Chapitre 16


Plic

Ploc

Plic

Ploc

Les yeux céruléens de Toya papillonnèrent. Ses membres se figèrent, son rythme cardiaque s'accéléra. Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte qu'il était éveillé, dans sa chambre, en sécurité. Des gouttes d'eau s'écrasaient lentement sur son parquet, créant ainsi un plic-ploc insupportable, responsable de son réveil prématuré. 

Le garçon aux cheveux de jais souffla bruyamment du nez, ulcéré.

Une fuite. Une maudite fuite. 

Il avait eu peur d'une simple fuite dans son plafond, sûrement due à la pluie battante qui régnait à l'extérieur, faisant se courber les arbres et agiter leurs branches. Le sifflement de cette stupide et maudite pluie lui avait déjà donné un mal de chien à s'endormir, l'obligeant à compter des stupides moutons. Et maintenant, il ne pouvait même plus être tranquille endormi ?

— Putain de bordel, marmonna l'adolescent, au comble de l'agacement.

Il lui fallut cinq bonnes minutes pour se décider à aller chercher un sceau. L'idée de réveiller son père en pleine nuit l'avait tenté, jusqu'à ce qu'il se souvienne qu'il était en voyage d'affaires, et donc absent. 

Génial. Il ne pouvait même plus s'amuser à les lui briser.

Dans le noir, Toya ne se rendit pas compte de la proximité de la porte de sa chambre, et se tapa le petit orteil en plein dedans.

— Saloperie ! jura-t-il en se tenant le pied.

Il frappa dans la pauvre porte qui n'avait rien demandé, puis se dirigea en clopinant vers le placard à balais, de mauvaise humeur.

Le jeune homme attrapa un sceau en métal et s'apprêtait à retourner dans sa chambre pour se recoucher, lorsqu'il entendit un "clic" d'interrupteur fendre le silence nocturne.

Toya se figea. Sa tête roula lentement vers la droite.

La lumière de la chambre de son petit frère s'était allumée.

Et ce n'était pas celle de Natsuo.

Les yeux azurés du garçon s'écarquillèrent. 

Hein ?

La porte entrouverte de la chambre de Shoto laissait apparaitre un long rai de lumière pâlotte. Mais il n'y avait personne dans la chambre de Shoto. Comment. . . ?

Interloqué, Toya s'avança à pas de loup vers la petite pièce, comme hypnotisé, ne lâchant pas une seconde le rayon lumineux des yeux. L'adolescent pénétra à l'intérieur de la chambre lentement, son instinct lui hurlant de faire demi tour et de se recoucher comme si rien ne s'était passé. Mais Toya en était incapable. Parce que cela concernait Shoto. Parce que cela concernait son petit soleil.

Bien évidemment, personne ne se trouvait dans la chambre. La minuscule lampe de chevet en forme de champignon était certes allumée et éclairait la pièce d'une faible lueur, mais, mis à part ce frêle éclairage, le jeune homme ne notait rien d'anormal. Cela n'empêcha pas le brun de traverser la chambre à pas lents et mécaniques, et, sans trop réfléchir, de prendre dans ses mains le jouet en lego favori de Shoto. 

Toya serra sans s'en rendre compte un peu trop fort le jouet représentant grossièrement le super héros All Might, tiré d'un célèbre dessin animé. Shoto pouvait passer des heures scotché devant la télévision quand il était au programme télé. Accompagné de ses deux meilleurs amis, ils visionnaient des dizaines d'épisodes, même ceux qu'ils avaient déjà vu, en chantant ou plutôt en hurlant le générique tout en se trémoussant en rythme. À force de les entendre brailler, Toya avait finit par retenir par coeur cet opening et taquinait sans cesse les trois mouflets quant à leur obsession pour ce dessin animé. Des peluches, des comics, des figurines, des chaussettes, des sweat, des pantalons, des t-shirts, des mini-lampes, Shoto avait collectionné des dizaines et des dizaines de produits à l'effigie de son super héros préféré.

Et voilà que, maintenant qu'il était parti, tout ce qui restait de l'enfant si plein de vie qu'était son petit frère était une simple et ridicule poupée en lego.

Les larmes montèrent aux yeux saphir de l'adolescent qui brisa le jouet sans faire attention d'une pression trop forte.

C'est ta faute.

Ta faute s'il est mort. Ta faute si maman est dépressive. Ta faute si Fuyumi pleure tous les soirs. 

Ta faute. Ta faute. Ta faute. Ta faute. Ta faute.

