• Plume n°8 •







Maxine




                   

" Je t'ai dit d'arrêter de bouger, je vais déborder après ! " Rechigna ma sœur pour la deuxième fois, exagérément concentrée sur l'application d'un rouge à lèvre écarlate sur mes lippes. Je roulais des yeux, saoulée par toute cette agitation autour de ma personne tandis qu'elle beuglait de nouveau : " Bon, tu commences à me saouler là, Max, je rigole pas ! On est déjà en retard, donc si tu pouvais faire un effort, je t'en serai éternellement reconnaissante ! "


Ma sœur dans toute sa splendeur : envenimer une situation originellement et relativement agréable pour la rendre déplaisante. Qui plus est, nous n'étions pas en retard : elle s'évertuait à me répéter le contraire simplement pour m'obliger à me dépêcher. En toute honnêteté, il nous restait un peu plus d'une heure pour tenter de me rendre présentable, et je désespérai de voir Rose s'agiter inutilement.

A chaque nouvelle exposition, elle était à l'apothéose de son angoisse et ne négligeait aucun foutu détail. Par exemple, dans l'après-midi, après qu'elle se soit rendue compte que je n'avais pris aucune robe de cocktail dans ma valise, elle avait littéralement pété une durite et m'avait trainée de force dans les centres commerciaux bretons pour me contraindre à trouver une robe digne de cet « évènement national ».

Car oui, si extérieurement, je faisais preuve d'une quiétude prodigieuse, intérieurement, je mijotais. Chacune de mes cellules grelotaient d'horreur rien qu'à l'idée que d'ici quelques heures, mes photos et moi-même serions exposées aux yeux critiques de certaines personnes et aux flashs incessants de quelques photographes évènementiels. Je peinais encore à comprendre comment mes expositions dans le monde de l'art, pouvaient attirer autant de personnes, anonymes comme populaires.

Critiques, journalistes artistiques, stars à renommées nationales, simples passionnés, tout le beau monde avait été cordialement invité par ma sœur ainée à ma nouvelle exposition ; une exclusivité puisque nombreux de mes nouveaux clichés seraient exhibés.

Je me reconnectais rudement avec la réalité lorsque Rose se mit à épiler mes sourcils indomptables. Surprise et ne l'ayant pas vu venir, j'eus le réflexe de reculer dans mon siège et elle s'exaspéra immédiatement, grognant avant de ne reprendre :


" Fais pas ta chochotte, tu as des sourcils plus denses que la forêt amazonienne : il va bien falloir les désherber un minimum. "


Ce fut à mon tour de soupirer, las de devoir m'apprêter autant. Rosie refusait de me comprendre lorsque je lui disais vouloir apparaitre tel que j'étais à mes expo' : selon elle, je me devais d'être physiquement irréprochable et non pas « négligente » comme je pouvais l'être au quotidien.

Après une dizaine de minutes de torture où j'avais peiné à ravaler quelques larmes intempestives tant la douleur était exécrable, la blonde se chargea de mes cheveux indomptables. Habituellement toujours relevés en un chignon fouillis, Rose prit un malin plaisir à les lisser, encore et encore, jusqu'à qu'une odeur nauséabonde de cramé me fasse grimacer : mes pauvres et misérables cheveux.


" Plus qu'une touche de mascara et ... " Chantonna-t-elle tout en faisant glisser la petite brosse sur mes cils. "... Voilà ! " Elle se recula tout en frappant énergiquement dans ses mains, un sourire si dégoulinant de satisfaction que cela su amoindrir mon angoisse. Je voulus attraper le petit miroir près de moi pour juger moi-même son travail, mais elle m'arrêta immédiatement : " Non, d'abord tu mets ta robe ! "


Je gémissais piteusement, déjà incroyablement saoulée par cette soirée, mais obtempérais. Les garçons n'étant plus dans le bus depuis un moment, je n'eus aucune gêne à me déshabiller devant ma sœur, défaisant ma chemise taille XXL qui me servait de robe sans grande difficulté. Pourtant, Rose, après que ses yeux aient louché pendant une infime et minuscule seconde sur la cicatrice opaline qui zébrait mes côtes, ne put s'empêcher de se retourner, les joues brutalement rougies par un sentiment que je ne sus définir. Elle et moi connaissions cette marque, son origine et ses conséquences depuis deux ans maintenant, je pensais qu'elle s'était faite à l'idée depuis.

