• Plume n°37 •



Bonjour et bonsoir, les amours 😏

J'espère que vous allez bien ! Moi, personnellement, je suis en vacances et qui dit vacances dit plus de temps libre, et qui dit plus de temps libre dit ... plus de temps libre ? 😂

Allez, petit chapitre du pdv de Maximum ! On marque un tournant et on approche de la fin et qui dit fin dit ...





Maxine

                   




Étrange comme on se rend compte de l'importance d'une chose seulement lorsqu'elle disparait. Pourquoi étions-nous incapables de la voir à temps ? Pourquoi fallait-il qu'elle disparaisse pour que l'on remarque le trou béant qu'elle comblait ?

Pourquoi, le simple fait d'avoir ladite chose sous mes yeux éreintés, me rendait-il si tristement lamentable ?

Telle était la ribambelle de questions insensées qui défilaient dans mes pensées depuis une bonne heure désormais. Confortablement installée dans un canapé deux places entre Deen et Alpha, les jambes croisées loin devant moi, une cigarette coincée entre mon index et mon majeur, je ne parvenais néanmoins pas à trouver les réponses que je voulais. Toutes étaient faussées par des sentiments que je tentais désespérément d'enfouir sous le monticule de haine que je ressentais envers Nek.

La vie explosait autour de nous, les gens riaient, buvaient, fumaient, parlaient ... vivaient. Alors pourquoi, nous, étions-nous incapables de suivre ce schéma ? Pourquoi nous buttions-nous à jouer à ces ridicules compétitions de regards ? Qu'est-ce qui différait ? Nous y empêchait ? Pourquoi est-ce que cela me faisait si mal ?

La réponse était pourtant évidente. Je refusais simplement de l'entendre, lâche que j'étais.

Les yeux bruns de mon rappeur dégoulinaient de mauvaises ondes : une pointe de colère, un tantinet de tristesse, un soupçon d'incompréhension et un semblant de détermination.

Voilà la recette d'un regard signé Ken Samaras.

Il ne fallait de toute façon pas être un géni pour comprendre que Nekfeu était un être trop orgueilleux et possessif pour montrer autre chose. En fait, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir la jalousie qui avait flamboyé dans ses pupilles d'encre lorsque j'étais arrivée. Ni chaud, ni froid : voilà ce que cela m'avait fait. Chacun sa merde. Je n'étais de toute façon pas venue pour lui : Eff' était ma priorité.

Je tirai goulument sur ma cigarette lorsque nos deux regards se lièrent de nouveau, tels deux atomes crochus inexorablement attirés l'un vers l'autre. J'eus envie de sourire à sa mine colérique. Je le frustrais. L'agaçais. Il ne comprenait pas, ne parvenait à saisir les messages subliminaux et volontairement contradictoires que je lui envoyais. C'était un véritable plaisir de le voir déchanter, lui, ce rappeur si imbus de sa personne et de ses convictions. Sa jambe gauche se mit à battre frénétiquement le parquet tandis qu'il s'accoudait à ses genoux, toujours aussi concentré sur mes lèvres qui relâchaient la fumée opaque de ma cigarette. J'aurais presque pu sourire si Moha ne m'avait pas soudainement attrapé les épaules.



" Putain, je suis trop content de te voir ! " S'excita-t-il en me secouant comme un prunier. Je lui souris timidement en me dégageant de ses mains. Certaines choses ne changeaient pas. " Qu'est-ce que tu deviens ? Je t'ai envoyé la masse de messages pour avoir des nouvelles, t'as jamais répondu, putain ! " Dieu merci, Deen répondit à ma place.

" Elle a plus de téléphone. " Ricana-t-il et je hochai la tête pour approuver.

