2 - Dark Vador
Il n'y a plus de glace. Oui, c'est tragique, vous avez raison. J'ai dû la partager avec Flynn, mon petit frère. Il m'a carrément rackettée, puis il a usé de ce regard tellement mignon que ça en devient de la sorcellerie. J'ai essayé de lutter en me répétant que les enfants sont démoniaques et qu'ils font ce en quoi ils excellent le mieux : amadouer les gens. J'ai essayé, mais j'ai été prise de culpabilité, je me suis mise à me demander comment il se sentira quand je ne serai plus là. Parce qu'il est bien trop jeune, du haut de ses cinq ans, je sais qu'il ne comprendra pas. Alors je lui ai généreusement et à contrecœur offert deux de mes pots de glace. En parlant de glace, le garçon inconnu du magasin avait raison, celle au beurre de cacahuète était tout simplement divine.
Je regarde l'heure sur le radio réveil qui se tient sur ma table de chevet ; il est seize heures et je crois bien que j'ai passé deux heures à réfléchir. Une question me trotte en tête, elle me perturbe au plus haut point. Je sais pertinemment que la réponse à cette question est non, mais ma conscience veut me voir faillir, elle veut me forcer à répondre oui. Est-ce que je devrais rallumer mon téléphone ? Non, de toute évidence. Je ne dois pas rallumer ce foutu téléphone, à tous les coups, je vais y trouver une centaine de messages de Blake et Emily, mes amis. Enfin, je ne suis plus sûre qu'on soit toujours amis, depuis que j'ai déserté le lycée et que je ne leur donne plus aucune nouvelle. Je ne leur ai rien dit. Moins ils en sauront, mieux ce sera. J'ai réfléchi longtemps et j'ai pris une décision : ils doivent me détester. Sauf que mon silence ne les fera que s'inquiéter.
Je prends mon téléphone portable et je décide de le rallumer. Je ferme les yeux et honnêtement, j'ai peur de les ouvrir. Lorsque je le fais, je vois que j'ai reçu au total quatre-vingt-dix-sept messages, répartis entre mes deux amis. Je commence par lire ceux d'Emily. Dans la majorité, elle me demande de l'appeler. Elle me demande aussi si mon téléphone est mort. Un autre message dit qu'elle a embrassé Blake, elle ajoute que c'était génial et qu'ils ont fini par coucher ensemble. Quoi ? Emily et Blake, sérieusement ? Non, ce n'est pas possible. Nous sommes tous les trois amis depuis qu'on a huit ans, pourquoi ont-ils attendu presque dix ans avant de sauter le pas ? Avant que je ne me pose plus de questions, je vois un autre message dans lequel elle dit qu'elle a menti et qu'elle a dit ça pour me faire réagir, pour que je réponde à mon téléphone. C'était vraiment bas, c'est typiquement le genre de message qui m'aurait fait réagir.
Les messages de Blake sont similaires, il me demande ce que je fais et s'inquiète. Si ces deux personnes s'inquiètent d'une absence de deux jours, comment vont-ils réagir en apprenant que je vais avoir une absence d'une durée infinie ? Ils ne doivent pas savoir. Alors que je réfléchis à comment repousser mes amis, j'entends la voix de ma mère qui m'appelle du salon. J'espère qu'elle ne m'appelle pas pour organiser mes funérailles, j'aimerais mieux qu'ils s'arrangent entre eux une fois que je ne serai plus là. Je sors de ma chambre mais reste tout de même sur le palier de l'escalier, ma mère aime bien me faire descendre pour rien.
— Oui ? demandé-je.
— Emily est là, me crie ma mère d'en bas.
Quand on parle du loup... Qu'est-ce qu'elle fout là ? Elle n'a pas mieux à faire que de rendre visite à une condamnée ? Sauf que j'oublie un détail, elle ne sait rien.
— Et bien pas moi ! crié-je en m'apprêtant à retourner dans ma chambre.
— Je suis dans le salon en fait, fait la voix d'Emily.
Et merde. Je fais demi-tour et descends les escaliers. Je ne sais pas ce qu'elle doit penser de moi, actuellement dans mon bas de pyjama usé qui bouloche de partout et mon tee-shirt quinze fois trop grand pour moi. Sans parler de mes cheveux totalement emmêlés, j'ai trouvé une solution pour pallier ce problème : j'en ai fait un chignon décoiffé, comme ça je peux avoir l'air d'une souillon avec style. Une fois que je me tiens devant elle, ses yeux bleus sont emplis d'inquiétude. Pitié, tout mais pas ça. J'espère qu'elle ne va pas pleurer.
