🎻69🎻
Les toilettes.
Le seul endroit du collège où je peux être tranquille.
Enfin, tranquille...
Si on veut.
C'est ma faute si j'en suis là.
Comment ont-ils deviné ?
J'ai cru que Gabriel voulait m'embrasser.
Gabriel Deschamps.
Cinquième six.
Un garçon d'un blond éclatant, avec de grands yeux verts. Une silhouette de sportif.
Il est juste parfait.
J'aurais dû me douter que je ne méritait pas quelqu'un comme lui, que ce n'était pas parce que je lui plaisait qu'il m'a dit qu'il voulait m'embrasser.
Non.
C'était simplement pour que le groupe de Scott puisse me ridiculiser un peu plus.
Et je suis là, à attendre qu'ils se lassent de taper sur la porte, ou du moins que la sonnerie les arrête.
"T'es vraiment abruti, Ace !
_Comme si quelqu'un pouvait vouloir d'un gars comme toi !
_T'es juste dégoûtant !"
Ils rient, ils rient, ils rient...
Pourquoi a-t-il fallu que je fasse confiance à Gabriel ?
Pourquoi a-t-il fallu que je lui avoue que j'aime les hommes ?
J'aurai très bien pu continuer de nier, continuer de me mentir à moi même.
C'est anormal.
Ce que je ressens est anormal.
"Ouvre ! On te fera pas de mal, voyons !"
Bien-sûr...
"Allez ! Laisse nous entrer !"
Ils tapent, ils tapent, ils tapent.
La porte va finir par céder, si ça continue...
J'ai peur.
J'ai tellement peur.
Je ferme les yeux.
Tout ça a commencé l'année dernière.
Vers octobre.
Gabriel était dans ma classe.
C'était le seul qui avait bien voulu me parler, en dehors de mon frère Sabo.
Enfin j'avais un ami à moi...
Je m'étais dit...
Que Sabo voulait que je le laisse un peu tranquille.
Avec ses amis à lui.
C'est vrai, on était tout le temps ensemble.
Il en avait sûrement marre d'être avec moi.
Il voulait sûrement passer du temps avec ses propres amis.
Alors je lui ai dit...
"T'inquiètes pas, je vais manger avec quelqu'un d'autre aujourd'hui, va avec eux."
Ou...
"Vas-y, moi, je vais jouer du violon en salle de musique."
J'aurais dû rester avec lui.
J'aurais dû...
J'aurais jamais dû parler à Gabriel.
Il était si gentil avec moi, pourtant.
Et puis...
Il a fallu que je lui dise.
Là, cette année...
En avril.
Il y a trois semaines.
Il m'a glissé ce mot, en mathématiques.
"𝒱𝒾ℯ𝓃𝓈 𝓈ℴ𝓊𝓈 𝓁ℯ𝓈 ℊ𝓇𝒶𝒹𝒾𝓃𝓈 𝒹𝓊 𝓉ℯ𝓇𝓇𝒶𝒾𝓃, 𝒸ℯ 𝓈ℴ𝒾𝓇"
"𝔓𝔬𝔲𝔯𝔮𝔲𝔬𝔦 ?"
"𝒥ℯ 𝓋ℯ𝓊𝓍 𝓉'ℯ𝓂𝒷𝓇𝒶𝓈𝓈ℯ𝓇."
Et moi, je pensais qu'on se tournait autour, depuis le début de cette année.
Non.
Quelle idée.
Pourquoi j'y suis allé ?
................
Ils me tiennent par les cheveux.
Me traînent dans la boue.
Me ruent de coups.
Scott.
Matéo.
Tom.
Christophe.
Et Gabriel les regarde en riant.
Tom me verse un grand goblet de thé glacé sur la tête.
"T'as vraiment cru que Gab' voudrait de quelqu'un comme toi ? Regarde toi ! T'es répugnant ! Qui voudrait sortir avec un mec ?
_T'es dérangé, mon pauvre !"
J'ai mal.
Physiquement, j'ai mal.
Mentalement, c'est pire.
Je l'aimais vraiment, Gabriel.
Quelle idée.
Quelle erreur.
Et je suis là, sous les gradins.
À attendre que ça s'arrête.
Quand je pense enfin que c'est terminé, j'entends un zip.
Ils rient de plus belle.
Encore et encore.
Pendant que je sens l'urine chaude de Scott couler le long de mes vêtements.
J'ai envie de pleurer.
J'ai envie de mourir.
"Regarde toi ! T'es juste un GROS pédé ! Tu me dégoûte !"
...
Je suis gros ?
J'ai pas l'impression de l'être...
Je ne sais pas.
Je...
Je devrais...
"Arrêtez ! Qu'est-ce que vous faites ?! Ça va trop loin !
_Tu le protège, Gab' ? Tu l'aimes vraiment, alors ?
_Non, bien-sûr que non ! Mais c'est pas la peine de lui pisser dessus !
_C'est tout ce qu'il mérite."
Quand ils ont enfin finit, je ramasse mon cartable, après avoir passé une dizaine de minutes par terre.
Heureusement, j'avais des affaires de sports de rechange dans mon casier.
.....
Ils tapent toujours sur les toilettes.
J'ai tellement peur que la porte lâche...
Je reçois des boulettes papier toilette mouillé venant du dessus de la porte.
Ne pas pleurer.
Ne pas pleurer.
"Hey ! Vous faites quoi ?"
Sabo ?
"Ah, tu serais pas le frangin d'Ace, toi ?
_Ça fait quoi, d'avoir une tapette dans la famille ? T'as pas honte de lui ?"
J'entends des cris, des coups.
"Laissez le tranquille !"
Sonnerie.
