My December


À ma fille,


D'aussi loin que je me souvienne, je ne crois pas avoir réellement eu ce désir de devenir maman, comme toutes les jeunes femmes de mon âge. J'étais toujours la seule dans les groupes d'amies à ne pas avoir encore connu la maternité, mais ton père désirait devenir papa et je me sentais incapable de lui imposer mon choix. Après plusieurs années de vie à deux, nous avons donc décidé de lancer le " Projet bébé ", avec cet espoir non dissimulé d'avoir une fille.


Avril 2019


Certains parents souffrent, éprouvant des difficultés à concevoir un enfant pour diverses raisons. Dans notre cas, ce fut incontestablement l'étape la plus simple et rapide de ce super projet. Très rapidement, j'ai souhaité avoir ce mariage avec un gros bidon. J'ai toujours détesté que les regards soient braqués sur moi, alors je dois te remercier pour ça. Grâce à toi, les invités étaient plus intéressés par mon ventre que par moi.

Ce jour-là, nous avons aussi révélé à tout le monde que tu étais une fille.


Août 2019


J'allais avoir une fille, mon souhait avait été exaucé, mais au fond de moi, dès le premier jour, je l'avais su. Tu serais une fille, ma fille, c'était écrit. Si tu savais à quelle point j'étais ravie d'avoir pu repeindre ta chambre en rose, avec mon gros bidon déjà apparent.

Comme pour la conception, choisir ton prénom a été une étape très simple. Ton père et moi étions de très bons amis, et nous avions beaucoup de passions en commun. Une série télévisée en particulier nous avait réunis : Les Frères Scott.

Dans cette série, il y a un personnage féminin, représentation ultime de la sagesse et de la douceur. Haley, ce prénom représentait pour nous cette pureté et cette grâce. Nous avons même eu la chance d'assister à un concert privé de l'actrice qui incarnait le personnage d'Haley dans la série. Alors, nous avons su que tu serais notre Haley.


Octobre 2019


Là où certaines mères se sentent en communion, dans une certaine connexion spirituelle et profondément heureuse durant leur grossesse, moi, j'étais encore une fois différente des autres. Je n'ai pas de bons souvenirs de ma grossesse, je me souviens surtout d'avoir espéré un peu plus chaque jour que ce soit le dernier, pour me retrouver maître de mon corps et de ma santé.

Tu n'y es pour rien évidemment, tu étais vraiment un bébé très calme dans mon ventre. C'était moi, qui n'arrivais pas à apprécier ces moments où nous ne partagions qu'un seul corps. Malgré cette peur qui grandissait à mesure que l'accouchement approchait, je souhaitais plus que tout retrouver mon corps pour moi toute seule.


Novembre 2019


Ton père et moi avons proposé un pari à tous nos amis : Votez pour une date et on offre un restaurant à celui ou à ceux qui auront vu juste ! Tu étais censé naître le 5 Janvier 2020 d'après les médecins, alors j'avais commencé à noter sur un calepin, chaque jour du mois de Décembre et du mois de Janvier ainsi que tous les paris sur la bonne date.

Ta Mamyno avait évidemment voté pour le 25 Décembre, dans l'espoir fou que vous puissiez partager la même date d'anniversaire toutes les deux. Beaucoup de nos amis avaient participé, une bonne cinquantaine si mes souvenirs sont bons, tous éparpillés sur les deux mois. Mais une seule date n'avait reçu aucun vote, une seule date était vide, une seule date et c'est celle que tu as choisie pour venir au monde.


26 Décembre 2019


La veille de ton arrivée, j'avais demandé à ton père si on pouvait annuler le traditionnel repas de Noël dans sa famille. Bien trop anxieuse à l'idée d'accoucher dans la semaine à venir, je me souviens avoir eu une sorte de pressentiment. Je voulais être seule chez moi si ce moment devait arriver. Nous avons mangé de la dinde et fêté Noël en regardant un vieux film culte : Rasta Rocket.

