18 - Wishlist

Un rayon de soleil filtre à travers la vitre, éclairant ma main. Je la bouge, jouant avec la lumière, la faisant se déplacer sur ma peau. J'aime le soleil de Portland. Quand il se montre. Mais même si ça peut paraitre étrange, j'aime encore plus sa pluie. Pour certains c'est dommage qu'il pleuve autant, j'ai déjà entendu quelques personnes se plaindre du temps et dire qu'ils aimeraient vivre ailleurs. Moi, j'ai toujours aimé vivre ici. Ce n'est pas Los Angeles, ce n'est pas New York, d'accord, mais il y a des trucs cools ici, il y a des belles choses à voir. Quand vous comprenez ça, vous ne faites plus attention à la pluie ; elle rend tout plus beau de toute façon. Elle rend la nature plus verte, le sol plus odorant, elle vous fait redécouvrir le soleil quand elle se calme et le laisse réapparaitre.

Duncan s'assied sur le fauteuil de son bureau après s'être activé dans tout son appartement à chercher je-ne-sais-quoi tandis que j'étais restée confortablement installée sur son lit. Il se munit d'une feuille et d'un stylo, puis me regarde.

— Qu'est-ce que tu fais ? lui demandé-je.

— On va faire une liste.

Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une simple liste de courses ; dans l'incompréhension la plus totale, je préfère me taire et attendre qu'il me dévoile son plan. Il prend une profonde inspiration :

— Il ne te reste probablement pas beaucoup de temps, alors je me suis dit qu'on devrait profiter de ce temps pour s'éclater, dit-il.

Le fait qu'il me rappelle que je vais bientôt mourir, c'est comme une claque en plein dans mon visage. C'est sec et ça pique. Mais dans un sens, je suis heureuse qu'il accepte la situation et qu'il n'en fasse pas tout un plat. Je me mets à réfléchir intensément à tout ce que j'aurais voulu faire dans ma vie. La première chose qui me vient, c'est le fait que j'aurais voulu voyager et faire le tour du monde ; je pense que je manque cruellement de temps, laissons ce rêve à l'état de rêve.

— Il n'y a pas quelque chose que tu as toujours rêvé de faire ? me demande-t-il avec un sourire en coin.

— Eh bien, je crois qu'on peut oublier tous les rêves de grandeurs tels que les voyages, les sauts à parachute... Mais il y a quelque chose que j'ai toujours voulu faire.

Je me demande s'il va me prendre pour une idiote quand je vais lui avouer à quoi je pense.

— Je t'écoute, dit-il.

— Je veux me faire tatouer.

— Moi aussi, avoue-t-il avec un sourire radieux. On pourrait en faire un tous les deux ?

C'est la pire idée qu'il pouvait avoir. Enfin, c'est de ma faute, si je n'avais pas eu cette idée tordue, il n'aurait jamais pensé à ça. Ça semble génial, vu comme ça. Mais quand je ne serai plus là et qu'il verra son tatouage, il ne pourra s'empêcher de penser au jour où on l'a fait, il ne pourra s'empêcher de penser à moi et de se rappeler jour après jour que je ne suis plus là. Cependant, je ne lui dis rien, je sais très bien ce qu'il me répondrait. Alors pour toute réponse, j'hoche la tête, ce qui le fait sourire et il se met à griffonner sur sa feuille.

Après avoir écrit ce début de liste, nous parlons pendant près d'une heure de toutes les choses que nous aimerions faire, certaines sont réalisables, d'autres non. Pour certaines, il faudrait payer des milliers de dollars, pour d'autres, il faudrait parcourir des milliers de kilomètres. Duncan a plein d'idées toutes plus folles les unes que les autres, il tente de savoir ce que j'aime, ce que je n'aime pas. Il finit par poser son stylo.

— On ne finit pas la liste ? demandé-je.

— Je vais la finir moi-même. Je sais ce que je vais y mettre.

Je le regarde surprise, il a dû assimiler tout ce que je raconte depuis tout à l'heure. Il se lève et je me rends compte seulement maintenant que ce garçon a la bougeotte ; il se lève, se rassoit, se relève, marche, revient, il me donne le tournis.

— Viens, me dit-il.

— On va où ?

— Tu vas commencer à découvrir la liste.

Il s'empare d'un sac de sport qui était posé par terre depuis tout à l'heure et sort de sa chambre ; je le suis. Nous sortons de son appartement et nous dirigeons vers l'ascenseur. Encore ce foutu ascenseur, j'espère qu'il n'y a aucun lien entre lui et la liste. Les portes se referment derrière nous, je dois parler, je dois faire passer le temps parce que si je ne le fais pas, il va encore se jeter sur moi et me faire ressentir des choses que je n'avais jamais ressenties de ma vie, me rendant vulnérable.

