• Plume n°31 •
Ne tuez pas Max
Bonne lecture 😘
Rose
➰
" Rose, est-ce que tu peux respirer, s'il te plait ? " Soupira blasement le blond derrière le volant et je m'outrai en claquant mes mains sur mes cuisses :
" Je respire, bon sang ! T'es enquiquinant avec ça, à la fin ! "
" Nan, t'es crispée, tu transpires et t'es plus blanche qu'un cul. Et tout ça, là, ça me stresse. Donc pour l'amour de Dieu, Rosie : respire ! "
S'arrêtant à cause d'un feu rouge, il profita du moment pour me regarder longuement, plongeant ses iris bleues que je chérissais tant dans les miennes. Il y avait tant de bonnes ondes dans ce regard, tant d'affection à certains moments, que je pouvais presque ressentir mon cœur fondre sous son intensité. Je ne méritais pas tout cet attachement ; c'était incontestable, mais je ne pouvais nier le bien fou que cet homme me faisait. Pareillement à une dose de morphine injectée tout droit dans les veines, Antoine était une dope addictive dont je ne parvenais plus à me défaire.
" C'est moi qui devrais paniquer en ce moment, princesse, pas toi. " Rajouta-t-il après avoir replacé délicatement l'une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille et avoir remis la voiture en marche. Et tandis que nous nous engagions dans une rue adjacente, je soupirai :
" Tu as raison, excuse-moi. Il m'arrive d'être ... égoïste. " Admis-je lorsque ses grands doigts s'entremêlèrent affectueusement aux miens et vinrent se poser sur ma cuisse.
" Un chouïa. Mais je t'aime quand même. "
Il m'adressa un sourire taquin auquel je répondis par un roulement d'yeux déridé. Il était assez impressionnant de constater nos différences : non seulement nos deux classes sociales étaient à l'opposé, mais en plus, nos personnalités étaient aux antipodes l'une de l'autre. Lui, d'un calme lénifiant, portait sur son visage imparfait les marques de sa sagesse. Moi, pauvre et misérable estropiée de la vie, trainais à mes pieds le poids de mon passé. Lui, flegmatique et imperturbable, faisait preuve d'un recul et d'un contrôle sur ses émotions impressionnant. Moi, lamentable chose fragile et mensongère, n'abhorrais qu'un masque que ma famille m'avait appris à porter dès le plus jeune âge.
Et pourtant, dans nos dissimilitudes, nous semblions avoir trouvé un équilibre. Précaire, fragile, fugace, certes, mais étonnamment bénéfique. Il m'apaisait, me tempérait, un peu plus à chaque seconde qui passait à ses côtés. Le temps s'éternisait quand il était là, et ça, jamais Georges n'était parvenu à me l'apporter, cette dose de quiétude spectaculairement bienfaisante. Antoine regorgeait d'humanité, d'amour et de patience : des choses dont, nous, famille Laurens au grand complet, manquions cruellement.
" À quoi tu penses ? " Il me susurra après avoir embrassé chacune de mes phalanges.
" À ma petite sœur. " Je le sentis se crisper, mais j'ignorai : " Je n'ai plus de nouvelles depuis plus d'une dizaine de jours. Depuis ... Depuis les attentats, finalement. " Soufflai-je, un étrange sentiment de mal-être dans le fond de mes pensées. Déjà dix jours s'étaient écoulés depuis cette nuit d'horreur, et jamais Max n'avait pensé à me contacter. Jamais. Et même si j'avais l'habitude de la voir disparaitre, cette fois c'était différent. Tout était différent depuis quelques mois de toute façon. " Tu penses qu'elle a mal pris d'avoir été virée si abjectement, elle-aussi ? "
Antoine relâcha doucement ma main et changea de vitesse, esquivant mon regard qui le scrutait de part en part. Il semblait réfléchir, peut-être analysait-il les diverses possibilités de réponses qui s'offraient à lui ? Car je n'étais ni sotte, ni ignorante : il savait pertinemment où était ma petite sœur et ce, depuis longtemps. Si j'avais bien appris une chose en fréquentant ces rappeurs, ce collectif, c'était qu'entre eux, tout finissait par ce savoir. Les moindres faits et gestes de l'un étaient répétés à l'autres, qui lui-même les communiquait au restant du groupe. Une solidarité fraternelle les reliait, et quelque part, je jalousais cet amour débordant.