" Sérieux ? Comment tu t'es démerdée ? "



Je haussai mes épaules en écrasant ma cigarette dans le cendrier. La vérité était que mon téléphone était en parfait état de marche. Je ne l'utilisai simplement plus. Entre la presse qui me harcelait pour comprendre le soudain retrait de ma famille du monde médiatique, mes parents qui ne cessaient de m'envoyer des messages, ma sœur et Dylan qui m'imploraient de ne pas faire de conneries et les diverses agences de mannequinats qui tentaient de me joindre toutes les heures pour obtenir leur rendez-vous mensuel, je n'avais pas eu d'autre choix que de m'en acheter un autre. D'autant plus que je soupçonnai mon père de suivre la plupart de mes déplacements avec la localisation de mon portable. Or, je refusais catégoriquement qu'il contrecarre mes plans. Je venais à peine de rentrer sur Paris et je tenais à être tranquille – dans la mesure du possible, bien entendu.

Ce fut ce qui me rappela la raison de ma venue à cette soirée : Eff'.

Immédiatement, je le cherchai du regard et le trouvai en train de fumer sur le petit balconnet, seul. Parfait. Le plus discrètement que possible, je me remis debout et époussetai ma robe. Je m'excusai auprès de Deen qui était assis sur mon écharpe et m'enrubannai douillettement dedans une fois récupérée. Je fis un clin d'œil mutin à mon ami lorsqu'il me demanda très sérieusement où j'allais et rejoignis celui asseulé derrière la porte-vitrée. Je la refermai dans mon dos pour étouffer la musique tapageuse et allai m'accouder à ses côtés, un sourire timide aux coins des lèvres lorsqu'il me lorgna de haut en bas. Lui et moi n'avions jamais été particulièrement proches, je pouvais donc comprendre son étonnement.



" Désolée de te déranger. " Peinai-je à articuler après m'être discrètement raclé la gorge. Il fit de grands yeux lorsque ma voix éraillée arriva jusqu'à ses oreilles, ce qui m'agaça un tantinet. Pourquoi Diable étaient-ils tous toujours aussi surpris par la tonalité de ma voix ? " Eh oui, je parle. " Ricanai-je amèrement. Il se départît immédiatement de son air ahuri et cligna follement des cils pour revenir à la raison.

" Excuse-moi, je ne voulais pas être méchant. " Je haussai mes épaules et lui brandis un des trois joints que j'avais méticuleusement cachés dans la poche de ma robe. " Quel superbe moyen d'enterrer la hache de guerre. " Ria-t-il tandis que j'acceptais volontiers le briquet qu'il me tendait. L'embout en papier prit quelques secondes à s'embraser mais libéra rapidement sa toxine. Je laissai l'honneur à Eff' de tirer en premier et fus ravie de sa moue appréciatrice. " Putain, tu me donneras le nom de ton dealos. " S'extasia-t-il. 



Nous restâmes quelques minutes supplémentaires silencieux, tous deux concentrés sur le petit tube cylindrique que nous nous faisions passer. Et si j'avais l'habitude de ses effets secondaires, Eff', lui, semblait y être plus sensibles puisqu'il se mit rapidement à ricaner tout seul. Cela me fit doucement sourire, puis carrément éclater de rire lorsqu'il me parla de ses déboires amoureux avec sa petite-amie. Il ne m'épargna pas les détails crus et ne se formalisa pas de mon mutisme. Au contraire, il le prit comme une invitation à parler. A la fin du deuxième ter, il peinait à articuler, raison pour laquelle je lui refusai l'accès au troisième. Celui-ci, je me le réservais.

J'étais égoïste, pas garce.

Je ne voulais pas qu'il finisse la soirée dans la cuvette des toilettes.



" Alors dis-moi, Maxine Lau-Laurens ... Quel est ton secret ? Comment as-tu fait pour voler le cœur de notre cher Nekfeu national ? " Bégaya-t-il en s'adossant à la rambarde pour mieux m'observer.



Un sourire morne étira mes lèvres lorsque la plaie purulente sur mon organe vital menaça de se rouvrir.

Je ne l'avais pas volé. Je n'étais même pas sûre qu'il me l'ait un jour donné.