— Je vais vous laisser, vous avez probablement un tas de choses à vous dire, intervient ma mère.
Donc elle ne lui a rien dit. Je suis rassurée de savoir que ma mère m'a au moins laissé le privilège d'annoncer la bonne nouvelle à mon amie. Je ne suis pas faite pour annoncer les nouvelles aux gens, je fais partie de ceux qui n'ont aucun tact et qui de toute façon, ne prennent même pas le temps d'essayer d'en avoir. Le tact, c'est futile, c'est contourner le problème pour faire passer la pilule. Vous voyez, la personne qui est capable d'avouer votre pire secret sans le faire exprès, ou cette fille qui vous avoue sans avoir peur que votre nouvelle coiffure est vraiment à chier ? C'est moi. Il ne faut pas m'en vouloir, mes parents m'ont faite comme ça.
— Salut, dis-je à mon amie.
— Pourquoi tu ne réponds pas à ton téléphone ? On s'est inquiétés ! s'écrie-t-elle.
— Écoute Emily...
— Est-ce que tu vas bien au moins ? me coupe-t-elle.
Elle m'attrape les mains et me regarde avec attention, à la recherche d'un quelconque détail devant alarmer sa quiétude.
— Tout va bien. Mais tu dois arrêter de m'envoyer des messages. Ne m'envoie plus rien, ne viens plus à la maison.
— Pourquoi ? demande-t-elle avec un regard qui me transperce.
Cette fille me connait trop bien, elle sait quand je mens, elle sait quand je vais bien et quand je ne vais pas bien. Elle ne gobera aucun mensonge, alors je dois la repousser. Je vais lui faire mal, mais c'est pour son bien. Elle sera triste de me perdre en tant qu'amie, mais la colère prendra le dessus et elle finira par se dire que de toute façon, je n'étais qu'une espèce de garce sans cœur. Ensuite, elle passera à autre chose, elle m'oubliera et sa vie n'en sera que plus belle. Elle s'en remettra. Après tout, les amis, ça va, ça vient.
— Emily, je ne te supporte plus, déclaré-je. Tu es tellement... tellement superficielle !
Elle se met à toucher ses longs cheveux roux foncés, ce qui me fait sourire intérieurement, c'est comme si elle affirmait mes propos.
— Quand tu parles, j'en peux plus. Tu parles trop, tout le temps, pour rien dire, et ça fait longtemps que je voulais te le dire. Et puis, tu te rappelles ce que tu as fait à Evan l'année dernière ?
Elle fronce les sourcils et un éclair passe dans son regard, ça prend, elle est énervée et le plan fonctionne parfaitement. Qui est Evan ? C'est son ex. Un garçon tout à fait charmant et adorable qui était dans notre classe l'année dernière. Elle sortait avec lui, mais lorsque Derek le joueur de basket le plus populaire de l'équipe du lycée a commencé à la draguer, elle a quitté ce pauvre Evan. J'ai dû le consoler, j'ai dû réparer les morceaux de son cœur brisé.
Est-ce que ça a fonctionné avec Derek ? Bien sûr que non, ce mec est un charmeur doublé d'un connard fini, il change plus de copine que de sous-vêtement. Je n'ai jamais jugé Emily pour ce qu'elle avait fait, je lui ai dit qu'elle avait fait une erreur et que c'était vraiment stupide de sa part, mais je ne l'ai jamais jugée, parce qu'elle est mon amie. Alors évidemment, ce que je m'apprête à lui dire est un mensonge. Sauf qu'il est tellement vraisemblable qu'elle va le gober, tout comme elle avait gobé les paroles et les sourires de ce cher Derek.
— Tu t'es comportée comme une pétasse avec lui, ajouté-je. Ce jour-là, tu m'as totalement déçue. Sans parler de Blake qui t'a confortée dans ce que t'avais fait, un vrai abruti, celui-là.
— Charlie, est-ce que tout va bien ?
Ses yeux se sont embués et la colère a imprégné son regard, mais elle me demande toujours si je vais bien. Le fait est que je me sens probablement mieux qu'elle à cet instant. Je sais ce que vous vous dites, je suis une personne horrible. Je suis une fille aigrie qui repousse les gens et qui déprime toute seule dans son lit à manger de la glace devant Netflix.
— Tout va bien, assuré-je. Je veux juste que tu sortes de chez moi et que tu ne reviennes plus jamais.
— Est-ce que...
— Sors. De. Chez. Moi ! crié-je.
Elle recule, les larmes aux yeux, tandis que ma mère déboule dans le salon. Je ferme la porte derrière mon ancienne amie et j'adresse le sourire le plus positif que j'aie en stock à ma mère. Elle est du genre à s'inquiéter pour rien, elle aussi.
