• Plume n°40 •
Bonsoooooooir les babys !
En cette veille de 31 décembre, je vous publie le dernier chapitre de l'année 2017 !
Je ne vous en dis pas plus, on se retrouve après ce très, très, très (très) long chapitre !
Bonne lecture ! 😏
Nekfeu
➰
" Tu fais une expo ce soir ? " M'enquis-je sérieusement en entrant dans ma cuisine.
Je m'adossai au mur en prenant soin de coincer mes bras sous mes pectoraux et étudiai attentivement Max ses laver les mains. Elle n'avait toujours pas dit un mot depuis la nuit dernière et refusai de me regarder en face depuis qu'elle s'était endormie dans mes bras. J'avais été occupé tout l'après-midi avec la préparation d'un showcase et avais appris par la bouche d'Adèle – la nouvelle copine officieuse de Doumam's – que ma photographe exposait le soir-même dans un quartier huppé dans la capitale. J'avais été étonné, puis l'écume de la colère m'était remontée jusqu'au nez.
Pourquoi, nom d'un chien, ne me l'avait-elle pas dit ? Bon, certes, nous n'avions pas réellement eu le temps de discuter comme deux personnes civilisées depuis un certain temps désormais ... Mais, bon sang ! J'estimais avoir le droit de savoir ! C'était de ma photographe dont nous parlions ! La mienne, putain, pas celle du monde entier !
Ok, je l'avais virée.
Mais je ne l'avais pas fait exprès, merde ! Et puis, il y'avait prescription, non ?!
Doucement, elle coupa l'arrivée dos et posa ses petites mains de part et d'autre du lavabo après les avoir égouttées dans la vasque. J'arquai un sourcil lorsque je l'entendis prendre une profonde inspiration puis l'observai se retourner pour me faire face, adoptant la même position que la mienne. Ses yeux étaient rivés sur le sol carrelé de la cuisine et ses lèvres fendillées par notre nuit d'ébats étaient pincées dans une moue sévère. Du coin de l'œil, je vis les doigts de sa main gauche jouer entre eux et j'eus immédiatement envie de lui demander d'arrêter ce qu'elle foutait. Parce que, putain, elle était en train de réfléchir à foutu mensonge, à une alternative à la réalité.
Je ne sus si cela me fit plus de mal que de bien. Mal, car si elle me mentait pour si peu c'était incontestablement que notre relation était vouée à l'échec ... Bien, car si elle était sérieusement en train d'envisager de me mentir aussi effrontément, c'était qu'elle comptait parler. Et ça, ça, putain, c'était une bonne nouvelle.
" Oui. " Chuchota-t-elle avant de ne se racler discrètement la gorge derrière ses doigts. " Mais je n'y serai pas. " Précisa-t-elle en zyeutant prudemment vers moi.
Ses ongles cliquetèrent sur l'acier de l'évier et j'eus de nouveau envie de lui hurler de ne pas me prendre pour un con. Toutefois, je me retins : ravaler la joie d'entendre – enfin – le son de sa voix, accaparait toute mon attention. Je savais que Max haïssait qu'on souligne ses difficultés à s'exprimer comme n'importe quel être humain normal – et pour cause, j'avais souvent utilisé ce stratagème pour la blesser -, alors mieux valait que je m'abstienne. Je me contentai donc de hochai la tête en mordant dans le gras de ma lèvre supérieure. Je chassai la désagréable sensation de malaise dans mes muscles en faisant rouler mes omoplates et lui demandai :
" Pourquoi ? " Elle secoua doucement la tête, une moue contrite sur le visage qui me mit la puce à l'oreille. Son silence était la pire de toutes les réponses ... et ne fit qu'accroitre le mauvais pressentiment qui me tenait à la gorge. " D'accord. Je vois. " Soupirai-je, dépité, en me frottant mollement la nuque. " Et y'aura qui ? "
Attentivement, je l'observai lécher ses lippes du bout de sa langue rose et secouer sa tête de gauche à droite. Sa petite main alla s'accrocher aux cheveux qui retombaient devant ses yeux bleus et les tira doucement en arrière lorsqu'elle coula un coup d'œil prudent vers moi. J'arquai un sourcil, ne sachant si je devais m'attendre à une réponse ou non, puis fus surpris lorsqu'elle rouvrit sa bouche.
" La liste est dans mon ordinateur. " Soupira-t-elle doucement en pointant du bout de l'index son outil de travail qui reposait sur la petite table à manger. " Regarde, si tu le souhaites. Je vais prendre une douche, en attendant. "
Sans un mot ou regard supplémentaire, elle fuit vers la salle de bains avant que je ne parvienne à parfaitement comprendre ce qu'il venait de se passer. J'étais en plein dysfonctionnement cérébral ... Ou j'hallucinais. Maxine Laurens venait-elle sérieusement de me donner l'autorisation d'aller librement sur son ordinateur ?
