20 - Beach House

Un homme aux cheveux bruns grisonnants ouvre la porte. Il a le teint halé, c'est comme s'il rentrait de vacances, je n'ai jamais réussi à bronzer dans l'Oregon. Lorsqu'il sourit, dévoilant ses dents impeccablement blanches et alignées, créant un rictus aux coins de ses yeux, je commence à comprendre de qui Duncan tient.

Il étreint brièvement son fils et lui adresse quelques tapes dans le dos, on dirait deux amis qui se retrouvent après une longue séparation. Je remarque sa musculature visible, même à travers son tee-shirt, on voit bien qu'il est passionné de sport et qu'il en pratique.

Il me tend la main et m'adresse un sourire séducteur, tout comme ceux de Duncan.

— Je suis Andrew. Et toi tu dois être Charlie, enchanté, me dit-il.

Je suis agréablement surprise. Duncan n'est qu'un petit enfoiré, il m'a fait croire que son père était un homme froid et désagréable pour me faire angoisser et le pire, c'est que ça a incroyablement fonctionné. S'il pense qu'il va s'en tirer comme ça, il ne sait pas à qui il a affaire.

— Je suis enchantée également. Je vous avoue que vous êtes tout l'inverse de ce que Duncan m'avait raconté, ajouté-je en riant.

Le regard d'Andrew fait la navette entre son fils et moi. Le regard de Duncan fait de même et je me sens fière de mon coup.

— Ah bon, et qu'est-ce qu'il t'a raconté ? me demande-t-il sans se départir de son sourire.

— Il m'a dit que son père était un homme froid, désagréable et aigri.

Duncan plisse les yeux, et moi je ne fais que dire la vérité, c'est exactement ce qu'il m'a dit. Et puis après tout, je n'ai aucun tact, vous vous souvenez ? Oups.

Andrew prend la parole :

— Ben alors Duncan, tu casses du sucre sur le dos ton vieux père ? Tu devrais arrêter de fréquenter ta mère, elle déteint sur toi...

Nous rions en chœur, je ne m'attendais pas à ce que son père le prenne si bien. Il doit probablement avoir des liens forts avec son fils, assez forts pour comprendre ce qui est vrai ou non. Ma mère ne survivrait pas une seule seconde à ce genre d'humour. Elle est plutôt du genre à se vexer quand on lui met la stricte vérité sous le nez, alors le second degré, vous comprenez qu'elle ne connait pas.

Nous entrons dans la maison d'Andrew et la décoration de cet endroit n'a rien à voir avec celle de chez Susan. Dans le petit couloir d'entrée, nous sommes accueillis d'emblée par une barre de gouvernail en bois accrochée au mur. L'ambiance marine est de mise, il n'y a aucun doute là-dessus. Lorsque nous nous retrouvons dans le salon, je comprends qu'Andrew est probablement un passionné de la mer, tout ici rappelle l'eau et les marins.

Le salon est muré de lattes de bois blanc, le sol l'est aussi. Je vois des tableaux représentant la mer accrochés aux murs, des manuels marins entreposés dans la grande bibliothèque également de bois. Je m'approche de la grande baie vitrée du salon, elle donne sur une terrasse avec vue sur la plage, c'est absolument magnifique. Au premier plan je vois le sable, des buissons et des arbres dont les feuilles bougent au gré du vent. Plus loin, les vagues se déchainent, le ressac donne envie d'y courir et de se baigner.

— Vous avez loupé les garçons de peu, indique Andrew à son fils.

— Quoi, ils étaient là ? demande Duncan.

— Ils sont venus me taxer de la wax, ils sont sur la plage !

Je regarde par la fenêtre, je vois quelques personnes sur la plage, je me rends compte seulement maintenant qu'ils sont en combinaison de surf. Duncan me rejoint et regarde par la fenêtre à son tour.

— Tu vois celui qui court comme un taré ? me demande-t-il.

Je me concentre sur le seul garçon de cette bande qui n'est pas immobile, il court dans tous les sens, on dirait qu'il est surexcité. J'hoche la tête.

— C'est Miles. Et à côté, il y a Xander, Cameron et Lucas.

Ils sont en train de discuter vivement, l'un d'eux désigne l'eau et un autre hoche la tête.

— Alors, ça se passe bien avec ton oncle ? demande Andrew à son fils.

Nous reportons tous les deux notre attention sur son père, je remarque que sur le mur d'en face, un filet décoré de coquillages est accroché. Andrew se tient devant un petit bar au fond du salon. Le bar s'avère être recouvert d'une planche de surf ; une chose est sûre, il vit sa passion jusqu'au bout de la décoration.

— Ça va, répond Duncan.

— T'as été voir ta mère ?

— Oui. Elle va bien et non, elle ne s'est pas trouvée de mec.

