🎻21🎻

Le café où travaillait la collocation était très animé. Le patron, Edward, était un vieux monsieur très sympathique.

Je lisais un livre tranquillement au bar, avec une tasse de thé.

Je m'en voulais pour la question que j'avais posée à Satch un peu plus tôt.

Je n'aurais pas dû.

J'avais peur que ce souvenir que j'avais fait remonter ne le rende triste...

Même si il m'en avait parlé avec légèreté, ce n'était tout de même pas rien.

Je soufflai longuement.

"Ah... Enfin ma pause, soupira Marco en s'asseyant à mes côtes.

_Ça va ? Pas trop fatigué ?

_Non, je vais bien, sourit-il. Tu veux sortir sur la terrasse de derrière ?

_D'accord..."

J'enfilai ma veste.

Arrivés sur la terrasse, j'allumai ma gauloise.

"Comment tu te sens ?, demandai-je à nouveau.

_Je vais bien, souligna-t-il en m'ébouriffant les cheveux.

_Tu es sûr...? Tu m'as fait peur, hier...

_Mais oui, ça va... Ça arrive, je t'ai dit."

Je soufflai longuement, et appuyai ma tête sur son épaule.

Il entoura ma taille de son bras, puis embrassa le haut de mon crâne.

"Ça va aller, Ace... T'inquiètes pas..."

J'écrasai ma cigarette dans le cendrier et le pris dans mes bras.

Je posai ma tête contre son torse.

"Vous finissez dans combien de temps ?

_Une heure.

_D'accord..."

_____

"Voilà, c'est le casque de mon père."

Il me tendit l'objet en souriant. Gêné, je le pris pour l'observer.

"Tu vois, la carte là qui est scotchée, l'as de pique, beaucoup d'américains l'accrochaient à leur casque pour se remonter le moral. À la base, c'était parce qu'ils pensaient que les Viet-Cong étaient superstitieux et ils en foutaient un peu partout, notamment sur les cadavres vietnamiens pour faire peur à l'ennemi, ils se promenaient des fois avec des paquets Bicycle remplis d'as de pique, on appelait ça "Bicycle secret weapon". Mais finalement, c'était plus pour se remonter le moral qu'autre chose."

Le casque portait l'inscription "Fuck War" et le symbole Peace and Love tracés au feutre noir. J'écoutais ce que me disait Satch avec intérêt, mais j'étais triste pour lui.

Izou l'écoutait, en retrait, aux côtés de Marco, avec un léger sourire de compassion.

"Enfin, tout ça, ça date, maintenant... C'est pas comme si j'étais malheureux de ne l'avoir jamais rencontré, je suis passé à autre chose, maintenant. À 28 ans, ce serait triste de toujours pleurer la mort de mon père."

Il sourit.

"Même si j'aurais bien aimer avoir quelques souvenirs avec lui, je n'y pense pas vraiment. C'était quelqu'un de bien. C'est tout ce dont je suis sûr."

Il rangea l'objet dans une boîte en carton.

"Eh, Ace..."

Je levai les yeux vers lui.

"Fais pas cette tête, enfin. Je vais très bien !"

Il frotta énergiquement mes cheveux.

"T'inquiètes pas, j'aime bien parler de mon père, en fait."

Je hochai la tête, alors qu'il répartit dans sa chambre en bâillant. Izou le suivit finalement en nous saluant.

Marco posa une main sur mon épaule.

"Je vais prendre une douche, tu m'attends dans la chambre ?

_D'accord, répondis-je"

Alors qu'il partit à l'autre bout du couloir, j'ouvris la porte de sa chambre.

Je m'installai sur le lit, en tailleur, et observait un peu la pièce en l'attendant.

Un livre sur son bureau attira mon attention.

Je me levai pour le prendre.

Il était petit, la couverture était rouge et noire.

Pas de titre...

Je retirai doucement la jaquette.

"Journal maladif."

C'était écrit à la main.

Je savais que ce n'était pas bien de fouiller dans les affaires des autres, mais ce journal m'intriguait.

J'ouvris le livre.

"Maladie mortelle du poumon..."

Je feuilletai les pages doucement.

"Cancer en première phase..."

"Plutôt douloureux."

Dans ce journal, Marco écrivait chaque jour son ressenti sur sa maladie.