Je ne retenais néanmoins pas son soudain malaise et enfilais facilement le tissu soyeux de la robe. Noire, longue et dos nu, ma sœur avait immédiatement flashé sur la finesse du vêtement. Quant à moi, je l'avais de suite maudite : étant ouverte dans le dos, je ne pouvais pas me permettre de porter un soutient gorge. Cette abominable sensation d'être nue sous le vêtement m'horripilait et ne parlons pas de l'impression embarrassante que tout le monde pouvait voir mes seins chétifs.

Bien évidemment, vous vous douterez que Rose n'avait que faire de mon opinion et était de suite partie à la caisse.

Machinalement, je lissais le vêtement après avoir enfilé mes talons scandaleusement hauts et chancelais moqueusement sur le côté après avoir tenté de faire un pas en avant. Je toussotais discrètement pour indiquer à ma sœur que j'étais fin prête et la blonde se retourna immédiatement.

Ses yeux jaugèrent l'ensemble de mon corps, évaluant scrupuleusement le moindre défaut de la robe et se permit même de rehausser la hauteur des manches. Après quoi, elle lécha son pouce pour essuyer un résidu de mascara sur ma joue – ce qui ne manqua pas de me faire grimacer – et hocha la tête, vraisemblablement comblée de son travail dantesque.


" T'es plutôt pas mal finalement, sœurette. Je suis fière de moi. " Je lui adressai un sourire timide en guise de remerciement. " Je vais me préparer, je n'en ai pas pour longtemps. Tu m'attends avant de rejoindre les gars ? "


Je hochais la tête, acquiesçant silencieusement tandis qu'elle partait se réfugier dans la salle de bain. Dès lors que le bruit significatif du verrou se fit entendre, je me laissais mollement retomber sur le siège près de moi et soupirai d'aise outrageusement. J'étais loin, très loin, d'être habile avec des talons, particulièrement quand ces derniers me faisaient un mal de chien.

Une trentaine de minutes plus tard, ma grande sœur réapparut devant mes yeux, plus resplendissante que jamais, coiffée à la perfection, maquillée divinement bien et ne parlons pas de sa robe en soie rouge qui soulignait la rondeur de ses hanches.

Et pourtant, malgré sa splendeur incontestable, elle ne m'avait jamais paru aussi timide, si gênée que même derrière son fond de teint, je devinais la rougeur de ses joues potelées.


" Ca va ? Je suis jolie ? " Elle me réclama craintivement tout en lustrant le tissu fin de sa robe. Ses yeux immaculés roulèrent jusqu'au miroir en face d'elle et je pinçais mes lèvres instinctivement, déjà rebutée par les mots que j'allais lui adresser.

" Crois-moi, Antoine ne pourra qu'adorer. "

" Quoi ?! "


S'indigna-t-elle, scandalisée que je lui ai dit ce que, secrètement, elle voulait que je lui dise. Car, oui, je n'étais ni aveugle, ni débile : quand bien même cette idée me répugnait, Rose Laurens craquait pour Blondinet, alias gueule d'ange, alias bras frêles. Bon sang, c'était tellement improbable que je dus réprimer une grimace.


" Je me fiche de son opinion, crois-le ou non, Maxine. "


Je ricanais sombrement quand elle me bouscula dignement l'épaule pour sortir du bus. Rose Laurens et sa fierté démesurée : un gène héréditaire, qu'elle et moi avions récolté de notre très chère mère, Hélène Laurens. Je mettais de côté cette pensée pour ma génitrice et me remis difficilement sur mes deux pieds, oscillant sur le côté dès le premier pas. J'attrapais le châle que ma sœur me prêtait gentiment pour la soirée ainsi que ma pochette et quittais pour de bon ce bus, consciente que cette fois-ci, nous étions bel et bien en retard.

Concentrée pour ne pas me rétamer dans les marches hautes du bus, l'embarras rappliqua dans mes songeries tel un raz de marée lorsque des sifflements espiègles nous accueillirent.