Ce n'était pas normal.
Quelque chose clochait dans l'équation. Maxine ne faisait jamais rien sans raison. Bon sang, non, j'étais le premier à le dire – et à le savoir –. Mais alors que le doute s'immisçait sournoisement dans mes pensées, je dus me masser le poitrail pour chasser la douleur sourde qui grouillait sous ma peau.
J'avais un mauvais pressentiment. Un très, très mauvais pressentiment.
Une angoisse aussi subtile et subite qu'inexplicable naquit dans le fond de mon estomac tandis qu'un système d'alarme se rajoutait à la cacophonie de mes pensées. Il résonna dans mon organisme comme un présage funeste, une sinistre promesse, lorsque mes yeux analysèrent scrupuleusement l'ordinateur dernier cri de Maxine. Il y avait toute sa vie dedans. Tout ce qu'elle s'acharnait à me cacher depuis le jour de notre rencontre. Pourquoi acceptait-elle soudainement que j'y jette un œil ? Pourquoi maintenant ?
Je rivai mon regard vers ma copine qui passait silencieusement de ma chambre à ma salle-de-bains avec un tas de vêtements propres dans les bras. Pas un coup d'œil vers moi, pas un soupçon de panique sur son visage diaphane : une neutralité parfaite. Et quand elle referma la porte derrière elle, je me concentrai de nouveau sur l'ordinateur que je saisis entre mes mains. Les sourcils froncés, je rejoignis mon salon et me laissai choir dans le fond de mon canapé avant d'ouvrir l'écran.
Le mot de passe n'était même pas demandé.
Et si, en réalité, il ne s'agissait que d'un test pervers ? Une « épreuve » destinée à jauger la confiance que je lui vouais ? A elle et à ses petits secrets ?
Alors Maxine avait foutrement raison de douter de moi. Une fois sur l'écran d'accueil, tel un connard piégé par l'angoisse et le besoin irrépressible de comprendre, la première chose que je fis fut d'écumer tous les dossiers présents sur le bureau d'accueil.
« FT2015 », « K2015 », « D2015 », « S2015 », « EXPO112015 », « EXPO122015 » ... La plupart détenait des photos que je survolai sans trop y prêter attention. Le seul qui sut retenir mon attention fut celui portant le nom « BILLAL ENTER ». Après avoir vérifié que la photographe ne risquait pas de débarquer dans mon dos incognito, je cliquai sur la petite chemise bleue pour découvrir son contenu ... Et n'y trouvai qu'une unique photo.
L'image était en noir et blanc et immortalisait un homme d'une cinquantaine d'années – d'origine indienne, me semblait-il – sortant d'un grand building parisien. Vêtu d'un costume trois pièces et de foutues pompes italiennes qui valaient certainement plus chers que mon canapé, il arborait une moue colérique et un air meurtrier. Un début de calvitie clairsemait sa chevelure sombre, des cernes profonds et quelques ridules marquaient les traits de son visage rond, l'un de ses sourcils était divisés en deux et ses narines étaient dilatées. Je ne sus si cela était dû aux grains de la photo, mais ce type transpirait la rage à plein nez, même derrière un ordinateur.
Ceci étant dit, je ne m'attardai pas davantage sur cette image. Après avoir saisi une cigarette dans mon paquet et l'avoir allumée grâce au Zippo que m'avait donné Maxine, je continuai de fouiller dans son ordinateur en toute impunité. Je n'y trouvai cependant rien d'intéressant. Etrangement rien. Encore cette nuit elle l'avait utilisé, alors comment était-ce possible qu'il n'y est rien, putain ? Pas d'historiques internet, pas de notes, pas de mails, pas de documents Word, pas de rappels, rien dans la corbeille ... J'aurais pu croire l'ordinateur neuf si le verre de l'écran n'était pas légèrement brisé sur le coin droit.
Mais pourquoi étais-je persuadé que, si Maxine m'avait implicitement autorisé à regarder dedans, cela n'était pas vide de sous-entendus et de conséquences ?
Dans un tic nerveux, je passai une main sur ma barbe nettement trop longue ces derniers jours et conclus que je devais certainement devenir paranoïaque. Si Maxine tenait tant à me faire passer un message, pourquoi ne me l'aurait-elle pas directement dit en face ? Pourquoi le faire passer par le biais d'un foutu ordinateur ? Et ce fut parce que je ne trouvai pas les réponses à mes questions que je me contentai de supposer que j'étais en train de faire une psychose.