Son père hoche la tête et lève les mains en signe d'innocence.

— J'ai rien dit, précise-t-il.

— Tu l'as pensé très fort, rétorque Duncan. Bon, on va déposer nos affaires en haut et ensuite on ira voir les gars dehors. Tu viendras ?

— Tu invites ton vieux père à trainer avec tes potes ? Qui aurait cru que le fait que tu partes allait nous rapprocher ! s'exclame Andrew en riant.

Duncan rit, s'active et je le suis ; nous montons un escalier de bois blanc, et atteignons un couloir aux murs tout aussi boisés et blancs. Vous l'auriez compris, je crois qu'Andrew aime bien le bois blanc. Duncan pose sa main sur la poignée d'une porte, sa chambre je suppose ; je pose ma main sur la sienne et écarquille les yeux :

— Attention Duncan, tu sais ce que je vais penser de toi si tu ouvres cette porte...

Un sourire se dessine sur ses lèvres.

— Tu es vraiment très drôle ! dit-il d'un air las.

Il actionne finalement la poignée et je m'empresse de scanner sa chambre du regard. Et devinez quoi ? Elle est aussi bien rangée que sa chambre de Portland, aussi bien rangée que si sa mère venait tout mettre en ordre dans sa chambre.

Nous posons nos sacs à terre et je remarque que la décoration de cette pièce n'a rien à voir avec celle du reste de la maison. Les murs sont d'un bleu tirant vers le gris, me rappelant la couleur d'un ciel orageux, ce qui provoque une ambiance très sombre mais tout de même plaisante. Il y a un lit double, une commode, une table de chevet et un bureau. Je vois aussi des étagères pleines d'affaires en tous genres.

Lorsque je m'attarde sur son lit, je me rends compte que son matelas est particulièrement épais, il a l'air étonnement confortable et une envie irrépressible me vient ; je ne peux m'empêcher de me jeter dessus. Lorsque j'atterris, je rebondis un peu et quand je suis stabilisée, je me rends compte que tout comme il en avait l'air, ce matelas est incroyablement confortable. Le mien est vraiment nul en comparaison.

— Attention Charlie, tu sais ce que je vais penser de toi si tu te jettes sur mon lit, dit Duncan d'un air taquin.

C'est de bonne guerre, il reprend mot pour mot ce que je lui ai dit à l'instant. Je le vois prendre son élan pour se jeter à son tour sur le lit, j'ai le réflexe de me recroqueviller et de crier de peur qu'il m'écrase, mais il atterrit pile à côté de moi.

— Tu te sens bien ? me demande-t-il.

J'essaye d'analyser mon corps, mais j'ai l'impression que tout va bien, je ne sens rien d'anormal, je me sens incroyablement bien. Je fixe le plafond et me rends compte que des formes diverses y sont collées ; je n'arrive pas à les distinguer, c'est comme si elles étaient presque de la même couleur que le plafond. Duncan fouille dans sa table de chevet et en sort une petite télécommande munie de quatre boutons directionnels, il presse celui sur lequel est dessinée une flèche qui pointe vers le bas. Un bruit mécanique se fait entendre et la chambre plonge peu à peu dans l'obscurité ; les stores électriques sont en train de se fermer, de recouvrir la fenêtre et d'empêcher toute lumière de passer.

Nous sommes dans le noir complet, la seule source de lumière émane maintenant du plafond qui scintille. Un grand nombre d'étoiles brillent au-dessus de nos têtes ; j'avais le même genre d'autocollants phosphorescents lorsque j'étais petite. J'ai toujours trouvé que ces simples petits bouts de plastique rendaient en un rien de temps une pièce magique et merveilleuse.

— Je me sens bien, je réponds.

Je tourne la tête vers Duncan et même dans le noir, je le vois sourire, je discerne l'éclat dans ses yeux. Sa main se déplace et se pose sur ma joue, ce qui m'électrise l'espace d'une seconde. Il s'approche doucement de moi et bientôt, c'est le contact de ses lèvres contre les miennes qui m'électrise. Il m'embrasse doucement et tendrement, j'ai l'impression que le matelas va m'absorber, j'ai l'impression de fondre comme un vulgaire marshmallow qu'on a laissé trop longtemps au-dessus du feu. Et puis je ne sais pas ce qu'il se passe, une certaine fougue s'empare de lui, ses baisers se font plus passionnés, ses mains embrasent maintenant tout mon corps et je me rends compte d'une chose.

— Duncan ? demandé-je entre deux baisers.

Il s'arrête de m'embrasser, me replace une mèche de cheveux derrière l'oreille et m'adresse un sourire doux. Je ne sais pas comment lui dire ce que j'ai sur le cœur.

