• Plume n°41 •
Bonjour, bonsoir les amour ❤️
Avant-dernier chapitre tonight ... Et nous avons l'honneur d'être dans le crâne de Max cette fois ...
Je n'en dis pas plus, si ce n'est qu'en l'écrivant, j'ai plusieurs fois mouillé mon clavier haha et que je vous conseille de lire avec la musique mise en média !
On se voit en bas ❤️
Maxine
➰
Le deuil se divise en trois phases : le choc, la colère et l'acceptation.
Il n'y a pas de phases intermédiaires.
Ou du moins refusais-je d'envisager une quatrième. Par peur ou lâcheté, qu'importait, le résultat était le même. Je refusais de sentir autre chose que la colère et le dégout, le mépris et le besoin avide de vengeance. Je refusais de penser à autre chose et obligeais mon âme anéantie à s'accrocher désespérément à cette bouée de survie qu'était ma rage. Parce qu'en dessous se trouvait un océan abyssal : un gouffre plus grand que celui qui pourrissait sur mon organe vital. Si je lâchais ma bouée ? Je sombrais. Me noyais. M'étouffais dans mes propres émotions trop longtemps laissées à l'écart. Or, je n'avais jamais su nager. Si je lâchais prise, c'était fini. Et ce n'était pas même envisageable. J'étais plus forte que ça. Je méritais mieux que ça. Je méritais une meilleure fin ; peu importait ce qu'en pensait les autres, peu importait que je sois d'une méchanceté sans nom, une garce sans limite ou une folle bonne pour l'asile et la camisole de force : je méritais mieux.
Et, d'une certaine façon, la pénombre de l'appartement était aussi inquiétante que le mutisme de mes sentiments. Seule la lumière de la rue éclairait le salon de mes parents, projetant un halo bleuâtre sur les murs remplis de moulures vieilles de plusieurs décennies. La fumée de ma cigarette jouait avec les ombres, valsant entre les particules de poussières avec grâce et élégance. Elle dansait dans l'obscurité dans une ronde ensorcelante, captant le reflet bleuté des lampadaires et tournoyant autour de mon visage baigné d'ombres. Ma converse était négligemment appuyée sur le bois lustré de la table à manger tandis que mon autre jambe pendait dans le vide, se balançant en rythme avec mes pensées sombres. Inconsciemment, je me mis à jouer avec le filtre de ma cigarette lorsque mes yeux s'accrochèrent au mur en face de moi. Toute la vérité était sous mes foutus yeux, fièrement exhibée depuis des heures comme pour me narguer.
Des photos, des factures, des relevés de comptes épinglés au mur ... La vie faussement parfaite de ma famille était exposée sous mes yeux.
Les prémices de leur fin.
De la mienne, aussi, peut-être.
Ou peut-être marquait-ce le début d'un nouveau commencement ? Allez savoir. Depuis un certain temps j'avais cessé de me fier aveuglement à mes aprioris. Quelqu'un s'arrangeait toujours pour tout faire déraper ; pour tout détruire. Volontairement ou non. Méchamment ou non.
Le règne de la famille Laurens s'arrêtait ce soir. Ici. En ma présence et grâce à moi. Pourquoi n'étais-je pas fière dans ce cas ? Pourquoi, derrière ma rage brûlante et corrosive, se cachait dans l'ombre de mon âme écharpée, une peine si fulgurante et lancinante que je peinais à l'éluder ? Je m'évertuais à la maintenir en retrait, mais elle se battait avec fougue et véhémence, frappant mes palissades mentales à grands coups de nostalgie, de douleur et de manque. Nostalgie car ma vie d'antan était définitivement finie. Douleur car tout mon être savait que la gloire de ma famille touchait sa dernière heure. Manque car rien ne saurait jamais combler le trou à vif qui se faisandait dans ma poitrine. Jamais.
À mes risques et périls.