Ma sœur et moi-même n'avions jamais entretenu de bonnes relations, depuis petites, nous nous méprisions et ce dédain s'était accroit de manière exponentielle avec les années. Jusqu'à ce que je décide de tout délaisser pour elle. Là, nos relations s'étaient améliorées, pour finalement se détériorer. Encore. Peut-être même étions-nous en train de vivre notre pire querelle, celle qui marquerait définitivement la fin de notre binôme mondialement réputé dans l'univers de l'art.
" Elle ne l'a pas mal pris. En fait, c'est moi qui lui ais appris que Nek t'avait virée, et donc elle-aussi par la même occasion. Elle a même étonnamment bien réagi. Enfin, elle m'a souri quoi. Mais tu connais ta sœur mieux que moi : dans son jargon de muette, une sourire ça veut dire : « Ok, je m'en branle. » ou « Ok, c'est cool. » ou mieux : « Ok, je vais vous démonter, un par un, lentement, et vous allez souffrir. » "
Je soupirai, désillusionnée. Il avait malheureusement raison, les sourires de ma sœur pouvaient signifier tant et si peu de choses à la fois, que fatalement, nous finissions par en avoir nos propres interprétations. Antoine me lança une œillade attristée avant de ne débuter son créneau au pied de l'immeuble de mes parents. Nous nous tûmes une petite minute où tout ce que je fis fut contempler la grande et majestueuse porte d'entrée en bois et fer forgé. Mais mes yeux finirent par vaquer dans le néant, perdus dans un monde où ma sœur et moi serions capables de communiquer autrement qu'avec des cris, des mensonges, des silences et des menaces. À croire que nous ne serions jamais capables de nous exprimer différemment. C'était à la fois triste et affligeant, douloureux et habituel : un souffrance sourde et familière.
" Écoute ... " Mollement, je roulai ma tête dans sa direction et l'observai enclencher le frein à main avant de ne couper le contact. " Je l'ai vue, il y a quatre ou cinq jours. Elle squatte chez Deen en ce moment, et même si elle ne revient que pour la nuit la plupart du temps, ne te fais pas de soucis pour elle. Ta sœur est une débrouillarde, laisse-la gérer ses affaires, tu veux ? Vous avez passé deux ans collées l'une à l'autre, Rose, je pense qu'il est temps de prendre un peu de recul. " Je fermai mes paupières quand la pulpeuse rugueuse de ses doigts vint à l'encontre de ma joue. Doucement, il me cajola, sûrement parce qu'il savait que cette situation désastreuse me faisait souffrir bien plus que je ne l'admettrais jamais. " Et puis de toute manière, c'est bientôt son anniversaire, non ? On la reverra à ce moment-là. "
Je soupirai à sa veine tentative de réconfort : anniversaire ou non, depuis bientôt trois ans, ma sœur refusait catégoriquement qu'une fête en son honneur soit faite. Cette année ne sera certainement pas l'exception à la règle.