Mon Dieu, mes baskets et mes vêtements amples me manquaient copieusement.

Une fois stable sur le béton, je croisais mes bras sous ma poitrine pour camoufler mes seins riquiquis et clopinais jusqu'au groupe de garçons qui taquinaient ma sœur ainée.


" Bordel de merde, Max ! " Je relevais les yeux de mes pieds quand Deen vint me soutenir, glissant son bras sous le mien. " Rosie, je te remets la palme d'or du relooking ! " Se moqua-t-il après m'avoir faite tourner sur moi-même. " Merde, tu es méconnaissable ! "

" Par contre, t'as oublié d'avoir des seins, non ? " Plaisanta Sneazzy et je lui frappais le bras sans scrupule, riant allègrement malgré tout. " Ça va, je déconne, la muette ! Sois pas violente, comme ça. "


Je lui tirai gaminement la langue tout en me cramponnant un peu plus au bras d'Ahmadeen qui se marrait avec les autres après la réflexion moqueuse du maghrébin ; heureusement que je n'étais pas plus complexée que ça quant à la taille de mes seins. Ma sœur voulut prendre ma défense, mais je fus distraite par un élément manquant dans le décor : Barbie n'était pas là et je ne pus démentir le pincement accablant dans ma poitrine.

Étrangement, j'aurai aimé voir sa réaction à lui aussi. J'aurai souhaité sentir son regard importun sur ma peau avide de la sienne. J'aurai apprécié, aussi sadomasochiste puisse être sa réflexion, l'entendre critiquer ma tenue. J'aurai peut-être même adoré le voir se mordre lascivement la lèvre, sous-entendant implicitement ô combien lui aussi me voulait.

Mais monsieur n'était pas là et Deen dut remarquer mon trouble puisqu'il s'empressa de me remmener sur terre.


" Prête pour ce soir ? " Il me demanda doucement pour ne pas interrompre le débat des garçons quant à l'importance de la grosseur des seins chez une femme. Je haussais nonchalamment les épaules, peu envieuse de lui dire qu'en réalité, je mourrai d'envie de m'emmitoufler dans les draps chauds de ma couchette plutôt que d'y aller. " T'en fais pas, je suis sûr que ça sera génial. "


Oh mais ça le sera.

Du moins, ça l'aurait très certainement été si Barbie pute n'avait pas décidé de me rendre la monnaie de ma pièce précisément le soir où je jouais ma réputation internationale.


***


Comme à chaque nouvelle exposition, je dus jouer ma carte maitresse : celle de la jeune-femme mystérieuse, aussi horripilante puisse-t-elle être. Dès notre arrivée, après avoir eu le droit aux traditionnels applaudissements d'entrée, je m'éclipsais vitesse grand V dans les cuisines le temps que ma sœur ainée occupe les curieux et sustente leurs indiscrétions. Un petit instant de répit devenu coutumier, avant que je ne replonge tête la première dans cette masse d'individus inconnus qui dégoulinaient de questionnements plus ou moins pertinents.

Je souriais gentiment à la serveuse qui me tendit courtoisement une première coupe de champagne et avalais cul-sec son contenu ; du courage en verre, c'était désespérément ce dont j'avais besoin pour le moment. L'acidité de la liqueur m'arracha un rictus disgracieux, mais cela ne m'empêcha pas d'attraper à la volée une seconde coupe sur le plateau d'un serveur pressé.

Au troisième verre de bravoure liquide, je sentais d'ores et déjà mes organes se dérider profusément, tempérant mes troubles et mes propres doutes. Je guettais l'heure sur mon téléphone, jaugeant combien de temps je devais encore rester cloisonnée dans les cuisines et ignorais les messages des garçons qui me réclamaient où j'avais disparu si subitement.

Pas que je refusais de leur avouer, non !

Non, plutôt que ma fierté m'empêchait de leur admettre que j'avais clairement et considérablement peur de me retrouver mutique devant un individu, incapable de répondre à quoique ce soit. Rose enrayait les bombes pendant une petite heure et je réapparaissais, presque miraculeusement, la plupart du temps, saoule, sourire niais et air béat.