— Tout va bien, dis-je en remontant l'escalier.
J'ai continué à fixer l'heure pendant quelques minutes, les chiffres se remplaçaient, le temps avançait, tout comme ma mort imminente. Chaque minute que j'ai passée à observer ces chiffres lumineux était une minute de moins dans ma vie, une minute gâchée. Désolée, je ne voulais pas faire dans le larmoyant, c'était juste un instant de faiblesse. Quelqu'un toque à ma porte.
— Non ! crié-je.
Ma protestation n'a pas empêché mon père d'entrer. Il porte une chemise à carreaux verte et bleue, je déteste quand il la met, je lui ai déjà répété un million de fois que cette chemise était affreuse, il soutient que c'est sa préférée, même s'il a l'air d'un bûcheron hipster. Il s'installe sur mon lit, sur lequel je suis affalée de tout mon long, sur le ventre, le menton reposant sur mon oreiller.
— J'avais dit non, lui fais-je remarquer. Pourquoi vous toquez à la porte si vous n'écoutez pas ?
— Charlie, arrête de noyer le poisson.
Il m'adresse un regard on ne peut plus sérieux, je le lui rends.
— Papa, arrête d'utiliser des expressions obsolètes et ringardes.
Il lève les yeux au ciel et souffle. Je sais, je suis une fille plutôt exaspérante et je ne leur rends pas la vie facile. J'essaye juste d'échapper à la conversation qu'il veut avoir. Vous ne me comprenez peut-être pas, mais je veux juste que le dernier mois de ma vie se déroule comme si tout allait bien, comme si je n'étais pas malade et comme si je n'allais pas mourir. Je ne veux pas qu'on me prenne en pitié, je ne veux pas entendre mon entourage se lamenter et je ne veux pas être un fardeau pour cette famille dont je vais briser le cœur quand le mien cessera de fonctionner, en même temps que tous mes organes vitaux. Je sais, c'est glauque, encore une fois. Mais les jours qui vont passer ont l'air totalement glauques, vus comme le Docteur Michaels me les a présentés, alors autant m'adapter à la situation.
Papa prend ma main dans la sienne, j'espère qu'un instant larmoyant ne va pas suivre, je n'ai absolument pas besoin de ça. Il a l'air de réfléchir, puis il prend la parole :
— Avec ta mère on a parlé et... nous pensons que c'est le moment de le dire à Flynn.
— OK.
— OK ?
— Allons-y, dis-je. Allons dire à cet enfant démoniaque voleur de crème glacée que sa sœur va bientôt mourir. Il va être ra-vi !
Mon père souffle de nouveau ; en plus de porter des chemises horribles et de dire des expressions datant de l'avant-guerre, il est dépourvu d'humour. Qu'est-ce que maman peut bien lui trouver ? En fait, je me demande aussi parfois ce que mon père peut lui trouver, elle est totalement névrosée et stressée. Je m'extirpe de ma couette, ce qui me donne soudainement froid. Je sais que je suis insupportable, mais je sais aussi que j'appréhende énormément ce moment. Le petit cœur de Flynn va être brisé et ça va être déprimant, cet enfant n'a rien demandé, pourquoi devons-nous lui faire du mal ?
Je sors de ma chambre, suivie de mon père. Une fois dans le salon, je vois maman et Flynn assis sur le sofa, je m'installe sur la table basse tandis que papa reste debout. Ma mère a les yeux humides, elle va pleurer, si ce n'est pas déjà fait.
— Flynn, mon chéri, on doit te dire quelque chose, commence maman.
— On va déménager ? demande-t-il tristement.
— Non. Tu te rappelles quand on est allé chez le médecin pour Charlie ?
— Quand elle avait mal au ventre ? demande-t-il.
Mon cœur se serre brutalement, mon frère ne devrait jamais avoir à entendre un truc pareil. A cet instant précis, j'aimerais plus que tous avoir un neurolaser, comme dans Men in Black, vous savez, ce bidule qui efface la mémoire. On annonce à Flynn que je meurs, puis s'il réagit mal, hop, on lui efface la mémoire. Ou alors, on pourrait même l'utiliser une fois que je ne serai plus là, pour qu'il oublie qu'il avait une sœur. Pourquoi ce truc n'existe pas vraiment ?
— Voilà, confirme ma mère. Eh bien, elle est malade.
— Et alors, moi aussi j'étais malade la semaine dernière !
Son innocence me brise le cœur encore un peu plus.
— Charlie va partir, elle va rejoindre les nuages et les oiseaux, explique ma mère.