" Si tu le dis. " Mentis-je. " Mais Deen ne t'a pas dit ce qu'elle ... trafiquait ? Elle a laissé son appareil photo à l'appartement et comme j'ai récemment dû annuler tous ses rendez-vous pro', ça m'étonnerait que cela soit en rapport avec le travail - "
" Rose ... " M'interrompit-il, possiblement saoulé que je la bassine avec ma sœur. " Maxine est une grande fille, et tu n'es pas sa mère : tu es sa sœur. Alors, laisse-la vivre. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans vos vies pour que tu te sentes aussi redevable envers elle, mais pour une fois dans ta vie, pense à toi, à moi, à nous, comme tu veux ... Mais laisse-la. "
Je fermai mes paupières et m'avouai vaincue. Pour cette fois. Je n'avais de toute manière plus la volonté, ni la force, ni la conviction de parler de ma cadette. Après tout, Antoine avait raison, non ? J'avais le droit de me préoccuper de moi, n'est-ce pas ? Non, me souffla une toute petite voix dans l'arrière de mes pensées, réanimant le feu brûlant de ma culpabilité à grands coups de regrets. Le gout âcre du dépit se répandit désagréablement sur mon palais. Je grimaçai de dégout et me décidai à sortir de la voiture de toute urgence, consciente du regard affligé de mon petit-ami sur mon profil. Il était déjà trop impliqué dans les histoires des Laurens, il fallait qu'il s'en éloigne au plus vite.
Je claquai ma portière et restai figée devant cette porte d'entrée luxueuse. Cet appartement représentait mon enfance, mon adolescence. Il maintenait jalousement en son sein tant de mes souvenirs, que savoir qu'Antoine n'allait pas tarder à le pénétrer me fit frissonner. Sans parler de sa « rencontre officielle » avec mes parents qui ne se doutaient pas une seule seconde que l'homme merveilleux que je leur avais dépeint au téléphone, était en fait un rappeur de pacotille. Ils s'attendaient très certainement à découvrir le sosie de Georges. Peut-être même Georges lui-même, tiens ! En tout cas, au moins quelqu'un comme un riche hériter, un chef d'entreprise, ou encore un militaire médaillé pour sa bravoure au combat ... Mais non, définitivement pas un rappeur.
Sentant mon sang se glacer, je croisai mes bras sous ma poitrine et souris difficilement à Antoine qui vint me rejoindre devant le porche de la porte. Sa main, habile et câline, se faufila sous mon manteau en fourrure avant de ne fermement me saisir la hanche. Surprise et perchée à presque douze centimètres de hauteur, je ne pus qu'osciller dans ses bras. Mon premier réflexe fut de le foudroyer du regard mais je me ravisai : pourquoi assassiner le seul homme capable de me contempler avec tant d'amour dans les yeux ?
" Pourquoi tu me regardes comme ça ? " Murmurai-je faiblement en plaçant mes deux bras autour de sa nuque et un soupir inaudible franchit mes lèvres quand il embrassa prudemment mon front.
" Ça vaut ce que ça vaut, Rose, mais je suis là maintenant. Alors cesse de vouloir porter le poids du monde toute seule ; je t'aiderai. "
Mes lèvres tremblèrent, rendues grelottantes à cause d'un sanglot ravalé. Mais ne voulant pas qu'il me voit pleurer, je m'enfouis contre son torse et inhalai son parfum à plein nez. Entendre ces mots - peu importait qu'il me les dise en permanence, soulageait mon âme d'une charge considérable. Car à l'inverse de ma petite sœur, je n'aimais pas la solitude. Au contraire, elle me terrifiait, me liquéfiait dès qu'elle me faisait face, dès que je devais l'affronter. J'étais quelqu'un de fondamentalement sociable, qui aimait rire et user de ses charmes pour duper la belle société. Je ne possédais ni la force de caractère de ma sœur, ni le dédain profond de ma mère envers les émotions : j'étais Rose Laurens, sombre âme en peine rattachée à son passé par d'interminables chaines en acier inoxydable.