Voilà ce à quoi ressemblait mes expositions de mon point de vue : beuverie, leurres et mensonges. Une routine familière qui, avec les années, avait muté pour devenir machinale, et quelque part, presque agréable.

Après la quatrième coupe, mes pieds étriqués dans mes talons aiguilles me paraissaient nettement moins douloureux et mes lèvres s'étiraient d'elles-mêmes pour former un sourire satisfait. Putain que j'aimais ça, cette impression d'euphorie, de délivrance lénifiante et de légèreté inconditionnelle.

Que demandait de plus, très sérieusement ?

Toujours aussi niaise, je marchais habillement jusqu'à un minuscule miroir mural, réajustais mes cheveux et mon rouge à lèvre, puis repartais le plus noblement que possible vers la salle de réception. Joyeusement, j'ouvrais les portes battantes et soupirai d'aise lorsque, miraculeusement, une cinquième coupe de champagne arriva dans ma main. Comment était-elle arrivée jusque là déjà ?

Cette fois-ci, pour modérer mon taux d'alcoolémie, je pris le temps de siroter ce champagne millésimé et admirais par la même occasion la beauté des lieux. L'immensité de la pièce faisait référence à la grandeur de certains de me clichés, la rougeur des murs allaient de pair avec le luxe du bâtiment, les lustres en cristaux s'alliaient à la brillance des parures de certaines femmes ... Si lors de mon entrée, ce lieu ne m'avait inspiré que crainte et répugnance, superficialité et luxe outrancier, dorénavant, grisée par ces quelques verres, cet endroit m'enivra d'une fierté démesurée.

Mon travail plaisait, comblait et rassasiait les aspirations de chacun ; présentement, c'était tout ce dont j'avais besoin.

Quel dommage de savoir qu'il avait fallu que je sombre dans la dépression et la dépravation pour trouver l'inspiration.


" Bébé, ça m'arrache la gueule de l'admettre, mais tu es sacrément bonne ce soir. "


Et voilà l'ultime pièce maitresse de mon plaisir éphémère.

Dans mon dos, cette voix dangereusement gutturale réveilla mon désir ardent et je dus divulguer un sourire de ravissement derrière ma coupe que je finissais d'une traite. Le plus dignement que possible, je me retournais vers mon délicieux tortionnaire et eus le souffle coupé tant sa beauté m'avait manquée.

Vêtu d'un sophistiqué jean noir et d'une chemise cintrée à la blancheur impeccable, Ken Samaras était plus baisable que jamais. Rendue audacieuse par l'alcool, je cheminais adroitement jusqu'à lui et soutenais son regard brûlant, inexplicablement heureuse de le retrouver. Les odeurs suaves de son parfum masculin m'étourdirent presqu'autant que le champagne et dessinèrent un rictus en coin sur ma figure.


"Je vois que tu as bu, bébé ? " Se badina-t-il, narquois tout en enlevant la coupe vide de mes mains. J'arquais un sourcil et redressais mon visage pour pouvoir le lorgner à ma guise, pour pouvoir me perdre dans les profondeurs de ses pupilles ténébreuses. " Toujours aussi silencieuse, pas vrai ? " Il railla face à mon mutisme. " Dommage. " Après avoir discrètement jeté un coup d'œil dans mon dos, il me surprit en faisant perversement glisser son pouce sur le coin de mes lèvres, ce qui réveilla mon inassouvissable envie de gouter aux siennes. Je me laissais lamentablement aller dans sa caresse, enivrée par l'alcool et sa simple présence tandis qu'un ricanement muet fit vibrer sa poitrine. " Du calme, princesse, où sont passées tes manières de diva ? "


Brutalement consciente de son petit jeu, je tombais de mon petit nuage de désir et attrapais son poignet. Je le foudroyais du regard sans honte, divulguant tant bien que mal ma déchéance derrière cette œillade assassine. Ce fut à son tour de sourire perfidement, reculant d'un pas pour instaurer une limite de sécurité entre nous deux.


