• Plume n°4 •




Salut à tous ! Chapitre 4 de Mutique publié en avance, j'espère qu'il vous plaira !

Bonne lecture et on se voit en bas !






Maxine






                   

Pour immortaliser la première date du Feu Tour, les garçons avaient décidé de la fêter en boite. Une idée judicieuse de Sneazzy qui avait exalté tout le monde, si ce n'est ma sœur et moi-même. Alors, poliment, nous avions décliné leur offre une première fois, puis une seconde quand ils avaient contrattaqué avec des arguments qui se disaient « bêtons ».


" On sera en carré VIP, les gars ! Vous n'aurez rien à payer, faites pas les meufs là ! " Geignit capricieusement Mohammed, abattu que l'on refuse de les accompagner.

" De ouf' : c'est tous frais payés, vous avez pas le droit de refuser. " Le rejoignit Fram' tout aussi gamin que son pote.


Je décidai de ne plus écouter leur dialogue de sourds, comprenant qu'ils finiraient fatalement par tourner en rond et continuai ma marche mollassonne jusqu'à l'hôtel où je pourrai dormir en paix, loin de leur brouhaha permanant. Dans moins de sept heures, nous serions en route pour Rennes et à la différence des garçons, qui eux paraissaient aussi excités que des chiots hyperactifs, je n'avais plus d'énergie à revendre. Ce premier concert m'avait éreintée et la mignonne petite dédicace de mon cher Nekfeu me travaillait encore perversement l'esprit, occupant la moindre de mes songeries.

Les bras croisés sous ma poitrine menue pour tenter d'amoindrir ce froid mordant qui était tombé avec la nuit, je cheminai jusqu'à la porte d'entrée, les idées confuses et atrocement en vrac. Non seulement je me sentais intimement humiliée, blessée d'avoir été rabaissée au niveau d'une princesse sans grande valeur morale, mais en plus, plus une seconde ne s'écoulait sans que je repense à ses chansons.

Qui était la femme originelle ? La principale concernée, la muse de Nekfeu ? Où était-elle désormais ?


" Max, attends ! "


Je relevai effrontément mes yeux au ciel après que Rose m'ait hélée, mais cédai bien sagement, me retournant dans un soupir éreinté dans sa direction. Elle n'avait pas besoin de m'expliquer ce qu'il se passait pour que je comprenne qu'elle s'était lâchement laissée séduire par les belles paroles de Blondinet.


" Finalement je vais aller avec eux, tu sais ... Pour me détendre. T'es sûre de ne pas vouloir venir ? Ça pourrait te faire du bien. " Argumenta-t-elle, vainement.


Vainement, car il avait suffi que mon regard tombe sur la silhouette athlétique de Barbie pute ainsi que son sourire en coin détestable pour me convaincre de décliner leur offre une troisième fois. Je n'étais pas d'humeur à boire, ni même à m'amuser, j'étais simplement épuisée et ne rêvais que de me coucher loin de cet exécrable rappeur.

J'acquiesçai dans un sourire momentané, leur fis un vague mouvement de main pour les saluer, ne prêtant guère attention à leurs reproches taquines, et repartai vers l'hôtel deux étoiles qui avait accepté de recevoir dans ses infrastructures le grand groupe que nous formions. Fort heureusement, Antoine avait réglé les formalités la veille et je n'avais donc pas à passer par l'étape accueil avant de ne pouvoir monter au sixième étage, là où étaient nos chambres.

Toujours aussi ensommeillée, les muscles ankylosés par cette interminable journée, je ne pris même pas la peine de me laver les dents où de me déshabiller, m'effondrant telle une masse dans les draps de ce lit à la couleur douteuse ; je ne voulais même pas savoir d'où provenaient ces taches jaunâtres.

Frigorifiée par la chute brutale de température et ma tenue inadaptée pour le temps, je m'emmitouflai à contre cœur dans cette couette épaisse et enfouis mon visage dans ces oreillers qui avaient au moins le mérite de sentir bon. La réverbération des rayons de la Lune tombait en plein sur la petite fenêtre et donnait à la chambre une atmosphère lugubre qui faisait vaguement écho à mes obscures pensées.

Un climat pesant qui, malgré mon épuisement extrême, m'empêcha de trouver le sommeil pendant des heures et des heures durant. Si bien que la seule chose que je fus en mesure de faire, c'est réfléchir, encore.