Cette possibilité me fit un mal de chien et me fit regretter mon état d'ébriété. Défoncée, je peinais à renier la vérité, à éluder la violente douleur dans ma poitrine. C'était comme entrer la clef dans le fermoir de la boite de Pandore : les pires monstruosités au monde sortaient de ma cage-thoracique pour déflagrer redoutablement dans mes organes-vitaux. Et si je ne laissai rien passer physiquement parlant, intérieurement je crevai un peu plus à chaque seconde. Les griffes de la nostalgie s'enfonçaient dans ma poitrine pour m'arracher la vérité : j'étais minable. Minablement amoureuse d'un type trop bien pour moi. Rien ne servait de se leurrer.

Pauvre meuf, me railla ma conscience lorsque je fermai mes paupières et me penchai dangereusement dans le vide pour savourer les courants d'air bienfaisants de ce mois de décembre. Je respirai profondément par le nez et me retournai vers l'intérieur en m'accoudant à la rambarde. Je ne fus même pas étonnée de croiser le regard de Ken. Mais mon Dieu, il y avait tant de haine dans ce regard que je chérissais tant. Tellement de colère et de mépris pour la misérable personne que j'étais.

Me larguer était de toute manière la meilleure chose qu'il avait faite depuis le jour de notre rencontre. Ken méritait monts et merveilles, pas un boulet à la cheville, un frein dans sa vie.

Un sourire las fit trembler mes lèvres lorsque mon ex-petit-ami détourna le regard vers ses chaussures usées, les deux mains coincées dans sa tignasse beaucoup trop longue.



" J'ai tué une femme et mis son époux dans le coma. " Répondis-je très sérieusement à sa question.


Un instant, il ne pipa plus un mot, la bouche en cœur et le sourcils froncés. La seconde suivante, il éclatait de rire et se frappait le torse avec autant d'énergie qu'un rugbyman professionnel.



" Putain, j'ai flippé ! " S'égosilla-t-il, hilare. " Parfois, t'es vraiment chelou, Laurens ! "

" Si tu savais ... " Chuchotai-je sinistrement. Lorsqu'il fut enfin calmé, je décidai que j'en avais assez : je n'avais rien à faire là. Mon humeur était en train de se dégrader notoirement et mon masque, de s'effriter dangereusement. " Je suis au courant, pour ton cousin. " Marmonnai-je en allumant mon troisième joint. Je guettai du coin de l'œil sa réaction qui ne tarda pas : il se rembrunit presque immédiatement.

" Guillaume ? Ouais, ce connard est en taule. Ça lui apprendra à jouer au con avec les requins. "



En l'occurrence, c'était Guillaume, le requin. Après tout, c'était lui qui avait escroqué une demi-douzaine de millions à la société d'import-export où il bossait. Mais soit.

Il parait que tout dépend du point de vue dans ce monde.



" J'ai besoin de le voir, Eff'. Je le connais bien. " Tellement bien qu'il a été le dernier invité à qui j'avais parlé le jour de mes vingt-et-un ans.

" Tu déconnes ? " Je répondis par la négative. " Pourquoi ? Ce mec est un abruti fini, Maxine, il - "

" Je sais. " M'agaçai-je pour aucune raison valable. " Je n'arrive simplement pas à trouver la prison où il a été incarcéré. " Repris-je plus calmement avant de ne me justifier : " C'était un bon ami de la famille, Eff', vraiment. " Mensonge ! Il était simplement le seul des convives qui n'était plus en mesure de joindre ma famille si toute cette histoire dégénérait. " Je ne te le demanderais pas si ce n'était pas important. "



Quelques semaines au préalable, j'étais descendue jusqu'à Bordeaux pour retrouver l'event-planner chargée de l'organisation de cette soirée cauchemardesque. Pour une raison qui m'échappait totalement – et dont je me fichais ouvertement – l'entreprise avait changé de nom et avait muté dans le sud de la France quelques mois après l'accident. Vous n'imaginez pas la surprise que j'avais eue lorsque, après maintes et maintes vérifications, je m'étais rendue compte que le rappeur sur ma droite et l'homme que je recherchais si désespérément étaient cousins.