Je savais qu'en allant voir Guillaume l'autre jour, je marquais un point final à ma petite vie de photographe internationalement connue, à mon petit quotidien doré et ma gentille routine ponctuée d'illustres moments. J'avais signé la fin de cette histoire. Ma propre fin. Intentionnellement. Et l'exposition qui se déroulait en ce moment même avait dû déclencher un compte à rebours final dans la tête de plusieurs personnes, désormais.
Mes parents, notamment.
Rose, sûrement.
Dylan, très certainement.
Ken, incontestablement.
Ce constat gonfla dangereusement mon chagrin dans ma poitrine. Il tempêta dans mes songes comme un nuage sombre annonciateur d'un déluge dévastateur. Le vent de ma tristesse souffla sur les cendres brûlantes de ma colère tandis que mes yeux se perdaient sur le mur jonché de photographies savamment choisies.
La douleur valait le coup. Oui. Indubitablement. Trop de choses étaient à prendre en compte. Trop de paramètres, trop de mauvaises de personnes. Ce soir ne marquerait pas seulement la fin de ma famille, mais celle d'une entreprise ayant une influence considérable sur notre monde. D'une société en collaboration avec des centaines d'autres. Des milliers d'individus. Des millions d'euros dans leur poche. Des milliards de dollars dans leur porte-monnaie. Quand bien même le voulais-je, je ne pourrais plus faire marche arrière. La machine était lancée, les menaces étaient dites, les sentences n'allaient pas tarder à tomber. Tout se comptait en heures. Et je jurais que j'avais plus peur que hâte.
Heureusement, la colère était là, elle. Camarade loyale et fidèle dans ce tournant décisif de ma vie et dans ce tourment infini. Elle caressait mes doutes et mes craintes, les consolait et les rangeait précautionneusement dans un coin lointain de mon esprit – un coin inatteignable, intouchable ... même pour moi. Elle les étouffait et les tuait dans l'œuf : peut-être était-ce mieux ainsi. Morts, ma rage de vivre pouvait subsister et alimenter ma soif impondérable de vengeance.
On m'avait volé deux journées de ma vie. Menti. Blessée. Humiliée. Estropiée.
Sacrifiée.
On nous avait sacrifiées, mon âme, mon corps et mon esprit.
Or je n'étais pas une gentille fille.
Je ne l'ai jamais été, constatai-je amèrement en inspirant goulument la toxine empoissonnée de ma cigarette. Je m'étais simplement empirée avec l'âge. Je n'étais que le fruit pourri de trois années de manipulations, de mensonges et de trahisons. J'étais l'incarnation de tout ce que mes géniteurs avaient toujours haï ... Et pourtant, paradoxalement à leurs idéaux, je n'étais que la conclusion de leur mauvaise éducation. C'était eux, qui m'avaient pourrie jusqu'à la moelle. C'étaient eux, qui avaient rendu le fruit de leur amour factice aussi infect. Je n'étais que la suite logique de deux décennies passées à leurs côtés ; il n'y avait pas de quoi s'étonner : les chiens ne faisaient pas des chats.
Rien ne servait de se leurrer, de pleurer ou de se lamenter, conclus-je en entendant du bruit derrière la porte de l'appartement, nous n'avons que ce que l'on sème.
Et ma famille allait payer cher pour tout le mal qu'elle m'avait fait, pour toute la douleur qu'elle avait si égoïstement infligée à mes proches et à des centaines d'autres personnes.
Nous ne récoltons que ce que l'on sème.
Point barre.
J'inspirai une dernière fois sur ma cigarette, empiétant sur le filtre et me brûlant par inadvertance la pulpe de mes doigts. Et tandis que la porte d'entrée s'ouvrait en fracas sur mes parents et ma sœur, j'éteignis ma clope dans le cendrier, mimant avec brio ma désinvolture. Lorsque les dernières cendres rougeoyantes s'éteignirent, je relevai mon nez et observai ma famille s'avancer jusqu'à moi.
