mes épaules sont déjà en feu alors que je ne fais que brasser l'air. C'est seulement maintenant que je fais le lien. Je comprends qu'en fait je ne vais pas bien. J'ai l'impression d'aller bien parce que je n'ai pas de douleur foudroyante, mais mon corps est déjà en train de périr. Il s'affaiblit et je suis déjà en train de mourir. Je chasse ces pensées morbides de mon esprit, ce n'est clairement pas le moment d'y penser.

Duncan me reprend par moments, m'explique comment ramer correctement, parce qu'apparemment je n'avais pas la bonne posture. Quand il estime que c'est bon, il m'annonce que nous allons nous entrainer à nous lever. Si juste ramer m'a fatiguée, je n'ose pas imaginer ce que ce sera de répéter un nombre incalculable de fois le lever.

Se lever, se coucher, se lever, se coucher. Fléchir, tendre, fléchir, tendre. C'est très compliqué et en plus de mes bras, mes abdominaux et mes jambes sont en feu à leur tour.

- Charlie, tes mains sous ta poitrine ! répète Duncan pour la millième fois.

- C'est ce que je fais depuis tout à l'heure ! m'énervé-je.

- Non, tes mains sont sous tes épaules, répond-il calmement.

- T'as qu'à venir m'aider, si tu te crois plus malin ! crié-je.

OK, dire ça n'était clairement pas le truc à dire. Pourquoi j'ai dit ça ? Son sourire séducteur m'envoie des poignards en plein cœur, ses yeux m'envoient de l'acide en plein cœur, j'ai même l'impression qu'il prend mon cœur dans sa paume et qu'il le serre fort, fort, fort, le vidant de son sang et le desséchant. C'est l'effet que toutes ses mimiques de mec sexy me font. C'est aussi la raison pour laquelle je crie, en fait je ne suis même pas énervée, je ne sais pas pourquoi je lui hurle dessus. Peut-être que je suis à fleur de peau, peut-être que je suis angoissée.

Quoi qu'il en soit, Duncan se lève de sa planche et vient me rejoindre. Je me rallonge et me mets en position. Il m'attrape le bras et le baisse sur la planche, pour que mes mains glissent jusque sous ma poitrine. Cette position n'est absolument pas confortable.

- Là, comme ça, dit-il.

Je fléchis les genoux, écarte les pieds et fais pivoter mes hanches pour me lever. Sauf que je manque de perdre l'équilibre.

- Sinon, je peux rester assise sur la plage et vous regarder, proposé-je.

- Non, on ne partira pas d'ici tant que tu n'auras pas tenté dans l'eau.

Je ris, ce garçon est plus qu'inconscient.

- J'espère que tu as amené une tente et un pique-nique alors, je réponds.

- Non, mais je commence à croire que tu fais exprès de ne pas réussir pour qu'on passe la nuit ici. Tu t'imagines peut-être qu'on dormira dans le sable, collés l'un contre l'autre pour se tenir chaud ?

Son regard est insolant et son sourire aussi, j'abdique et me remets en position initiale. Il me réexplique comment faire et le problème, c'est qu'il joint les gestes à la parole ; il pose ses mains sur mes jambes quand il m'explique comment me relever, il touche mes chevilles pour marquer l'écart que mes pieds doivent prendre sur la planche et alors que je suis debout dessus, il pose ses mains sur mes hanches, pour me montrer comment les faire pivoter correctement. Il n'y a rien d'anormal pour lui, il m'explique simplement mais moi, j'ai arrêté de l'écouter depuis un petit moment, trop concentrée sur la sensation de ses mains puissantes sur mon corps. Une chaleur se dégage de moi et j'ai subitement l'impression de crever de chaud dans ma combinaison.

- Tu comprends ? me demande-t-il.

Tout ce que je comprends, c'est que tu devrais arrêter de me toucher, de me regarder comme ça et de me sourire, si tu ne veux pas que je meure d'hyperthermie ici et maintenant sur cette plage.

Je baisse le regard vers ses mains qui se tiennent toujours sur mes hanches et lorsque je relève la tête, mes yeux se perdent dans les siens. Il a le regard sérieux, il était à fond dans ses explications et quand il va comprendre que je suis juste la plus mauvaise élève, il va s'énerver, c'est sûr. Ça doit bien faire une heure qu'il m'explique comment me relever, je comprendrais qu'il perde patience.

Son regard descend à son tour vers ses mains, il les fixe un moment, prend une grande inspiration et me lâche brusquement.

- Oh, je vois, dit-il. Les contacts professeur-élève sont proscrits, c'est noté, j'espère que tu ne diras rien à mon supérieur, ajoute-t-il avec un clin d'œil.

Vous voyez, ce moment où vous pensez connaitre quelqu'un mais que vous vous rendez compte que vous aviez tout faux et que vous vous mettiez littéralement et complètement le doigt dans l'œil ? C'est ce que je ressens. Je me suis même sérieusement demandé si Duncan n'avait pas un dédoublement de la personnalité, il peut se montrer timide et gêné, l'instant d'après il se la joue charmeur invétéré. Soit je ne comprends rien aux mecs, soit je ne comprends rien à Duncan mais quoi qu'il en soit, je ne comprends pas grand-chose. Il me perce du regard et nous finissons par pouffer de rire.

Au bout d'un long moment à écouter ses explications, à me relever et me recoucher, à avoir transpiré et usé de mes muscles, Duncan m'annonce que je suis enfin prête à me jeter à l'eau. Des frissons ont parcouru mon corps et j'ai eu une peur soudaine.

Allongée sur ma planche je rame dans l'eau, je suis impressionnée par cette nouvelle expérience. Duncan me suit de près et nous arrivons au niveau de ses amis qui sont assis sur leurs planches à discuter.

- Alors, t'es prête pour la meilleure expérience de ta vie ? me demande Miles.

- On dirait bien.

Ils ricanent et retournent surfer.

Lorsque nous retournonssur le sable, je suis éreintée. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés dans l'eau, mais la sensation du néoprène mouillé sur ma peau est étrange. Nous avons passé un long moment à ramer et à nous lever sur nos planches, ce qui s'est avéré être encore plus compliqué que sur le sable, mais je m'en doutais. Je ne compte pas les fois où je suis tombée dans l'eau, déclenchant à chaque fois l'hilarité de Duncan. J'ai réussi à tenir en équilibre quelques secondes, c'est mon record et je dois bien avouer que je suis fière de moi, même si je n'ai pas réussi à prendre de vague ; je ne suis évidemment pas assez préparée pour ça. Je suis ensuite restée assise sur ma planche et j'ai regardé Duncan, son père - qui est finalement venu - et ses amis surfer, c'était impressionnant, beaucoup plus qu'à la télévision.

Publié le 06/01/18

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