" Merci. " Susurrai-je, les yeux clos pour me permettre d'emmagasiner suffisamment d'énergie pour cette longue, mon Dieu, très longue soirée en prévision. " Et pardonne-moi d'avance si mes parents se montrent désagréables envers toi, s'il te plait. "
" Crois-moi, ils fermeront leur grande gueule quand – " Brusquement, je m'extirpai de mon petit nid douillet qu'était son pull en laine – que je lui avais d'ailleurs acheté pour l'occasion ... Sans commentaire - et haussai un sourcil pour le dissuader de continuer sa phrase. Certes, mes géniteurs n'étaient pas exemplaires dans certains domaines, mais tout de même. Il roula des yeux avant de marmonner dans sa barbe : " Je serai sage, aussi sage qu'une image. "
Je le remerciai d'un baiser rapide sur ses lèvres et inspirai profondément avant de ne presser la sonnette. Ma main dans celle de mon petit-ami, je n'eus aucun scrupule à lui broyer les phalanges quand la porte se déverrouilla sous nos nez. Nous nous lançâmes un regard entendu avant qu'il ne me désigne d'un geste vague de la main l'ascenseur en face de nous. Là encore, nous dûmes attendre dans un silence angoissant que la machine daigne arriver. Notre mutisme à tous les deux traduisait notre angoisse progressive et quand enfin les portes de l'élévateur s'ouvrirent sous nos yeux, mon cœur menaça de fuir à grandes enjambées : non seulement je craignais comme la peste la présentation d'Antoine à mes chers parents – groupies invétérées de mon ex-fiancé, Georges lui-même, mais en plus le mauvais pressentiment qui me tourmentait depuis ce matin se déployait considérablement dans mes songes.
Je ne saurais mettre le doigt sur la source originelle de cette mauvaise, très mauvaise, prémonition, mais chacune de mes cellules m'hurlaient dessus pour que je décampe d'ici le plus rapidement. Je fus même tentée par l'idée ...
" Écoute, Antoine, on peut encore faire demi-tour, on - "
" Pour l'amour de Dieu, Rosie, tais-toi et ramène ton cul dans cet ascenseur ! " Soupira-t-il en me tirant vivement par le poignet. " Je déteste ces merdes en plus. "
" Tu es obligé de placer autant de grossièretés dans une phrase ? " Ruminai-je après que les portes se soient refermées. J'appuyai sur le second étage et attendis impatiemment une réponse qui ne vint pas. La fierté de lui avoir cloué le bec eut au moins le mérite de m'arracher un sourire conquérant. C'était toujours aussi délectable. " C'est bien ce que je me disais. " Ricanais-je.
" Ok, on va faire un pacte. " Intervint-il soudainement en se postant devant moi : " Je promets de me tenir à carreaux ce soir si tu me jures en contrepartie d'enfin venir manger un grec avec moi. "
" Hors de question ! " Me révoltai-je dans la seconde. " On n'a aucune idée d'où provient la viande ! De plus, j'ai vu un documentaire l'autre soir qui expliquait très explicitement que les produits là-bas étaient infestés de microbes ! " Mon Dieu, rien que d'y songer, je pouvais sentir une nausée me retourner les entrailles.
" Très bien, alors je ne ferai aucun effort. " Rétorqua-t-il gaminement en croisant ses bras sur sa poitrine. Outrée, j'ouvris ma bouche pour lui faire part de mon opinion sur son comportement puéril, mais la refermai dans la seconde : en toute honnêteté, je ne savais même pas quoi dire.
" Tu te fiches de moi là, Antoine ? "
" Absolument pas : les bourges qui te servent de parents sont les derniers de mes soucis, alors je me contrefous qu'ils me haïssent. "
" Mais je ne veux pas manger ces ... choses répugnantes ! Tu ne peux pas me forcer ! "
" Si, je le peux. " Et en plus, il se permettait d'être hautain ! C'est l'hôpital qui se fout de la charité ! " Je suis persuadé que tes parents apprécieraient que je leur explique en détails comment je t'ai dévergondée l'autre soir, dans la cuisine. Comment tu as réveillé les voisins et leurs enfants en criant que je baisais comme un – "
" Chut ! " L'interrompis-je en étalant ma main sur ses lèvres en mouvement. J'étais rouge de honte à la simple évocation de ce souvenir, je n'ose imaginer comment seraient mes parents.