Et quand nous nous fîmes face, je trouvai le courage de leur sourire. Un rictus fade, sans vie et dégoulinant d'hypocrisie. Une grimace ironique et à peine perceptible.
Ils me dégoutaient. Me répugnaient. Ils étaient si laids dans leur beauté. Si pauvre dans leur richesse. Ils n'avaient rien pour eux : que les stigmates d'une vie pleine de malveillances et de tromperies. Ils ne savaient pas ce qu'était l'amour, ne connaissaient pas la fidélité et la droiture.
Ils me répugnaient. Mes parents et ma sœur ainée me rebutaient.
Bon sang, ils me donnaient envie de vomir.
Tant que j'eus envie de détourner mon regard des leurs et de les laisser ainsi, seuls dans leurs malheurs actuels et ceux à venir. Ils ne méritaient pas mon attention, ne méritaient pas mes mots et ma haine. Ils ne me méritaient pas et ne méritaient pas tout ce que j'avais sacrifié pour eux.
Mais j'avais justement trop donné pour tout abandonner maintenant. Aussi ravalai-je mon dégout âcre et observai leur visage déformés par l'inquiétude.
Mon père était certainement le plus enragé des trois. Le masque était tombé ; il avait perdu. Il le savait. Je le savais. Nous le savions tous : il était fini. Le grand chef d'entreprise n'avait plus lieu d'être. L'acteur hors-pair qu'il était avait disparu pour faire place nette au monstre de colère qui vivait secrètement dans mon père. Se tenait devant moi le grand, l'implacable et véritable Yves Laurens. Pas le comédien. Pas le père. Pas l'époux. Juste Yves Laurens. Celui qui savait pertinemment que sa fin était proche. L'impuissant. Le spectateur. Celui que j'avais piteusement soumis à mes quatre volontés, moi, la sans diplôme. Il n'était que ce connard d'arroseur arrosé.
Je lui adressai un sourire courtois ; un sourire de condoléance. Celui qu'on adresse le jour d'un enterrement au père du défunt cousin si éloigné de nous que l'on ne se souvient même plus de son foutu prénom.
Il avait perdu ; j'avais gagné. C'était aussi douloureux que délicieux.
Je coulai ensuite un regard à ma génitrice. Et j'eus l'impression de la voir pour la toute première fois en vingt-quatre ans. Ma mère était belle. D'une beauté glaciale qui rappelait celle d'une neige éternelle : immaculée malgré les années. Ses cheveux platinés étaient plus clairs encore que ceux de ma sœur ainée et ses yeux, d'un bleu limpide similaire à celui des icebergs oscillant dans l'océan Antarctique. Rose était sa copie-conforme : la petite poupée aux ressemblances troublantes avec sa créatrice. Leur ressemblance était frappante. Après des années passées aux côtés de ma mère, je voyais pour la toute première fois une émotion se peindre distinctement sur son visage que très peu marqué par les années : la colère. Elle me haïssait. Me détestait. Peut-être même la répugnais-je autant qu'elle me répugnait.
Le Vie était drôlement mal faite, tout de même.
À elle, je ne lui souris pas. D'une certaine façon, elle me faisait pitié. Ma mère allait tomber de son si prisé piédestal et rien n'aurait pu me faire plus plaisir que de la voir s'écraser au sol.
" Maxine ... " Souffla ma sœur au même moment, attirant mon attention.
Je pinçai mes lèvres quand sa voix tintée de sanglots et de désespoir arriva jusqu'à mes oreilles. Ce son si coutumier, si familier, que j'avais entendu maintes et maintes fois pendant toutes ses années et que je m'étais évertuée à enrayer, car, bon sang, malgré tout, je haïssais entendre ma sœur pleurer. J'avais beau ne jamais réellement comprendre pourquoi elle était si triste, j'avais toujours fait en sorte de la consoler. Parce que, malgré la haine, malgré la colère et l'amertume, ma sœur restait ma sœur. Celle qui avait tout sacrifier pour moi, pauvre petite chose sujette à des troubles de la parole que j'étais. Misérable sœur qui ne savait plus s'exprimer comme n'importe quel être humain normal.