"Ça va, on s'casse."
Silence.
"Ace ?
_Sabo...?
_C'est fini, tu peux sortir. Ils sont partis."
Je soupire, accroupi sur le sol, la tête contre la porte.
"Ace...? Tu vas bien...? Ils t'ont fait mal ?
_Ça va.
_T'es sûr ?
_Mmh.
_Tu veux que j'aille chercher un surveillant ?
_Non.
_Tu m'ouvres ?"
Je me redresse.
La main tremblante, je déverrouille le loquet.
Sabo saigne du nez.
"Ils t'ont frappé ?
_J'ai commencé.
_Tu veux aller à l'infirmerie...?
_Tu veux y aller, toi ?
_Non.
_Viens."
Mon frère me prend dans ses bras.
Je suis trempé.
"Ils t'embêtront plus. Tu restes avec moi.
_Ça va... T'inquiètes pas."
Sabo pousse doucement sur mes épaules pour me regarder.
Il retire un morceau de papier de mes cheveux.
Il souffle :
"On a fini les cours.
_Non, il reste sport, on va être en retard.
_On a fini, je te dis."
Mon jumeau se tourne vers le miroir avant de se passer un peu d'eau sur le visage, afin d'essuyer le sang de son nez.
"Allez, viens. On rentre. On dira à papa que je suis tombé et qu'on a préféré rentrer.
_D'accord.
_Tu veux pas lui dire ?
_Non.
_Même pas...
_Non."
.....
Sur le chemin du retour, nous passons devant cette ruelle.
Des souvenirs me reviennent en tête malgré moi.
La voiture bleu.
L'inconnu de mes sept ans.
Je sombre.
Sabo disparaît.
Je suis seul.
Avec lui.
Son bonbon à la fraise.
Moi qui n'arrive pas à mettre ma ceinture.
Lui qui m'aide.
La portière qui ne s'ouvre pas.
Mes cris.
Ma douleur.
Puis mon incapacité à bouger.
À parler.
À hurler.
Lui qui a enfin fini.
Moi qui n'arrive plus à respirer.
Moi qui a terriblement mal.
Mes mains qui tremblent.
Ce liquide qui coule hors de moi.
Qui me donne envie de vomir.
De pleurer encore.
Moi qui ne comprends rien à ce qui vient d'arriver.
Pourquoi il a fait ça ?
Qu'est-ce qu'il a fait ?
Pourquoi j'ai si mal ?
Pourquoi je ne suis pas chez moi ?
Lui qui se redresse.
Qui met le contact.
Moi qui réussis enfin à bouger.
À ouvrir la fenêtre.
À sortir.
À courir.
Lui qui se met à crier.
Je l'entends ouvrir la porte.
Il faut courir.
Loin.
Loin.
Loin.
Très loin.
Lui qui me court après.
Mon cœur qui tape.
Moi qui pense que je vais mourir.
Il ne faut pas rester là.
Une poubelle.
Je me cache derrière.
Je m'arrête de respirer.
Il passe plusieurs fois devant moi.
Il abandonne.
J'ai réussi.
Je rentre chez moi en sprintant.
Je regarde mes mains.
Du sang.
Est-ce qu'il vient d'en bas ?
Je veux hurler.
J'ouvre la porte après avoir rassemblé mon courage et essuyé mes larmes.
"Mon chéri, te voilà. Tu en as mis du temps."
Maman.
Je veux lui faire un câlin.
Non.
Elle ne doit pas savoir.
J'ai honte.
Je n'aurais pas dû suivre l'inconnu.
Je souris.
"Je suis fatigué.
_D'accord...
_Je vais dormir.
_Comme tu veux, ça a été l'école ?
_Oui, oui. À demain.
_Attends, tu ne mange pas avant ?
_Non merci !"
Je monte dans ma chambre.
Je pleure.
Silence.
Silence.
Maman ne doit pas savoir.
Maman ne doit pas deviner.
Mais...
Je veux tellement un câlin...
Je vais dans la salle de bain.
Je me déshabille.
Une douche.
Il me faut une douche.
Et je frotte.
Je frotte jusqu'à ce que ma peau me fasse mal.
Je dois tout enlever.
Tout.
J'ai l'impression que je vais me mettre à saigner, mais je continue de frotter.
Jusqu'à ce que tout disparaisse.
Pourtant, quand je sors de la douche...
Je me sens toujours aussi sale.
On frappe à la porte.
"Chéri ? Tu vas bien ?
_Oui !
_Tu veux de l'aide ?
_Non, c'est bon.
_Tu t'es bien lavé les cheveux ?
_Oui, oui."
Étrange.
J'arrive à parler.
Pourtant, ma gorge est si serrée que j'ai l'impression que je vais mourir asphyxié.
J'ouvre la porte, mon bas de pyjama enfilé.
"Maman ?"
Elle sourit.
"J'arrive pas à mettre mon tee-shirt."
Elle me l'enfile.
Je tombe dans ses bras.
Enfin.
Un câlin.
Ma maman.
Tout va bien.
Tout va bien.
Alors...
Pourquoi j'ai tellement envie de pleurer ?
Non.
Tout va bien.
Tout va bien.
•-• • •••- • •• •-•• //
•-•-•-
J'inspirai profondément, après avoir ouvert les yeux subitement.
"Tu vas bien...?"
Marco.
Je soufflai.
L'hôpital, le lit, la chaleur de son corps...
Il embrassa mon front.
"Ace ?
_Ça va... Je vais bien.
_T'as fait un cauchemar ?
_Oui, mais ça va, je t'assure."
Son cœur battait contre la paume de ma main.
Il était là.
Pourtant...
J'avais envie de disparaitre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top