Connaissez-vous le sentiment frustrant de vouloir à tout prix dire une chose, mais au moment de prendre la parole, ne plus se souvenir de ladite chose à dire ?

Eh bien comme depuis deux années, je vivais cette sensation et ce, infiniment. A chaque foutue fois que j'osais me pencher sur ce qu'il s'était passé avant mon réveil à l'hôpital, je tombais sur ce mur fait de briques et d'acier inoxydable qui m'empêchait de me remémorer très distinctement les quarante-huit heures qui avaient précédé. Un sentiment de frustration si intense qu'il m'arrivait de ne plus en dormir la nuit, hantée et torturée par cette impression de nullité qui me rongeait vicieusement les organes.

Puis, comme si cette sensation n'était pas suffisante pour mon âme grignotée par le temps, Barbie se rajoutait à cette profusion de questionnements. Mes pensées à son égard s'altéraient constamment, passant de ma folle envie de lui foutre mon poing dans la figure, à mon incompréhensible désir de le comprendre, puis enfin, à mon souhait hors-norme de me laisser tenter par le vice.

Des changements radicaux d'humeur qui me donnèrent le tournis jusqu'au lendemain matin, là où, finalement, je fus encore plus épuisée que la veille.

Couchée en biais dans mon lit, je guettai attentivement l'apparition du Soleil dans ce ciel dépourvu de nuages. Peu à peu les astres lumineux de la nuit accrochés à la voute céleste léguèrent leur place à cette incommensurable boule de feu, et d'inspirants camaïeux de roses se profilèrent en arrière-plan. Le silence régnait dans cette minuscule chambre d'hôtel et je me permis d'apprécier cet ultime moment de quiétude avant de ne partir mollement me préparer.

Une demi-heure plus tard, j'attendais impatiemment devant le bus les garçons mais aussi Rose pour notre départ vers l'Ouest. Presque sept heures de route nous attendaient et alors que mes compagnons de route n'arrivaient toujours pas, je me laissai tenter par mon envie démente de fumer le joint que j'avais précautionneusement rangé dans la poche avant de ma besace. 

Un vice que j'avais gardé de mon adolescence, cette période où je pensais qu'être rebelle et au summum de sa débilité rimait avec popularité. Mes pauvres parents, songeai-je.

Je jetai un dernier coup d'œil autour de moi, guettant si ma grande sœur n'arrivait pas à grandes enjambées pour venir me le piquer des mains et me laissai nonchalamment choir sur les marches du bus, le cylindre coincé entre mes deux lippes. Sans attendre, je fis cramer l'embout en papier et respirai goulûment la substance, appréciant sa caresse enflammée dans ma tranchée. Après plusieurs inspirations voraces, je pus sentir mon énergie rappliquer dans mon esprit accablé et réanimer mes neurones apathiques.

Contrairement aux idées reçues, je ne voyais pas le monde en rose. En fait, il n'était pas meilleur que précédemment, loin de là : les oiseaux ne chantaient pas, l'argent ne tombait pas des toits, je n'avais pas miraculeusement retrouvé ma voix ... Non : Il était abominablement et formellement identique.

Simplement, je le supportais avec plus d'aisance : mon âme comme délivrée du poids considérable de mes conneries passées monumentales.


" Depuis quand tu fumes ce genre de merdes, toi ? "


Etonnamment, je ne fus pas surprise de voir Barbie pute près de moi, un sac à dos négligemment vissé à son épaule, un casque de musique autour de sa nuque et un satané cure-dent entre les lèvres. En fait, j'étais même étonnée qu'il ne soit pas arrivé bien avant-cela, lui qui semblait avoir un don inné pour arriver dans les moments où je ne voulais précisément pas le voir.

Du coin de l'œil, je détaillai les traits de son visage et fus douloureusement marquée par sa moue désapprobatrice. Il me toisait de toute sa hauteur avec un tel acharnement et une telle déception cachée dans le regard, que je ne pus que lâchement abandonner cette bataille visuelle.  


" Tu pourrais au moins faire l'effort de répondre, maintenant que tu t'aies bien enfumé la gueule. "


Il me cracha au visage et je me braquai promptement, me redressant sur mes deux pieds pour lui faire face. Je fis taire du mieux que possible le trouble que créaient ses orbes ombrageux dans mes pensées et bravai sans ciller son regard intransigeant.