Ses pleurs se firent un peu plus agités et Toya laissa échapper par mégarde un reniflement. Il n'avait pas le droit, il n'avait pas le droit de pleurer. Il fallait qu'il s'arrête. Mais les larmes ne s'arrêtaient pas. Elles continuaient de glisser lentement le long de ses joues, laissant des striures brillantes et salées, pour finalement venir s'écraser sur la moquette bleu clair. Ne tardant pas à avoir le nez bouché, le brun se vit forcé de respirer par la bouche, et un bruyant sanglot en sortit immédiatement.

Des bruits de pas l'incitèrent à baisser le son et relever la tête, prêt à rabrouer quiconque oserait le déranger. Sauf que les bruits de pas s'éloignaient, au contraire, de la chambre. Toya grogna d'agacement entre ses larmes. Quelqu'un l'avait vu pleurer. Le garçon ne tarda pas à se lever et à sortir de la pièce, déterminé à rendre des compte à celui ou celle qui l'avait surpris. Il voulait simplement parler. Lever le malentendu. Peu lui importait l'identité du membre de sa famille, il voulait juste parler.

Toya arriva à l'entrée de la cuisine, cherchant des yeux l'inconnue.e, sans trouver personne. Légèrement intrigué et un brin impatienté, le brun soupira. Il ouvrit la bouche pour héler la personne, mais l'appel mourut sur ses lèvres avant même que le moindre son n'eut le temps d'en sortir.

Une silhouette en imperméable jaune canari chaussée de bottes de pluie rouge fluo traversa la cuisine en trottinant.

La respiration du jeune homme se coupa d'un coup. Ses yeux s'écarquillèrent.

Il avait rêvé, ou la silhouette frêle de Shoto était passée devant lui ?

Toya recommença à respirer peu à peu, avant de s'avancer à grands pas dans la cuisine. Le carrelage froid lui gela les pieds, mais il n'y attacha pas la moindre attention, encore trop sonné par ce qu'il avait cru voir. Devenait il fou ? Le chagrin causé par la perte de son petit frère chéri l'avait-il rendu cinglé ? À bien y réfléchir, c'était tout-à-fait possible. Le déchirement, la culpabilité, la peine et la colère qui avaient envahi son coeur à l'annonce de sa disparition aurait totalement pu le mener à la psychopathie. 

Mais Toya ne se sentait pas fou. Enfin, pas vraiment. Même si tous ces évènements le faisaient sérieusement douter quant à sa santé mentale. 

Les poumons de l'adolescent se vidèrent de toute leur oxygène en découvrant la porte de la cave entrouverte. Parce que, même s'il venait de fêter son dix-septième anniversaire (17 ans, déjà !) en janvier, il avait toujours nourri une peu bleue concernant la cave, tout comme Shoto. Son cadet était terrorisé par cette antre froide et sombre encore plus que lui, et les rares fois où il s'était vu forcé de s'y rendre, Toya l'y accompagnait toujours, le tenant gentiment par la main.

Sauf que Shoto avait disparu. Il était tout seul, face à sa plus grande peur. 

Le jeune homme baissa les paupières et inspira un bon coup. 

Ça va aller, To'. C'est juste ta cave. Tu vas juste vérifier qu'il y a personne, et ensuite te recoucher. C'est tout. Flippe pas pour si peu. T'es un mec, quand même.

L'adolescent rouvrit des yeux bleu azur déterminés. Il ravala néanmoins sa salive et s'engagea dans l'escalier, sa confiance fondant peu à peu. Plusieurs fois, il hésita à rebrousser chemin. À tout laisser tomber et se jeter la tête la première dans son lit, ou, mieux, appeler Keigo avec son talkie-walkie jusqu'à ce que le blond réponde en baillant et bavarder avec lui jusqu'à en tomber de fatigue. La pensée de son ami préféré qu'il trouvait récemment un peu trop mignon lui donna suffisamment de courage pour continuer sa route.

Les marches en bois lui tailladaient la plante de ses pieds nus de leurs multiples échardes et grinçaient affreusement sous ses pas lents. Toya se maudit de ne pas avoir appuyé sur ce fichu interrupteur à l'entrée de la cave, mais ne put se résoudre à aller l'allumer. S'il remontait, il ne trouverait pas le courage de redescendre. Et le garçon voulait en avoir le coeur net. Il avait passé trop de nuit à entendre des petits pas menus d'enfant dans cette foutue cave, à se terrer sous la chaleur protectrice de sa couette comme un gosse. Sauf qu'il n'était plus un gosse. Il avait dix-sept ans, et dix huit à l'hiver prochain. Il était presque un adulte.

Alors il se devait de se comporter en tant que tel.

Toya arriva finalement à la fin des marches, les battements de son coeur s'accélérant un peu plus à son grand damne. S'il continuait ainsi, il allait frôler la crise cardiaque.

