14 - Baby-Sitting
— Qu'est-ce que tu as raconté à mon père ? demandé-je à Duncan.
Il se met à sourire mais ne répond pas. Je déteste quand les gens font ça. C'est juste insupportable.
— Je lui ai tout raconté, dit-il.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu entends par tout ?
— Ben tu sais, je lui ai dit que grâce au message qu'il m'a envoyé j'avais pu établir un contact avec toi. Je lui ai dit que tu étais plutôt difficile à vivre mais que comme je suis un mec génial, tu es tombée raide dingue de moi. Ensuite, je lui ai raconté la fois où tu es venue me voir après le travail, quand tu m'as carrément sauté dessus, plaqué contre un mur et embrassé très sensuellement.
Est-ce que par pur hasard, Duncan aurait un humour encore plus pourri que le mien ? Je ne crois pas que ce soit possible.
— Mais tout ça ne s'est jamais produit, dis-je.
— Théoriquement si, dans mes rêves. Tu aurais préféré que je lui raconte la fois où je t'ai embrassée dans la maison hantée, que tu m'as repoussé et que j'ai dû revenir à la charge pour arriver à mes fins ? De quoi j'aurais l'air moi ?
— D'un mec qui dit la vérité..., je réponds. Au moins, cette fois-là était bien réelle.
Duncan m'adresse un sourire beaucoup trop craquant pour que mes yeux le supportent, j'ai l'impression de fondre comme neige au soleil. Comment est-ce qu'il fait ce truc, bordel ? Il s'approche de moi et m'embrasse tendrement, j'ai l'impression de flotter au-dessus de mon corps. Parfois, quand je me sens bien comme ça, je me demande si je suis encore en vie. Mon imagination part un peu trop loin et j'en viens à me demander si je ne suis pas tombée dans un profond coma et si je ne rêve pas. Ou même si je suis déjà morte et que je continue à rêver ; après tout, on ne sait pas ce qu'il y a après la mort, personne n'a pu revenir pour nous le dire.
Quand Duncan s'écarte de moi, ses yeux sont brûlants d'une lueur que je ne saurais déterminer.
— Et cette fois, c'était réel ? me chuchote-t-il.
Je m'apprête à lui répondre quelque chose, mais la porte de ma chambre s'ouvre à la volée, découvrant mon abominable petit frère. Il me regarde avec des yeux ronds, je pense qu'il est choqué de la proximité entre Duncan et moi. Nous le fixons tandis qu'il fait de même. Sa petite main est toujours agrippée sur la poignée, on dirait le jour où il a découvert que j'avais fait fondre ses pastels pour une expérience artistique loupée.
— Beurk ! lâche-t-il enfin.
— Ne dis pas « beurk », espèce d'enfant maléfique ! Si papa et maman n'avaient pas commencé par faire ce que tu qualifies de « beurk », tu ne serais pas là à me regarder comme si tu avais vu le père noël ! rétorqué-je.
Il me tire la langue et je fais de même, ce qui provoque son hilarité.
— Qu'est-ce que tu voulais ? lui demandé-je.
— Papa et maman sont partis.
— D'accord.
— Je m'ennuie.
Je déteste quand les enfants disent ça. Parce que ça veut dire que vous devez trouver une occupation et tout ce que Flynn aime faire, c'est jouer avec ses figurines de super héros, avec ses petites voitures, ses dinosaures en plastique et faire des dessins à propos desquels je suis obligée de faire semblant qu'ils représentent réellement quelque chose, alors que je ne vois qu'un tourbillon de couleurs qui n'ont rien à faire ensemble.
— Je m'ennuie vraiment, insiste-t-il.
— OK, on a qu'à... regarder un film ? proposé-je.
— Non.
— On peut se balader ?
— Je suis fatigué.
— Alors va faire une sieste.
— Non, pas fatigué comme ça, Charlie ! me dit-il comme si c'était logique et que je ne comprenais rien.
Cet enfant me rend folle. Il est vraiment adorable comme ça, dans son pyjama Batman et sa peluche lapin qu'il tient par les oreilles de sa main gauche. Sans parler de son épi adorable sur le sommet de son crâne. Mais quand il commence à bouger ou à parler, vous oubliez tout ça.
— On pourrait faire un gâteau ? propose Duncan.
La dernière fois que j'ai voulu faire des cookies avec Flynn, je me suis absentée cinq minutes, il a mangé la moitié de la pâte pas cuite et il a été malade toute la soirée. Il commence à s'exciter sur place comme une puce, il sautille partout et crie :
— Oui !