"5 octobre 1993 : Bonjour le bouquin, comme on se retrouve ! Il est de retour... Joyeux anniversaire à moi... Quel choc, moi qui pensais que c'était terminé. Je commence à en avoir assez, de tout ça... Est-ce que je vais survivre, cette fois ? C'est pas passé loin, la dernière fois."

Il l'avait appris le jour de son anniversaire... Le pauvre...

Je passais les pages rapidement, sans vraiment les lire.

"2 mai 1994 : Est-ce que je pourrais voir le muguet fleurir, l'année prochaine ?"

Je tournai les feuilles une à une.

"17 juillet 1994 : les médicaments ne font plus effet, je dois les changer. Ils me conseille une autre chimiothérapie, mais, en réalité, j'ai peur. Les médecins m'ont dit que l'opération ne sera pas possible tout de suite, je dois attendre."

Je passai quelques mois.

"16 Octobre 1994 : Je vais sûrement mourir, si l'opération n'a pas lieu avant 6 ans. Je dois avouer que je ne veux pas mourir, je n'ai pas encore trouvé la personne avec qui je veux passer mes derniers instants.
Je crois que ces nouveaux médicaments ont un effet étrange, sur moi. Je me sens déprimé depuis que je les ais..."

"4 janvier 1995 : Nouveau traitement. Je me sens beaucoup mieux."

Je passai encore quelques pages, quand cette phrase me procura un frisson incontrôlé.

"8 août 1995 : mon espérance de vie à diminuée de moitié. Il me reste 3 ans et demi, si je ne suis pas opéré. Mais ce n'est pas encore possible."

Je soufflai, puis passai un grand nombre de pages.

"4 mai 1996 : Aujourd'hui, j'ai rencontré quelqu'un dans le métro. C'était vraiment spécial... J'ai senti un éclair me foudroyer de l'intérieur. Je lui ai jeté mon numéro de téléphone. J'espère qu'il m'appellera... En réalité, c'était vraiment magique, ce qu'il s'est passé, quand j'ai croisé son regard. Je n'avais jamais ressenti un truc pareil."

Je souris.

"5 mai 1996 : Il m'a appelé ! C'était la conversation téléphonique la plus gênante au monde, mais c'était aussi la meilleure de ma vie. Il s'appelle "Ace". On s'est donné rendez-vous à un café. Je stresse un peu, je ne sais pas vraiment pourquoi..."

"8 mai 1996 : le rendez-vous s'est super bien passé. Il est adorable, super gentil. Il joue du violon, je trouve ça vraiment impressionnant. J'aimerais bien qu'il en joue pour moi un jour... Nous sommes rapidement devenus amis. Hélas, il a dû rentrer chez lui en urgence. J'aurais aimé que ça dure plus longtemps..."

"18 mai 1996 : Je crois que j'aime ce garçon..."

"4 juin 1996 : Il m'a embrassé... C'était vraiment super mignon ! Je suis aux anges..."

"10 juin 1996 : je suis vraiment content que nous soyons officiellement ensemble, lui et moi. Je peux lui parler de tout, je l'adore...
Mon cancer l'inquiète... Je ne sais pas quoi lui dire pour le rassurer. Je sais que ça va aller, dès que j'ai une réponse pour cette fichue opération, tout va rentrer dans l'ordre.
J'ai peur de passer sur le billard, en réalité... Mais après, tout ira mieux ! Alors il faut que je pense à autre chose !"

"11 juin 1996 : J'ai eu très mal aujourd'hui. Je n'ai pas arrêté de tousser. Mes poumons se détériorent encore... Ça commence à être dur de respirer sans avoir mal. C'est comme ça depuis ce matin, je vais me reposer un peu..."

"17 juin 1996 : Ace n'a pas cours pour deux semaines. Il va passer une semaine à la maison ! J'espère que tout ira bien pour son bac, il le passe bientôt, je crois. Il est quelqu'un de très angoissé, j'espère qu'il ne va pas trop stresser pour ça... Ce gamin me rend fou. Je l'adore... Il est vraiment unique."

Je souris doucement en reposant le livre. Après tout, ça ne me regardait pas, tout ça... Je n'aurais pas dû lire.

"Ah, tu as trouvé mon journal...?"

Je me tournai brusquement vers Marco, appuyé sur l'entrebâillement de la porte, qui me regardait en souriant.

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