" Ne me parle pas comme ça. " Sifflai-je, la voix lamentablement enrouée par la fatigue et la fumette.

" Alors ne te conduis pas comme une putain de gamine écervelée. " Me répondit-il du tac au tac.


Mes mains se compressèrent pour former deux poings compacts et je me rapprochai gravement du rappeur, outrepassant le dernier pas qui nous distançait. Mon corps tout entier était parcouru d'adrénaline, mes muscles s'imbibant de cette hormone impatiemment, prêts à mettre une bonne fois pour toute mon poing dans sa gueule d'ange.


" Je – "

" Wow, les gars ! " L'interrompit brusquement Antoine qui venait du surgir entre nous deux. Les yeux alarmés par notre état de colère, il nous dévisagea un par un, une lueur d'incertitude dans le fond de ses iris bleuâtres. " Putain, mais qu'est-ce qui vous prend ?! "


Ni Barbie ni moi ne répondîmes, bien trop concentrés à nous assassiner mentalement. Tous les deux plongés dans un duel sans fin, nous ne perçûmes pas non plus Mekra rejoindre blondinet. J'étais assourdie par la colère corrosive qui bourdonnait dans mes tympans, aveuglée par l'agacement sans nom qui miroitait dans les prunelles énigmatiques de mon interlocuteur, paralysée par les fourmillements de mon précédent et virulent emportement.

Pas une fraction de mon corps ne semblait pas imploser sous son regard inflexible, et sans l'intervention de Mekra, peut-être ne serions-nous jamais sortis de cette rivalité féroce.


" Reviens sur terre, mon pote. " Il lui bouscula farouchement l'épaule et je ne pus m'empêcher de sourire triomphalement lorsque Nek fut le premier à baisser les yeux. Certes, c'était déloyal comme victoire, mais peu m'importait : j'avais gagné cette manche. " Vous nous faites quoi là ? Encore hier vous baisiez à moitié dans le couloir et là vous vous apprêtiez à vous battre ? Revoyez votre logique, sans déconner. "


Mais quand bien même ses dernières phrases avaient été dites sur le ton de l'humour, le rouge me monta aux joues au souvenir de ce moment d'égarement. Je rivai mon regard sur mes chaussures, encore honteuse d'avoir été si faible d'esprit devant lui, tandis que Barbie grondait de rage en face de moi.

D'un mouvement vif de la main il dégagea le bras d'Antoine qui le maintenait loin de moi et ne manqua pas de me bousculer l'épaule pour rentrer dans le bus. Tant bien que mal, aussi bien par fierté que pour ne pas tomber, je tentai de rester le plus stable que possible sur mes deux pieds après sa bousculade, mais crus définitivement tituber quand il articula dans mon dos :


" Que je ne te revois pas avec cette merde dans le bouche, compris ? "


Ma respiration se bloqua inopinément dans ma gorge alors que je me figeai sur le béton, incapable de lui faire face à nouveau ; mon corps avait ses limites que mon esprit n'avait pas. Batailler perpétuellement avec lui, en plus de mes précédentes insomnies et les effets du joint qui me montaient à la tête ... Ma précédente et passagère énergie était partie aussi rapidement qu'elle était arrivée, fuyant mon corps à vitesse grand V.


" Attends, tu fumes toi ? " Me sollicita Antoine, abasourdi.

" Comment ça elle fume ? Bon sang, Maxine, tu m'avais promis d'arrêter ! " S'énerva Rose, toujours aussi impeccablement habillée, qui venait à peine de débarquer avec le restant des garçons.


Dans un soupir lourd de sens, je fermai mes paupières dans l'essai futile de calmer ce lancinant mal de crâne qui était en train de tambouriner dans mes tempes. Machinalement, je passai mes doigts encore tremblotants dans mes cheveux et pinçai exagérément mes lèvres entre elles, ravalant le cri que j'avais envie de pousser, ici, maintenant, dans l'immédiat. 

Et lorsque je rouvris enfin mes yeux, ce ne fut que pour rejoindre Deen qui parlait avec Eff-Gee un peu plus loi. J'abandonnai effrontément ma sœur qui était en train de me parler et ignorai magistralement ses menaces de mort, me foutant bien de quel sort elle me réservait.

