🎻55🎻

La porte avait claquée.

Dans le salon, aussitôt, mes frères et Kikunojo s'agitèrent.

Ma professeure de musique n'était plus là. Elle avait dû se sentir de trop.

"Ace ! Comment va Marco ?

_Qu'est ce que tu fais là ?"

J'avais le souffle tellement court que je bégayai ma réponse :

"Il... Il est encore... En salle d'opération. Je... Je sais pas..."

Je sentis les larmes me monter aux yeux.

Mes cheveux laissaient tomber les gouttes de pluie sur le carrelage gris.

Mon corps entier pleurait.

"Tiens... Prends un verre d'eau."

Je saisis le gobelet en plastique que me tendit Kikunojo et avalai son contenu rapidement.

"J'ai... J'ai un truc à vérifier. C'est urgent."

Je remerciai l'asiatique d'un geste de tête et m'avançai vers la chambre de Marco.

Bleue.

Elle était toute bleue.

Son tapis poilu, ses draps, sur le lit, ses rideaux.

Je n'avais jamais pris le temps de me dire...

Marco aimait le bleu.

Je portai mon regard sur le meuble en chêne décrit dans sa lettre.

Je m'agenouillai devant celui-ci.

Qu'est-ce qui était si important pour qu'il me fasse quitter l'hôpital ?

Je portai ma main à la poignée ronde, en fer blanc détaillé de petites étoiles gravées avant de la tourner.

Je ne tirai pas dessus immédiatement.

La curiosité de découvrir ce qu'il y avait à l'intérieur et l'angoisse de trouver quelque chose qui ne me plairait peut-être pas se mélangeaient en moi, tandis que je sentais toujours l'eau de pluie couler le long de mon corps.

C'était un grand meuble, et il y avait beaucoup de place à l'intérieur.

Pourquoi n'avais-je jamais prêté attention à cet imposant rangement ?

Finalement, j'ouvris la porte du placard, doucement.

Il y avait un carton, que je sortis avant de le poser à mes côtés.

J'ouvris la deuxième porte.

Une petite pochette verte tachetée de noir, en A4.

Un livre.

Un autre carton.

Quoi, c'était tout ?

Je passai ma tête dans le meuble et scrutai l'intérieur.

Rien d'autre ?

Je posai mes yeux sur ce que j'avais mis à mes côtés.

J'ouvris la pochette verte.

C'était une pochette à dessin.

Je feuilletai les esquisses de Marco.

Il devait y avoir une dizaine de croquis.

Des positions de personnages, des visages sans dessus dessous, pas terminés, des traits de construction.

Je posai le paquet de feuilles sans le détailler plus.

Ce n'était pas ça, qu'il m'avait laissé, visiblement.

Le livre non plus, d'ailleurs, ça me paraissait évident.

Je pris un carton.

Je l'ouvrit immédiatement.

Des toiles.

J'en sortit une.

C'était une peinture à l'huile.

Un paysage.

Je ne détaillai pas plus cette toile, j'en pris deux autre.

Encore des paysages.

Je laissai tomber les œuvres dans la boîte.

Je saisis le deuxième carton.

"Ace"

Il avait écrit mon nom au marqueur sur celui-ci.

Ça, c'était forcément pour moi.

J'ouvris les battants du carton.

Des toiles, bien rangées.

Encore.

Je soupirai.

Il avait dû me laisser un mot, sans doute, dans ce carton.

Je pris les cadres de coton que je posai sur le lit en une pile, sans les regarder.

Pas de mot dans le carton.

Je fermai les yeux.

Il ne pouvait pas m'avoir fait quitté l'hôpital, là où j'attendais les résultats, complètement paniqué, pour des tableaux.

Ce n'était pas possible.

C'était bien trop important.

Bien trop important pour de simples peintures.

J'ouvris les yeux.

Peut-être que le mot était entre les toiles.

Je m'installai sur le lit et pris la première.

"Oh..., murmurai-je."

Je reconnu le café.