" T'es en train de virer barge, mon pauvre gars ... " Ruminai-je en me décidant à ouvrir le dossier « EXPO122015 ».
J'ouvris sans plus attendre la liste des invités de ce soir et fus grandement étonné de voir mon nom tout en haut de la liste. Antoine était le second. Deen, le troisième.
Ce connard de Dylan était aussi invité, au même titre qu'Antoine et Raphaël.
C'est quoi ce bordel ? pensai-je en faisant défiler les noms à toute vitesse. La plupart m'était inconnu ... Mais mon cœur eut un violent loupé lorsque je vis que les trois autres membres de la famille Laurens étaient invités. Le mot « confirmé » près de leur nom de famille soulignait même le fait qu'ils seraient-là ce soir.
Putain, je ne comprenais rien. Pourquoi nous avait-elle inscrits dans la liste des convives pour ne pas nous prévenir ensuite ? Pourquoi avait-elle, nom d'un chien, invité ces connards de parents et l'incarnation du Diable ? Cela dit, cela expliquait son absence de ce-soir ... Mais, non. Rien ne collait. Et pourtant, j'étais à peu près sûr que tout avait un sens, que les pièces du puzzle étaient sous mes yeux : que Maxine me les donnait gracieusement pour que je les assemble et comprenne par moi-même le tableau de sa vie. Or je ne saisissais rien, ne parvenais pas à suivre le cours de mes pensées et encore moins celui de ses messages subliminaux.
Max tramait quelque chose. Une putain de chose. Et l'angoisse qui grésillait comme un courant d'électricité statique sous ma peau me laissa penser que tout se passerait ce soir. Avec ou sans moi, avec ou sans elle, avec ou sans nous, tout ce nœud de mystères et de mensonges, de silences et de hurlements, se dénouerait ce soir.
Et quand ma meuf revint de la salle-de-bains pour me reprendre délicatement son ordinateur des mains, habillée d'un vulgaire jean noir troué aux genoux, d'un sweatshirt trop large lui appartenant – pour une fois – et d'une paire de converses bousillées, je compris que je n'étais pas paranoïaque au regard qu'elle me lança.
Un regard pesant, accablant, déchirant de vérités criées en silence. L'océan de ses iris lui-même semblait s'être assombri, obscurci par les nuages sombres de ses vengeances et mensonges par omission.
Rien de ce que faisait Maxine Laurens n'était fait au hasard.
J'aurais dû le comprendre depuis le temps, pourtant.
J'aurais dû le comprendre avant, pourtant.
***
" T'es sûre que Rose sera là ? " Me quémanda Fonky pour la quatrième fois. Je roulai des yeux, de plus en plus agacé par la tournure de cette soirée, et me mis à battre frénétiquement du pied.
" Oui. " Marmonnai-je en ouvrant grand la fenêtre côté passager pour savourer l'air frai de ce mois de janvier. " Satan et ses sentinelles seront là. "
" Pourquoi Max ne nous a pas prévenus avant ? Sans déconner, j'étais supposé voir une meuf, ce soir. " Ronchonna Deen sur la banquette arrière. Je fronçai mes sourcils, ne m'attendant pas du tout à entendre ça et me contorsionnai pour le regarder en face.
" T'as une meuf, toi ? " M'étonnai-je. " Depuis quand ? "
" C'est pas ma meuf, calme-toi, l'Fennec : je me suis mal exprimé. Je l'ai croisée à l'un de mes showcase et je l'ai invitée à boire un verre, rien de plus. " Bizarrement, ce fut le soulagement qui me submergea en premier ... Un foutu concurrent en moins dans cette liste plus longue que mon bras. " Sauf qu'à cause de vous, bande de connards, j'ai dû lui poser un lapin. "
" T'as qu'à lui dire de nous rejoindre à l'expo. " Proposa Antoine derrière le volant mais je le contrai immédiatement.
" Non ! Enfin, non, j'pense pas que ce soit une bonne idée. " Me repris-je plus calmement. Hors de question que quelqu'un d'autre susceptible d'appartenir à notre cercle de connaissances soit pris dans les rouages de la famille Laurens.
" J'comptais pas le faire, rassure-toi. " Souffla Bigo en s'accoudant à nos deux sièges, tout aussi conscient que moi de la « dangerosité » de cette invitation. " Mais tu n'as pas répondu à ma question : pourquoi Maxine ne nous a pas prévenus avant ? D'ailleurs, on la retrouve sur place ? " Je secouai la tête en recrachant la toxine incandescente de ma cigarette.