Dans un pas las, j'arrivai vers celui que j'assimilais le plus à un ami dans cette troupe infernale et souris frugalement à Eff' qui me tendit son poing pour que je frappe dedans. Sans me plaindre de ne pas être insérée dans leur conversation, j'écoutai d'une oreille distraite leurs dires sur le prochain album de Deen prévu pour début 2017. Mais en toute honnêteté, j'étais avant toutes choses concentrée sur l'homme avec qui mon ami parlait.

Comme pour le jour de nos présentations, le visage de Eff' m'était bizarrement familier. Alors, je m'efforçai de fouiller dans mes souvenirs, recherchant d'où cette impression de déjà-vu me venait. Mais inutilement : la seule chose à laquelle je me confrontais était encore ce mur infranchissable, cette palissade mentale qui semblait vouloir m'empêcher de mettre la main sur ce souvenir.

Ce fut un violent coup de klaxon provenant du bus qui me fit stopper mes piètres recherches. Paresseusement, je lançai un coup d'œil dans mon dos pour remarquer que nous étions les seuls pas encore rentrés dans le véhicule, et marchai mollement jusqu'à lui, les bras croisés sur mon sweatshirt S-crew que m'avait gentiment prêté Framal la veille.

Deen à ma droite, plaça naturellement son bras autour de mon cou en m'étreignant frugalement. Je ne réagis pas à sa marque d'affection, préférant passer outre plutôt que de me dégager. Tous les trois, nous finîmes par pénétrer dans l'autocar et je ne me fis pas prier pour m'asseoir sur l'un des sièges collés à la fenêtre.

Ni une ni deux, je sortis mes écouteurs ainsi que mon ordinateur, m'isolant du restant du groupe pour savourer les effets agréables de mon ter. Une fois les photos importées de mon outil de travail, je fis d'ores et déjà de faire un tri conséquent : sur presque cinq cents photos, un bon tiers était bon à être jeté aux oubliettes.

Alors, pendant de longues heures sans jamais que quelqu'un ne vienne me déranger, je laissai mes yeux errer sur ces quelques photographies, certaines bien meilleures que d'autres. A de multiples reprises, je me retrouvai bêtement figée devant mon écran, observant la passion qui se dégageait de Nekfeu. Les muscles de ses bras, de son dos sous tee-shirt fin, ou ne serait-ce que les muscles de son visage, paraissaient comme imbibés d'une ferveur sans comparaison, sustentés par la passion qu'il vouait à son métier.

Discrètement, je relevai mon nez de mon ordinateur pour l'observer, tentant de retrouver dans cet homme une similitude avec celui qui était pixélisé sur mon écran. Mais je n'y vis rien ; rien de comparable du moins. Sur scène il semblait vivre, déchainé par la colère virulente qu'il cachait au fond de lui, alors qu'actuellement, concentré dans la lecture de son manga, il n'était rien si ce n'est commun au restant des mortels.

Quand bien même voulus-je de me convaincre du contraire, cette vision si morose de lui me fit mal ; un pincement au cœur à peine perceptible, certes, mais qui me fit tout de même mal. Sous sa nonchalance abusive, son caractère perfide et son humour noir, Nekfeu détenait une telle peine en lui que malgré ma volonté et le bordel démentiel qu'il créait dans ma tête, je ne pouvais pas le haïr totalement.

Peut-être, juste peut-être, car au fond de moi, je connaissais la détresse qu'il tentait de cacher aux yeux du monde.

Lorsqu'il dut se rendre compte de mon regard pesant sur sa personne, il releva ses yeux dans ma direction, un de ses sourcils s'arquant dans une demande muette d'arrêter ce que je faisais. Mais je ne le fis pas, aussi bien pour me prouver que je n'étais pas si misérablement soumise à ses quatre volontés, que pour me permettre de le contempler encore une vulgaire minute.

Cruellement beau, voilà ce qu'il était.

Je fus pourtant bien obligée de détourner le regard lorsque ma sœur vint se positionner à mes côtés, déposant délicatement sa tête contre mon épaule. Gauchement, je me figeai sur mon siège, que très peu habituée à se qu'elle soit si tactile avec moi, alors que ses doigts délicats s'entremêlaient aux miens. Peu sûre que cela ne soit pas une blague, je jetai un coup d'œil aux garçons pour voir si l'un d'entre eux nous épiait, mais nullement : tous étaient concentrés sur autre chose.

