13 - Socks
Je crois que je suis heureuse. En fait, je ne crois pas. Je le suis. Mais il y a un problème de taille. Duncan aussi, semble heureux ; le sourire qui s'étend sur ses lèvres en dit long, les mouvements doux de ses doigts dans mes cheveux aussi. Je n'ai pas pu résister, j'ai décidé de me la jouer égoïste.
Il avait totalement raison quand il disait que j'avais envie de vivre et non de finir ma vie seule, comme ma chaussette qui trône désespérément au bout de mon lit. Elle est seule, affalée sur le sol et triste. Un peu comme moi, parfois. La différence entre la chaussette et moi, c'est qu'elle a perdu son double ; je l'ai perdu, peut-être qu'il se trouve apeuré dans le noir, sous mon lit. Quant à moi, je viens de trouver mon double. Enfin, Duncan quoi.
Pourtant, elle était belle, toute rose, fabriquée dans un coton on ne peut plus doux. Moi, je suis tout l'inverse, je suis loin d'être fabriquée dans une matière douce, j'ai une maladie en moi qui m'empêche de vivre. Alors, qui a le pire sort ? Ma chaussette qui a une longue vie devant elle mais qui a perdu l'amour de sa vie, ou moi qui ai trouvé le mien mais qui dois quitter précipitamment la vie ?
Je n'ai jamais prétendu ne pas avoir envie de vivre. Je veux faire tout ça, vivre, aimer, être aimée. Je trouvais juste ces envies égoïstes. Mais Duncan a l'air déterminé à ne pas me laisser tomber, alors je me dis qu'il est un grand garçon ; il a fait son choix. Il a décidé de m'embrasser, il a décidé de m'aimer et de me faire vivre.
Mon regard se pose désormais sur ma chaussette, ce qui me fait sourire.
— Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? me demande Duncan.
— Ma chaussette.
Il m'éloigne un peu de lui pour mieux me regarder. Il plisse les yeux.
— Est-ce que tu vas bien ? demande-t-il inquiet.
— Je vais totalement bien. Mais j'étais en train de me dire que... j'ai perdu la deuxième. C'est triste.
Il continue de plisser les yeux comme si j'avais dit la chose la plus insensée qui soit. OK, il est vrai que depuis que j'ai eu mon diagnostic, je me sens à fleur de peau et plus sensible. Autrement dit, ce ne serait vraiment pas approprié pour moi de regarder Titanic dans ces conditions. A part si vous voulez savoir s'il est possible d'inonder une chambre avec ses larmes. Duncan me prend probablement pour une folle, mais ce que je dis a un sens, ce n'est pas totalement bête. Je pense juste au sens de la vie.
— Peut-être que l'autre chaussette s'en est allée parce que ta chambre en bordel lui faisait peur ? propose-t-il.
— Te fous pas de moi ! lui dis-je en riant. C'est pas tant le bordel que ça.
— Tu rigoles ?
Je contemple ma chambre, la contournant des yeux. Le sol est jonché d'affaires d'école, de fringues et je vois même une botte solitaire. Quant au bureau, je ne me rappelle plus sa couleur. Je vois juste des masses de papiers, d'affaires en tous genres. Tout comme ma chambre, la poignée de la porte de mon dressing et tout le reste. OK, peut-être qu'il a raison.
— Je parie que je peux retrouver ta chaussette.
J'émets un long rire, comme si c'était la blague la plus drôle que j'aie entendue.
— Bien sûr.
Duncan n'écoute pas et a déjà les pieds à terre. Il regarde partout autour de lui, hoche la tête et s'agenouille au sol. Il passe la tête sous mon lit et au bout de quelques secondes, il tend un bras vers le haut et m'adresse un sourire victorieux. Il tient dans sa main la deuxième chaussette, rose et douce. En fait, il n'y a que moi qui aie un destin tragique, je préférais croire que je l'avais perdue.
— Comment tu as pu trouver si vite ? demandé-je.
— Ton bordel est un minimum organisé. Tes cours sont par terre, proches de ton sac, tes fringues sont perchées sur des meubles parce que tu les as probablement balancées de ton lit, puisque tu as l'air d'y vivre. Mais sous ton lit, il y a toutes les petites choses qui se perdent facilement.
Il me tend mon petit IPod que je pensais avoir perdu depuis deux mois. Je le regarde sous toutes ses coutures, comme si c'était un nouvel objet.