" Aucune idée et, non, elle ne sera pas là. " Répondis-je et je repris instantanément la parole lorsque je le vis du coin de l'œil ouvrir la bouche : " Et avant que tu ne me poses la questions, Bigo, elle est « occupée ». "
Le dire à voix haute réveilla la douleur sourde sous mon pectoral gauche. La même douleur que j'avais ressentie lorsqu'elle m'avait avoué durant l'après-midi qu'elle était « occupée » et qu'elle ne serait, de ce fait, pas là à sa propre foutue exposition. Occupée à faire quoi ? Ma foi, elle ne m'avait pas répondu. A la place, elle m'avait proposé une balade dans le parc près de chez moi et nous étions restés assis sur le gazon jusqu'à ce que la nuit tombe autour de nous. Elle s'était installée entre mes jambes et était restée aussi silencieuse que la Faucheuse tandis qu'elle jouait rêveusement avec les bagues qui ornaient mes doigts. Le froid de ce mois de janvier m'avait glacé les veines et le bout des doigts mais l'étrange pression sur mon organe vital et l'unicité du moment m'avaient empêché de bouger. Je m'étais donc contenté de faire comme elle : de m'immerger dans mes sombres pensées et de fermer mon clapet. Finalement, après une dernière cigarette que nous avions partagée, elle s'était relevée et m'avait tendue la main pour que je me remette debout à mon tour.
" Il faut que j'y aille. " M'avait-elle dit dans un soupir lorsque je l'avais toisée de haut en bas. J'avais froncé mes sourcils et touché sa joue du bout des doigts, tentant désespérément de calmer mon envie féroce de l'enfermer à double tour dans ma chambre.
" Où ? " Avais-je grondé, la voix enrouée par tous les hurlements que j'aurais aimé criés.
Elle n'avait pas répondu, préférant m'embrasser à pleine bouche pour taire les questions qui me brûler les lèvres. Jusqu'aux tréfonds de mon esprit j'avais ressenti le désespoir de ce baiser. Il avait électrisé mes cellules et tué mon âme à petit feu, meurtri mon cœur et intensifié le mauvais présage qui renflait dangereusement dans ma poitrine. Un sourire et une caresse délicate faite du bout de l'ongle plus tard, Max partait en direction de la bouche de métro la plus proche, me délaissant comme un connard de clébard abandonné sur une bordure de trottoir.
Non, définitivement, je n'aimais pas la tournure que prenait cette soirée. Et ce triste constat se conforta lorsque nous dûmes faire trois fois le tour de ce foutu quartier pour garer la voiture. Antoine finit son créneau sous les coups de klaxons impatients des putains de conducteurs à qui nous bloquions la route et Deen ne manqua pas de leur présenter leur majeur lorsque nous fûmes sortis de la voiture.
" Parisiens de merde. " Ronchonna-t-il tandis qu'un homme en costar l'insultait derrière sa vitre tintée.
" Ville de merde. " Le compléta Fonky.
" Vie de merde. " Ricanai-je lugubrement à mon tour.
Tels trois abrutis nous nous regardâmes en biais et soupirâmes en cœur quand nous nous rendîmes compte de notre état pitoyable. Je ne sus si je devais rire ou pleurer. Je fermai donc ma gueule tout le du trajet menant à la salle d'exposition et sortis une énième cigarette lorsque nous nous rangeâmes incognito dans la file d'attente qui débordait sur le trottoir. Pour avoir vu la liste d'invités, je savais que le nombre d'invités dépassait les cent personnes. De ce que je savais, Maxine n'invitait jamais autant de personnes : elle préférait de loin les petits comités. Toutefois, cela ne renforça que mon mauvais présage.
Parce que, qui disait grands comités, disait beaucoup de bouches à oreilles ... Et j'étais le mieux placé pour savoir que, dans le monde de l'art, le mécanisme bien huilé du téléphone arabe était excellent pour faire parler de soi. Surtout quand on s'appelait Maxine Laurens et qu'on bénéficiait d'une réputation mondiale.
Nous patientâmes une trentaine de minutes supplémentaire avant d'arriver à la hauteur des vigiles chargés de vérifier nos invitations. J'enfonçai mes mains dans mes poches après avoir tendu le bout de papier et tentai de zieuter à l'intérieur, mais fus rapidement arrêté par la montagne de muscles qui obstrua mon champ de vision.
" Messieurs, Mademoiselle Laurens m'a chargé de vous remettre ceci. "
J'arquai un sourcil et tentai d'ignorer la vive angoisse qui frigorifia mon sang lorsqu'il nous tendit des enveloppes méticuleusement pliées. Je saisis la mienne avec précaution après que Bigo et Antoine aient récupérer les leur et fronçai machinalement mes sourcils lorsque je lus mon prénom sur le papier blanc. Pour avoir lu son écriture des dizaines de fois, j'aurais pu reconnaitre celle de Maxine entre des dizaines d'autres. Enfantine, un peu bancale et en italique. Etant gauchère, il n'était pas rare que l'encre bave un peu. Je ne sus dire combien de fois je m'étais gentiment moquée d'elle pour cette raison.