Et finalement, ce m'avait semblé logique. La première fois que j'avais rencontré Eff', devant le tour de bus, l'impression de le connaitre m'avait trotté dans le crâne pendant des jours entiers. Et pour cause, après avoir comparé une photo de Guillaume et de lui : ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Je m'étais retrouvée bête et stupéfaite dans ma chambre d'hôtel ... pour ensuite gracieusement remercier le ciel d'avoir fait le monde aussi petit.

Avoir Eff' sous la main m'évitait une confrontation houleuse avec les avocats de ce requin de la finance, de verser des pots-de-vin et, surtout, me faisait faire un gain de temps phénoménal.



" Il est au centre pénitentiaire de Fresnes. " Marmonna-t-il en se frottant vigoureusement la barbe. " Mais je ne t'ai rien dit, ok ? " Je hochais la tête. Bien entendu que je ne dirai rien : le lieu d'incarcération de Guillaume n'était pas un secret inutilement. J'appréciai Eff', je refusais de le mettre lui aussi dans une situation délicate par ma faute.

" Je serai muette comme une tombe. "



Quelques minutes plus tard, j'embrassai silencieusement Deen sur la joue pour le remercier de m'avoir emmenée, et laissai les autres crier tranquillement contre la télévision rediffusant un match de football. Personne ne sembla remarquer mon départ, ce qui, en soit, était une excellente chose. Je pus m'éclipser en toute discrétion sans avoir à me justifier ou à saluer Nek une seconde fois. J'étais à deux doigts de m'effondrer tant j'étais épuisée et n'étais donc pas en mesure de l'affronter, et lui, et toutes les émotions contradictoires qu'il m'inspirait.

Putain, la nuit allait être longue, songeai-je en descendant rapidement les marches. Il était plus de deux heures trente du matin et les métros ne passaient plus depuis longtemps. Comble du bonheur, je n'avais ni liquidité, ni carte bancaire sur moi et encore moins mon téléphone que j'avais laissé à mon hôtel. Grâce au ciel, il s'était au moins arrêté de pleuvoir. Une fois dans le hall d'entrée, je palpai instinctivement ma besace pour vérifier que mon appareil photo était toujours présent et décidai que cette balade nocturne serait un bon moyen de m'adonner à l'unique moyen que j'avais en réserve pour m'exprimer autrement que par des mots.



" Max, attends ! "



Bien sûr. Il fallait qu'il vienne me faire chier : c'était plus fort que lui.  Je roulai des yeux et n'écoutai pas son ordre. Qu'ils aillent se faire foutre, lui et tout le dégout que je lui inspirais. J'étais trop instable émotionnellement parlant pour me coltiner un second discours sur ô combien j'étais nocive pour lui et le monde entier.

Je passai donc le seuil de la porte d'entrée et m'engouffrai dans la brume parisienne en croisant mes bras sous ma poitrine rachitique. Mais alors que je m'apprêtai à remonter mon écharpe sur mon nez, cet idiot fini m'attrapa par le bras et vint se poster sur mon chemin. Je m'arrêtai aussitôt, brûlée par son touché, et attendis impatiemment qu'il me relâche. Chose qu'il fit peu de temps après que j'ai planté mon regard dans les sien d'une intensité troublante.

Et tels deux idiots, nous restâmes ainsi une éternité, perdu dans l'infinité de nos yeux respectifs. Ken semblait épuisé lui-aussi. Deux auréoles noirs barraient son visage masculin et ses joues me semblaient plus creuses qu'à l'habitude. Sa teinture blonde ne ressemblait plus à rien et laissait voir la racine de ses cheveux sombres. Il avait perdu cette flamme, cette lueur taquine et charismatique qui faisait de lui ce qu'il était.