— J'ai... j'ai trouvé quelque chose que ne n'ai jamais fait et que je veux faire avant de mourir, dis-je.

Il me fixe, son sourire s'estompe, ses sourcils se fronce. Il voit très bien où je veux en venir, mais son expression me fait instantanément regretter d'avoir parlé. Je me sens bête, je me sens nulle, je ne sais pas ce qui m'a pris. Actuellement, je ne serais pas contre le fait que le matelas m'engloutisse à jamais. Heureusement que nous sommes dans le noir, parce que je sens mes joues chauffer, je suis contente que Duncan ne voie pas ça.

Il finit par se racler la gorge, il a l'air mal à l'aise, ce qui n'est pas étonnant vu ce que je viens de lui demander.

— Est-ce que... tu es sûre ?

— Oui, je réponds un peu trop vite.

— D'accord.

D'accord ? Cette situation ne peut pas être plus gênante qu'elle ne l'est déjà, la limite a été franchie. Je m'attendais à tout, à ce qu'il se braque, à ce qu'il explose de rire, à ce qu'il me déshabille même ! Mais je ne m'attendais certainement pas à un simple « d'accord » comme si je venais juste de l'inviter à un barbecue. C'est beaucoup plus important qu'un barbecue.

Je m'apprêtais à lui dire de tout oublier, à lui dire que c'était une blague ou à faire n'importe quoi pour me sortir de cette situation inconfortable, mais il ne m'en laisse pas le temps, il m'embrasse de nouveau, c'est comme s'il ne s'était rien passé de bizarre à l'instant. Je profite de l'instant, de ses lèvres douces sur les miennes, de la tension qui règne entre nos deux corps. Il y a beaucoup trop de tension, si vous voulez mon avis. Duncan devient de plus en plus déterminé, il m'embrasse le cou, les clavicules, il me fait me sentir incroyablement bien et puis d'un coup, tout s'arrête, j'ai soudainement froid, il s'est écarté de moi et ne m'embrasse plus.

— Mais pas tout de suite, dit-il en sortant précipitamment du lit et en faisant remonter les stores.

Il fouille dans sa commode, à la recherche de je-ne-sais-quoi, je continue de regarder les étoiles en digérant l'énorme râteau que je viens de me prendre. Ça n'en était pas un OK, il a dit « Oui, mais pas maintenant », d'accord. Mais moi, j'allais m'offrir à lui, j'étais prête pour ça. J'ai toujours pensé que les mecs étaient des pervers sans scrupules, il faut croire que non.

— Tu as un rêve Duncan ? demandé-je pensive.

— Hmm... j'aimerais que tu sois immortelle.

Je lève les yeux au ciel et ris doucement.

— Un rêve qui ne me concerne pas, précisé-je.

— Surfer à la Gold Coast en Australie, je dirais.

Je me mets à rire, j'aurais aimé avoir des rêves aussi grands que celui-là.

— Pourquoi tu ris ? me demande-t-il.

— Mon rêve est tellement nul à côté du tien.

Il se rassied à côté de moi et me perce du regard, il m'écoute patiemment.

— Eh bien, depuis toujours, je rêve d'aller au bal de fin d'année. C'est une obsession depuis que j'ai huit ans, je me demande si un garçon parfait va un jour m'inviter à y aller, je pourrai mettre une magnifique robe et danser avec lui comme si c'était la chose la plus importante au monde. Mais bon, c'est dans huit mois et il est clair que je ne serai plus là. Je n'irai jamais au bal de fin d'année.

Duncan me fixe sans rien dire et je ne lui en voudrais pas de me trouver ridicule. Vous aussi, vous devez me trouver ridicule. Je vais mourir et la seule chose qui m'intéresse c'est ce foutu bal. En mourant, je ne renonce pas qu'à ça, je renonce à toutes les autres choses qu'une vie a à offrir mais cette chose, j'y tenais. Je tenais à ma journée de princesse. Je n'y pensais pas autant avant, mais à chaque fois que je me rends compte que je passe à côté de quelque chose, c'est comme un coup de poignard en plein cœur.

J'ai pleuré quand j'ai compris que je n'aurai jamais ni enfant ni vie de famille. Je n'aurai jamais de travail, de permis de conduire, ni le temps de dresser un chien. Je n'aurai pas l'occasion de voyager autour du monde, de voir Flynn devenir un adolescent insolent et insupportable, d'intégrer une université ou de me marier. Rien de tout ça n'est fait pour moi. Je suis juste destinée à mourir.

Une larme s'échappe de mon œil, je sens sa chaleur se répandre sur ma joue. Une deuxième suit, puis une troisième. Et puis mes larmes coulent sans s'arrêter, mes joues en sont vite trempées. Je regarde le vide, c'est comme si plus rien n'existait autour de moi, il y a juste moi, mes regrets et mes larmes.