" Elle vous demande de ne les ouvrir que demain matin. " Précisa le vigil quand Deen voulut ouvrir la sienne. Du mystère, du mystère ... Toujours ce putain de mystère. Pourquoi fallait-il toujours que je ronge mon frein ? " En espérant que l'exposition vous plaise, messieurs. "
Sous-entendus : cassez-vous, vous bloquez le chemin.
Je rangeai mon enveloppe dans la poche intérieure de ma veste en cuir et suivis Antoine à l'intérieur. Nous fûmes immédiatement abordés par des hôtesses puis divers serveurs chargés de plateau débordant de coupes de champagne. Décidément, Max, tu as mis les petits plats dans les grands ce soir ... Songeai-je en souriant péniblement à un type qui m'avait proposé une verrine de je ne sais quoi.
" J'aime pas ça, mec. " Me souffla discrètement Deen tandis que nous traversions un couloir d'une blancheur immaculée – presque aveuglante. Je pris une grande inspiration en me massant le poitrail et hochai la tête. " J'ai un satané mauvais pressentiment. Vraiment. "
" Moi aussi, mon pote. Moi aussi ... " Répétai-je lorsque nous arrivâmes dans la salle principale.
Tel un foutu troupeau de bétails en direction de l'abattoir, nous avions tous été regroupés dans une pièce d'à peine quarante mètres carré. Une pièce que nous aurions pu qualifier de « salle d'attente » puisque, si je comprenais bien les deux vieilles morues dans mon dos, toutes les œuvres se trouvaient derrière la fine paroi en face de nous. Selon leurs dires, tout avait été organisé par ordre chronologique et retraçait – de façon directe ou indirecte – la vie de ma photographe. Une petite estrade en bois clair était montée devant nous et si personne n'était derrière le micro pour le moment, quelque chose que je n'avais pas remarqué jusqu'à présent accapara mon attention : les huit lettres en bois vissées au mur juste derrière.
« M U T I Q U E S »
Le hasard n'existe pas.
Pas dans le vocabulaire de Maxine Laurens, du moins.
Et cette certitude se fortifia dans mes songes quand, par le plus grand des hasards, mon regard tomba sur les trois hommes regroupés dans l'un des quatre coins de la pièce. Dylan, Raphaël et Antoine. Ils semblaient en pleine conversation houleuse et il ne fallut pas plus d'une dizaine de secondes pour que le métis capte ma présence. Ses yeux verts roulèrent jusqu'aux miens et au sérieux mortel qui se peignait sur son visage, je sus que nous étions au moins trois à ressentir l'orage qui n'allait pas tarder à fendre le ciel obscur des Laurens.
Allez savoir la raison de mon geste, mais en guise de drapeau blanc pour la soirée, je lui adressai un signe du menton qu'il me rendit avant de ne se reconcentrer sur celui que je reconnus comme étant Raphaël.
" C'était qui, ces types ? " M'interrogea Deen – Antoine était trop concentré à chercher Rose du regard. Je crispai mes mâchoires et me souvins à temps que, ce soir, ce n'était pas notre guerre. Non. C'était celle de Maxine.
" Le tatoué est l'ex de Max et les deux autres, ses deux meilleurs potes de l'époque. " Ruminai-je en admirant l'homme en costar trois pièces qui montaient dans une lenteur calculée sur l'estrade. Les murmures dans la salle se tarir jusqu'à se réduire à un insensible bruit de fond tandis que Deen me soufflait dans l'oreille :
" Putain, mec ... Je t'adore, mais ne te bats jamais avec lui, s'te plait. Même à deux, j'suis pas certain qu'on s'en sorte vivants. " Je lui lançai une œillade exaspérée et ravalai la jalousie âcre qui avait imprégné mes papilles. " Sans déconner, ce mec est boxeur ? Il est – "
" C'est bon, je compris. " Le coupai-je, blessé dans mon égo de mâle. Mon pote souleva ses mains en signe de réédition et chuchota juste assez fort pour que je puisse l'entendre :
" Je dis ça pour toi, moi. Libre à toi d'aller te faire casser la gueule. "
" Tu commences à me saouler ... " Le prévins-je dans un grondement inaudible en observant le pingouin sur l'estrade qui rassemblait ses fiches.