" Là je te retrouve, la muette. Mais malheureusement, il va falloir que je te laisse, je ne suis pas venu seul et je crois que tout comme moi, quelqu'un te réclame. "


Encore interdite devant ce bourru changement d'ambiance, ma bouche s'entrouvrit, prête à l'assaillir de questions. Mais au même moment, on me tapota poliment l'épaule. Instantanément submergée par une peur panique, je me sentis blêmir d'effroi, craignant qui j'allais trouver dans mon dos. Nekfeu m'adressa un clin d'œil déloyal alors que je le suppliais intimement de m'aider, de ne pas m'abandonner.

Bien sûr, cela va de soi, cet abruti s'engouffra dans la foule, disparaissant de mon champ de vision.


" Excusez-moi, Maxine Laurens ? " Bon sang, cette voix. Cette voix ! Pourquoi avait-il fallu, putain, que cela soit précisément cette voix ? Le cœur aux bords des lèvres, je me retournais vers la trentenaire qui venait de me héler. Cette foutue garce n'avait pas changé. " Maxine, ravie d'enfin vous trouver ! "


Laetitia Gravier. Plus connue comme étant la journaliste du Elle Magazine la plus venimeuse du milieu. Coiffée d'un carré court, des yeux plus vert que ceux d'un reptile, des lèvres fines et un nez pincé, Laetitia Gravier était l'incarnation de la femme que je fuyais à chaque évènement, particulièrement quand j'étais en situation de détresse. Comme présentement, finalement.

Je raidissais mes mâchoires lorsqu'elle me fit la bise et tuais mentalement Barbie pute qui m'avait abandonnée si déloyalement.


" Je vous cherche depuis une bonne trentaine de minutes ! " S'esclaffa-t-elle, bien heureuse de me voir si contrite face à elle. Mais son rire s'atténua bien rapidement quand elle comprit que je n'étais cruellement pas d'humeur à la suivre dans son hilarité. " Enfin, qu'importe. C'est un travail colossal que vous nous présentez là, Maxine, magnifique ! " Je lui souriais faussement, consciente que cette garce ne pensait pas un foutu mot de ce qu'elle disait, et cherchais effrontément dans son dos Rose pour qu'elle vienne me secourir. Bien évidemment, je la trouvais à quelques malheureux mètres de moi, occupée à parler avec Nekfeu lui-même. Alors qu'une colère monstre gravitait dans mes pensées, ce dernier m'attrapa en train de la regarder. Je le suppliais silencieusement de prévenir ma sœur, mais il n'en fit rien, m'ignorant scrupuleusement. " Vous m'y autorisez, n'est-ce pas, Maxine ? "


Continua la journaliste en face de moi et je me reconcentrais tant bien que mal sur elle, n'ayant pas écouté un centième de ce qu'elle disait. Pourtant, et peut-être était-ce l'une des plus grosses erreurs de ma soirée, j'acceptais sa requête sans réfléchir. Cette foutue blondasse s'égailla inopinément et sortit précipitamment un microphone de la poche de son tailleur. Mes yeux s'exorbitèrent alors que les répercussions de mon acte étaient en train de me sauter au visage.

Bon Dieu, que m'avait-il pris d'accepter ?


" Maxine Laurens, bonjour ! C'est un honneur et un plaisir de pouvoir vous interviewer en direct de votre toute nouvelle exposition ! " Elle me tendit le petit appareil, le présentant sous mes lèvres possiblement pour que je la remercie mais je fus incapable de parler. Mes cordes vocales étaient atrocement nouées et ma colère se mélangea vicieusement à une tristesse incommensurable. Une confusion d'émotions qui me donnèrent une folle envie de fuir. Elle parut surprise de mon silence, mais continua malgré tout : " Si vous deviez donner un adjectif à votre travail, lequel serait-il ? "


Ma bouche s'ouvrit dans une vaine tentative de m'exprimer, mais elle se referma bien rapidement quand, une fois encore, aucun son ne s'y échappa. J'étais submergée par un brutal et saisissant sentiment d'inutilité quand la voix de Nek se ressassa dans mes pensées.

En effet, je n'étais rien sans ma sœur. Cruellement rien, si ce n'est un pantin sans ficelle.