Mais son amour n'avait jamais été que le reflet de sa culpabilité. Rose ne m'aimait pas. Rose n'aimait personne si ce n'est son petit nombril – Antoine en payerait certainement le prix plus tard.
" Je t'en prie, laisse-moi m'ex- "
Je levai un doigt dans sa direction, écœurée jusqu'aux tréfonds de mon âme par le son de sa voix. Je ne voulais plus l'entendre. Plus la voir. Plus la sentir. Je voulais qu'elle disparaisse. Qu'ils disparaissent. Les plaies sur mon organe vital étaient en train de se rouvrir sous mon sein, de me faire un mal de chien. Souffrir autant n'était pas permis. Même ma colère ne parvenait plus à faire barrage : elle croulait sous le poids de ma souffrance, faiblissait un peu plus à chaque instant. Et j'eus beau me mordre les lèvres à sang pour taire cette douleur interne, c'était plus fort que moi.
Je n'étais pas surhumaine. Au contraire, j'étais d'une faiblesse absolue, d'une lâcheté colossale. Et avant tout, j'avais douloureusement conscience de ma faiblesse. Sans Ken, j'étais une âme en peine, une particule de poussière errant sans but sur cette terre : je n'avais plus aucun atome crochu, plus d'attaches capables de me faire garder les pieds sur terre. La souffrance gonflait, gonflait, gonflait et gonflait, mais je n'étais pas un puit sans fin. J'étais humaine. Misérablement humaine.
Aussi dus-je fermer mes paupières quelques secondes pour ravaler les sanglots erratiques qui s'étaient coincés dans ma gorge nouée. Je profitai du silence morbide qui planait dans l'appartement pour canaliser mon chagrin et redonner de la vigueur à ma colère. Cela dit, il ne me fallut pas beaucoup de temps pour que cela fonctionne : si ma famille était venue jusqu'ici pour me retrouver, moi, fille cadette qu'ils méprisaient tant, c'était que toutes mes hypothèses étaient bonnes.
Que mes parents avaient bel et bien préféré me vendre, me sacrifier et acheter mon fiancé dans l'unique but de se protéger eux.
De protéger Rose.
Rose et uniquement Rose.
" L'exposition vous a plus ? " Chuchotai-je faiblement après avoir pris une profonde respiration par le nez.
Je rouvris mes paupières quand mon père grogna une injure et vis juste à temps ma mère le retenir par la manche de son costume pour l'empêcher de marcher jusqu'à moi. Impassiblement, j'observai ma génitrice le repousser en arrière puis me faire face, incarnant à la perfection le rôle de la médiatrice dans ce conflit familial.
Doucement, après avoir lustré sa robe en velours noir haute-couture, elle avança jusqu'à moi et ne laissa qu'un petit mètre entre nous. La pénombre ne lui faisait pas grief, songeai-je rêveusement. Elle était encore plus belle quand la lumière du jour n'était pas là pour éclairer ses yeux dégoulinants de malveillance. Ceci étant dit, je lui rendis son regard avec le plus de calme que possible. Je savais avoir le dessus sur la situation, toutes les cartes étaient dans mes mains. Qu'il s'agisse de leur destin ou de leurs émotions, il me suffisait de tirer sur la cordelette adéquate et je réduirais leur avenir en un amas de cendres ridicules.
Je me ferai même une joie de souffler dessus.
Mais c'était si bon, de voir mes tortionnaires se remuer les méninges pour sauver leur si précieuse peau.