" Quoi ? C'était pas méchant. Et puis, merde, j'ai du mal à imaginer notre Max avec un mec pareil. T'imagines quand ils baisaient ? La pauvre, elle devait prendre tellement – "
Je lui adressai le regard le plus meurtrier que j'avais en réserve et le fis taire en lui donnant un discret mais virulent coup de poing dans les côtes. Une respiration douloureuse fila entre ses lèvres tandis qu'il se penchait en avant sous le regard ahuri d'Antoine qui n'avait rien suivi.
" Alors ? Tu penses toujours que j'serais incapable de lui faire mal, à ce junkie décérébré ? " Crachai-je avec suffisance.
" T'es vraiment qu'un connard, Samaras ... " Couina-t-il en fermant douloureusement ses paupières. " J'disais pas ça pour être méchant ! "
" Et pourtant. " Maugréai-je sinistrement.
En plus d'avoir profondément mutilé ma fierté, il avait glissé des images salaces de ma copine et de son ex, imbriqués comme des foutus légos, dans mon crâne. Des putains d'images que me comprimèrent le myocarde avec autant de virulence qu'un étau en acier. Foutue jalousie. Une grimace répugnée menaça de fendre mon masque impassible, aussi remerciai-je l'homme sur l'estrade qui se décida enfin à parler.
Il frappa deux petits coups sur le micro et rit à l'assemblé qui l'avait d'ores et déjà applaudi.
" Mesdames et Messieurs, quel honneur vous me faites. " Sourit-il d'un air indulgent tandis que les applaudissements se tarissaient. " Chers amis, c'est avec plaisir que ma tendre amie Maxine Laurens m'a chargé de lancer les « festivités », je cite. " Comment ça « tendre amie » putain ? " Elle s'excuse de son absence, mais vous promet une soirée grandiose et pleine de rebondissements. Elle vous le garantit. Si vous le permettez ... " Il brandit ses quelques fiches et sourit anxieusement à son public. ... " Voici donc le discours qu'elle a pris le temps de vous écrire. " Il s'apprêtait à commencer, lorsqu'il crut bon de préciser : " Je vous prie de m'excuser si je bafouille, je n'ai pas pour habitude de me retrouver au-devant de la scène et n'ai pas eu le droit de le lire en avant-première ; je vais le découvrir en même temps que vous. "
Quelques personnes rirent à sa tentative d'humour. Pas moi. Pas Deen. Pas Dylan. Nous étions tous les trois obnubilés par ses vulgaires bouts de papiers qu'il secouait en rythme avec ses rires silencieux. Mes battements de cœur eux-mêmes semblaient suivre la cadence effrénée de son hilarité. Il résonnait dans ma cage-thoracique et mes tympans à une telle vitesse que j'eus peur de ne pas entendre l'homme lorsqu'il prit enfin la parole.
" Chers invités, amis, fervents haïsseurs de ma personne et famille, je vous prie d'accepter mes plus plates excuses pour mon absence. Des obligations familiales me retiennent et m'empêchent de me joindre à vous. Je suis presque certaine que tous ici avaient déjà connu les désagréments que peut occasionner une famille, aussi précieuse soit-elle. "
Les gens rirent une nouvelle fois pour une raison qui m'échappait. Moi, dans tout ce brouhaha, je ne vis que la famille Laurens. Rassemblée un peu plus loin devant nous dans la foule, elle non plus ne riait pas. Je crus même voir Rose s'accrocher désespérément à la manche de son père avant que celui-ci ne la remette discrètement à sa place. Surement qu'eux aussi sentaient la roue tourner.
" Mais qu'importe, je compte aller droit au but pour ne pas trop empiéter sur votre soirée qui, je l'espère, sera bonne. » L'homme ponctua sa récitation d'un silence. « Cette exposition n'était pas prévue. Pour être tout à fait honnête avec vous, le tournant qu'a pris ma vie ces derniers mois n'était pas prévu non-plus. Encore à l'heure d'aujourd'hui, je me demande si ma décision est la bonne et si mes choix de vie sont les bons ... Mais je reste persuadée que cet instant était inéluctable. Le hasard n'existe pas, n'est-ce pas ? "
Dans le silence de la salle, de l'agitation au premier rang se fit entendre. Sans étonnement je remarquai que c'était Rosie qui se faisait réprimander par sa génitrice et immédiatement Antoine voulut les rejoindre. Deen se chargea à ma place de le garder en place. J'étais de toute manière trop engourdi par le discours de l'homme pour réagir de quelques façons que ce soit.