— J'étais champion de chasse au trésor quand j'étais petit.
— Quoi ? Toi, tu faisais des chasses au trésor ? demandé-je en riant.
— En quoi est-ce drôle ? me demande-t-il en croisant ses bras sur son torse.
En fait, ce n'est pas drôle, je me rends juste compte que je ne le connais pas tant que ça. Je connais sa situation familiale, je connais son parcours jusqu'ici, je sais que je l'aime bien et que sa bouche embrasse divinement bien. Mais je ne le connais pas vraiment.
— On ne se connait pas vraiment, remarqué-je.
— Moi, je te connais.
— Je ne t'ai presque rien dit de moi.
Un sourire se dessine sur ses lèvres et il se rassied près de moi.
— Je sais que ton père est cool. Peut-être bien que ta mère l'est aussi. Ton frère est un enfant turbulent, mais je parie qu'il est tout de même facile à vivre. Tu as toujours vécu ici, dans cette maison.
— Attend, je ne t'ai jamais dit ça. Et je ne t'ai jamais dit où j'habitais, comment tu as su ?
— Tu penses qu'Internet sert à quoi, au juste ? me demande-t-il.
Je ris à sa question, j'aurais dû m'en douter.
— Qu'est-ce que tu sais d'autre ?
— Tu as deux meilleurs amis, mais tu les as laissés tomber. Tu aimes probablement la photographie. Tu es plutôt du genre terre à terre mais au fond de toi, tu as une partie qui rêve, même si tu essayes de l'enfouir. Et je crois que tu n'aimes pas le vert, il n'y en a nulle part ici, même pas dans ton dressing.
Il a raison sur tout. Je regarde le mur de ma chambre sur lequel j'ai accroché des polaroids sur un fil avec des petites pinces à linge. Certaines photos représentent des paysages que j'ai pu prendre lors de mes différents voyages, certaines représentent ma famille. Il y a une photo de Flynn et moi en train de grimacer, c'est papa qui l'avait prise. Je vois d'autres photos d'Emily, Blake et moi, nous sourions ou nous faisons les imbéciles. Mon cœur vrille à la vue de tous ces bons souvenirs. Je reporte mon attention sur Duncan.
— Je vois, monsieur est psychologue ! remarqué-je.
— J'observe bien. Et toi, peux-tu en dire autant ?
J'ai honte. Parce que pendant tout ce temps, Duncan était en train de m'analyser. Et moi, je faisais quoi pendant tout ce temps ? Je m'apitoyais sur mon sort.
— Eh bien, je dirais que tu es... tu es...
— Je suis ?
Il me regarde et m'adresse un sourire malicieux, il aime me voir patauger, ça l'a toujours amusé.
— Tu es probablement un agent secret recruté par la CIA. Plutôt doué en filature et en recherche d'indices, sauf que tu ne sais pas être discret. Peut-être que le gouvernement veut savoir pourquoi je mange autant de glace, ils ont remarqué que le chiffre d'affaire de Ben & Jerry's avait considérablement augmenté, ils trouvent ça suspect, donc ils t'ont engagé. Tu traines avec moi pour découvrir la vérité, ils t'ont promis que si tu résolvais cette affaire, tu te verras offrir une mutation à la Nasa, qui t'enverra résoudre des meurtres sur Saturne.
Il plisse les yeux, comme à chaque fois que je raconte des bêtises.
— Ne t'en fais pas Duncan, je ne mettrai pas ta mission en péril. Je vais faire comme si je n'avais rien découvert.
Je lui adresse un clin d'œil et un sourire doux se dessine sur son visage.
— Ce week-end, je vais chez mes parents, tu viens avec moi. Et ce n'est pas négociable.
— Pourquoi ? demandé-je.
— Pour que tu apprennes à mieux me connaitre.
— Je te connais. Tu es sympa, tu as de l'humour, tu es plutôt nul en drague, tu es déterminé...
— Ça, ce sont des traits de caractère. Qu'est-ce que j'aime faire ?
— Tu aimes... le sport.
Tous les mecs aiment le sport. Même s'ils n'en pratiquent pas, ils aiment au moins le suivre à la télévision. Je parierais que Duncan est fan de football américain, de baseball ou de boxe. Peut-être même qu'il en pratique, sa musculature a l'air finement développée, pas à l'extrême. Je ne pense pas qu'il soulève des poids, il doit faire quelque chose de plus subtil.