" Sors, de chez moi. " Siffla-t-elle avec véhémence après un temps de flottement. Je ne réagis pas, ne bougeai pas, ce qui la désarçonna outre mesure. Elle battit des cils et Rose profita de ce silence pour intervenir fiévreusement :
" Maman, laisse-moi lui – "
" Tu te tais, Rose ! " Hurla-t-elle contre toute attente. Elle lui lança une œillade meurtrière qui aurait effrayé Hitler lui-même et se contraignit à recouvrer son calme lorsqu'elle se rendit compte des tremblements enfiévrés de ses bras. J'eus presque envie de sourire. " Cela ne te concerne plus désormais, Rose Laurens. C'est entre nous et ta sœur, alors tu restes à ta place. "
" Ecoute donc nos parents, sœurette. Tu sais bien le faire ça, non ? " Lui demandai-je sournoisement, un rictus mauvais aux coins des lèvres.
" Où est donc ton mutisme quand on a besoin de lui, sombre idiote ? " Cracha ma mère pour réorienter mon attention sur elle.
Touchée.
Je lui souris faussement pour démentir la douleur lancinante dans ma cage-thoracique et me remis debout dans une lenteur calculée. Ma mère était minuscule, il n'était donc pas difficile de la dominer en taille et je profitai de mes quelques centimètres supplémentaires pour la faire reculer. Tout comme moi, elle savait que les jeux de regards étaient primordiaux dans les relations entre humains : ils en disaient bien plus sur vous que votre gestuelle. Baissez vos yeux et vous admettrez tacitement que votre interlocuteur à le dessus sur vous. Et je devais avouer que ma mère était impressionnante à ce petit-jeu. Fière comme elle était, même avec un couteau sous la gorge, Hélène Laurens ne perdrait jamais face à sa fille cadette – le point noir de la famille, le vilain petit canard, rappelons-le.
" Je l'ai laissé là où il est né, maman : dans une voiture. " Lui chuchotai-je doucereusement et je savourai la lueur de désarroi qui miroita dans ses pupilles. " Incroyable, pas vrai ? " Je lui demandai en m'avançant dangereusement de son petit corps. " Ce que le mensonge peut faire ? Ceci étant, je dois bien admettre que la vérité est encore plus bénéfique. Pas besoin de psychologues, de psychiatres ou d'hypnotiseurs ... Juste un tout petit peu de vérité, et magie : les langues se dénouent. " Roucoulai-je lorsqu'elle se mit à reculer vers mon père. " Mais bon, il est évident que, nous, les Laurens, nous ne connaissons pas ce terme : « vérité ». "
" Tu vas trop loin, Maxine. " Intervint mon père dans mon monologue, ce qui me fit doucement sourire.
" Trop loin ? " Répétai-je en déposant mon regard sur sa carcasse suante de colère. " A ta place, je me ferais discret, papa. Toi et moi savons que tu es fini, n'est-ce pas ? " Je lui demandai en battant innocemment des cils. Je zieutai une seconde sur Rose qui s'acharnait à garder son calme puis décidai de l'ignorer. Je fis un clin d'œil à mon père qui enrageait et contournai ma famille pour me mettre dos au mur qu'ils n'avaient pas encore vu. Tous me suivirent du regard, si bien qu'aucun des trois ne put rater les photos épinglées derrière moi. Ce fut un plaisir de voir mon père blanchir à vue d'œil et ma mère vaciller de quelques pas en arrière. " Je suis presque sûre que l'exposition t'en a bouché un coin, papa. Merde alors, tous tes clients exposés sur ce mur ... ça devait faire bizarre, pas vrai ? De voir tous tes pigeons ainsi affichés aux yeux du monde entier. Toutes ces personnes que tu as contraintes au silence sous prétexte que ... Sous prétexte que quoi déjà ? Ah oui, sous prétexte que tu es connard invétéré. "
" Tu es un monstre ... " Souffla ma mère qui était à deux doigts de l'évanouissement, les yeux plantés sur les photos dans mon dos. Je fis la moue, qu'à moitié convaincue.
