Fantôme n°3 : le protecteur

Marie-Alethe.

Je baissai les yeux vers la jeune fille assise devant moi. Quelle tension ! Je pouvais presque voir ses muscles sous son pardessus de velours.

Elle m'avait étonné. J'avais récemment lu par-dessus son épaule un message de Slytah "Marie, Marie. Mine de rien, tu es coriace.". Au contraire de l'intéressée qui avait toujours du mal à voir des qualités chez elle, j'avais eu bien des preuves qu'elle avait raison. Elle avait une seule peur, et c'était les fantômes. Pourtant, elle avait fermement tenu à se soustraire de cette peur.

Quand sa grand-mère Annabelle lui avait proposé de rencontrer cet homme qui parlait aux morts, Marie n'avait pas hésité une seule seconde, elle qui ne savait pourtant jamais faire un choix. Cela avait été fait, et j'attendais de voir ce qu'allait lui dire ce charlatan.

La première chose qu'il fit lorsque Marie s'assit à leur table de ce bar, ce fut l'observer quelques secondes, puis me fixer d'un air tranquille.

– Voilà ma petite fille, fit Annabelle qui était déjà assise. Elle a retiré son appareil dentaire !

Elle s'adressait à la fille de l'homme. Tout le long du trajet, elle avait inondé Marie de ses questionnements : "je ne sais pas si je dois le croire... J'attends de le voir avec sa fille !". Elle était sceptique et était prête à démentir ce qu'il allait dire. La voilà qui engageait déjà la conversation.

Marie s'était assise en face de celui qui se nommait Stéphane. Et tout avait commencé. Il m'avait à nouveau regardé.

Il n'avait pas l'air d'un charlatan. Il posa son regard sur moi, comme s'il attendait que je parle. C'était un interprète ? J'eus un petit sourire et me mis à parler.

Il transmit.

– Tu entends des voix.

– Non.

– Si, mais tu es trop occupée mentalement pour t'en rendre compte. Tu as eu peur l'autre soir dans ta chambre pas vrai ?

– Je... Oui. Arrêtez !

– De quoi ?

– Vous fixez un point derrière moi. Qui est-là ?

– Moi je ne le connais pas mais...

– Comment est-il ?

– Je vois un homme dans votre cuisine... Vous aussi l'avez vu pas vrai ?

– Oui, Mais ce n'est pas lui qui me suit ?

– Non. Sentez-vous des esprits vous toucher de temps en temps ? Comme des

picotements...

– L'épaule une fois mais je... Comment est-il !

– Vous devriez y faire plus attention.

Cela continuait. Je ne me souviens plus exactement de la scène, ni des sujets abordés, mais je me souviens qu'il changea de sujet plusieurs fois. Marie était un peu moins tendue. Sa présence, quoique étrange, la rassurait ; lorsque Coline lui avait dit qu'un fantôme la suivait, Marie avait violemment sursauté "QUOI ?". Je n'étais pas dans la pièce, heureusement. Cette fois, cependant, elle semblait plus sereine.

"Cheveux sombres rejetés sur le côté, hum... Grand, mince, une chemise bleue très claire, oui, bleue très claire..."

Il me décrivait. Je pouvais déjà voir les rouages du cerveau de Marie s'actionner. Elle se posait une question, une seule : "Qui est-ce ?".

– Tu as des dons. Ça s'affine avec l'âge. Tu es une éponge, tu écoutes les gens et t'imprègnes de leurs émotions. Tiens, regarde cette serveuse et dis-moi ce que tu vois.

Il était passé du vouvoiement au tutoiement.

– Elle a des problèmes... De famille et un peu de travail aussi.

– Bien. Tu ne vois pas, à côté d'elle ?

– Non.

– Je n'arrive pas à voir si c'est son père ou son frère...

Il avait du talent. Il lui parla de vies antérieures, de symboles, de vie professionnelle. Il passait mes messages comme il les comprenait, parfois mal. Mais pas seulement... Il était aussi capable de savoir des choses sur les gens au simple regard. Annabelle avait raconté à Marie qu'un soir où ils jouaient au tarot, Stéphane devinait inlassablement les cartes de ses adversaires, parfois avant même qu'ils aient regardés, sans jamais se tromper.

– Tu veux faire quoi plus tard ?