" Je suis persuadé qu'ils aimeront savoir que leur petit bébé s'envoie en l'air tous les soirs ... " Marmonna-t-il contre ma paume et je le mitraillai du regard lorsque ses yeux trahirent son hilarité. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent dans notre dos au même moment et je finis par enlever ma main de sa bouche. Son sourire resplendissant embauma mon cœur, mais j'occultai ce détail : il m'avait expressément mise dans l'embarras.
" Très bien, tu as gagné. " Crachais-je à contre cœur.
Ses lèvres s'étirèrent de plus belle vers ses oreilles et lorsqu'il tenta de me voler un baiser, je l'éloignai sans scrupule. Je lui donnai dos tout en dégageant mes cheveux de mon épaule et avançai dignement dans le couloir. J'étais couverte d'angoisse et désormais, de honte ; l'embrasser était la dernière de mes volontés. Je l'entendis d'ailleurs glousser bêtement en marchant sur mes pas et quand nous fûmes face à la porte de l'appartement de mes parents, il sonna à ma place. Je l'assassinai mentalement, lui rapprochant de m'avoir volé mes ultimes secondes de répit.
Mais si précédemment je me pensais stressée, ce ne fut rien comparé à la vague d'appréhension qui se déversa dans mes artères quand des bruits de pas se firent entendre de l'autre côté de la porte. Instinctivement, je m'accrochai à la main d'Antoine qui répondit à mon angoisse en la pressant délicatement. Je lui jetai un coup d'œil et pinçai mes lèvres quand je le vis incroyablement serein. Il se tenait droit, sa seconde main était enfoncée dans sa poche – j'eus à ce sujet envie de le pincer pour qu'il l'enlève, et il eut même le culot de bailler. Incroyable.
" Je suis d'accord, mais uniquement si c'est moi qui choisi le restaurant alors. " Chuchotai-je pour attirer son attention et cela ne manqua pas puisqu'il arqua un sourcil dans ma direction. " Ce n'est pas discutable. Je ne veux pas mourir empoisonnée. "
" Mon Dieu que t'es chiante. " Marmonna-t-il et à l'instant où je voulus répliquer, la porte s'ouvrit en grand en face de nous.
Lorsque je tombai sur le regard austère de ma mère, un frisson désagréable le long de ma colonne vertébrale me fit arracher ma main à celle de mon petit-ami qui ne cillait pas d'un centimètre. Ma génitrice et lui se dévisageaient, et même si Hélène Laurens ne laissait rien voir de sa surprise, je devinai à la façon qu'avaient ses mâchoires de se crisper, qu'elle était loin d'être enchantée. A des années lumières même. Elle et lui s'étaient déjà croisés à l'une des expositions de Maxine, donc ce n'était pas une découverte pure et dure : néanmoins, je doute qu'elle se soit doutée à cette époque que cet homme était mon petit-ami.
" Enchanté de vous revoir, madame Laurens. " Finit par articuler Antoine, brisant ce silence inconfortable. Un sourire – hypocrite – étira ses lippes lorsqu'il tendit courtoisement sa main à ma mère qui la saisit après une seconde d'hésitation.
" Rappelez-moi, quel est votre nom, jeune-homme ? " Mâchonna-t-elle en lorgnant dédaigneusement sa tenue – Dieu merci, je lui avais acheté ce pull ...
" Je doute que vous vouliez m'appeler Fonky Flav. " Ricana-t-il, ce qui me fit doucement sourire. " Alors ce sera juste Antoine. "
" Antoine, hein ? " Répéta-t-elle sournoisement avant de ne reprendre ses doigts. " Eh bien, rentrez, je vous en prie, Antoine. " Mon petit-ami ne se fit pas prier et je me retrouvai ainsi seule devant ma mère. Elle lança un coup d'œil furtif vers mon père qui accueillait Antoine et releva soudainement son index entre son visage et le mien avant de ne se rapprocher considérablement de moi : " J'espère que c'est une blague, Rose. Je l'espère réellement pour toi, jeune fille. "
Je baissai mes yeux au sol quand elle me foudroya du regard et ne les relevai que lorsque je l'entendis s'éloigner en direction de la cuisine, me laissant ainsi seule, pantelante, déçue et stupidement obéissante. J'étais terriblement ridicule, mais aussi excessivement dépitée. J'aimais ma mère, inconditionnellement. Je la respectais aussi, beaucoup. Pour son contrôle perpétuel sur ses émotions mais aussi pour son masque incassable.
