Chapitre 15


La porte claqua alors que Changbin dévalait déjà les escaliers. Il entendit vaguement la voix du vampire qui lui demandait où il s'enfuyait, cependant il n'avait aucune envie de lui répondre ou d'argumenter avec lui. Il était terrorisé. Lui, Seo Changbin, un assassin réputé pour son sang froid et son grand professionnalisme, succombait à une peur viscérale. Depuis que Chan avait mis un mot sur l'attirance incontrôlée qui grossissait entre eux, il avait l'impression qu'une corde invisible enserrait son cou. Il étouffait, il se sentait menotté, pris au piège et il ne voyait qu'une solution à cette situation : l'éloignement. Il n'avait pris le temps que de sauter dans un pantalon et d'attraper une veste qui laissait son torse nu apparent. Il n'avait même pas enfilé de chaussures et il grimaça quand ses pieds se posèrent sur le bitume rêche du trottoir.

Son poing cogna contre sa poitrine, mais le nœud qui s'y trouvait ne bougea pas d'un iota. Le jeune homme ne jeta pas le moindre regard en arrière et s'engouffra dans une ruelle adjacente. Les rues lui étaient familières, il les connaissait par cœur, et les arpenta sans la moindre hésitation. Les pieds douloureux, Changbin se concentra sur cette souffrance pour ne pas penser à l'aveu de Chan. Une douleur pour en remplacer une autre.

Petit à petit, il quitta le quartier où il vivait pour tomber sur une zone bien moins entretenue. Presque laissée à l'abandon, elle se composait d'immeubles vieillissant dont la façade s'effritait, de ruelles bondées de poubelles partiellement éventrées et de rats. Les rongeurs s'écartèrent à son passage, le bout de leur truffe toujours visible à côté des sacs renversés. Il était de retour quinze ans en arrière. Un lieu qu'il avait fui sans hésitation, mais dont il était incapable de s'éloigner véritablement. Il y revenait toujours. 

Son pas ralentit. Changbin leva les yeux vers le ciel où brillait le soleil, un rictus amer étirant ses lèvres. Le constat était le même : ce quartier était toujours pourri, pourtant il s'y sentait encore un peu chez lui. Le jeune homme laissa son regard errer de l'autre côté de la route et s'arrêter sur une maison familiale. Assez petite, la devanture craquelée et le portail branlant, elle ne se démarquait pas de ses voisines. Cependant, pour lui, elle n'avait rien en commun. Il se laissa glisser contre le mur et s'assit, le teint blême et la plante des pieds ensanglantée.

De longues heures s'écoulèrent, le soleil déclina pour laisser la place au début de soirée et à la lune. Il ne bougea pas. Ni quand un sans-abri passa à côté de lui en jurant ni quand un groupe d'enfants le pointa du doigt en passant devant la rue. Il s'en fichait. L'assassin soupira et ferma les yeux. Il pensait que revenir aux origines de sa vie allait lui permettre de tout remettre en perspective et de reprendre le cours de son existence avec calme, mais cette fois, ça ne fonctionnait pas. Rien ne fonctionnait.

— Je savais que je te trouverai ici.

Changbin jeta rapidement un regard en arrière, un sourire moqueur soulevant le coin de sa bouche. Hwang Hyunjin, dans son costume trois pièces impeccable, les cheveux soigneusement coiffés, se tenait au milieu des ordures. L'assassin ricana en détournant le regard. Pendant une seconde, il avait espéré voir quelqu'un d'autre.

— Cette scène me rappelle un truc.

— Moi aussi. J'aurais aimé ne pas avoir à te sortir d'ici encore une fois. Tu n'es plus un enfant, Changbin.

— Personne ne t'y oblige, patron. Retourne donc voir ton copain, ah non, c'est comment déjà que vous appelez ça ? Un calice, je crois ?

Un profond soupir échappa à Hyunjin qui se rapprocha doucement avant de laisser tomber un sweat à capuche sur la tête du tueur à gages.

— Enfile ça avant de tomber malade ou que les flics ne viennent t'arrêter pour exhibitionnisme. Je ne sais pas si tu te souviens, mais il y a une école pas très loin et à l'agonie tu ne me sers à rien.

— Tu ne vas pas nier ? insista le jeune homme. 

— A quoi bon ? Chan a dû tout te raconter, je n'ai plus rien à cacher et surtout je n'ai pas l'énergie pour ça.

Les yeux de Changbin se fixèrent sur le sol devant lui. Irrégulier, l'asphalte abîmé, couvert de détritus, de feuilles mortes et de saletés. A cet instant, rien ne lui paraissait plus intéressant. Il avait toujours cru que Hyunjin était la personne la plus proche de lui, pourtant il avait l'impression d'être en compagnie d'un inconnu. 

— C'est quand même ironique ? fit-il remarquer d'un ton grinçant.

— De quoi est-ce que tu parles ?