En réalité, l'homme que j'avais en face de moi n'avait plus rien à voir avec celui que j'avais quitté dans son appartement, vingt-deux jours au préalable. C'était Ken que je voyais, pas le Fennec, Nek ou Nekfeu : juste Ken. Sans artifice ou faux sourire. Simplement l'homme qui avait un jour été grignoté jusqu'aux os par la culpabilité ; l'homme qui avait perdu son premier amour. L'homme que je haïrai jusqu'à la tombe pour tellement, bon sang, tellement de motifs, que je n'étais même plus capable de les énumérer. Le même homme que j'aimerai inconditionnellement pour autant de bonnes raisons.

Sans crier gare, la boite de Pandore se rouvrit une seconde fois dans ma poitrine, répandant son fléau dans mon sang corrompu par la toxine de mes joints. Toutes les plaies laissées par nos engueulades se rouvrirent simultanément, déversant à leur tour leur poison insidieux. La virulence de mes sentiments à son égard ne tarda pas à m'attraper à la gorge elle-aussi et me fit effrontément relever le menton.

Ken me manquait. Littéralement. Le trou abyssal qu'il occupait normalement était vide de lui, de son rire, de ses sourires libidineux, de ses cris et reproches, de ses soupirs et caresses endiablées. J'avais perdu l'unique chose me raccrochant à mon existence. Je l'avais égarée et la voilà en face de moi, si près et si loin à la fois.

C'était à peine supportable. Mon cœur saignait et pleurait en chœur avec mon âme bousillée par toutes les horreurs que j'avais un jour faites.

Ken n'avait jamais été à moi. 

J'avais toujours été à lui.

Une bien sordide façon que la Karma avait trouvée pour me punir de ma vie gâchée.



" Max, je ... " Souffla-t-il et la tristesse dans sa voix me fit discrètement sourire.



Anéantie jusqu'au tréfonds de mon esprit, je décidai qu'il était temps de partir. Je ne pleurerai pas une nouvelle fois devant l'homme que j'aimais encore si pathologiquement : je ne serai pas la gentille fille qui lui faudrait.

Je détournai le regard la première et reniflai discrètement en regardant les voitures passées dans son dos.

La vie continuait.

Sans nous, mais elle continuait.

Je réajustai machinalement ma besace sur mon épaule et me laissai aller à ma folle envie de sentir sa peau tiède contre la mienne. Au moins une ultime fois. Il se pétrifia jusqu'à la moelle lorsque ma petite main glissa sur sa joue barbue, mais ne réagit pas lorsque je posai mes lèvres à la commissure des siennes. La douleur sous mon sein aurait presque pu me faire sangloter : c'était trop bon, trop rassurant pour que ça se termine un jour. Je voulais une éternité à ses côtés, ainsi suspendue à ses lèvres. Je désirai plus que tout au monde que le temps s'arrête ... Mais personne n'entendit mes prières. Je me contentai donc de fermer mes paupières pour savourer son parfum et finis par me reculer à contre cœur, le cœur en miettes.



" Toi et moi savons que certains silences sont préférables aux mots. " Lui murmurai-je à l'oreille.



Nous nous observâmes silencieusement une seconde. Une maigre petite seconde où toutes les émotions du monde passèrent dans ses iris et déteignirent sur les miens. Il ne bougea cependant pas lorsque je repris ma route. Il ne m'arrêta pas quand je m'engouffrai dans les profondeurs de la nuit. Jamais.

Et jamais je ne plaignis autant la tournure déplorable qu'avait pris ma vie.



***



Je ne pensais pas le moins du monde que rendre visite à un détenu nécessitait autant de formalités. J'avais dû fournir une photocopie de mon passeport, deux photos d'identité récentes ainsi qu'une lettre manuscrite stipulant les raisons de ma venue puisque je ne partageais aucun lien de parenté avec Guillaume ... J'avais bien entendu menti comme un arracheur de dents. J'avais appris par la même occasion que j'allais devoir attendre une petite semaine supplémentaire pour recevoir mon permis de visite. Quatre, interminables, journées où l'impatience m'avait rongé les nerfs. J'avais tourné en rond dans ma chambre d'hôtel pendant des heures entières pour m'empêcher de trop penser à la précarité de ma situation actuelle et avais même rallumé mon ancien téléphone pour m'occuper l'esprit.