Mais je la détestais aussi pour ces mêmes raisons. Tellement. Hélène Laurens m'avait inculqué ses valeurs et ses principes, m'avait confectionnée à son image pour que je prenne la relève. Et jamais, jamais il y a encore quelques mois, j'aurais un jour pensé que je la décevrais. Son jugement m'était primordial, essentiel pour mon accomplissement personnel. Elle était mon model après tout.
Alors pourquoi cette soudaine haine dans le fond de ma poitrine ? Cette virulente et fortuite rage envers elle, ma génitrice ? Antoine m'aidait à me rebâtir, pourquoi ne le voyait-elle pas ? N'était-ce pas flagrant ? Que je n'étais rien d'autre qu'une femme de vingt-huit ans aimant un homme qui l'aidait, envers et contre tous, à avancer dans sa vie ?
Comprends-la ... Me souffla ma raison. Elle ne te comprendra jamais. Me crachèrent mes sentiments. Mais alors pourquoi moi devrais-je la comprendre, elle ? Faisait-elle des efforts pour me cerner, elle ? Non. Je lançai un regard à mon paternel qui discutait avec Antoine et remarquai dans la seconde son sourire condescendant. Il le méprisait, mais il le méprisait avec humour et cynisme ; une spécialité de mon procréateur qui ne savait pas comment se conduire face à l'inconnu. Ma colère premièrement destinée à ma mère, se dirigea alors sur lui-aussi tandis qu'un rictus déformait mon visage. Antoine était bon, humain, bien plus humain que nous ne l'étions à nous trois. Pourquoi ne le voyaient-ils pas ?
" Mademoiselle Rose, voulez-vous que je vous débarrasse de votre manteau ? " Je sursautai bêtement quand Madeleine, la domestique de mes parents, apparut sous mes yeux, les mains tendues vers mes épaules. J'eus du mal à assimiler ses mots, d'abord surprise de la retrouver ici alors qu'elle était supposée être à la retraite depuis plus de deux ans, mais finis par acquiescer.
" Merci, Madeleine. " Lui souris-je timidement après qu'elle ait récupéré mon vêtement.
" De rien, mademoiselle Rose. "
Son petit corps s'engagea dans le couloir menant au dressing et je ne pus me détacher de sa petite silhouette trapue. Cela faisait plus de deux années que je ne l'avais pas vue ; pourquoi était-elle encore là, elle qui souffrait de problèmes de dos monstrueux depuis toujours ? J'eus du mal à déglutir, mais finis par marcher en direction du salon quand elle disparut dans l'ombre du corridor. J'en toucherai un mot à mon père, me promis-je intérieurement. Rapidement, je retrouvai mon petit-ami assis dans le fond de notre canapé. Mes parents lui faisaient face, tous les deux aussi stoïques que des statuts de cire dans leur siège, examinant les moindres recoins de mon ami qui leur souriait perfidement.
Un duel d'hypocrites, voilà ce que c'était.