— D'un peu de tout j'imagine. J'ai envie de me mettre en colère et de te hurler dessus, mais je ne sais pas pourquoi je n'y arrive pas. J'ai envie de te cracher que t'es qu'un sale con manipulateur, un sale menteur et un opportuniste. Tu t'es bien foutu de ma gueule avec tes histoires de sérum pour arrêter le vampirisme, pas vrai ?

— Je ne comprends pas ce que tu veux dire, il va falloir être plus clair. Et sors de là, ce n'est pas un endroit approprié pour cette discussion, soupira Hyunjin en lui touchant l'épaule.

— Tu veux arrêter d'être un vampire, mais tu te lies avec Jeongin, c'est bizarre non ? siffla l'assassin. Si tu détestes tant que ça être un suceur de sang, alors pourquoi être avec lui ?

Changbin se redressa. Il était blessé, trahi. Le pull tomba à même le sol, mais il ne s'en soucia pas. Toute son attention était rivée sur son patron. Leurs regards se heurtèrent, aucun des deux ne souhaitant reculer. Ils étaient comme deux bêtes sauvages se grognant dessus, incapable de faire le moindre compromis. Depuis le début, Changbin était celui qui cédait, il était le subalterne, mais cette fois il refusait. A sa grande surprise, Hyunjin détourna les yeux en soupirant, admettant silencieusement sa première défaite.

— C'est justement à cause de Jeongin que je veux accélérer le développement du traitement et le prendre au plus vite, avoua l'hybride. Si je ne me dépêche pas, le lien sera finalisé et nous serons condamnés. Je ne veux pas lui faire subir cette vie entre deux mondes, celle dans laquelle tu n'as ta place nulle part. Il l'a déjà suffisamment expérimenté en tant qu'humain.

— Tu le défends tellement, tu lui trouves tellement d'excuses, il baise si bien que ça ? cracha Changbin. Ça doit être un sacré coup pour que tu t'abaisses à ça.

Hyunjin le poussa violemment contre le mur et il siffla de douleur avant de serrer les dents pour ne pas laisser passer de sons supplémentaires. Avec son corps en piteux état, le moindre choc lui faisait l'effet d'un coup de poing surpuissant. Furieux, il plongea son regard dans celui de son sauveur et frissonna en tombant sur deux orbes rouge vif. La main de son patron enserra sa gorge et serra juste assez pour qu'un filet d'air continue de passer.

— Arrête un peu de jouer au con et ne parles plus de lui comme ça. Tu es tellement enfermé dans ta jalousie et ta peur de l'abandon que tu n'es même pas capable de reconnaître quelqu'un qui pourrait être ton allié. Il est doué et est exactement le genre de personnes que tu apprécies fréquenter.

— N'importe quoi, grinça l'assassin en tentant de se dégager.

— Reconnais que t'es mort de trouille, Seo ! asséna Hyunjin. T'es tellement flippé à l'idée que je t'abandonne comme ta putain de famille parce que tu n'as que moi que t'es une enflure avec tout ceux qui entre dans mon cercle. C'est uniquement pour ça que tu détestes Jeongin, parce que je l'ai laissé approcher et qu'il menace ta place.

Blême, Changbin laissa retomber les bras le long de son corps. Dans sa tête, tout était devenu blanc et un bourdonnement désagréable emplit ses oreilles. Il avait reçu des coups toute sa vie, d'abord dans sa famille, à l'école, dans les foyers puis lorsqu'il avait accepté de travailler pour Hyunjin, mais aucun ne lui avait fait aussi mal que les mots de l'hybride. Le visage de celui-ci se décomposa et il relâcha sa prise.

— Merde, c'était pas ce que je voulais dire.

— Bien sûr que si, le coupa l'assassin d'une voix blanche. Pour une fois, t'as dit exactement ce que tu pensais.

— J'ai jamais voulu ça et je dois reconnaître que je n'ai pas très bien géré la situation. T'as toujours eu une confiance absolue en moi et j'en ai profité pour ne pas m'expliquer. C'était plus simple pour moi et je pensais que ça ne changerait rien entre nous, soupira l'hybride.

Changbin baissa les yeux, les lèvres courbés en un rictus désabusé. Cela ressemblait à des excuses, mais il n'arrivait pas à les prendre au sérieux, à croire qu'elles lui étaient destinées. Ça ne ressemblait tellement pas à Hyunjin.

— Et qu'est-ce qu'il y a entre nous au juste ? souffla-t-il. Je ne suis pas juste un chien errant que t'as ramassé un jour où tu t'ennuyais ?

— Des chiens errants il y en a partout, mais aucun n'est à mes côtés. J'ai su à l'instant où je t'ai vu pour la première fois dans cette ruelle pourrie que tu serais mon bras droit, que je ne voulais personne d'autre. Tu étais tout petit comparé à moi, tu vivais dans la rue couvert de bleus, au milieu des rats, mais tu avais l'air bien plus fort que moi. Tu avais une envie de vivre qui crevait les yeux, c'est pour ça que je t'ai demandé de venir avec moi. Retiens bien ça parce que je ne te le dirais qu'une seule fois : tu es la personne en qui j'ai le plus confiance.