Durant tout le film, j'avais mal, très mal au ventre, mais j'avais surtout peur. Neuf mois à parler de ce fameux moment et l'idée que ce moment était en train d'arriver me paniquait plus que de raison. Je pensais qu'il n'était question que de mon stress, mais j'ai finalement dû sortir de mon déni et ton père m'a amené à l'hôpital le soir de Noël. Néanmoins, tu as attendu sagement le lendemain midi pour pointer le bout de ton nez.

À midi neuf, j'entendais ton premier cri et ton père coupait le cordon. Tu dois savoir qu'il a toujours été présent pour moi, que ce soit pendant toute la grossesse ou durant l'accouchement. Il te dira peut-être le contraire, mais il a pleuré quand il t'a vu pour la première fois.

La musique a toujours été une constante dans ma vie. Durant toute la grossesse, tu as sûrement dû entendre toutes les musiques que j'écoutais au volume maximum. Tu as même participé à ton premier concert dans mon ventre lors d'un festival. Alors, c'est tout naturellement que j'avais demandé à accoucher en musique. Tu es née sur une chanson de Muse, un groupe de Rock que j'écoutais quand j'étais ado. Cela dit, tu aurais aussi pu naître sur une chanson d'Hélène Ségara.

De retour dans la chambre de la maternité, nous nous sommes enfin retrouvées toutes les deux pour la première fois. Je devais te donner ton premier biberon et, comme toujours, la musique sortait de mon téléphone. Cette fois-ci, c'est le rappeur Soprano avec une chanson écrite pour sa fille : Inaya qui résonnait dans la pièce. Durant la chanson, tu as plongé ton regard dans le mien et les paroles de cette chanson m'ont transportée.

J'ai pris conscience, à mesure que les heures passaient, que tu étais enfin là. Je sais, j'avais eu neuf longs mois pour m'y préparer, mais je t'assure que rien ne nous prépare réellement à cette vague d'amour qui t'engloutit entièrement. Malheureusement pour moi, je me suis retrouvée noyée dans cette vague. La chute d'hormones, le baby blues, la dépression post-partum, toutes ces émotions humaines qu'une mère peut rencontrer après l'accouchement, je me les suis douloureusement prises de plein fouet.

De retour à la maison, malgré mes difficultés à gérer mes émotions et ma crainte constante de te savoir en danger, j'ai tout fait pour garder ça en moi et je me suis entièrement consacré à toi. Tu étais un bébé parfait, pas de pleurs, pas de cris, malgré ton souci à la hanche et ce fichu lange que tu as dû porter plusieurs mois, tu restais quand même ce bébé sourire.

Toujours aussi réceptif à la musique, tu étais constamment bercé par des sons en tout genre. Je me souviens de Léo Rojas et de sa flûte de pan, mais s'il y a bien un chanteur qui a compté pour toi, c'était Kang Daniel. Tu ne t'endormais pas sans son clip à la télévision. Je n'ai jamais su m'expliquer pourquoi, mais il te fallait Kang Daniel pour t'apaiser. Il a été un grand allié pour moi, un vrai baby sitter.


Mars 2020


" Nous sommes en guerre ", le Président venait d'annoncer un premier confinement, obligeant tout le monde à rester enfermé chez eux. J'ai mis ce temps à profit pour continuer de m'occuper de toi à temps complet, valorisant toujours la méthode d'éducation Montessori, cherchant toujours à te pousser à faire les choses par toi-même. Je reste intimement persuadé que cette méthode d'apprentissage t'a été utile. Malgré les avis négatifs que j'ai pu recevoir de toutes parts, je n'ai jamais cédé face à la pression.

Tu as eu un lit cabane à tes neuf mois, tu étais toujours au sol, toujours pieds nus, en constantes découvertes de tes sens et de ton environnement. Ton père me suivait dans tous mes choix concernant ton éducation. Même s'il a parfois pu être réticent, nous avons su lui montrer toutes les deux que ces choix étaient les meilleurs pour toi.

