Chapitre 17
Keigo Takami, seize ans et demi, presque dix sept, officiellement amoureux de son meilleur ami, fumait pensivement une cigarette, assis sur les escaliers de secours en métal de son immeuble.
Le regard voilé, le blondinet attendait avec impatience sa bande d'amis qu'il avait appelée il y a quelques minutes à peine. Son appel de détresse les avait alarmés et inquiétés, d'après ce qu'il avait cru comprendre. Il osait donc espérer qu'ils seraient bientôt là, il supportait très mal la solitude, ou plutôt, il avait peur d'être seul depuis que du sang avait jailli de son lavabo, l'aspergeant lui et sa salle de bain.
Keigo frémit malgré la chaleur étouffante. Le simple fait d'y repenser lui donnait la chair de poule. Il pouvait encore sentir le liquide rouge poisseux sur sa peau, même après son triple lavage au gant de toilette dans la cuisine. Il avait l'impression que, même s'il se frottait la peau avec de l'eau de javel, cette sensation de souillure ne partirait pas. Le sang le couvrait toujours, nauséabond, visqueux, infect, à l'odeur si putride...
Le corps maigrichon de l'adolescent fut traversé d'un violent frisson, si bien qu'il faillit en lâcher sa cigarette. Il s'obligea à se détendre et tira une bouffée de sa cigarette, réprimant des toussotements. Il n'était pas habitué à fumer, c'était d'ailleurs seulement la deuxième cigarette qu'il avait jamais fumé de toute sa vie. Et c'était vraiment la première fois qu'il en avait autant besoin. Si Toya ou son paternel le surprenait, il aurait de gros ennuis. Le brun fumait occasionnellement, mais lui avait toujours défendu de toucher à la moindre cigarette.
Keigo tira une bouffée plus longue que les autres et souffla la fumée grisâtre en baissant les paupières, fatigué et enfin détendu. Il posa sa tête sur la rambarde et étendit une de ses jambes, toujours plongé dans ses pensées.
Tiens, en parlant de Toya, il s'était rendu compte qu'il avait définitivement le béguin pour lui, en faisant un rêve... érotique, oui madame. Les joues du blond rosirent lamentablement, adoptant une jolie couleur cerise, tandis qu'il enfonçait son visage en feu dans ses mains, en proie à une gêne monumentale.
— Arrête un peu de rêver, Keigo, se grommela-t-il, honteux.
Des sonnettes de vélos et des cris d'adolescents en vacances le tirèrent de sa léthargie et le blond releva vivement la tête. Il jeta sa cigarette par dessus la rambarde après l'avoir frottée sur le métal et se précipita vers ses amis, descendant les marches métalliques quatre à quatre. Le trajet s'annonça plus long que prévu, à cause de sa maladresse légendaire : le blondinet rata une marche et dérapa, s'éraflant ainsi le genou sous le nez de ses amis interloqués. Keigo mit ça sur le compte de sa chute misérable ainsi que sur ses vêtements, qu'il avait choisi dans le noir et sans faire attention. Par conséquent, il se retrouvait essoufflé devant ses compagnons, vêtu d'un chemisier blanc vaporeux de femme, d'un short en jean bleu clair qui lui saillait les cuisses et de sandalettes transparentes. En rajoutant sa coiffure désordonnée, ses énormes cernes et ses joues cramoisies, il devait ressembler à un clown.
— Euh... Keigo ? commença Himiko, inquiète. Tout va bien ?
Le blond en quasi hyperventilation se contenta de lui présenter son pouce sans redresser la tête, ce qui ne rassura personne et intrigua tout le groupe.
— Kei'... Qu'est ce qui se passe ? demanda alors Toya.
Keigo se redressa, appréhendant légèrement de regarder son ami en face. Lorsque ses prunelles ambrées rencontrèrent celles bleutées de Toya, le blondinet ravala sa salive et la vérité trouva son chemin comme par magie.
— J'ai un problème, annonça-t-il.
Le visage grave du garçon étonna tout le monde. D'habitude, il était toujours illuminé d'un grand sourire rayonnant, presque maternel.
Alors lorsque Tenko s'esclaffa nerveusement, Keigo fronça les sourcils, vexé.
— Pardon, s'excusa le brun. C'est juste que c'est trop bizarre de te voir faire cette tête, Keigo. Te vexe pas, hein !
— Je suis sérieux, Tenko, le coupa froidement le plus jeune.
Le jeune homme se calma aussitôt. Jamais son ami n'avait été aussi froid avec lui ou ne l'avait appelé par son prénom d'un ton aussi distant. Tenko frémit, mal à l'aise. Le tact. Le tact. Décidément, il lui faisait cruellement défaut.
— Je-hum, je veux vous montrer quelque chose, déclara Keigo, les mains soudainement moites.
— Si jamais c'est une pêche, je te jure que...
— Tenko. Ferme. Ta. Gueule. martela le blond, excédé et le regard assassin.
— T'abuse, murmura Jin à son voisin.
— Oh, ça va, si on peut plus rigoler, rechigna le brun, renfrogné.
— Les gars, les coupa Toya.
Tenko rougit violemment, puis ferma son clapet en grommelant comme quoi personne n'avait d'humour ici, qu'il était incompris et le seul à avoir le sens de l'humour. Face aux yeux bleus glacés de son leader, il cessa de suite ses ruminements et fixa le bout de ses chaussures, penaud.