— Même pas Jeongin ? insista Changbin.

L'hybride roula des yeux et se baissa pour ramasser le pull. Le jeune homme céda et l'enfila à contre-cœur. Le tissu était sale, mais il devait admettre qu'il le protégeait du vent et des regards des passants.

— Je ne sais pas ce que Chan t'a dit, mais on ne choisit pas nos partenaires et je ne pensais pas devoir faire face à ce problème, après tout je ne suis qu'à moitié vampire, grimaça Hyunjin. Au début, je ne l'ai même pas remarqué. Quand je l'ai compris, c'était déjà trop tard et le lien avait commencé à se former. Je ne pouvais plus rien faire à part le garder au plus près de moi pour le protéger. C'est pour ça que tu n'as pas été affecté à ma protection, parce que j'avais besoin de garder Jeongin près de moi.

Changbin fronça les sourcils, suspicieux. Quelque chose dans le discours de son patron lui donnait la sensation de passer à côté d'une information importante. Quand il se décida à changer de point de vue, l'évidence lui sauta au visage : Hyunjin se protégeait toujours avant les autres, c'était impossible que Jeongin soit sa priorité. 

— Il n'est pas au courant, murmura-t-il. Jeongin ne sait absolument rien de cette histoire de Calice, il ne sait pas que c'est pour le protéger lui que tu as décidé de le garder avec toi. Enfin, que tu le protèges parce que ça te protège. S'il est tué, tu risques la même chose.

— Et ça doit rester comme ça, gronda Hyunjin. J'ai déjà suffisamment de choses à gérer pour en plus devoir prendre en compte ses sentiments. Je n'en veux pas, mais...

— Alors quoi ? Toi, tu te sens responsable ? cracha Changbin en n'en pensant pas un mot.

— Ce serait si étonnant que ça ? Je vous ai formés pour être des tueurs et me rapporter de l'argent, je ne vais pas m'excuser pour ça ni le regretter, mais je ne voulais pas vous entraîner dans un monde que j'essaye de quitter depuis des années. Aucun humain ne devrait être mêlé à ça.

Hyunjin soupira et passa ses mains dans ses cheveux pour les plaquer en arrière. Il semblait épuisé et Changbin se sentit un peu coupable. Il avait juré de le protéger, de tout faire pour lui, mais il était en partie responsable de son état inhabituel. Il n'avait pas été là pour son patron, il lui avait tourné le dos sans hésitation. Il s'en voulait, mais il refusait de s'excuser. Les épaules de Hyunjin s'affaissèrent et il soupira. Pendant un instant, il perdit toute sa grandeur et son aura de prédateur. Il ressemblait à un humain, fragile et au bord du gouffre. Changbin ne l'avait jamais vu comme ça et il n'avait aucune idée de comment réagir.

— Je ne sais pas si c'est parce que je suis un hybride, mais je ne ressens rien pour Jeongin, marmonna l'homme d'affaires. Je suis attiré par lui, par son sang, mais je sens que ce n'est pas naturel. Je suis toujours en pleine contradiction quand je suis avec lui, je veux me débarrasser de ce lien pour arrêter de lui donner de faux espoirs. Je ne suis pas aveugle, je sais ce qu'il ressent pour moi et je sais que ça va bien au-delà d'un lien bancal dont il n'a même pas conscience.

— Quel chanceux, le grand Hwang Hyunjin le gracie de sa protection, tança Changbin, amer.

— Ne fais pas ton jaloux, soupira son patron en roulant des yeux. Vos situations sont différentes depuis le début, vous n'avez jamais concouru pour la même place.

— Tu m'en diras tant.

— Tu n'as jamais eu besoin de ma protection, abruti. Ni maintenant, ni il y a quinze ans. Tout ce qu'il t'a toujours fallu c'est un coup de pied au cul pour que tu te décides à avancer, claqua Hyunjin. Il est ma faiblesse, tu es ma force. J'ai besoin de toi, alors arrête d'emmerder tout le monde avec ta peur de l'abandon. Je te l'ai dit le jour où tu m'as rejoins : je ne te laisserai jamais tomber. Maintenant, j'aimerais qu'on fasse comme si cette conversation n'avait jamais existé, elle était bien trop mièvre et je nierai si tu en reparles un jour. 

Changbin ouvrit la bouche, mais la referma avant d'avoir prononcé le moindre mot. Hyunjin avait raison, la conversation était close.







Nda : 

Hello ! J'espère que ce n'est pas trop confus et que l'histoire vous plait toujours ! Un immense merci pour vos lectures, votes et commentaires <3

Dalion~ Kiss :3

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