Trois cent trente-et-un appels manqués, trois cent quatre-vingt-douze messages, cent vingt-deux messages vocaux. Aucun ne m'avait préoccupée outre mesure, si ce n'est trois.

Le plus vieux provenait de ma sœur ainée :

« Je t'en prie, Maxine, il faut que tu comprennes que je n'avais pas le choix. »

Le second, lui, avait été envoyé par Dylan, deux jours avant mon retour sur Paris :

« Si tu réponds pas à ce message je vais rendre visite à ta Barbie »

Et enfin, le troisième et pas des moindres puisqu'il datait de cette merveilleuse et incroyable soirée où j'avais définitivement perdu le peu de lucidité qu'il me restait :

« Il faut qu'on parle, c'est urgent

–Ken (au cas où tu aurais eu la brillante idée de suppr mon num) »

Je n'avais pas répondu. Par lâcheté, peut-être. Ou parce que j'étais à deux doigts de tout abandonner ? Je ne savais pas vraiment. Ce que je savais cependant, c'était que tout se comptait en heures désormais. Le tic-tac infernal des horloges résonnait dans mon crâne comme un foutu compte à rebours.

Tic.

C'est la bonne décision.

Tac.

Je saute de le vide.

Tic.

J'ai besoin de Ken.

Tac.

Je n'ai plus Ken.

Tic.

C'est la bonne décision.



" Mademoiselle Laurens ? "



Je décrochai mon regard de la pendule vissée au mur et dus battre furieusement des cils pour chasser les souvenirs insoutenables qu'envoyait ma mémoire à la frontière de ma conscience. Une femme en uniforme militaire était postée devant moi, un sourire bienveillant sur le visage. Elle était belle, du haut de sa trentaine d'années. Ses cheveux châtains étaient attachés dans un chignon serré et faisaient ressortir la jolie tinte cuivrée de ses iris. Pas de ridules ou de cernes proéminents, juste de discrètes pattes d'oies au coin externe de ses yeux gorgés de vitalité. Ceci étant dit, son léger hale les cachait à la perfection. Je remarquai aussi la bague en or blanc qui ornait son annulaire gauche ; elle semblait aussi neuve qu'à la sortie du magasin. 

Elle venait de sa marier.

Y penser me permit de lui rendre son sourire sans trop de difficultés.



" Si vous voulez bien me suivre. "



Je hochai fébrilement la tête et me relevai de ma petite chaise en plastique inconfortable. Je poussai un soupir tremblotant en zyeutant sur les deux enfants en bas-âge qui jouaient au fond de la salle d'attente, puis suivis cette surveillante pénitentiaire dans les différents couloirs étroits que nous empruntions.

Tic.

Je stresse.

Tac.

J'étouffe.

Tic.

Ce n'est pas normal.

Nos pas rapides dictaient le tempo de mes respirations. La pression sous ma peau ne cessait d'accroitre dangereusement. Je paniquais. Peinais à suivre le cours de mes propres pensées. Respire. Inspire. La panique était en train de gorger mes muscles, de galvaniser mes cellules et d'électriser mes nerfs. Un frisson d'enfer remonta jusqu'à la racine de mes cheveux. Un mètre supplémentaire. J'étouffais. Deux mètres supplémentaires. Un gardien nous arrêta et me demanda sans formalité de lui donner la plupart de mes affaires. Besace, téléphone, argent, cigarettes, ceinture ... Je me départis de mes biens, à peine consciente de ce que je faisais.