Keigo, face à son cher et tendre, fut incapable de soutenir son regard profond et détourna son visage virant au rouge écrevisse, un certain rêve lui revenant en mémoire. Des rougeurs teintèrent brusquement ses joues alors que le blondinet se maudissait, lui et son esprit mal placé.
— Mon père me tuerait s'il apprenait qu'autant de monde soit venu à l'appart', croassa-t-il, embarrassé.
— Alors on fera vite, promit Toya. Et puis, c'est pas comme s'il y avait un cadavre, non ?
Keigo le regarda intensément en serrant les lèvres.
— Bon, venez.
Cette courte phrase prononcée, il tourna le dos à ses amis, qui lâchèrent leurs vélos et s'empressèrent de le suivre, ce qui était plutôt ardu vu la vitesse à laquelle Keigo marchait. Ils montèrent rapidement l'escalier en métal, franchirent la porte d'entrée donnant sur les différents appartements et arrivèrent finalement devant celui de Keigo. Le garçon se figea, fixa la poignée d'un air hésitant, puis l'enclencha et la bande fraîchement formée pénétra dans l'appartement.
Ils passèrent devant le salon, plus sombre que jamais, et se retrouvèrent plantés devant un long couloir qui menait à une pièce éloignée de toutes les autres.
— C'est là.
— Qu'est-ce qu'il y a ? lança Himiko.
— Tu verras.
— Tu, tu veux qu'on aille dans ta salle de bain ? balbutia Tenko au fur et à mesure que la bande avançait. Il faut que tu saches que 99 % des accidents surviennent dans la salle de bain, et, et, et c'est là que les bactéries et les champignons se développent, c'est l'endroit le moins hygiénique de... de la maison...
Toya poussa doucement la porte, curieux de voir ce qu'il s'y trouvait à l'intérieur et pourquoi Keigo tremblait de plus en plus fort.
Il ne fut pas déçu.
Toute la pièce était enduite de rouge du sol au plafond. Le liquide poisseux dégoulinait du rideau de douche, des murs, des placards, de la baignoire, avait séché à plusieurs endroits et exaltait une odeur ferreuse, reconnaissable entre mille.
L'odeur du sang.
— Est-ce-que vous le voyiez ? murmura Keigo, au bord de l'évanouissement.
— Oh mon Dieu... souffla Himiko.
— Qu'est ce qui s'est passé ici ? demanda Toya, braquant son regard bleu roi sur son ami, qu'il tenait par ailleurs par l'épaule de peur qu'il ne tourne de l'œil.
Blême, Keigo pivota la tête vers lui.
— Mon père n'a rien vu... J'ai cru que j'étais devenu fou.
— Si toi t'es fou, alors nous aussi on est fou, affirma Jin, étrangement calme et rigide.
— On peut pas laisser ça dans cet état, intervint Toya.
Il s'avança de quelques pas dans l'antre lugubre et sanglante et ravala des frissons.
— On doit nettoyer.
Cette demande qui tenait plus d'un ordre fit frémir toute la bande, y compris le principal concerné, mais personne ne s'y opposa. Keigo se hâta de chercher des balais et des serviettes, d'en donner à tout le monde avant de ravaler des haut-le-cœur et de se mettre au travail. Le groupe astiqua les fenêtres avec force, au point de produire d'irritants chuintements en frottant. Ils récurèrent à fond le sol, vidèrent accidentellement un sceau dessus, durent tout recommencer, mais au bout d'une heure, la salle de bain avait à peu près retrouver son état normal.
A onze heure douze précisément, Himiko dut emmener deux sceau plein d'eau sanglante pour les vider dans l'évier de la cuisine, Jin insista pour l'aider à transporter sa charge tandis que Tenko se porta volontaire pour aller échanger les chiffons sales contre des propres.
Résultat : Toya et Keigo se retrouvèrent seuls dans la salle de bain.
Au bout d'une dizaine de secondes de silence coupé par des reniflements et des frottements du rideau de douche, Toya se décida à parler.
— Mais du coup, ânonna-t-il, comment t'as fait pour te laver ?
Keigo pouffa, amusé par la singularité du début de la conversation.
— J'ai procédé à un lavage intégral au gant de toilette et à l'eau de javel dans l'évier de la cuisine. Je peux t'assurer que ça marche du tonnerre ! J'ai eu du mal à me débarrasser de tout le sang, mais j'y suis finalement arrivé.
— Pas tout-à-fait, objecta le brun. T'as toujours une tache, là.
Sur ce, il joignit le geste à la parole et effleura du doigt le haut de la marque rouge pâle à mi chemin entre la mâchoire et le début de la nuque de son ami. Ses yeux bleus virèrent de la marque aux prunelles ambre de Keigo et les adolescents se regardèrent intensément.
Toya se racla la gorge et lâcha son meilleur ami, se trouvant soudainement une passion pour le carrelage fissuré à ses pieds. Keigo écarquilla les yeux et hurla intérieurement, mi euphorique mi paniqué. Qu'est ce que venait juste de se passer ?! Qu'est ce que c'était que ce moment de flottement ?!
— Tu sais, moi aussi j'ai vu quelque chose.
Cette simple phrase coupa radicalement son explosion de joie interne. Interloqué, Keigo releva la tête vers son ami plus âgé.
— Toi aussi t'as du sang qu'est sorti de ton lavabo ? demanda Keigo d'une voix étranglée.
— Non. Moi, j'ai vu Shoto.
******************************************************
Devinez qui est de retour ?
Après quatre mois d'absence ?
Merci d'avoir lu, mes chers lecteurs, moi je file finir le prochain chapitre de Le Bleu de tes Yeux !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top