Alors, grossièrement, je laissai mon bras enlacer ses épaules menues et je pus très distinctement l'entendre renifler dans mon sweat. Mon cœur se fendit douloureusement en deux quand je compris qu'elle était en train de sangloter silencieusement, et ne voulant pas attiser davantage l'attention, je pris mon téléphone et pianotai un message à son encontre dans les notes :

" Qu'est-ce qui ne va pas ? "


Elle redressa timidement la tête pour lire ce que je lui avais écrit et me répondit immédiatement, tapotant sur la vitre tactile du petit appareil. Elle me le rendit après quelques secondes, ses yeux roulant vers mon visage pour observer ma réaction.


" Ça fera un mois que nous ne sommes pas allées le voir aujourd'hui. "


Je me médusai sur place, cessant de respirer, de bouger, de vivre, laissant mon cœur chuter brusquement dans mon estomac. Je perdis peu à peu le fil du temps, mes yeux plantés sur ces quelques mots informatisés tandis que de désagréables décharges électriques escaladaient mon épine dorsale, éveillant une chair de poule sur l'ensemble de mon dos. Péniblement, je verrouillai mon téléphone et tentai de déglutir la rejet acide qui était remonté jusque dans mon bouche.

La savoureuse saveur des souvenances, chantonna ironiquement ma conscience.

Pétrifiée sur mon fauteuil, recroquevillée contre la vitre glacée et embuée du bus, je dus cligner plusieurs fois des cils pour parvenir à me focaliser sur la voix encore enrouée de ma sœur qui m'interpellait pour la deuxième fois. Après un insoutenable retour à la réalité, je détournai mon regard de l'écran noir de mon mobile et tombai dans les profondeurs bleuâtres des iris de Rosie.


" Max, t'es sûre que ça va ? " Me chuchota-t-elle pour ne pas centraliser l'attention sur nous et ma bouche s'ouvrit dans la tentative de parler, mais inutilement.


J'étais ensevelie sous mes souvenirs, impitoyablement écrasée par des images horrifiantes et broyée par un ramassis d'émotions contradictoires. Tout ça en moins de dix petites, minuscules et innocentes secondes.

Alors, non, je ne voulus pas parler, le silence suffisant à m'apaiser. Et puis, mettre des mots sur la douleur effroyable qui compressait épouvantablement mon organe vital était impossible : il n'y avait aucun mot pour décrire ce genre de souffrance interne.

Alors je me contentai de hocher brièvement la tête en retirant mon bras de son épaule, et appuyai ma tête contre la vitre du bus, faussement passionnée par les gouttes de pluie qui y ruisselaient à toute vitesse. Elle soupira discrètement, abandonnant son idée de me faire parler après une ultime tentative.

Je la vis essuyer secrètement ses joues humides par le biais de la vitre, puis elle repartit en direction de là où elle venait. Je fermai mes paupières à mon tour, appréciant le silence qui régnait dans le bus ; personne ne nous avait surprises, et c'était tant mieux.

Sauf peut-être un.

Quand je rouvris mes yeux, je tombai sur le reflet de Barbie qui m'examinait sous toutes les coutures. Du coin de l'œil, je lui rendis son regard dans une demande tacite de se taire et, pour la première fois depuis notre rencontre, il céda à ma supplication.


***


" Meuf, réveille-toi. " Dans un grognement grossier, j'éloignai le bras qui me secouait inlassablement l'épaule et tentai par tous les moyens de sombrer de nouveau dans les bras de Morphée. Mais ça, c'était sans compter la lourdeur de Deen qui m'infligea une pichenette sur la joue. " Allez, la muette, bouge ton cul. On est arrivés depuis dix minutes. "


Totalement comateuse après cette courte sieste, je finis par renoncer à mon sommeil réparateur et descellai paresseusement mes paupières, l'une après l'autre. J'étais en proie à une terrible pâteuse et ma bouche me semblait soudainement aussi sec que le désert du Sahara.