" Très bien, peu importe, question suivante : Votre exposition porte-t-elle un nom ? "


Cette fois-ci je ne fis même pas l'effort d'essayer, consciente que cela ne servirait à rien si ce n'est me ridiculiser. Ma respiration se fit plus chevrotante, et je dus fermer mes paupières pour calmer le feu expansif qui incinérait mes rétines. L'envie furieuse de fondre en larmes me séduisit, mais je me ravisai bien rapidement. Premièrement, cela ferait trop plaisir aux deux idiots qu'étaient Gravier et Samaras. Secondement, je n'avais plus pleuré depuis des années et aujourd'hui ne serait pas la première fois. Assurément.

Difficilement, tandis que cette garce continuait de me poser des questions incessamment, j'enfouissais mes émotions dans un trou de mon esprit et jetais ce trou dans un autre foutu trou. Un trou suffisamment béant pour que plus un seul de mes sentiments ne puisse venir effleurer mes états d'âme. Lorsque je rouvrais mes paupières, cette vipère souriait insolemment, enchantée de m'avoir désarçonnée publiquement. 


" Bien, et enfin pour conclure cette interview très ... Fructueuse dirons-nous, railla-t-elle d'une voix criarde, avez-vous un mot à dire à nos chères lectrices et lecteurs ? "


Et vous-voulez que je vous dise ? Ne plus rien ressentir était foutrement jouissif. Je n'eus aucun remord à l'abandonner, la laissant idiotement plantée sur ce parquet en chêne, alors qu'elle apostrophait mon prénom pour que je revienne achever ce carnage. L'ignorant fantastiquement bien, je cheminais jusqu'à la seconde salle où j'avais vu Barbie fuir, les yeux plantés dans le vide, tandis que j'attrapais habillement une coupe de champagne sur l'un des plateaux des serveurs. Ma main l'apporta jusqu'à mes lèvres et je buvais voracement l'entièreté du contenu, désireuse de retrouver les effets jubilatoires de l'alcool.

Ne voulant pas m'encombrer inutilement, je balançais négligemment ce verre en cristal dans une poubelle et traçais jusqu'au groupe d'amis qui s'était entassé dans un coin de la pièce. Mes yeux trouvèrent la carrure athlétique de Nekfeu et je fonçais impitoyablement vers lui, ne manquant pas de bousculer un vieux aigri qui, heureusement, ne me reconnut pas.


" Bon sang, Maxine, où étais-tu ? Nek est parti à ta recherche ! " Beugla ma sœur, crédule qu'elle était, lorsqu'elle m'aperçut du coin de l'œil. Mais elle aussi je la négligeais, plus que concentrée sur la silhouette de Barbie qui se peaufinait dans mon champ de vision à mesure que j'avançais. " Maxine, tu vas bien, chérie ? " Elle s'enquit quand elle comprit que je n'avais que faire de ce qu'elle me disait. " Mais attends, tu es saoule ?! "


Je ricanai sinistrement à cette dernière remarque et lui lançais un coup d'œil par-dessus mon épaule, juste pour le plaisir de lui confirmer, que oui, j'étais sacrément bourrée. Encore. Elle s'offusqua et parut chercher ses mots pour me réprimander sévèrement. Je ne lui en laissais pas le temps et me faufilais entre toutes ces personnes qui admiraient mes travaux sans savoir que leur auteure n'était rien d'autre qu'une foutue folle. 

Quand je parvins à atteindre Barbie, il sembla justement sentir ma présence puisqu'il se retourna tout naturellement dans ma direction, une main nonchalamment enfoncée dans l'une des poches de son jean sombre et l'autre ... Un brusque et soudain rejet acide se déversa sur ma langue quand je vis où était sa seconde main. Je m'immobilisais abruptement sur le sol et ne ratais pas de bousculer quelqu'un dans ma stagnation.


" Caroline, bébé, je te présente Maxine Laurens. La photographe et l'épicentre de cette incroyable exposition. " Roucoula-t-il tout en resserrant son emprise sur les hanches plantureuses de la brune. Un sourire carnassier déforma les beaux traits de son visage et je me sentis osciller tant mon cœur menaçait de se fendre en deux dans ma poitrine.