" Moi ? " Répondis-je candidement. " Ce n'est pourtant pas moi qui trompe mon mari avec un homme de l'âge de ta fille cadette, maman. Ce n'est pourtant pas moi qui ai payé le petit-ami de sa fille pour le faire disparaitre. Ce n'est pourtant pas moi, putain, qui suis l'épouse d'un coureur de jupon. Ce n'est – "
" Tu n'as aucune preuve ! " S'écria mon père brusquement ce qui coupa tout net mon petit manège de la fille candide. " Bon sang, Hélène, ne la crois pas ! " Aussi rapidement qu'un coup de vent, mon masque impassible retomba devant mes yeux. Des mensonges, toujours des mensonges ...
" En vérité, si, papa. J'ai à peu près toutes les preuves qu'il me faut pour te faire incarcérer à perpétuité dans une grosse majorité des Etats du monde. " Une sourire ironique naquit aux extrémités de mes lèvres crevassées lorsqu'il vacilla sur le côté : ce que c'était bon de voir la roue tourner. " A quoi tu pensais, sans déconner ? Que la sans-diplôme que je suis, allait se risquer à rentrer en procès contre toi sans preuve tangible ? " Ricanai-je en me rapprochant de son corps fébrile. " J'ai à peu près une dizaine de témoignages avec moi – contre toi. Des foutus témoignages de femmes à qui tu as forcé la main pour assouvir ton appétit sexuel de vieux porc immonde et - "
La gifle partit si vite que je ne la vis pas venir.
La douleur détona avec une telle virulence dans ma joue qu'elle crissa dans mes vertèbres et mon arcade sourcilière. Un instant, je jurai même avoir entendu mes mâchoires craquer sous ma peau et vu des soleils mirobolants scintiller sous mes paupières closes. Grâce au ciel, mes pieds étaient fermement enfoncés dans le parquet si bien que mon corps ne partit pas à la renverse, comme il aurait dû le faire. Il y avait pourtant mis toutes ses forces, toute sa rage, dans cette claque. Et tout ça, juste pour s'assurer que je garderais les séquelles de sa gifle d'anthologie.
Mais, malgré cela, ce ne fut pas la douleur dans ma pommette qui me sonna le plus, mais le geste en lui-même. Mon père m'avait giflée. Il m'avait giflée dans l'unique but de me mettre au sol. De me faire tomber à genoux à ses pieds. Moi, sa foutue fille à qui il avait pourri l'existence.
Je ne sus si c'était de la stupidité pure ou un geste purement instinctif.
Cela dit, je m'en contrefichais : mon père venait de signer sa fin définitive.
Quand je rouvris mes paupières, le rugissement de mon sang dans mes oreilles s'atténuait à peine. Un essaim d'abeilles volait encore près de mes tympans lorsque mes yeux embués de larmes tombèrent dans les siens suintants de panique et de rage mêlées. Un curieux mélange qui ne rendait pas grâce à son visage déformé par ses émotions corrosives. Un tic nerveux fit trembler mes lèvres tandis que je m'appliquais à masser ma bas-joue ankylosée. Un liquide métallique était en train de se répandre sur ma langue lorsque je finis de me redresser de toute ma hauteur et je dus avaler ma bile tintée d'hémoglobine pour reprendre bonne figure.
Ne pas pleurer. Ne pas pleurer ... Bon sang, Max ! Ce n'est pas le moment de rendre les armes ! Je méritais mieux, nom d'un chien ! Mieux qu'une misérable gifle, tellement mieux qu'un misérable violeur, tellement mieux que cette famille de menteurs et de manipulateurs !
Alors ne pleure pas, me somma ma raison qui sanglotait à ma place dans mon for antérieur.