" On a la pâteuse ? " Se badina ouvertement Deen à ma gauche et j'acquiesçai en ballotant ma tête de bas en haut. " Alors viens, on va te nourrir, le gnome. "


Il me tendit gentiment sa main pour m'aider à me démouler de ma place confortable et je m'en emparai avec gratitude, n'ayant plus un milligramme de force dans mes muscles courbaturés. Je remarquai une fois sur mes deux pieds, qu'en effet, nous n'étions plus que deux dans le bus et le suivis bien sagement jusqu'à la sortie, là où le soleil de Rennes me brûla impitoyablement les rétines.

Je plissai disgracieusement mes sourcils, mon bras venant par automatisme se placer devant mon visage pour protéger mes yeux non acclimatés à la lumière ambiante, tandis qu'Ahmadeen continuait d'avancer, me trainant tel un boulet de première classe. Nous marchâmes rapidement jusqu'à l'intérieur du bâtiment, là où plusieurs personnes nous saluâmes respectueusement.

Je souris à certains, encore enlisée dans mon sommeil trop récent, alors que nous arrivions devant une petite porte où était gravée en lettres argentées « Loge ». Le rappeur ouvrit l'accès immédiatement et mes oreilles furent de suite agressées par les cris tonitruants des garçons.

Bon sang, mais n'étaient-ils jamais fatigués ?


" La muette s'est enfin réveillée ! " Ria Framal qui tenta de m'ébouriffer les cheveux, mais j'évitai astucieusement son bras, rattrapant son poignet avant qu'il ne me touche. Je fis danser malicieusement mes sourcils et le relâchai pour pouvoir me diriger vers le distributeur d'eau.


J'attrapai un gobelet propre qui trainait par-là, remplis à ras-bord le récipient et avalai goulument le liquide rafraichissant. Le feu infernal dans ma gorge s'éteignit instantanément, inondé par la quantité d'eau que je venais d'absorber en un temps record, alors que tous les regards paraissaient braqués sur ma miséreuse personne. Je ne me rendis compte que maintenant du silence anormal qui planait autour de nous et mes joues s'empourprèrent quand je compris que c'était bel et bien moi qu'on dévisageait de la sorte.

Je lançai un coup d'œil à ma sœur, désireuse de comprendre ce que j'avais bien pu faire pour que tout le monde me scrute de la sorte, et elle intervint immédiatement, claquant des mains pour mettre fin à ce moment de gêne insoutenable.


" J'ai faim ! Quelqu'un veut qu'on commande des pizzas ? "


Des réponses positives fusèrent de partout, brisant cet instant de mutisme inaccoutumé, et je battis furieusement des paupières, ébahie. Rose Laurens venait-elle de proposer que l'on mange des ... Pizzas ? Elle qui haïssait si viscéralement toutes sortes de gras, de féculents, de fromages, de sauces ? Elle qui, finalement, répudiait de son alimentation tout, si ce n'est ses foutues feuilles de salades ?

Heureuse que sa proposition est fonctionnée, elle s'éloigna du groupe en vitesse, téléphone déjà vissé à l'oreille. Je décidai de passer outre, balayant mon étonnement dans un coin de mes pensées et rejoignis Deen qui s'était nonchalamment laissé tomber dans un des canapés. Tout en parlant tranquillement avec Doum's, ce dernier me colla amicalement à son torse chaud, son bras ballant sur l'une de mes épaules.

Dieu que ce type était tactile ! Moi qui méprisais les marques d'affection, à ses côtés, je n'avais d'autres choix que de les supporter.

Peu attentive aux aller-retours, ni même aux conversations des garçons dans les loges, je guettai attentivement l'heure. Mon taxi en direction du centre-ville ne devrait pas tarder et ce fut avec toutes les difficultés du monde que je parvins à m'extraire de l'étreinte du rappeur. Sans un mot, heureuse que tout le monde soit bien trop occupé à discuter sur l'organisation de la soirée, je filai en douce dans le couloir, concentrée sur mon téléphone pour prévenir Rose de mon départ imminent chez ce foutu psy.

Bien évidemment, alors que je verrouillai mon téléphone et le rangeai dans la poche centrale du gros sweat de Framal, une voix divinement gutturale fit écho dans le couloir puis se répercuta dans mon organisme.


