Il devait être tout juste vingt heures lorsque le soleil commençait à se coucher à l'horizon. À ce moment-là, plus personne ne traînait dans le quartier de Crossroads. Personne sauf une personne. Une jeune femme au regard à l'aspect innocent avec ses yeux couleur noisette.

Sandra.

Elle se tenait là, debout devant ce qui semblait être son obsession depuis quelque temps. Ça devait faire une trentaine de minutes déjà qu'elle restait là, à l'observer, encore hésitante. Des brises ne cessaient de faire valser ses cheveux roux aux reflets rougeâtre, lui brouillant parfois là vue, pourtant elle ne bougeait pas pour autant. Elle restait figée là à contempler ce lieu de loin, gardant volontairement ses distances. Comme si elle redoutait le pire. Elle appréhendait déjà. Pourtant elle n'avait pu quitter la ville sans passer par ce lieu.

Elle finit par prendre son courage à deux mains. Elle s'avança doucement en direction de ce qu'elle semblait ne pas pouvoir quitter des yeux. Ce bâtiment. Celui où tout avait changé.

"Cet immeuble...", pensa-t-elle.
Puis elle s'arrêta brusquement. Elle avait pensé être enfin capable de s'approcher de cet endroit sans problème. Après tant d'années, elle pensait avoir surmonté tout ça. Pouvoir enfin assumer son passé, voire l'oublier... Mais elle s'était trompée.

Elle fut prise d'un violent soubresaut et ne put s'empêcher d'éclater en sanglots.
Elle avait craqué.
Elle pensait pourtant être assez forte.

Toujours les larmes aux yeux, se cachant le visage des quelques personnes sur ce lieu qui pouvaient bien la voir, elle s'assit sur banc le plus proche d'elle, sans même faire attention à la personne qui pouvait bien être sur le banc. Elle pourrait être seule ou entourée de monde, ça ne changerait rien. Elle était déjà dans ses pensées.

Tout en essayant de se calmer en séchant ses larmes, elle tenta de comprendre encore une fois sa réaction.

Elle avouait ne pas totalement comprendre... Elle aimait cet endroit. Elle l'adorait. Enfin, dans ses souvenirs. Ça faisait longtemps qu'elle voulait y retourner, qu'elle avait désiré revoir ce quartier. Il lui rappelait tant de souvenirs... Et cette petite place, autrefois remplie d'enfants hilares et joyeux, cette place pleine de souvenirs joviaux, tellement que sa que ça en devenait presque nostalgique malgré tout à force d'y penser. Elle s'y était si bien amusée à cet endroit... Mais cet immeuble... Cet immeuble... Non, c'était trop dur... Elle n'arrivait pas à finir sa phrase. Elle était persuadée que quelque chose s'était passé à cet endroit. Rien que d'y penser, elle en avait des frissons. C'était cet immeuble qui la bloquait. Mais pourquoi ? En quoi cet immeuble pouvait être particulier à ce point-là ? Elle-même ne le savait pas tout. Sa mémoire restait bloquée. Elle savait juste qu'il s'était passé quelque chose de crucial à cet endroit quand elle était encore enfant, et que cette chose l'avait marquée au point qu'elle avait décidé de l'oublier. Sans plus. Pourtant...

Elle frissonna. Elle préférait ne plus y penser. Ce passage de sa vie paraissait trop dur à surmonter. Trop sombre pour être vrai. Cette fois, tournant le dos à l'immeuble, elle fixa la merveilleuse place qui transpirait le bonheur, dans l'espérance de ne plus penser à l'horrible souvenir que semblait évoquer cet immeuble.
Mais, sans même qu'elle ne s'en rende compte, le regard plongé dans le vide, elle replongea dans ses souvenirs qu'elle pensait avoir définitivement oublié...

****

Ça avait été un jour merveilleux, au début. Le soleil avait été éclatant bien qu'il descendît à l'horizon à ce moment-là. Sandra jouait avec sa grande sœur adorée autour d'un bac à sable. Elles avaient ri et s'étaient courues après, tout en s'amusant et souriaient. Elles avaient été seules sur cette place de verdure mais elles savaient que leur mère les regardait depuis la fenêtre ou le balcon. Leur mère était trop occupée pour pouvoir les rejoindre pour les surveiller. Mais il n'y avait pas que cette raison. Sandra l'avait découvert. Non pas parce que sa mère le lui avait avoué directement. Non, celle-ci avait toujours été étrange et avait toujours gardé ses pensées pour elle. Sandra l'avait su parce qu'elle avait remarqué que sa mère faisait toujours allusion à "la fin", à la mort en disant que la mort nous prenait toujours par surprise et qu'elle venait le plus souvent plus tôt que prévu. De plus, Sandra avait beaucoup écouté aux portes et avait conclu que sa mère devait être malade ou souffrante. Elle ne se doutait pas que sa superstitieuse de mère était proche de la réalité. Mais très vite, elle se rendra compte qu'il ne faut jamais douter des superstitions de sa mère.

Ce soir-là, sa mère avait paru plus étrange que d'habitude et avait même prononcé à table trois fois le mot "mort" d'un air plus que mystérieux et étrange, et leur avait annoncé pour la énième fois qu'elle les aimait et les aimerait toujours. Sandra avait trouvé ça étrange et inquiétant, mais sa sœur n'avait semblé si inquiète que ça. Elles savaient toutes les deux à quel point leur mère pouvait être superstitieuse, mais Sandra avait d'ores et déjà senti que ça annonçait rien de bon. Elle avait regardé son père mais celui-ci ne lui avait même pas jeté un regard et, tout en fixant sa femme, il avait répété la même chose qu'elle. Sandra avait été tellement inquiète qu'elle n'avait rien dit, mais au moment de dire bonne nuit à ses parents, elle les avait instinctivement étreints longuement, sans être consciente que c'était la dernière fois qu'elle pourrait le faire à sa mère.

En effet, c'était à partir de là que sa vie avait changé. Elle ne se souvenait de plus grand chose à partir de ce moment. Elle se souvenait juste qu'elle avait eu l'horrible impression de prendre feu, de brûler vif. Elle avait vu merveilleuse photo d'elle, sa sœur et sa mère réunies brûler et avait cru que c'était "la fin", comme disait sa mère. Mais elle avait eu de la chance.

Elle s'était réveillée hors de l'immeuble et avait constaté qu'il était en flammes. Elle pouvait à peine bouger mais, elle, était encore en vie. On l'avait sauvée. Mais les gens autour d'elle avaient été affolés, il y avait plein de blessés. Sandra ne resta même pas deux minutes consciente mais juste avant qu'elle ne ferme les yeux, elle avait aperçu un garçon blessé qui semblait de son âge lui faire un sourire plus quesincère. Mais il avait quelque chose d'étrange...une lumière d'une éblouissanteblancheur avait émané de lui. Elle ne savait pas qui il pouvait bien être, maisun seul mot lui était venu à la bouche : 

Ange.