" Si je dois bien remercier ma famille pour une chose, c'est pour ce qu'elle m'a appris : Les silences sont certaines fois préférables aux cris. Et si, dans cette salle, bon nombre d'entre vous ne nous connaissent pas personnellement, sachez que la famille Laurens est un exemple à suivre dans le maniement du silence et, de facto, du mensonge. "
L'atmosphère changea du tout au tout : d'excitation palpable, nous passâmes à l'incompréhension la plus totale. Autour de nous, des murmures inaudibles filèrent comme une trainé de poudre et envenimèrent la tension presque suffocante de la salle. Moi-même je retins mon souffle lorsque l'orateur fronça ses sourcils, vraisemblablement surpris par la tournure que prenait son discours.
Tic.
Tac.
Tic.
Tac.
Le compte à rebours mental reprit dans mes pensées et n'augurait rien de bon pour la suite des évènements.
L'homme sur l'estrade lui-même, se racla la gorge après avoir discrètement louché sur son public, mal-à-l'aise, et repris après avoir follement battu des cils.
" L'éternelle question, n'est-ce pas ? Mieux vaut-il une vérité amère ou un doux mensonge ? Telle est la question. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Je ne suis qu'une photographe sans diplôme bénéficiant d'une notoriété qu'elle ne mérite pas. "
" Je le sens mal ... " Chuchota Deen au même moment.
Impossible de lui répondre, j'étais paralysé sur place. Frigorifié jusqu'aux os par le pressentiment qui s'enroulait vicieusement autour de mon cœur à la manière d'une vipère venimeuse et crachait son venin dans mes muscles crispés. D'un coup d'œil sur ma gauche, je vis que Dylan et ses petits copains étaient dans le même état que le mien. L'unique différence était que je décelai une certaine ... Frayeur ? Oui, frayeur, sur le visage métissé du premier amour de ma copine.
Sûrement savait-il mieux que moi à quel point les vengeances de Maxine pouvaient être admirablement calculées et cruelles.
" Trêve de bavardages. Les clichés que vous verrez derrière ces murs répondent à un ordre chronologique bien précis et sont, d'une façon ou d'une autre, tous reliés. Seulement certains d'entre vous comprendront ce continuum, raison pour laquelle j'espère que les concernés comprendront le message subliminal qui y est glissé. Voyez cette exposition comme une devinette à taille humaine, une façon ludique de vous faire voir le revers du décor. Ainsi, je vous souhaite une agréable et enrichissante soirée et ne vous remercierai jamais assez pour tout l'amour et le soutien que certains d'entre vous m'apportent au quotidien. "
Etonnamment, la fin du discours fut accueillie par une vague tonitruante d'applaudissements. Quelques personnes sifflèrent leur joie de commencer cette passionnante « énigme » tandis que d'autres parlaient entre eux, intrigués par les centaines de non-dits dissimulés dans ces mots savamment choisis.
Bon sang, Maxine, pensai-je quand je vis la famille Laurens s'agiter au premier rang, quand comprendras-tu, putain, que tu es un mystère à toi seule ? Qu'il est inutile de t'encombrer d'autres énigmes ?
Le plus extraordinaire était que le sentiment commun qui résultait de ce discours était l'admiration. « Un génie, cette nana. Tu m'étonnes qu'elle continue de fonctionner après toutes ces années. » dit même un homme derrière Bigo, la voix encombrée d'un enthousiasme à peine feint. Connard.
Après quelques minutes supplémentaires où presque tous les convives furent resservis en champagne – y compris moi –, nous fûmes guidés vers la véritable entrée de l'exposition. Deux vigils étaient chargés de faire rentrer par groupe des dix les invités et quand arriva enfin notre tour, je n'eus même pas la volonté de leur adresser un sourire : j'étais trop frappé par le changement radical d'ambiance. Car si la pièce d'où nous venions était d'une clarté à faire pâlir de jalousie les accros à la propreté, ici, dans cette espèce de ... labyrinthe, tout était sombre. Le sol, les murs, le plafond, tout, absolument tout, était peint en noir. Seules les photographies accrochées aux cloisons étaient éclairées.
C'était simple, nous ne pouvions voir qu'elles. Si le but de cette pénombre était de nous empêcher de nous concentrer sur autre chose que les clichés, c'était magnifiquement bien réussi : impossible de voir le bout de mes pompes tant il faisait sombre. C'est dire, au bout de seulement quelques minutes je finis même par perdre Deen et Antoine. Des barrières métalliques placées à deux mètres des murs nous empêchaient d'approcher les œuvres de trop près, mais je me fis la réflexion que, compte tenu de leur grandeur, c'était une distance nécessaire. Sans exagération, toutes devaient mesurer entre un mètre cinquante et deux mètres. Elles étaient espacées de quatre bons mètres et étaient toutes en noir et blanc. J'avais d'ores et déjà remarqué que Maxine aimer le monochrome et devais admettre que le manque de couleur apporter un charme supplémentaire aux photos ... Et puis ça correspondait bien à ma photographe.
