Fantôme n°2 : Château des farfadets

Quelle chance j'avais ce soir-là ! Il faisait nuit, et il restait des gens dans le château. Je sentais que j'allais bien m'amuser !

D'habitude, je ne m'amuse pas beaucoup. Je loge dans le trou au fond du bureau : il s'y trouve une percée dans le mur, comme une petite grotte, qui représente le dessous de l'escalier de pierre adjacent à la pièce. Tout est en pierre ici. Je passe mes journées à rester dans ce trou et m'ennuyer, et la nuit je fais les cent pas dans le bureau. L'ennui est mon seul ennemi désormais.

Le bureau est haut de plafond, une ancienne cheminée est maintenant bouchée par deux imprimantes sur une table, et le coin où trônait autrefois un fauteuil est occupé par une armoire pleine de classeurs, un bureau et un promontoire croulant sous les prospectus de l'organisation qui loge ici.

Ce lieu se nomme le "château de Sagey", surnommé "Château des farfadets". Il ressemble plus à un grand Manoir peu décoré qu'à autre chose. Cette grande demeure, autrefois occupée par la famille dont le blason est revenu au village, sert maintenant de bibliothèque municipale. Il abrite l'administration de Familles Rurales, d'Action Jeune, et la salle de réception d'autrefois abrite maintenant les clubs de théâtre, de couture et j'en passe. Il y avait une bibliothèque pour enfant au rez-de-chaussée, une cuisine et une grande pièce qui accueillait la majorité des activités du coin – soirées crêpes, Cluedo géant...

Ce soir-là, je m'étais intéressé au couloir. Quand on pousse la lourde porte de l'entrée, on tombe en face du lourd escalier de pierre polie, qui jouxte le bureau côté gauche, et dont la rampe est visible du couloir qui traverse la demeure. Au bout de ce couloir, on aperçoit la porte arrière, celle d'où sortent les bénévoles, employés et certains visiteurs.

C'est dans ce couloir et celui qui tourne pour mener au bureau que j'avais fait mon coup ce soir-là. Une soirée de jeu de l'Action Jeune se terminait, et ne restait que la gentille employée de Familles Rurales et Carole, une bénévole du même groupe qui venait chercher sa fille.

" Tiens Carole, avait dit Adeline plus tôt dans la soirée. J'ai trouvé ces papiers ! Ils iraient bien pour que Marie-Alethe calligraphie les menus des Celtivales dessus, non ?"

Son interlocutrice avait souri, réfléchissant à cette idée. Carole était souvent là, et même pour faire le sale boulot que les autres avaient à faire. Elle travaillait avec ardeur à chaque tâche qu'on lui assignait, et ne s'en plaignait pas.

Marie-Alethe en revanche, sa fille, avait un sale caractère. Elle se fâchait souvent, semblait vivre dans un cercle infernal de trahisons, et n'était entourée que de personnes se disant être ses amies pour finalement cracher sur elle. Elle continuait à leur faire confiance et ça la rendait amère et triste.

Je n'ai jamais aimé sa personnalité, comme presque tous les jeunes de son âge. Susceptible, maladroite... Elle parlait sans vraiment le faire normalement, parce que les personnes en face ne pouvaient comprendre quand elle s'exprimait à sa façon. "Tu parles comme dans un livre !". Alors elle balbutiait, disait des bêtises, parce qu'elle ne maîtrisait pas la façon de vivre des autres, de se charrier, de blaguer, elle ne distinguait pas le sarcasme et le mensonge.

Sa mère la disait intelligente, mais je n'avais jamais vu cela chez elle, en tout cas pas dans sa manière de parler avec les gens.

Par contre, elle avait une ouverture d'esprit différente. Parce que plus d'une fois je l'ai vue se figer dans le bureau, incapable de faire un pas en direction de la porte, le regard fixé sur moi et les larmes ruisselant sur le visage.

"Bah alors Marie-Alethe, l'avait hélé la grande rousse en arrivant dans la pièce. On a peur d'un mur ?"

Cette même grande rousse qui était déjà là quand les deux étaient au centre aéré et qu'elles faisaient la sieste dans la salle d'à côté, à l'âge de quatre ans.

"– Eh, Marie-Alè', faut faire dodo !

– Nan ! Je hais les sie'tes ! Veux pas dormir ! J'aime pas dodo ! J'veux faire tra'teur avec Papa !"

Elle avait le même sale caractère que dix ans plus tard ! Pas une fois, je ne l'ai vue obéir et dormir.

Ce soir-là, en tout cas, j'ai bien ri grâce à elle.

"– Je m'en vais Carole, merci de m'avoir aidé à nettoyer. C'est toi qui as fait la vaisselle Marie ? Super !

– Mince, j'ai oublié les rouleaux de papier pour les menus !

– Je te laisse aller les chercher Carole, tu as les clés de toute façon."

Suite à cela, elle était sortie, laissant les deux femmes dans le noir.

"Bon, j'y vais, tu viens avec moi Marie ?"

Alors que sa fille lui jetait un regard en coin, "Attends, pour aller dire bonjour au fantôme alors que le château est plongé dans l'obscurité ? Tu rêves, je reste ici. ", Carole haussa les épaules et partit dans le noir. Elle savait aussi que le bureau était mon domaine : les jeunes employées de Famille Rurales lui avaient maintes fois racontées comment des objets se déplaçaient seuls la nuit, y compris les imprimantes normalement trop lourdes. Et Carole avait bien remarqué ma présence. Je tirai la langue à Marie-Alethe, puis entrepris de suivre Carole.

J'attendais qu'elle tourne dans le couloir pour aller au bureau. Alors qu'elle prenait la poignée, je me rendis visible. Elle me jeta un regard en coin et eut un petit rire, puis s'enfonça dans le noir. Intrigué, je continuais de la suivre, parvenant à rester visible, car la nuit me rendait plus présent.

"Qu'est-ce que tu fais là Marie ? J'croyais que t'avais trop peur !"

Momentanément surpris, je me mis à rire, sachant que Carole ne m'entendait pas. Elle m'avait vu ! Elle avait vu une ombre se découper dans le noir et cru que c'était sa fille ! C'était compréhensible, je faisais la même taille – sauf que moi, je n'avais pas de cheveux depuis une éternité. Elle avait vraiment dû ne regarder que du coin de l'œil.

Carole prit les rouleaux de papier, et retourna à la porte arrière.

"– Ça va, tranquille, fit-elle en voyant sa fille devant, tu me fous des vents...

– Pardon ?

– Je te parle, tu ne me réponds pas ! T'es revenue ici avant même que j'prenne les papiers ?

– Mais je ne pouvais pas t'entendre ! Et...

– T'étais juste derrière moi, tu ne vas pas me dire que ta surdité s'aggrave à ce point !

– Maman... Je n'ai jamais bougé d'ici.

– Bah qui était derrière moi al-... Oh."

Elle sembla réaliser en disant cette phrase. "Oh le con ! ", s'écria-t-elle en parlant de moi. Elles s'en allèrent, me laissant 'mort' de rire. Quelle blague ! La vision de la tête de Marie-Alethe était hilarante. Je la revois encore jeter un dernier regard, sévère, au Château et aux ténèbres qui engloutissent les pièces dès que la nuit tombe.

Quelle idiote peureuse ! Et quelle bonne rigolade !

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