— Tu as le vertige, dis-je sûre de moi.
Il me sourit et s'apprête à dire quelque chose mais il est interrompu par mon père qui frappe à la porte de ma chambre. Bizarrement, cette fois-ci il attend que je lui donne l'autorisation d'entrer, il fait semblant de respecter ma vie privée parce que j'ai un invité, c'est impressionnant. Même quand Emily ou Blake sont à la maison, il ne prend pas la peine de frapper. Je lui crie qu'il peut entrer et lorsqu'il ouvre la porte et nous voit tous les deux assis sur le lit, je me mets à subitement regretter ma proximité avec Duncan. Mon père va s'imaginer je ne sais quoi et c'est vraiment gênant.
Il lui avait fallu deux mois à comprendre que Blake et moi ne sortions pas ensemble. Il n'arrêtait pas de répéter « Hé, j'ai été jeune avant vous, je sais qu'il se passe quelque chose, ça se voit » et à chaque fois, je devais lui répéter « Papa, tu te mets le doigt dans l'œil, ce n'est pas du tout comme ça entre nous » ; et puis Flynn se mettait à crier de bon cœur « Charlie a un amoureux, c'est dégoûtant ! ».
— Oh pardon, je ne pensais pas déranger, dit mon père avec un large sourire.
— Tu ne déranges pas, je réponds un peu trop vite.
— Euh Charlie, je voulais te parler de quelque chose. Des amis nous ont invités à une pièce de théâtre ce soir, ça fait une éternité qu'on n'est pas sortis avec ta mère mais... Tu sais elle est un peu réticente vis-à-vis de toi.
C'est tout ma mère, ça. Toujours en train de s'inquiéter pour moi et faire passer ses enfants et ses inquiétudes avant tout le reste, avant même son couple. Je ne peux pas la blâmer, c'est probablement ce qui fait d'elle une bonne mère, mais je ne peux pas la laisser ne pas vivre juste pour moi. Je m'empresse de dévaler les escaliers, laissant mon père et Duncan derrière moi.
Maman est dans la cuisine, elle se dispute avec Flynn à propos de ses devoirs. Quand elle me voit, elle lève la tête et me sourit :
— Tu nous présenteras ton ami un de ces quatre ?
Finalement, elle et papa ne sont peut-être pas si différents l'un de l'autre, ils font les mêmes blagues nulles. Je décide de l'ignorer, je lève les yeux au ciel.
— Maman, tu dois sortir avec papa et tes amis.
— Ne me dit pas que ton père... Écoute chérie, je préfère rester ici, on pourrait organiser quelque chose entre nous, profiter du temps qu'il reste.
Elle émet une grimace suite à ce qu'elle vient de dire. J'avoue que ça ne m'a pas laissée insensible, j'ai ressenti un pincement au cœur. Mais je me reprends :
— On pourra faire quelque chose demain, lui fais-je remarquer. Je veux que vous fassiez tous comme si tout allait bien. N'oublie pas, tu me l'as promis. Alors tu vas mettre ta plus belle robe, tu vas coiffer ces cheveux qui ressemblent à un nid vraiment mal organisé et tu vas aller à cette fichue pièce de théâtre.
— Mais ton frère...
— Je vais le garder.
Ma mère sourit et me prend dans ses bras. Elle est heureuse et je préfère ça que la voir se ronger les ongles et se faire un sang d'encre. Garder Flynn n'est pas si terrible après tout. Il suffit juste de l'attacher à son lit, l'enfermer dans sa chambre et je passerai la soirée tranquillement à embrasser Duncan, mon copain dont je ne sais rien. Ça me parait être un bon plan. Non, en réalité, Flynn hurlerait à la mort et les voisins appelleraient la police avant que je n'aie le temps d'atteindre ma chambre.
Je vois mon père arriver, un sourire béat aux lèvres. Et puis je me rends compte de mon erreur. Je l'ai laissé environ trois minutes en compagnie de Duncan, qui sait ce qu'ils auraient eu le temps de se dire pendant tout ce laps de temps ? Vu le sourire de mon père, ça ne présage rien de bon.
— Alors ? demande-t-il à ma mère.
— Alors, je vais me préparer, lui répond-elle avec un sourire radieux.
Papa me remercie du regard et moi, je m'empresse de retourner voir Duncan, je dois savoir ce qu'il a dit à mon père.
Publié le 20/11/17
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