Celui-là même où nous nous étions donné rendez-vous, la première fois.

La table en bois rustique, nappée de blanc.

Un café et un thé, posés dessus.

Son café, mon thé.

Une ombre seule sur la chaise, devant sa tasse de liquide noir.

Là, je compris.

Je m'empressai de prendre la toile suivante.

La station de métro.

Le papier par terre.

Les portes qui se fermaient.

Tout donnait une impression de mouvement, de rapidité.

Et, devant le papier, une ombre.

C'était moi, je crois.

Pas de détail, juste une ombre habillée d'un manteau gris, une écharpe en laine, un jean trop large.

La tête baissée, détaillant le morceau de papier au sol.

J'étais peut-être une ombre bien habillée, mais je ressortais bien par rapport aux passants sans visage autour de moi.

C'était...

C'était moi...

Je tournais la toile.

"4 mai 1996."

Je sortis le journal maladif de ma poche, pour le feuilleter.

Enfin, la bonne date.

"4 mai 1996 : Aujourd'hui, j'ai rencontré quelqu'un dans le métro. C'était vraiment spécial... J'ai senti un éclair me foudroyer de l'intérieur. Je lui ai jeté mon numéro de téléphone. J'espère qu'il m'appellera... En réalité, c'était vraiment magique, ce qu'il s'est passé, quand j'ai croisé son regard. Je n'avais jamais ressenti un truc pareil."

Je compris.

Je pris la toile précédente, celle du café.

"8 mai 1996."

"8 mai 1996 : le rendez-vous s'est super bien passé. Il est adorable, super gentil. Il joue du violon, je trouve ça vraiment impressionnant. J'aimerais bien qu'il en joue pour moi un jour... Nous sommes rapidement devenus amis. Hélas, il a dû rentrer chez lui en urgence. J'aurais aimé que ça dure plus longtemps..."

Tout.

Il avait tout noté, tout peint.

Je posai le journal et saisis la troisième toile.

Ce jour me revint instantanément en tête.

"Tiens, salut, Ace."

"Tu t'es fait mal ? Tu as quelque chose sur le front.

_Ah... Salut, Marco. Je suis tombé, en fait.

_Oh... T'as l'air d'avoir dérouillé, mon pauvre... Tiens, tu as ton violon ?"

"Dis, tu as du temps ?

_J'ai deux heures, en fait.

_Tu voudrais les passer avec moi ?"

"Alors, Ace... Tu veux bien me montrer ?

_Te montrer quoi ?

_Tes talents au violon."

"Où tu m'emmène, comme ça ?

_Tu vas voir..."

"Monte !

_Wow... C'est une jolie vue...

_Et tu ne l'as pas vue de nuit !"

C'était moi, bien plus détaillé que l'ombre sur la toile précédente.

Triste, sur le toit du vieux bâtiment, qui se superposait en transparence avec l'intérieur du métro de Rouen.

La pochette de mon violon à la main, un bleu énorme sur le front.

Je tournais la toile.

La date, et une phrase.

"Il avait l'air si triste."

J'essquissai un sourire.

Je saisis une autre toile.

L'arcade, plein de lumières, un tout petit personnage qui semblait sautiller partout.

Moi, le réprimendant gentiment.

C'était sa rencontre avec Luffy.

Marco était vraiment doué pour la peinture. Je pouvais ressentir les émotions qu'il voulait représenter, les expressions étaient claires, l'ambiance était vraiment très bien retranscrite.

Je tournais à nouveau la toile.

Date, et...

"Une vrai boule d'énergie, son petit frère."

Je ricanai.

Je pris une autre toile.

Nous deux, qui courions main dans la main dans la rue.

C'était le jour où il m'avait présenté à la colocation, nous devions attraper le métro.

C'était magnifique.

Suivante.

Le toit du vieux bâtiment, deux personnes assises sur le rebord, représentées de dos.

L'ambiance était froide.

Je tournais la toile.

"Annonce de mon cancer."