— Il y a quoi dans ce sac ?

— Tu verras, me répond-il en appuyant sur le bouton du dernier étage.

— Je pense que tu t'es trompé et que tu voulais aller au rez-de-chaussée.

— Je pense que tu devrais arrêter de te poser des questions, rétorque-t-il amusé.

Je croise les bras sur ma poitrine et me tais, comme il me l'a demandé. Je regarde les chiffres du petit écran de l'ascenseur défiler, et à ma plus grande surprise, Duncan ne tente pas de faire un remake de 50 nuances de Grey, ce qui est une plutôt bonne nouvelle. Pas que ce garçon soit désagréable, loin de là, mais justement ; j'ai l'impression de défaillir quand il s'approche trop de moi et j'aime bien avoir un entier contrôle sur mes émotions. Mais vous l'auriez sûrement remarqué.

L'ascenseur s'arrête au dernier étage - le dixième - nous sortons de la cabine. Nous marchons dans le couloir menant aux appartements et je me demande l'espace d'un instant si nous rendons visite à quelqu'un, si Duncan a un ami dans cet immeuble, mais je me rappelle la fois où il m'a dit qu'il ne connaissait personne ici à part son oncle et moi. Il pousse une porte où il est écrit en blanc sur un petit panneau rectangle et vert « Issue de secours ». Il s'agit d'une cage d'escaliers.

— Qu'est-ce qu'on fait là ? demandé-je.

— Heureusement que tu es cool, drôle et vraiment jolie, parce que t'es vraiment énervante quand tu te mets à poser plus de questions qu'un flic.

Je lui donne une tape sur le bras, il fronce les sourcils et me perce du regard :

— Aïe ! s'exclame-t-il.

— Ne prétends pas que tu as eu mal, dis-je en riant.

— J'ai eu mal.

— N'importe quoi, j'ai bien vu tes biceps sur la photo tout à l'heure, et je doute sincèrement que tu aies senti quelque chose.

Il m'adresse un sourire plein de sous-entendus et je regrette aussitôt mes paroles. Pourquoi est-ce que je n'ai jamais appris à réfléchir avant de parler ? Pourquoi mon manque de tact et ma franchise me font toujours faire et dire des choses stupides ? Je pense que c'est un complot monté de toutes pièces, je suis probablement le sujet principal d'une expérimentation visant à démontrer à quel point l'humain peut être stupide. Ça ne peut être que ça.

— Enfin je veux dire, je ne t'ai pas vraiment observé, j'ai juste vu que tu avais l'air un peu sportif, vu que tu avais une planche à la main, mais je ne me rappelle plus vraiment la circonférence de ton biceps. Je ne sais même pas si tu as des abdos, tu en as combien, deux, quatre ? ajouté-je en tentant de rester naturelle ; ce qui est un échec total.

Il rit et se mord la lèvre ; il s'empêche probablement de se moquer plus de moi, j'en suis grandement reconnaissante, tu es si gentil avec moi Ô grand Duncan sage et adorable.

— Avoir du muscle ne signifie pas être immunisé contre la douleur, dit-il.

— Alors je suis désolée. Est-ce qu'on pourrait changer de sujet maintenant ?

Il rit et tourne la tête vers le cul de sac devant lequel nous sommes. L'escalier descend, mais ne monte plus puisque nous sommes au dernier étage. Sur le mur en face de nous, une petite échelle de métal est fixée, elle mène à une trappe attachée par une ficelle, ce qui n'est clairement pas le meilleur moyen d'attacher une trappe ; autant ne rien mettre.

Duncan grimpe sur l'échelle et défait la petite ficelle qu'il range précieusement dans sa poche.

— Ce n'est pas dangereux de laisser ça facile d'accès, comme ça ? demandé-je par curiosité.

— Il n'y a que des vieux dans cet immeuble, personne ne s'inquiète.

Après avoir grimpé l'échelle et être passée par la trappe, je regarde autour de moi et tout ce que je vois, ce sont des tuyaux de partout. Nous sommes sur le toit et c'est bien la première fois de ma vie que je monte sur un toit. J'ai soudainement l'impression d'être une hors la loi, je sais que ce n'est rien mais c'est probablement la chose la plus folle que j'ai faite de ma vie - après avoir laissé Duncan entrer dans ma vie bien sûr. Je sais, vous devez vous dire que ma vie n'est pas très palpitante et vous auriez tout à fait raison. J'ai toujours été de nature plutôt casanière et calme. Les fêtes, les bêtises, les transgressions de loi, ce n'est pas mon style. Quand je vous disais que j'étais une bonne personne, je ne rigolais pas. Le karma n'avait vraiment aucune raison de m'en vouloir, et pourtant j'ai eu un diagnostic vraiment nul à chier il y a de ça un peu plus d'une semaine.