" Veux-tu une coupe de champagne avant de ne passer à table, Rose ? " Me réclama mon père et je fis un discret non de la tête. Je présume que le bonjour courtois et raffiné passe à la trappe dans ce cas de figure ... " Bien, dans ce cas, passons à table. "
Il lança un sourire ingénu à sa femme et la guida courtoisement jusqu'à la grande table qui avait été préparée avec soins. Je les laissais volontairement passer sous mes yeux et eus envie de tendre ma main à Antoine qui les lorgnait agressivement, profitant qu'ils aient le dos tournés pour faire pour les insulter mentalement. Je souris niaisement ; il avait tenu sa promesse. Là encore une différence avec mon ex-fiancé qui me poussa à céder à mon envie. Délicatement, j'entremêlai mes doigts aux siens, ce qui le fit braquer son regard ombrageux dans le mien. Il était étonnant de le voir énervé, lui qui était maitre de la quiétude et du contrôle de soi. Mais le plus étonnant fut de remarquer comme son visage se détendit quand il me vit. Mon cœur se gorgea d'amour et mes lèvres bouillonnèrent de désir : je voulais l'embrasser, passionnément, follement, le prendre par la main et le trainer loin de mon monde.
Le sien me convenait mieux ces derniers temps.
" Tu es génial. " Lui soufflai-je à la place, avant de ne lui adresser un sourire bienveillant.
" Il parait, ouais. " Marmonna-t-il, bougon, ce qui me fit glousser. " J'te jure, ça ne fait pas une minute qu'on est là et j'en ai déjà ras le cul de leur pseudo politesse. " Il continua en plaçant discrètement une main dans le creux de mes reins. Il me poussa gentiment vers la table et je lui susurrai avant de nous asseoir :
" Tu peux parler. Je ne t'ai jamais vu aussi hypocrite. "
" Que veux-tu, je suis un homme avec plein de facettes. " Il me répondit, plein de malices, et je lui tapais gentiment l'avant-bras avec mon poing.
" Rose, enfin ! " S'insurgea immédiatement ma mère, mécontente de mon manque de délicatesse. " Qu'est-ce que c'était ça ? " Me réprimanda-t-elle, des éclairs dans les yeux. Effrontément – peut-être même pour la première fois de ma vie, je lui rendis son regard assassin. Je la provoquais, ouvertement, mais pourquoi le faisais-je ?
" Il n'y a vraiment pas de mal, madame Laurens. Votre fille n'a aucune force de toute façon. "
Tenta Antoine dans une vaine tentative de calmer le jeu et même si l'envie de rire me fit esquisser un sourire, je rivais mon regard sur mes cuisses. Inutile de prouver à ma mère que cette situation me faisait plus rire qu'autre chose.
Mon père ne tarda pas à revenir de la cuisine, suivi de près par Madeleine qui avait les mains prises par les divers plats qu'elle nous apportait. Rapidement, nos assiettes furent pleines de mets à la senteur délicieuse et alors que mes parents ainsi que mon petit-ami ne tardèrent pas les déguster, moi, j'en fus incapable. Non seulement le silence environnant me coupait l'appétit, mais en plus ma gorge était nouée : l'impression que quelque chose allait se passer était prenante, dérangeante et lancinante. Je ne pouvais m'empêcher de guetter la porte d'entrée. Mais qu'attendais-je, bon sang ?
" Rose, chérie, tu n'as pas faim ? " S'alarma mon père et je dus battre furieusement des cils pour décrocher mon regard de la porte d'entrée. Trop de souvenirs datant de l'époque où Maxine et moi habitions encore ici étaient en train de m'assaillir, de me pourrir.
" Rose. " Trancha ma mère et j'eus un hoquet de surpris.
" Pardonnez-moi, j'étais dans mes pensées. " M'excusai-je avant d'adresser un sourire craintif à mon petit-ami : de la sauce s'était accrochée au coin gauche de sa bouche. Il était adorable comme ça. Machinalement, je relevai ma main pour l'essuyer mais me ravisais au dernier moment.
" Peu importe. " Conclut ma matriarche qui déporta son regard sur mon blond. " Alors, Antoine, que comptez-vous faire après ? "
" Je vous demande pardon, mais après quoi ? " Ria-t-il nerveusement après s'être essuyé la bouche d'un revers de la main.
" Eh bien après votre lubie pour le rap, voyons. " Ricana désobligeamment mon père à son tour et mes yeux sortirent de leur orbite. Il n'avait pas osé ?