Duncan m'adresse un sourire vainqueur, il est fier d'avoir trouvé une activité, je lui souris en retour. Oh Duncan, tu ne sais pas ce que tu viens de faire. Tu viens d'appuyer sur le bouton On de Flynn et tu vas amèrement le regretter. Flynn lui tend la main et l'emmène déjà vers l'escalier, en direction de la cuisine.
— Tu viens ? me demande-t-il joyeusement.
— J'arrive, dis-je.
Ils ne sont plus dans ma chambre, je m'y trouve seule et je me plante devant le miroir. J'évite de m'y regarder, parce que la fille que j'y vois me fait peur. J'ouvre les yeux et la fille qui apparait devant moi a l'air plus ou moins en forme. Sa peau n'est pas vraiment pâle mais pourtant, je vois qu'elle est malade. Je ne saurais dire ce que c'est. Ses cernes sont légèrement gonflés mais pas plus que d'habitude. Sa coiffure n'est ni plus ni moins apprêtée que d'habitude, son chignon décoiffé ne change pas. Je m'attarde sur ses fringues, elles n'ont rien de sexy, elles ne la mettent pas en valeur, c'est comme si elle essayait de disparaitre derrière. Je ne sais pas ce qui a changé, mais cette fille n'est déjà plus comme avant. Je ne suis plus comme avant.
Même si je ne remarque pas de changement physique significatif, je sais que j'ai changé de l'intérieur. Vous savez, je n'ai pas toujours été comme ça. Je veux dire, ce caractère je l'ai toujours eu ; j'ai toujours été sacrément pragmatique et sarcastique. Mais ce laisser-aller, ces changements d'humeur, cette manière de penser, je sais que ce n'est pas moi. Même si je ne suis pas du genre niais à sourire pour un oui ou pour un non, j'avais l'habitude de savoir rire et m'amuser. J'aimerais retrouver cette personne de tout mon cœur. Mais voyez-vous, vivre en sursis n'est pas ce qu'il y a de plus agréable.
Le bonheur que Duncan m'offre, j'ai l'impression que je n'y ai pas droit. J'ai toujours cette impression que c'est un échantillon de ce que ma vie aurait pu être si mon destin n'était pas si tragique, si le monstre n'avait pas élu domicile dans mon corps.
Vous voyez, j'ai l'impression d'être tiraillée entre deux personnalités. J'ai envie de vivre, de rire et de profiter de tout ce que la vie a à me donner. Mais il y a l'autre partie de moi qui revient en force et qui essaye de me convaincre que tout ça est inutile et vain, qui me hurle que je fais du mal à tout le monde. Alors la première partie reprend un peu le dessus, elle montre à l'autre que mes proches ont envie de me voir heureuse, ils ne veulent pas que je les abandonne tant que je suis encore là. S'ensuit un vrai combat, la partie noire de moi revient à la charge, elle me détruit et tout s'écroule.
Mes humeurs, c'est un peu comme les montagnes russes, en plus flippant. Et vous, qu'est-ce que vous devez penser de moi ? Vous devez probablement vous dire que j'en fais des caisses, que je ne sais pas ce que je veux. Vous pensez probablement savoir quoi faire à ma place, mais vous savez quoi ? Chaque être humain est différent, même si je tentais de m'expliquer durant des heures, personne ne pourra mieux me comprendre que moi-même.
C'est d'ailleurs pour ça que j'ai refusé de voir un psychologue. Maman avait insisté, pensant que je faisais un déni, elle pensait qu'en parler à un professionnel m'aiderait. Mais je pense que même si cette personne a décidé d'en faire son métier et pense tout savoir du comportement humain, elle ne me comprendra pas. Ou alors, elle pensera me comprendre, elle me donnera des conseils alors qu'elle n'aura pas vécu un tiers de ce que je vis.
Personne n'est qualifié pour comprendre le vide qui se fait en moi, personne à part moi.
Je secoue la tête, prends une profonde inspiration. Charlie, tu dois rester forte. Cette fille aux pensées noires, ce n'est pas toi. Je me regarde une dernière fois dans le miroir et avant même d'avoir le temps de me retourner, des douleurs me surviennent dans le dos. Elles n'ont rien à voir avec un mal de dos comme quand on a fait trop de sport ou qu'on s'est trop baissé. Là, c'est étrange, et surtout, c'est douloureux. Je laisse échapper un cri étouffé, c'est bien la première fois qu'une telle douleur survient.
Je tâte ma coiffeuse à la recherche de la boite de médicaments dont j'ai besoin. Je regarde ce qu'ils contiennent, j'ai l'impression de ne plus arriver à lire ce qui est écrit sur les boites tant ma douleur me déconcentre. Après une concentration extrême, je finis par trouver la bonne boite d'anti-inflammatoires, je m'empresse d'en prendre.
Publié le 27/11/17
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