Calme toi. Aller, calme toi, mec. T'as plus cinq ans,  alors arrête un peu de flipper pour rien , put-

Les pensées tumultueuses du garçon furent interrompu par un ricanement enfantin. Suivi de clapotis d'eau.

Toya baissa ses yeux exorbités. La cave baignait littéralement dans la flotte.

— Je l'ai perdu, 'To, murmura un voix fluette que Toya connaissait par coeur. 

Son coeur s'arrêta. Non, en fait, il ne s'était pas arrêté. Il s'était brisé en un millions de minuscules fragments.

— Sh-shhh-Shoto ? bafouilla-t-il dans un souffle.

Toya fixa l'endroit d'où était venue la voix, dans un coin entre des étagères en bois et des râteliers, qui ne lui bouchaient pas totalement la vue mais l'empêchaient de discerner clairement la petite silhouette.

— Je l'ai perdu, 'To, répéta la petite voix. Ne m'en veux, hein ?

Qui que soit le personne se cachant derrière les étagères, elle ne paraissait pas le moins du monde désolée, au contraire, elle semblait se retenir d'éclater de rire. Ce qui terrifia Toya.

Et emplit ses veines d'une colère froide, encore trop lointaine pour qu'il la sente.

— J-jj-je t'en veux pas. . . J-jje. . . 

Il ne parvint pas à rajouter quoi que ce soit de plus. La peur lui montait à la gorge, et celle ci atteignit un pic lorsque la silhouette se décolla des étagères et entra dans son champ de vision.

C'était Shoto. Shoto dans son imperméable jaune canari et ses bottes de pluie rouge fluo. Shoto et son sourire éclatant. Shoto et sa douceur d'enfant.

Shoto, le teint verdâtre et un sourire jusqu'aux oreilles déformant son visage.

— Je suis allé flotter, gloussa le garçonnet. Mais 'To, si tu viens avec moi, tu flotteras toi aussi !

Toya ne réussit qu'à murmurer le prénom de son petit frère, stupéfait et terrifié. Son sang pulsait violemment dans ses veines et son coeur battait si fort qu'il avait l'impression qu'il allait exploser. 

Il fallait qu'il parte. Vite.

— Tu flotteras ! Tu flotteras ! s'enjailla le marmot en tapant des mains, un énorme sourire collé sur son visage au teint cadavérique.

Une unique larme roula sur la joue du brun. 

Il avait la confirmation que ce qui se trouvait devant lui n'était pas son petit frère. 

— Tu flotteras ! Tu flotteras ! Tu flotteras !

La voix du petit garçon se déforma en même temps que son visage se couvrait de fissures et de cicatrices verdâtres. Son sourire espiègle se fendit en une grimace monstrueuse, dégoulinante de bave.

— Tu flotteras ! Tu flotteras !

Sans que l'adolescent ne s'en rende compte, une forme mouillée se dressa derrière l'enfant, sortant de l'eau et remuant les lèvres comme si elle parlait à sa place.

Le visage du clone jaune canari se décomposa sous les yeux horrifiés du plus vieux, trop stupéfait pour bouger ne serait-ce que le petit doigt. Sa bouche sembla pourrir au fur et à mesure qu'il éructait la même phrase, ses yeux se putréfièrent en un liquide noir et corrosif qui coula sur ses joues écailleuses, laissant des trainées fumantes. Une odeur répugnante se dégageait du corps chétif, qui réveilla Toya et le fit remarquer la créature située à quelques centimètres du substitut en décomposition de son petit frère.

Les yeux de l'adolescent s'écarquillèrent et sa bouche se tordit en une grimace partagée entre l'horreur, le dégoût, l'épouvante et la rage. 

La réplique de Shoto explosa, éclaboussant Toya de liquide brûlant. Le jeune homme n'eut pas le temps de hurler tout son écœurement, tout simplement parce que la créature se ruait sur lui en grognant.

Les jambes du garçon se débloquèrent subitement et il bondit vers l'escalier, monta les marches quatre à quatre et claqua la porte sans regarder derrière lui une seule fois. 

Le sang du brun se glaça en entendant un chuintement au travers de la cloison, signe que la chose déplaçait son corps sur le plancher en appuyant de tout son poids. Puis plus rien. Plus aucun bruit.

Toya se laissa lentement glisser contre la porte, pour finalement se retrouver le dos collé contre le matériau, les genoux repliés contre le torse et les mains crispées contre le carrelage.

Ses lèvres frémirent.

Il versa toutes les larmes de son corps, jusqu'à en avoir le nez bouché, de la bave plein son t-shirt et que l'aube pointe le bout de son nez dans la cuisine lugubre.





*************************************************************************

2186 mots !

Je suis trop fière.

Prochain chapitre, DabiHawks et révélations !

Merci d'avoir lu !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top