" Enchantée de faire ta connaissance ! " Elle chantonna candidement tout en me tendant sa main manucurée à la perfection. Mais j'étais tant obnubilée par la lueur vengeresse qui régnait en plein cœur des prunelles du brun, que je ne répondis et ne fis rien en contrepartie.

" Eh bien, Max, on a perdu sa langue ? " Ricana-t-il, vraisemblablement amusé par sa blague douteuse. Ma main se crispa autour de ma pochette lorsque je sentis la colère se faufiler clandestinement derrière mes barrières mentales. Parallèlement à cette colère, je m'avançais dangereusement vers lui, la rage bouillant sous ma peau opaline. " Ton entretien s'est mal passé ? Tu as perdu tes mots devant elle, peut-être ? "


Mes lèvres trépidèrent sous l'énervement lorsqu'il continua d'enfoncer le clou. Et pourtant, malgré cette rage folle qui fulminait sous mon épiderme, je pouvais sentir la douleur accrue que me procurait chacun de ses mots méticuleusement choisis. Telles des aiguilles chauffées à blanc, ses pics cinglants s'enfonçaient dans mon cœur avec une telle facilité que cela en était que plus douloureux, que plus intenable.

L'autre connasse à son bras gloussa stupidement, et ce fut ce qui me fit définitivement sortir de mes gongs. Barbie pute dut probablement se rendre compte de la connerie monumentale qu'il venait de faire puisqu'il glissa par automatisme Caroline dans son dos quand j'eus franchi le dernier mètre qui nous séparait. 

Mais alors que ma main droite se contractait pour former un poing compact, un bras vigoureux se glissa prestement autour de mes hanches avec juste suffisamment de force pour me contraindre à m'immobiliser. Je tiquais par machinisme et voulus me dégager inopinément de cette étreinte masculine, mais me ravisais immédiatement lorsque je reconnus la fragrance exquise d'Ahmadeen.


" Eh bien, eh bien, j'interrompt quelque chose ? " Et quand bien même riait-il, je devinais derrière son amusement une étincelle d'agacement certain. Mon dos étant étroitement plaqué contre son buste musculeux, je dus me contorsionner pour mieux le regarder. Mes doutes se confirmèrent alors : il ne plaisantait aucunement. Au contraire, lui qui m'avait toujours semblé aimant, taquin et joyeux, n'était plus que menaces et reproches. " Bah alors, l'Fennec, on a perdu sa langue ? "


Il rappliqua, réutilisant les termes de Barbie intentionnellement. Sa main se positionna délicatement près de mon nombril et son pouce entreprit alors de caresser mon ventre, subtilement, agréablement. Son acte intrusif aurait dû me faire déguerpir, mais curieusement, je le laissais faire, appréciant son touché comme j'apprécierai une ixième coupe de champagne.

Car, non seulement ses caresses savaient dompter incroyablement bien mon humeur ravageuse, mais en plus, elles retournèrent à merveille la situation ; Barbie venait de troquer son sourire arrogant pour un air enragé, une moue emplie de haine et de jalousie à l'état brute.

Ce fichu connard était jaloux, ouvertement et incontestablement. Et, ô, comme la vie était bien faite certaines fois.

Les rôles s'inversèrent et la quantité pharamineuse d'alcool dans mes artères me fit entrer dans le jeu burlesque de Deen. Sensuellement, je fis glisser ma main sur l'avant-bras du rappeur qui me maintenait en place, tout en ne ratant pas de lorgner bravement Nekfeu qui fulminait silencieusement. 


" Et donc toi, tu es ? " Continua Deen en direction de Caroline qui, elle aussi, s'était considérablement calmée. Et oui connasse, j'aurai toujours une longueur d'avance sur toi. " La nouvelle conquête passagère du Fennec ? "


Mes lèvres s'étirèrent de plus belle devant l'incrédulité de la sulfureuse brune et l'énervement croissant de Barbie. Ses doigts froissèrent le tissu délicat de la robe de Caroline lorsque je fis glisser ma main dans celle rassurante de Deen qui s'empressa de la saisir.