" Ecartez les bras. "



Je m'exécutai sans trop savoir ce qui se passait autour de moi. Le tic-tac démoniaque des horloges m'assourdissait, m'assommait. Je ne réagis pas non plus lorsque des mains étrangères vinrent me palper le corps et le cuir chevelu, les yeux perdus dans le vague. Elles glissèrent entre mes cuisses, dérivèrent vers mes mollets pour remonter sur mes fesses et mon ventre. Elles tâtèrent rondement mes bras et finirent pas se reculer de mon corps fébrile. J'eus un pitoyable hoquet de surprise lorsque la voix rauque – trop rauque pour ne pas cacher un problème de cordes vocales – de l'homme résonna dans mes pensées chaotiques.



" Passez sous le portique, je vous prie. " Je le fis mécaniquement et fus rejointe par la jeune mariée et le second surveillant. " Bien, tout est bon. Passons aux consignes de sécurité. "



Je les connaissais déjà. Le surveillant qui m'avait accueillie, quatre jours plus tôt, avait d'ores et déjà pris le temps de me briefer. Je n'avais retenue qu'une seule chose : les murs avaient des oreilles. Toutefois, je hochai la tête pour montrer que j'écoutais plus ou moins puis suivis la trentenaire jusqu'à une grande pièce peinte en blanc. Elle me guida jusqu'à une table collée à un mur en crépis puis me demanda de m'asseoir sur la chaise en acier vissée au sol bétonné. J'accomplis sa requête, égarée entre mon besoin fou de sortir prendre l'air et celui de faire marche arrière. De fuir, en d'autres termes.

Tic.

Plus que quelques minutes ...

Tac.

Et je saurai tout.



" (...) Je reviendrai vous chercher quand l'heure sera écoulée. Vous serez filmés et le surveillant se garde le droit de mettre fin à la visite. Les propos tenus au sein du parloir peuvent devenir des éléments à charges dans un procès. Selon l'article 57-8-15 du code de procédure pénal, vous êtes tenue de vous exprimer en français. Le surveillant sera ... "



Je n'écoutais déjà plus sa récitation. Je connaissais la procédure : mon avocat m'en avait parlée lorsque je lui avais rendu visite quelques jours plus tôt. Et lorsqu'elle eut enfin fini, je ne fus même pas capable de la remercier : j'étais glacée jusqu'aux os. Mon dos était collé au fond de mon siège, mes jambes collées l'une à l'autre sous la table. Je luttais d'arrache pieds avec les frissons qui grimpaient tel des serpents sur mon épine dorsale, retenais mon souffle pour ne pas laisser échapper les soupirs d'appréhension que je retenais en otage dans ma gorge.

Et j'attendis, longtemps, simple spectatrice des crises de larmes et hurlements hystériques de certains des détenus sur ma gauche.

Puis il arriva dans la pièce, encadré par deux surveillants en uniforme. Il fut escorté jusqu'à notre table et s'assit avec la grâce typique des hommes d'affaires. Il avait ce sourire, ce sourire que je retrouvais chez mon géniteur lorsqu'il savait avoir le dessus sur l'un de ses collaborateurs. Il avait aussi la même lueur prédatrice que ma génitrice : celle qu'on voyait dans les yeux des fauves de cirque. Ces bêtes en cage qui avaient la possibilité de nous arracher un organe en un coup de griffes ... Et sur qui tout le spectacle reposait.



" L'énigmatique Maxine Laurens. " Roucoula-t-il langoureusement en s'accoudant à la table. " Quel plaisir de te voir, ma belle ... " Je déglutis, ravalant la bile âpre qui inondait ma langue. Nous étions trop près. J'étais trop près. Trop près de la vérité pour reculer.

" Guillaume. " Le saluai-je.



Tic.

Ken ?

Tac.

J'ai peur.














😱😱😱😱😱😱😱😱😱😱😱

Vous avez aimé ? Perso' j'ai adoré haha ! On marque un grand tournant et on part sur la dernière ligne droite avant la fin du T1 😱😱

Nek & Max, vous en pensez quoi ?

Guillaume ? Est-il vraiment la clef de toute cette histoire ?😱

Quelles sont vos théories ? 😱😱

Prochain chapitre samedi soir les amours !

Je vous aime ❤️

- Clem

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