" Tu vas où ? "


Dans mon dos, Nekfeu venait de me héler et je m'arrêtai immédiatement d'avancer, comme soudainement tétanisée par l'ordre tacite que divulguait cette simple question. Mon cerveau se mit instinctivement à réfléchir à une échappatoire, mais alors que je manquais de solutions, Barbie apparut devant moi, vraisemblablement impatient de connaître mon mensonge effronté.


" Alors ? " Insista-t-il lourdement en se plaçant intelligemment face à moi, de telle sorte à obstruer le passage. Connard. Tout aussi bornée que lui, je croisai mes bras sous ma poitrine et lui rendis son regard inflexible. " Ne joue pas la carte du silence avec moi, la muette. Toi et moi, on sait que tu sais parfaitement t'exprimer avec un peu de volonté. "


Mes mâchoires se crispèrent lorsque la colère reflua dans mes pensées sans demi-mesure. Notre controverse de ce matin m'avait laissée sur ma faim, et l'envie de déballer le paquet d'insultes que je lui dédiais me taquina sournoisement le bout de la langue.

Mais je me tus, affrontant avec dureté son indiscrétion malsaine. Voilà à peine trois jours que nous nous fréquentions sans discontinuité et déjà mon caractère commençait à se remodeler à l'image de ses attaques verbales et sa curiosité maladive ; je me moulais à son image inconsciemment, anticipant ses réactions et son caractère de merde : voilà ce à quoi j'étais réduite.

Comprenant que je risquais fort de ne pas lui répondre, un rire amer s'échappa de ses lippes charnues et il reprit :


" Putain que tu es bornée. " Railla-t-il, un son de désinvolture dans les vibrations de sa voix enrouée.


Je roulai insolemment des yeux et tentai de forcer le passage en lui bousculant l'épaule sans délicatesse. Mais bizarrement la force que j'avais mise dans mon geste ne me servit à rien puisqu'il me laissa bien sagement passer. Je plissai des sourcils, étonnée qu'il ne cherche pas à me retenir davantage dans ce couloir exigu et lui lançai une œillade perplexe par-dessus mon épaule.

Il me surprit à le regarder et un sourire carnassier creusa instantanément ses joues, possiblement satisfait de me voir si hébétée par la tournure des évènements. Et à ce moment précis, étrangement, je me surpris à la trouver beau dans sa malveillance. Dans son intégralité, tout chez lui, que cela soit spirituel ou physique, flamboyait d'une obscurité énigmatique qui m'attirait dangereusement dans ses filets. Ma soif de comprendre pourquoi cet homme brûlait sous le poids de ses secrets était en train de m'enchainer grièvement et contre mon grès à lui. Et, putain, je redoutais le moment où je ne pourrai plus me défaire de ce rappeur obscurément cynique.

J'écartai brusquement cette idée saugrenue de mes songes et ne remarquai que maintenant que je m'étais arrêtée dans mon avancée, concentrée à la dévisager sans discrétion. Mon visage vira au cramoisie lorsque je le vis sourire de plus belle, et je repartis immédiatement vers la sortie sous ses rires agaçants.

Mon corps frémissait encore de honte, de désir indésirable et de colère lorsque je me laissai retomber dans le véhicule qui me mènerait jusqu'aux bureaux du Monsieur Martinez –deuxième psychologue de cette liste futile, spécialisé dans les troubles post-traumatiques : « Un pur géni dans son domaine ! » avait argumenté ma mère.

Je tendis le petit post-il pré-préparé par ma sœur au conducteur et la voiture se mit immédiatement en marche, roulant sur les routes menant au centre de Rennes. Et tout du long du trajet, je m'abominai de n'avoir qu'un seul homme en tête : Nekfeu lui-même.










Re ! J'espère que le chapitre vous a plu !

Curieuse de voir ce que vous pensez de ce nouveau chapitre haha !

Aussi, je tiens à préciser que je reprends mes partiels à partir de lundi jusqu'à jeudi prochain, je ne pas encore si j'aurai le temps de publier entre temps, mais je ferai de mon mieux promis ! Surtout que le nouveau chapitre sera sur du pdv de Nek ! 💁🏼‍♂️

Je vous embrasse, gros merde à celles qui ont encore des exam's dans les prochains jours à venir et courage à celle qui ont repris les cours cette semaine, bisous, je vous aime fort !

-Clem

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