Les nuages et les oiseaux ? Sérieusement ? D'accord, on ne va pas lui dire que je vais plutôt rejoindre la terre et les vers, mais il faut être vraiment fou pour dire quelque chose d'aussi bête et niais. Il a cinq ans, certes, mais ce n'est pas pour autant qu'on doit le prendre pour un abruti. Il n'est pas bête quand il s'agit de balancer à papa que j'ai fui par la fenêtre pour rejoindre Emily, et il n'est pas bête non plus quand il s'agit de m'attendrir avec son regard adorablement démoniaque. Il ne comprend pas un traitre mot de ce que maman dit, il la fixe avec des grands yeux et les sourcils froncés.
— Vous êtes vraiment nuls ! dis-je à mes parents.
Je descends de la table et m'accroupis devant mon petit frère qui reporte son attention sur moi. Mes parents eux, ont un regard inquiet, ils se demandent probablement quelle manière horrible je vais choisir pour annoncer ma mort imminente à mon frère. Je prends sa petite main dans la mienne, elle est collante et j'y vois du feutre ; les enfants sont vraiment les êtres les plus dégueulasses de ce monde.
— Écoute Flynn, commencé-je d'une voix tendre. Des fois, on tombe malade et on guérit parce qu'on n'a qu'un rhume ou une grippe. Mais il y a d'autres maladies dont on ne guérit pas, parce qu'elles sont vraiment trop vilaines et qu'elles préviennent trop tard, tu comprends ?
Il hoche la tête.
— Comme quand Dark Vador est mort ? me demande-t-il les larmes aux yeux.
Dark Vador n'est pas qui vous croyez. C'était son hamster et il est décédé après que Flynn lui ait offert un festin composé essentiellement de chocolat. C'était trop d'émotions pour lui, il est mort.
— Oui, affirmé-je. Eh bien moi, j'ai une maladie qui ne se guérit pas et je vais mourir.
Mes parents écarquillent les yeux, ils trouvent peut-être que je n'ai pas eu assez de tact, mais la vérité, c'est qu'en l'espace de quelques minutes, j'ai fait preuve de plus de tact que dans toute ma vie. Flynn ne dit rien pendant d'interminables secondes, j'ai l'impression que son petit cerveau travaille et qu'il réfléchit intensément. Il ne pleure pas et n'a pas l'air traumatisé, je compte si peu pour lui ? Ou alors, il ne m'a peut-être pas comprise.
— Ça veut dire que je pourrai avoir ta chambre ? demande-t-il, un large sourire aux lèvres.
Quand je vous dis que les enfants sont démoniaques. Ma mère pousse un rire nerveux et les yeux de mon père sont recouverts par un voile de tristesse. Flynn a compris sans avoir compris, je ne peux rien faire de plus.
— Si tu veux, dis-je en frottant le sommet de son crâne.
Il pousse un cri d'excitation, se lève du sofa et retourne en courant dans sa chambre. J'ai soudainement un pincement au cœur, il n'a pas l'air de réaliser et je redoute le jour où je ne serai plus là, quand il va comprendre et que son petit cœur sera brisé.
— Voilà, c'est réglé, déclaré-je.
Je m'apprête à retourner dans ma chambre, probablement pour regarder l'heure tourner et m'ennuyer. Ma mère me hèle du salon, je me retourne, avec le sourire le plus agréable aux lèvres :
— Oui maman ?
— Puisque tu n'es pas dans ton lit, tu pourrais peut-être passer au magasin faire des courses ?
J'ai bien envie de faire une blague sur le fait d'exploiter son enfant en fin de vie, mais quelque chose me dit que ça ne fera pas rire ma mère. Alors je retourne dans ma chambre me changer ; je rêverais de sortir dans mon pyjama hideux, mais quelque chose me dit que ma mère ne me laissera jamais franchir le pas de la porte comme ça. Alors j'opte pour un jean et un tee-shirt noir par-dessus lequel j'enfile un sweat à capuche trop grand, vous l'avez compris, j'aime bien les vêtements trop grands. C'est le sweat de mon père. Quelque chose ne tourne pas rond chez lui, il se débarrasse de ses sweats cool et porte des chemises moches. Ah, les parents... J'enfile mes bottines à l'entrée pendant que Flynn arrive vers moi en faisant la tronche ; maman l'a forcé à sortir avec moi.
***
HEY
J'espère que l'histoire vous plaît toujours autant donc n'hésitez pas à me dire ça en commentaire ! :)
Sinon, j'ai décidé que pour l'instant j'allais poster un chapitre tous les lundis donc le prochain chapitre, lundi prochain ! Le planning peut changer, mais pour l'instant on va faire comme ça !
Laurie
Publié le 26/09/17
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