Je soufflai.

Je pris une autre toile.

Un lit, son lit.

Deux sujets, un brillait, l'autre était illuminé par d'espèces de petites étoiles jaunes qui fusaient de sa poitrine.

Je retournais la toile.

"Baiser de bonne nuit."

Je souris largement.

La toile suivante était très érotique. Rien était représenté clairement, c'était plutôt abstrait, mais l'ambiance était clairement sensuelle.

Du bleu, des étoiles jaunes, toujours, et deux corps en lumière blanche.

Une ambiance rassurante malgré la tension sexuelle.

Je retournais la toile.

"Première fois."

Ah... Il avait aussi peint ça.

Je ricanai.

Finalement, nous ne l'avions vraiment fait que deux fois.

J'avais de gros blocages à travailler.

Je saisis un autre tableau.

Le restaurant chic où il m'avait emmené.

C'était merveilleux.

Tout était si bien représenté...

J'arrivais à la fin du carton, je saisis le deuxième.

Sur celui-ci aussi, il était écrit mon prénom, mais sur le côté.

Je ne l'avais pas vu...

Ce n'était pas du tout de simples paysages.

La plage où il m'a emmené en moto, la danse que nous avions fait sur le balcon sous la pluie...

Et puis...

Moi.

Seul.

Sur les planches de la scène.

Mon premier passage au concours. La toute première fois que j'avais joué sur une scène.

Mon violon.

Il l'avait peint.

Je sentis les larmes me monter aux yeux quand je retournais le tableau.

"J'espère pouvoir le voir encore une fois."

Il m'avais vu, plus tôt, lors de la deuxième partie.

Ses croquis, dans la pochette...

C'était l'étude de mes positions, de mon visage.

Je souris, et pris la dernière toile.

C'était nous deux, simplement, enlacés l'un contre l'autre sur le canapé du salon.

Des millions de lumières jaunes fusaient de son cœur.

Je compris que ce n'étaient ni des lumières, ni des étoiles lorsque mon regard se porta sur le livre au sol.

"La tombe des lucioles", de Akiyuki Nosaka, paru en 1967 au Japon et en 1988 en France. Plus tard adapté par les Studios Ghibli en 1988 sous le nom "Le Tombeau des Lucioles".

Pas de traduction française à ce jour, de ce que je savais.

J'aurais aimé voir ce film.

C'était le livre que je lisais dans le métro, le jour où nous nous étions rencontrés, la première fois.

La toute première fois.

Ce moment me revint instantanément en tête.

«C'était là qu'il m'avait bousculé.

"Désolé, dit-il furtivement.

_Pas grave..."

Je retournais sur mon livre, mais il continua de me parler :

"Tu viens du lycée au nord ?

_Oui."

Que me voulait-il ?
Inconnu.
Je ne parlais pas aux Inconnus.
Non...

Soudain, son regard traversa le mien et là, je le ressentis... comme si ses pupilles me transperçaient, comme si un éclair foudroyait tout mon corps.

Le temps semblait s'être arrêté, et mon sang tournant dans mes veines ralentit. Il n'y avait que lui. Que moi. Yeux dans les yeux.

Et je vis dans son regard qu'il ressentis la même chose que moi à cet instant là.

Lorsque ma voix retentit :

"Comment... Tu t'appelles ?"»

...

C'était des lucioles.

Comme dans mon livre.

Comme ce qu'il avait écrit dans sa lettre.

J'avais... Rallumé ses lucioles.

Il me le montrait en peinture.

Il avait acheté le livre que je lisais ce jour là...

Je le saisis.

Un post-it, sur la première page.

"Très bon livre, Ace. Je ne pensais pas que tu étais du genre à lire des choses sur la seconde guerre mondiale. Je croyais que ton livre préféré c'était Le Petit Prince ? Pas vraiment le même genre. :)
Ceci dit, le titre est inspirant..."

Je souris et plaquai le bouquin contre mon torse.

Je pleurais...

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