– Je ne sais pas. Je n'ai jamais su.

– Si... Tu as pensé à quelque chose... Tu adores les enfants... Le social ou la psycho. Tu veux aider les enfants en difficulté.

– Ah non, fit Annabelle. Elle n'aime pas les gosses !

– Bien sûr que si, mais elle n'ose pas, parce qu'elle a peur de voir trop de misère.

– Je... Je me voyais finir comme parrain.

– Non, intervint la fille de Stéphane. Le médical ou la psychologie.

Elle aussi sentait des choses.

– Pourquoi "comme ton parrain ? s'étonna Annabelle. Parce qu'il représente la réussite que tout le monde attend de toi ?

– Ou... Oui.

– Il est assis et te fixe, l'homme derrière toi. Je vois. Un symbole qui te représente... (il attrapa une feuille et se mit à dessiner.) Il est Breton. Tu as pensé à en faire un tatouage, je crois.

– Vraiment ? Un triskell...

"Tu es allée à Rome. Tu as préféré les stades ? Je vois comme une forme semi-elliptique... Le Colisée ? Je le croyais rond. Dans une vie antérieure, tu étais là-bas. Tu as une âme vieille. Donne-moi ta main. (elle s'exécuta.) Tu as toujours cette boule d'anxiété douloureuse dans le ventre ? (elle acquiesça.). Tu adores la chimie non ? Tu n'aimes pas ton village. Tu voyageras, je pense. Tu fais de l'allemand, j'imagine, ça te servira. Un ami t'a fait du tort récemment ?"

– Oui, avait-elle répondu à cette dernière question. Dorian.

– Il t'a vraiment fait du tort, vraiment... Tu n'as pas apprécié.

– Oui mais... Je l'avais mérité, je crois...

– Non, tu penses tout le contraire, tu dis ça pour l'excuser. Je crois qu'une amie à vous deux est perdue en ce moment, entre son amitié avec toi et ce que lui raconte l'autre... Elle ne sait pas quoi faire...

– Shit. Estelle ! Je ne lui ai pas téléphoné depuis deux mois pour ne pas causer d'embrouilles !

– Réfléchis bien avant d'agir.

Il ne s'arrêtait pas.

– Tu as deux frères...

– Loupé !

– Vraiment ? Je n'en vois que deux... Tu fais souvent des malaises pas vrai ? On dirait... Que tes poumons sont mal formés. Tu arrêtes souvent de respirer. Ne cours jamais surtout. Tu as besoin de médicaments, mais... Tu n'en as pas ?! Fais attention à toi. Tu es très fatiguée en ce moment. Repose-toi.

– Pas possible, je suis déjà en vacances.

– L'anxiété avale l'énergie comme un gouffre. Je ne sais pas comment tu tiens.

Je regardais Marie, perdue. Je pouvais sentir d'ici mille questions tourner dans sa tête, et lui les sentait aussi. Cette discussion dura une heure, voire plus. Quand il décida de partir, je sentis que Marie en voulait plus, mais elle avait besoin de repos. "Tout va bien se passer, ma petite." Lui soufflais-je.

– Relax, jeune fille ! Réfléchis à tout ça. On en reparlera la prochaine fois. "Tout va bien se passer, ma petite.". C'est ce qu'il vient de te dire. Ne dis rien à personne, tu ne peux pas faire confiance aux gens, et si tu parles de ce sujet, ils vont se moquer de toi. Tes amis virtuels tu peux, mais personne du lycée.

"Merci, lui dis-je."

Plus tard, Annabelle lui rappela :

– Tout ce qu'il dit n'est peut-être pas vrai. Tu vois, ce qui est dommage avec lui, c'est qu'il te dit juste des choses sans te donner de solutions ou aider à quoi que ce soit, te dis des choses que tu sais déjà...

– Non, il y a beaucoup de choses que je ne savais pas !

– Je savais presque tout ce qu'il a dit sur toi, moi ! Comment tu ne peux pas savoir des choses sur toi-même ?

– "Connais-toi toi-même", "Γνῶθι σεαυτόν" disait Socrate. C'est un exercice auquel j'échoue toujours.

Marie-Alethe trouvera qui je suis, un jour. Elle y parviendra sûrement. Mais sa priorité je pense, c'est qu'elle sache qui ELLE est.

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