Pas tout de suite, la corrigea ma fierté. Plus tard. Quand il n'y aura plus aucun public capable d'attester de ma faiblesse lamentable. Alors je lâcherai les vannes. Alors je laisserai la douleur m'absorber toute entière : moi et mon âme si tel était le prix pour oublier ma vie. Je la laisserai sciemment me prendre dans ses bras obscurs et m'entrainer avec elle dans les méandres du chagrin.
Là, je baisserai les armes.
Parce que je n'avais plus de forces pour me battre. Plus de minutions pour me défendre.
Parce que j'avais toujours été seule et que la solitude était l'unique capable de m'accepter toute entière, moi, mes bizarreries et mon mutisme.
C'est dans leurs bras que tout se finirait enfin.
" Bon Dieu, Maxine, je ne ... " Commença mon géniteur avant de ne desserrer machinalement sa cravate. Il haletait, louchait sur ma figure puis sur les photos placardées en face de lui. Il paniquait, étouffait : la rougeur extrême de ses joues en contestait.
" C'est fini ... " Soufflai-je tristement. " Tout est fini. "
" Non, je t'en prie, Max ! Je suis désolée, tout est de – "
" Ne me touche pas ! " Criai-je follement en me dégageant des bras de ma soeur en toute hâte. " Ne me touche pas, ne me touche plus, putain ! " Hurlai-je de nouveau en la repoussant de toutes mes maigres forces.
Elle éclata en sanglots au moment où je crus faire la même chose et je dus passer mes mains dans mes cheveux pour canaliser les tremblements frénétiques de mes doigts. J'allais exploser. Je n'en pouvais plus. Je voulais Ken, je voulais ses bras, je voulais mourir. Je voulais vivre. La terre se mit à trembler sous mes pieds quand un premier gémissement parvint à se faufiler entre mes lèvres frémissantes. Mon cœur se comprima sous mon sein tandis que j'écrasai mon poignet sur ma bouche. Je n'en pouvais plus. La douleur m'entaillait les veines à chacune de mes inspirations, m'écorchait l'âme à chacune de mes expirations. Je. N'arrivais. Plus. A. Respirer.
" Tout est de ta faute, bordel ! Tout ! " Sanglotai-je nerveusement avant de ne percuter de plein fouet la commode en reculant. " Tu as ruiné ma vie, Rose ! Ruiné ma vie p-pour sauver ... la tienne ?! Putain, mais quel genre de sœur fait ça ?! Pourquoi ?! Pourquoi, bordel ! Qu'avais-tu de plus que moi ?! " M'étranglai-je dans ma souffrance quand elle ne me répondit pas. " Qu'avait-elle de plus que moi ?! " M'adressai-je cette fois à ma mère qui s'était laissée tomber dans le fond du canapé, manifestement en état de choc. " Pourquoi la sauver elle plutôt que moi ?! Répondez-moi, bordel ! "
Le silence accueillit ma question désespérée et cette fois mes yeux ne parvinrent pas à retenir les larmes qui me brûlaient les rétines. Elles tombèrent de mes cils pour venir s'échouer à la commissure de mes lèvres ensanglantées. Je tremblais aussi faiblement qu'une feuille en automne, pleurais aussi pitoyablement qu'une enfant esseulée. Mes parents étaient aussi stoïques que des statuts de cire, Rose pleurait la perte définitive de sa sœur cadette.
Parce qu'ils m'avaient perdue, tous. Peut-être même m'étais-je perdue moi-même. Egarée quelque part entre une douleur physique intolérable et une douleur psychique insurmontable. Les pleurs de mon ainée résonnaient dans le silence comme des coups de fouet sur ma peau, incisaient mon épiderme comme des larmes de rasoir chauffées à blanc. Elle n'avait pas le droit de pleurer, pas le droit de regretter. Elle n'avait assurément pas le droit de me faire aussi mal. Plus maintenant, désormais qu'il n'y avait plus rien à casser en moi parce qu'elle et nos parents s'étaient d'ores et déjà amusés à tout bousiller.