" Arrête ça. " Grogna Nek en face de moi, et étonnement ce n'était aucunement à Deen qu'il parlait, mais à moi qui jouais effrontément avec les innombrables bagues de mon sauveur. " Arrête, putain. " Réitéra-t-il et je sus à la façon excessive qu'avaient ses mâchoires de se resserrer, que mon cher compagnon de jeu était à deux doigts de l'explosion. " Je t'ai dit d'arr -"

" Ken, allons voir le reste de l'exposition, tu veux ? " Elle lui susurra lorsqu'elle comprit elle aussi ô combien la situation était proche du débordement.


Dieu merci, cette brune n'était pas si cruche qu'elle en avait l'air. Quand bien même Barbie ne semblait pas le moins du monde désireux de partir, il se laissa tout de même sagement guider par Caroline qui l'entrainait vers le buffet. Je ne lâchais pas du regard le brun qui s'éloignait de moi et eus même le culot de lui adresser un clin d'œil malicieux.

Je devinais aisément à la façon qu'avaient ses lèvres de se tordre que Deen et moi avions impitoyablement blessé son égo surdimensionné, mais brisais notre échange visuel lorsqu'il sembla sur le point de revenir à nos côtés. Hardiment, je me faufilais dans les bras d'Ahmadeen, sourire niais aux lèvres tandis que lui continuait d'assassiner mentalement le binôme qui s'éloignait de nous.

Je lui tapotais gentiment le pectoral pour qu'il cesse de les dévisager, estimant que nous avions suffisamment jouer pour le moment et il se reconcentra immédiatement sur moi. Sa froideur apparente disparut bien rapidement lorsque je lui mimais du bout des lèvres un remerciement sincère.


" Mais de rien, la muette. Nek a besoin qu'on lui remette les idées en place certaines fois. " Amicalement, j'embrassais la rondeur de sa pommette pour la gratifier une nouvelle fois de ce qu'il venait de faire pour moi et il me sourit paisiblement, possiblement satisfait de mon baiser. " Une nouvelle coupe, ça te dit ? "


Je riais discrètement devant sa proposition et m'accrochais à son bras quand il nous emmena auprès d'un serveur qui distribuait à tout va des verres remplis à ras-bord.

Le restant de ma soirée se passa sans encombre. Nek avait miraculeusement disparut, Rose se réjouit de répondre aux questions indiscrètes des invités - je ne lui avais d'ailleurs toujours pas parlé du massacre à envergure internationale que j'avais fait en début de soirée -, Deen ne me lâcha pas d'une semelle, et je pus dire sans hésitation que si je n'avais pour le moment pas exploser en sanglots, ce n'était qu'uniquement grâce à l'alcool qui coulait à flot dans mon organisme.

Mes sens et ma raison étaient incroyablement grisés par les multiples liqueurs que j'avais absorbées, et pour le moment la souffrance tranchante que m'avait procurée Nek se noyait piteusement dans le champagne et le vin rouge.

Mais même si pour l'instant, elle n'entachait plus mes états d'âme, je la sentais, titiller vicieusement ma conscience, gratter la frontière de mon esprit jusqu'à ce qu'elle trouve une faille et puisse me sauter virulemment au visage.

Elle était là sans être là, cette douleur retentissante.

Elle souillait mes songeries comme depuis des jours, des mois et des années, cette souffrance incommensurable. Barbie l'avait simplement réanimée, soufflant dessus comme on soufflerait sur un brasier pour lui faire prendre en bestialité.

Et le soir, lorsque je ne le découvris pas dans la couchette en face de la mienne, je sus que notre jeu insalubre et vicieux venait de prendre un autre tournant. Un tournant décisif, puisque je compris à l'instant précis où l'alcool eut fini de s'évaporer de mon corps, que mes sentiments à l'égard de ce rappeur allaient prendre une ampleur considérable dans notre jeu.








Et voilà, les coupains, chapitre 8 !

Qu'en pensez-vous ? Perso', même en écrivant j'ai eu envie de buter NekNek haha

Je vous souhaite un super bon dimanche, et même si je vous ne le dirai jamais assez, merci d'être là et de me soutenir dans ma passion !

Je vous aime d'amour !

- Clem

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