Esseulé, j'observai donc les portraits exposés. La plupart représentait des inconnus– du moins le supposai-je puisqu'ils ne me disaient rien. Seul un m'inspira quelque chose : l'indien que j'avais vu en photo dans l'ordinateur de Maxine. Il serrait la main de ... Il serrait la main du père de Maxine ? M'étonnai-je en me penchant par-dessus les barrières. Les deux hommes se tenaient virilement la main et je crus reconnaitre le logo de l'entreprise Laurens derrière eux. Ils se tenaient dans l'entrée du bâtiment et le sourire carnassier du géniteur de ma copine me rappela vaguement un prédateur heureux de savoir sa proie prise au piège. Ce type était un manipulateur né ... Quelque part ça me foutait les jetons. Si Maxine était une « gentille » calculatrice, lui était un savant manipulateur avec plusieurs millions d'euros dans son dos pour l'aider à accomplir ses quatre volontés.
Une dizaine d'autres clichés aborda le même sujet : le père de Max avec – je supposais – certains de ses associés. Même sourire, même regard, même poignée de mains : ma foi, les manipulations étaient un art maitrisé dans cette famille.
Le quatrième couloir aborda un sujet qui me donna envie d'envoyer mes chaussures valdinguer dans le verre des tableaux. Des photos de Dylan, Antoine et Raphaël. Partout. Rieurs, colériques, sérieux, pensifs ... Elle avait habilement immortalisé plusieurs de leurs émotions et, à en croire la barbe qui poussait sur leur visage d'adolescents, sur plusieurs années consécutives. Bizarrement, je me fis la réflexion que j'aurais aimé connaitre la Maxine de cette époque. La Maxine bavarde en pleine rébellion. Celle qui découvrait la vie et qui ne la haïssait pas encore aussi viscéralement.
Toutefois, un hurlement féminin attira vivement mon attention. Les sourcils froncés par l'incompréhension, je fis tout comme le restant de l'assemblée et me retournai brusquement vers la source de ce sanglot erratique ... Pour découvrir la mère Laurens trainer sa fille aînée qui sanglotait chaudement, vers la sortie. Son époux fermait la marche et tentait inutilement de ne pas attirer l'attention sur eux. Ils disparurent au détour d'un couloir et laissèrent derrière eux un silence morbide, annonciateur d'une terrible nouvelle.
Et soudain, en un claquement de doigts, tout le monde se rua vers la dernière pièce d'où était précipitamment sortie la famille Laurens. Ahuri par ce revirement de situation, je me fis bousculer par plusieurs personnes et observai tous ces connards trottiner dans les couloirs.
" Nek ! " Je rivai mon regard vers Bigo qui remontait difficilement à contre-courant cette masse de personnes empressées. Il joua des coudes et je crus l'entendre insulter plusieurs individus, mais une fois à ma hauteur, il m'attrapa les épaules et me secoua comme un foutu prunier. " T'as vu ça ?! "
" C'est quoi ce bordel ?! " Intervint Antoine dans mon dos. " J'étais aux toilettes et j'ai vu Rose et ses parents courir vers la sortie ! "
" Putain, vous allez halluciner ! "
Comme trois bons moutons, nous suivîmes donc le mouvement et atteignîmes l'ultime pièce de ce labyrinthe où une seule photographie était exposée. Il y avait tellement de personnes agglutinées devant que nous peinâmes à l'atteindre. Et je promets avoir senti un vertige me traverser de la tête aux pieds lorsque je pus la voir dans sa globalité. Elle n'avait rien d'extraordinaire, elle n'était même pas belle et je doutais que quiconque dans cette salle la comprenne et parvienne à l'interpréter ... Mais pour moi, pour nous qui connaissions Maxine et une infime partie des secrets et machinations de sa famille, je sus pourquoi les Laurens avaient fui à toutes jambes.
Parce que sur cette photo se trouvaient Maxine elle-même, un gâteau d'anniversaire couronné d'une bougie « 21 ans », un homme ressemblant traits pour traits à Eff ... et une Rose en arrière-plan, en pleurs.
➰
Ouloulou 😱
Normalement, avec la photo de l'expo vous devez avoir une petite idée de ce qu'il s'est passé pendant cette fameuse soirée ... Pressée de voir ce que vous en pensez 😘
Je vous souhaite une merveilleuse année 2018 les amis. Je ne le dirai jamais assez mais merci pour tout ce que vous m'apportez et même si énormément de personnes vous le diront : j'espère que tout ira bien pour bien vous !
Je vous aime d'amour et on se voit l'année prochaine ... "lol" ❤️
-Clem
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