Vers tes un an, tu as commencé à aller à la crèche et moi, de mon côté, j'ai commencé à retrouver ma liberté. Petit à petit, j'ai réappris à être une femme au lieu d'être une mère. Malheureusement, en prenant conscience qu'être maman à temps complet ne me comblait plus autant que je ne l'imaginais, j'ai aussi pris conscience qu'être une épouse et vivre cette vie que je menais n'était plus faite pour moi. J'ai plongé dans l'enfer d'un burn out parental qui m'a lentement enfouie dans un profond mal-être.


Octobre 2022


En plein burn out, j'ai réalisé que je n'étais plus la maman que je voulais être pour toi, ni même la femme que je voulais être pour moi. Alors j'ai décidé de réagir avant qu'il ne soit trop tard. Tu étais toujours cette enfant pleine de vie, mais tu commençais à comprendre que ta maman souffrait. J'ai pris la décision de détruire cette famille qu'on avait construite tous les trois en quittant ton père. Mais il était primordial pour moi de déconstruire, afin de pouvoir mieux reconstruire en suivant. Je me devais de te montrer l'image d'une mère heureuse et d'une femme épanouie.


Février 2023


J'espère sincèrement que tu n'auras gardé aucune séquelle de cette brisure que j'ai infligée à cette famille. J'espère qu'avec les années, en grandissant, tu comprendras ce choix, mais tu dois savoir que ton père et moi avons tout fait pour que tu souffres le moins possible, en redevenant les amis que nous avions toujours été avant de former un couple. Aujourd'hui, à l'heure où je t'écris ces quelques lignes, tu sembles parfaitement épanouie et heureuse de notre nouvelle vie à deux.

Apprendre à être en manque de toi et à avoir du temps pour moi m'a surtout permis d'apprécier davantage mon rôle de mère qui m'avait jusque-là plongé dans cette dépression. Depuis que j'ai pris la décision de partir pour me reconstruire, j'ai appris à être une meilleure mère pour toi. J'ai bon espoir que plus tard tu approuveras cette décision.

À présent, en vivant juste toi et moi, je remarque avec plaisir que nous avons nos habitudes et nos petits rituels rien qu'à nous, mais je dois surtout reconnaître que tu deviens de plus en plus comme moi. Toujours en quête de découverte musicale, tu n'as d'ailleurs pas mis longtemps à me voler mon amoureux. Nous avons même eu des disputes à ce sujet. Je me souviens comme si c'était hier, de toi, en train de bouder si j'avais le malheur de ne pas te " prêter " Seungsik. Alors, j'ai fini par céder et nous voilà à partager notre amour pour la Kpop.


Décembre 2024


Mais tu ne t'es pas arrêtée à la Kpop, tu t'es aussi mise à écouter avec moi du métal et te voilà aujourd'hui, à quelques jours de ton premier concert dans une salle immense, prête à rencontrer ton Ronnie, en portant fièrement ton t-shirt Falling In Reverse que tu aimes tant.

Qui aurait cru que Miss Licorne et paillettes réclamerait pour son anniversaire un concert de métal ? Si tu savais comme je suis heureuse de pouvoir partager l'une de mes plus grandes passions avec toi. 

Je te l'ai promis, si Seungsik vient en France, on ira le voir toutes les deux.

Depuis peu, tu as aussi voulu que je te présente Linkin Park et que je te parle de mon premier grand amour : Chester. Nous avons eu cette grande conversation au sujet de la mort. Du haut de tes cinq ans, tu as compris à quel point c'était douloureux pour moi d'en parler et je t'ai vu lui apporter de l'affection et beaucoup de tendresse, pour que du Paradis, il puisse recevoir tout ton amour.

Tu ne cesses jamais de me surprendre avec ton empathie et ta délicatesse. Tu es une enfant merveilleuse et tu resteras à vie, ma plus grande fierté. Tant que tu voudras de moi auprès de toi, je serai là pour te tenir la main. Bien que ce récit ne raconte pas les moments les plus beaux de mon histoire en tant que maman, saches que rien ni personne ne compte plus à mes yeux que toi.


Je t'aime.

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