Fantôme n°5 : le placard

Je m'en souviens bien, de ce jour là. Ce jour où cet homme m'avait fait ça.

Je n'ai jamais compris pourquoi cet être avait fait ça. Ni même pourquoi une quelconque personne avait pris ainsi la liberté de m'inhumer ainsi, presque sans aucun égard.

Lui, cet homme, avait commandé de la terre, et les engins de chantier avaient brisés mon repos.

Le monde ignorait décidément le respect dû aux morts. On s'en moquait simplement, comme cette immonde créature. Cet odieux personnage.

La petite Carole jouait sagement dans le jardin avec sa petite sœur ce jour-là. Son beau-père, à qui appartenait la maison, avait trouvé mes restes. Dès lors, je ne connus pas le repos.

Les engins de chantier, en remblayant la maison, avaient déposé le crâne blafard de mon enveloppe charnelle à la surface de ce terrain.

Claudy. Ce type. Ce type avait trouvé mon crâne. Puis, sans que je ne comprenne pourquoi, il avait commis cette horreur.

C'était sa faute.

Il avait agi ainsi par pure malfaisance.

Pure méchanceté.

Pur mépris.

Je me remémore encore ce moment horrible, celui qui m'emprisonna à jamais dans ce lieu à rêver vengeance.

Ce moment où il posa mon crâne sur le rebord de la fenêtre.

Ce moment où il ficha sa clope dans le semblant de bouche qu'il me restait.

Ce moment où il se moqua de moi.

Ce moment où il m'humilia.

Et puis ce jour où le simple fait qu'il m'ait touché, que cet être ait touché ce qu'il restait de mon corps et pire, m'ait déshonoré, m'avait mis hors de moi. Et j'avais sombré. Cette haine et le lieu de cette humiliation m'avaient servis de murs dans lesquels je me retrouvais bloqué.

Satanée mémoire. Cette rengaine, souvenir de la raison de ma présence, je me la refais chaque jour. La haine n'est pas uniquement dûe à mon humiliation mais par le fait qu'à cause d'elle je me vois bloqué dans cette maison neuve.

Je n'avais qu'une solution, qui faisait office de vengeance personnelle. Hanter ces lieux. Mais elle constituait aussi une punition injuste : toute la belle-famille et famille de cet homme vivait dans cette belle maison. Et ils devaient me subir, moi et ma colère.

Mais je ne leur veux pas de mal ! Je n'avais pas le choix ! Je suis prisonnier.

Je passe le plus clair de mon temps dans le couloir désormais. Je parcours la maison de long en large pour m'occuper. Je passe des heures à faire les cents pas dans le grenier.

Mais mon véritable rayon de soleil, ce fut Carole.

Je logeais dans sa chambre avant qu'elle ne s'y installe. Quand elle arriva, ce fut une réelle aubaine, parce qu'une enfant ne s'embarasse pas de la frayeur au surnaturelle, en tout cas pas toujours. Certains enfants, pas encore enclavés dans la "réalité" à laquelle tiennent tant les adultes, ressentent des choses. Et, pas encore "raisonnables", ils n'ont pas toujours peur des âmes.

Ce fut le cas de Carole, bien que déjà plus beaucoup âgée que ces enfants ressentant des choses. Ces enfants ont ce pouvoir autour des deux, trois ans. Elle, elle voyait même l'ombre du couteau qui m'avait tué que je projetais malgré moi sur le plafond de la pièce, malgré le fait qu'elle ne soit pas un nourrisson.

Cette pièce dans laquelle je passais parfois mes nuits et mes journées, était un peu ma cachette dans la maison. En particulier, une armoire.

Le parrain de Carole avait fabriqué cette armoire, en sa qualité de menuisier. Je l'avais trouvée parfaite. Le souci, c'était qu'elle était très dure à ouvrir à cause de l'aimant trop puissant. Ce qui je pense, provoqua certaines des insomnies de Carole.

La nuit, parfois, je sortais de l'armoire dans laquelle j'avais dormi. Et l'armoire en question s'ouvrait, comme si l'aimant n'en était soudain plus un. Elle grinçait et surprenait la jeune fille. Parfois aussi, plus rarement, j'en sortais en journée. J'aimais bien rester blotti dans la penderie, au calme.

J'ouvrais la porte de l'armoire, sortais, et parfois je tournais en rond dans la pièce. Je crois qu'elle ressentait ma tourmente. Je crois qu'elle ressentait ce que je ressentais. Mais je crois aussi qu'elle n'appréciait pas le fait que je projette mes angoisses au plafond.

À vrai dire, je ne savais pas comment je faisais. Mon subconscient projetait cette image malgré moi, comme si je n'avais pas oublié ma mort. La raison de ma mort. La brutalité de ma mort. Ce couteau me hantait. Ce n'était pourtant qu'un symbole.

Il me hantait. Il hantait aussi Carole, avec cette ombre mouvante au plafond.

Elle me craignait un peu, mais en réalité je ne lui avais jamais voulu de mal. Je n'en voulais qu'à son beau-père. Je lui en voulais ! Je lui en voulais !

Mais Carole... Carole était un amour. Aussi, j'étais entré dans une colère noire lorsque son beau-frère, ivre, avait tenté d'abuser d'elle.

Il l'avait allongée sur le lit. Pendant cinq minutes, elle se débattit. Ce beau-frère l'avait toujours attirée, certes. Lui, il lui tournait autour depuis bien longtemps, mais cette fois il allait trop loin.

Pendant cinq minutes, elle s'acharnait à lui répéter qu'elle ne voulait pas tandis que son beau-frère faisait fi de ses plaintes. Elle parvint à se dégager de son étreinte et sortis en claquant la porte pour se réfugier sans sa chambre.

Ce jour-là, je saisis l'horreur de devoir assister aux événements sans pouvoir agir. Gonflé par la colère que provoquait mon impuissance, je dirigeais toute cette rage vers cette porte que Carole refermait avec panique.

Son beau-frère ne parvint pas à ouvrir la porte de sa chambre. il contemplait cette barrière de bois, aussi sidéré que moi. Elle avait simplement fermé, pas à clef. Voilà que je parvenais à la protéger ! J'y arrivais ! J'y parvenais !

Cette victoire me galvanisa, mais ne me libéra pas pour autant de ma haine. Je la gardais en moi, comme une boule de rage me détruisant de l'intérieur.

Son départ fut une grande tristesse pour moi. Celle de mon bourreau me soulageait, je n'en pouvais plus de le voir se promener tranquillement sans se soucier de rien.

Mais quand Carole quitta la maison, je pus l'entendre, pour la première fois à sa famille lors du repas "je suis un peu contente de quitter cette maison. On l'aurait crue hantée".

Quelle ne fut pas sa surprise et la mienne lorsque nous entendirent leur réponse :

"Oh mais elle l'a toujours été ! On n'a jamais osé te le dire, on croyait que tu ne savais pas !"

Oups ! Visiblement, la sensibilité de Carole ne venait pas de nulle part... 

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