Duncan avance et je le suis, jusqu'à ce que nous arrivions devant un muret, marquant l'extrémité du toit. J'admire la vue et je dois dire que c'est plutôt impressionnant, ça me rappelle cette fois où nous étions dans la grande roue. Je vois des arbres aux feuilles brunes ou jaunes, des bâtiments grisâtres ou de briques rouges, mais ce n'est pas assez haut pour que tout paraisse petit.

Je vois distinctement les voitures aux couleurs ternes passer, les gens pressés marcher. Le ciel est gris, il n'y a même pas de nuage qui se démarque, le ciel est d'une couleur unie et inquiétante. J'ai l'impression qu'il va pleuvoir et je souris à cette pensée.

Une brise soulève mes cheveux que je n'ai pas rattachés depuis que Duncan a retiré mon élastique. Ce dernier s'abaisse et ouvre son sac qu'il a posé à nos pieds. Il se relève avec deux ballons dans les mains. Des petits ballons de baudruche, un vert et un rouge. A leur forme, tout commence à prendre sens dans ma tête, je commence à voir où il veut en venir ; ils sont pleins d'eau. Je ris doucement.

— Est-ce que tu veux jeter ces ballons sur des passants ? demandé-je.

— Tout à fait.

— Mais Duncan, c'est totalement méchant ! Mets-toi à la place de ces personnes, tu marches tranquillement, et là splash, tu te prends un ballon rempli d'eau glacée sur la tête ! Est-ce que ça te ferait rire ?

— Je serais vraiment énervé, répond-il.

— Tu vois...

— Mais comme nous deux on ne va rien se prendre, alors c'est amusant. Ce n'est jamais drôle quand ça t'arrive, mais quand il s'agit des autres, ça change la donne. C'est comme quand tu te cognes et que quelqu'un rigole. Ça t'énerve, mais quand c'est l'autre personne qui se cogne, tu rigoles aussi. La nature humaine est ainsi, c'est toujours quand ça nous arrange.

Son raisonnement est un mélange de logique et d'égoïsme, ce qui rend la chose plus excitante.

— Et puis, il pleut tous les jours ici, les gens ne peuvent pas se plaindre pour un peu d'eau... si ? me demande-t-il avec un sourire machiavélique.

Il me tend le ballon rouge, j'hésite un instant mais je finis par le prendre, accentuant le sourire que Duncan m'adresse. Je me penche au-dessus du rebord du muret pour regarder la rue, quelques personnes marchent. Je vois une mère avec une poussette ; c'est hors de question que je lui balance ce truc dessus. Je scrute attentivement toutes les personnes qui marchent, j'ai l'impression qu'aucune ne fait une cible adaptée.

— C'est quand tu veux, me dit Duncan.

Je vois un homme qui porte un ciré noir, sa capuche est relevée sur sa tête, je suis sincèrement désolée pour lui mais de ce fait, il constitue une victime parfaite.

Je lâche la bombe à eau au-dessus de lui, mais elle ne lui tombe pas dessus, elle tombe juste à côté. Duncan éclate de rire et envoie la sienne sur ce pauvre homme qui n'a rien demandé à personne. Il vise bien mieux que moi puisqu'il atteint notre cible en plein dans le mille.

Nous entendons l'homme pousser un cri et lever la tête ; nous nous baissons et rions aux éclats en chœur, j'avoue que c'était vraiment drôle. Je regarde Duncan et lorsqu'il rit, je remarque qu'une petite ride se forme aux coins de ses yeux, lui donnant un regard rieur et sacrément sexy. Je dois probablement avoir l'air d'une folle à le regarder ainsi, puisqu'il s'arrête de rire.

— Quoi, j'ai quelque chose sur le visage ?

Oui, des magnifiques yeux. Je secoue la tête et me relève, je remarque que l'homme a continué de marcher, sa capuche toujours vissée sur sa tête. Je prends un autre ballon dans le sac de Duncan et il fait de même. Nous continuons ainsi à arroser les passants jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucun ballon. Nous rions tellement que j'en ai mal aux abdominaux, j'en pleurerais presque.

Publié le 25/12/17

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