" J'étais votre fille ... " Couinai-je lamentablement avant de ne sangloter davantage. Aucun d'eux ne me regardait en face, trop concentrés à contempler l'étendue de leur petit désastre personnel. " Votre tout petit bébé et vous m'avez ... Bon sang, vous m'avez ... " Je ne parvins pas à finir ma phrase : je m'étouffais avec mes propres larmes avant que je ne parvienne à prononcer un mot distinctement. " Vous étiez mes parents ... " Chuchotai-je dans un dernier essai d'attirer leur attention. " Vous étiez supposés m'aimer et vous m'avez ... "
Dans un relent de fierté, je relevai mon menton vers le plafond et inspirai profondément par le nez pour apaiser mes sanglots. Il ne servait à rien de pleurer. C'était fini. Tout était fini. Ma vie et les leur – à tous les trois. Les Laurens s'étaient mutuellement détruits ; il n'y avait plus rien à réparer. Plus aucune pièce à assembler. Plus rien à rebâtir. A partir de demain, notre famille ne vivra plus que par le biais des journaux à scandales.
C'était fini. J'étais finie. Et rien n'aurait pu me faire plus mal que la perte de toute ma famille. Les derniers fragments de mon monde s'effondraient sous mes yeux avec mes parents et ma sœur. Il ne restait plus que le squelette de notre vie d'antan. Et peut-être était-ce mieux ainsi, conclus-je quand ma sœur se recroquevilla contre le mur, incapable de tranquilliser son chagrin. Rien ne saura jamais combler le trou dans ma poitrine : une peu d'amour et d'humour ne sauront jamais calmer l'absence d'une famille. D'une mère. D'un père. D'une sœur. Ils m'avaient perdue et se perdront eux-mêmes d'ici peu de temps.
C'était fini.
Les Laurens écrivaient la dernière phrase de leur histoire et nos larmes étaient le point final de cette tragédie.
Je lançai un dernier coup d'œil au mur couvert de preuves de nos malheurs et horreurs. Peut-être n'avions-nous que ce que nous méritions, tout compte fait. Oui, conclus-je en essuyant du bout du doigt l'humidité de mes joues. Nous n'avions que ce que nous méritions dans ce monde.
Je fermai mes paupières avant de ne récupérer délicatement ma besace sur la commode, décidée à quitter cet appartement pour de bon.
Je fais le bon choix, me convainquis-je en réajustant la hanse sur mon épaule. Plus rien n'était pour moi ici ; il n'y avait plus que de la désolation et des ruines. Plus rien à prendre, plus rien à faire. C'était fini.
Et pourtant, lorsque je passai le seuil de cette porte une ultime fois avant très longtemps, je ne pus m'empêcher de murmurer des dernières paroles :
" À mes yeux, vous êtes morts. "
Un silence.
" Vous êtes morts il y a trois ans, dans cette voiture, en même temps que votre petite fille. En même temps que moi. "
Un silence vaudra toujours mieux que des cris.
Point final.
➰
Bien, bien ... que dire, si ce n'est que je suis en partie déçue de ce chapitre, et en partie satisfaite ?
Il était le dernier chapitre sur le pdv de Max du Tome 1, et nous révèle une Maximum au plus bas. C'est ainsi que nous la laissons et normalement - si tout se passe bien - elle a su vous faire comprendre ce qui s'était passé le soir de ses 21 ans.
Et vous, vous en pensez quoi ? 😱
Par ailleurs, je tiens à m'excuser d'avance, dimanche, je ne pourrai pas publier de chapitre puisque je reprends mes partiels lundi (catastrophe) 🎉🎉
En tout cas sachez qu'il ne reste plus que le dernier chapitre et l'épilogue avant la fin ... et que putain, je suis déjà en PLS 😭
Bisous mes amours ❤️
-Clem
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