Je sens des bras forts et chauds m'envelopper, mais c'est comme si mon esprit était loin. Je suis là, mais ma conscience est trop occupée à me torturer.

Je ne sais pas combien de temps j'ai passé à pleurer dans les bras de Duncan, deux minutes, trente, quarante. Je n'en sais rien, je sais juste que je me sens libérée d'un poids et que le fait d'être pressée contre lui me réconforte. J'essuie mes yeux avec le mouchoir qu'il me tend.

— Si tu veux, on peut rester ici ? propose-t-il.

— Non, c'était un coup de mou mais ça va mieux ! On y va ?

Duncan me fixe un moment, l'air de ne pas comprendre mon subit changement d'humeur, puis il acquiesce et me dit de mettre un maillot de bain sous mes vêtements. Je me suis changée dans la salle de bain et quand je reviens dans la chambre, je constate qu'il s'est aussi changé ; il a enfilé une combinaison de surf noire, qui le recouvre de la base du cou aux chevilles. Chaque partie de son corps est moulée dans le néoprène, les mettant en valeur.

Je dévie le regard avant qu'il ne dise quelque chose qui me mettra mal à l'aise. Nous sortons de sa chambre, repassons dans le couloir blanc et boisé, nous repassons également devant la barre de gouvernail. Duncan récupère des clés dans un petit récipient posé sur un guéridon à l'entrée.

— On y va ! crie-t-il.

Andrew crie quelque chose, je n'ai pas bien compris s'il a dit « Ouais » ou « OK » ; quoi qu'il en soit, il a compris qu'on part. Nous faisons le tour de la maison, et nous nous trouvons désormais face à une sorte de petite pièce rattachée à la maison, ça ressemble à un garage mais les portes sont différentes. Ce sont des portes basiques à vrai dire.

Duncan enfonce une clé dans la serrure et ouvre les portes. Il tâte le mur et atteint un interrupteur ; une lampe au plafond s'allume et baigne la pièce de lumière, me permettant de constater qu'elle est encore plus en bordel que ma chambre.

— Une chose est sûre, ce n'est pas toi qui range cet endroit, remarqué-je.

— Ça, tu l'as dit, répond Duncan en riant.

Il y a de tout et n'importe quoi dans cette petite pièce qui fait la taille d'un garage. On pourrait y faire entrer une voiture mais il n'y en a pas. Je vois quelques vélos, des bâches, un mur sur lequel du matériel de bricolage repose. Il y a aussi du matériel de surf tel que des planches et d'autres objets que je ne saurais nommer.

Duncan s'empare d'une longue planche blanche avec un gros logo noir dessus et trois ailerons sur l'autre face. Il regarde les différentes planches qu'il y a dans cette pièce, j'en compte une dizaine. Il en prend une autre, plus petite que l'autre et dans de jolies couleurs ; rose, blanc et turquoise. Je m'empare de cette planche puisqu'il me la tend.

Durant le trajet nous menant à la plage, il me jette souvent des regards bienveillants et me sourit de cette manière extrêmement séduisante dont lui seul a le secret. Je lui rends ses sourires à chaque fois et je me sens subitement niaise. La première fois que Duncan m'a souri, je n'aurais jamais cru que je me mettrais à lui sourire bêtement en pensant à quel point il peut être parfait.

Nous marchons lentement en échangeant des banalités, il me parle un peu de ses amis et me demande de temps à autres si je vais bien. La réponse est toujours oui.

D'après lui, je vais trouver ses amis cool et eux aussi, vont me trouver cool. J'aimerais bien voir ça. Il m'a expliqué qu'ils sont tous amis depuis dix ans, ils ont étudié dans le même établissement et ont tous commencé à surfer ensemble. Ils sont vraiment liés par leur passion et leur amitié, c'est tellement beau que je pourrais en pleurer puisque je suis particulièrement à fleur de peau ces derniers temps.

Mes pieds foulent le sable qui entre dans mes chaussures, c'est extrêmement désagréable, j'ai toujours détesté cette sensation.

Nous approchons de la joyeuse bande et ils se mettent presque à crier quand ils voient Duncan approcher. Miles, celui qui ne fait que gesticuler lui saute presque dessus et lui adresse un bon nombre de tapes dans le dos. Je remarque que cette fois, Duncan ne dit pas « aïe », alors soit il joue aux gros durs devant ses potes, soit il se fichait de moi.

Nous ne marchons plus, ils ont tous fait la fête à leur ami et maintenant, ils me regardent tous avec des yeux ronds comme si j'étais un extra-terrestre et qu'ils me trouvaient fascinante, effrayante ou peut-être même bien les deux.    

Publié le 01/01/18

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