" Je suis navré de vous contredire, mais ce n'est pas qu'une simple lubie. En fait, c'est mon métier. " Répliqua calmement mon ami, mais ses poings crispés sur ses couverts trahirent son agacement.
" Un métier ne nécessitant pas d'études. " S'activa de répliquer ma mère, hautaine. " D'ailleurs, avez-vous fait des études ? "
" J'ai mon bac. " Répondit-il très posément, bien trop posément : la pointe d'irritation dans sa voix n'était pas passée dans l'oreille d'un sourd.
" De nos jours, vous admettrez qu'obtenir son baccalauréat n'est pas une dure affaire. " Surenchérit ma mère qui évitait scrupuleusement mes œillades suppliantes : j'étais au comble du malaise. " Enfin ta petite-sœur nous a prouvé le contraire, Rose, n'est-ce pas ? "
Un sourire narquois redessina l'ourlet de ses lèvres quand elle braqua son visage dans ma direction et je ne pus démentir le brin de colère que fit naitre sa réplique cinglante. Nos parents avaient toujours eu du mal à concevoir que leur fille cadette n'était pas parvenue à obtenir à son diplôme ; en fait, elle ne l'avait même pas passé. Elle avait préféré érer avec son satané petit-ami de l'époque dans les divers recoins de la capitale. Sûrement à la recherche d'une autre ânerie à faire ... Peu importe.
" Je ne suis pas certaine que Maxine soit un bon exemple, maman. " Osai-je la contredire. " Et puis, il me semble qu'elle se débrouille plutôt bien, même sans son bac. Je me trompe ? "
" Si bien, qu'elle et toi avaient été virées par ton cher ami. " Rétorqua-t-elle non sans laisser entrapercevoir son mécontentement. Je crispai mes mâchoires, déçue par la bassesse de sa riposte. C'était bas, très bas.
" Si je peux me permettre, le travail de vos filles n'a aucun rapport avec leur renvoie. " Me défendit Antoine qui me saisit soudain la main. J'eus le réflexe de vouloir l'enlever car ce genre de marques d'affection ne se faisait en aucun cas à table, mais j'eus soudain envie de provoquer mes géniteurs : la soirée ne pouvait pas être pire de toute manière.
" Alors pour quelle raison ? " Intervint gravement mon père qui avait déposé ses couverts dans son assiette. " Mes filles n'étaient pas assez ouvertes d'esprit pour vous ? "
" Aucun rapport ! "
" Alors expliquez-moi, nom d'un chien, pourquoi est-ce que vous les avez renvoyées ! " Le ton avait changé : nous n'étions plus dans le faux courtois, mais dans l'affrontement. L'atmosphère avait changé, elle grésillait désormais autour de nous, nous asphyxiait et m'angoissait impitoyablement. Si Antoine réfutait, les hostilités étaient lancées, pour de bon cette fois-ci.
" Tout simplement car les personnalités de vos deux filles ne coïncidaient plus avec les nôtres ! C'est quoi votre problème à la fin ?! "
" Antoine ... " Chuchotai-je pour le calmer, mais en vain.
" Nan, laisse-moi finir ! Il n'a pas à me parler comme ça ! " Me cracha-t-il au visage et j'eus un soubresaut lamentable face à son cri. " Vous les avez éduquées pour qu'elles ne se confondent jamais avec le restant de la population, monsieur, avec des types comme nous ! Vous devriez être ravi que notre contrat se soit fini en avance, alors qu'est-ce que vous me faites chi- "
" Monsieur Laurens ! Monsieur Laurens ! "
Intervint subitement Madeleine qui trottinait maladroitement jusqu'à notre table, un torchon sale entre ses deux petites mains fripées. Nous pivotâmes prestement nos visages dans sa direction, alertés par sa voix teintée de panique et l'examinâmes du coin de l'œil tous les quatre. Qu'avait-elle ? Enfin qu'importe finalement : elle ne le savait peut-être pas, mais elle venait de nous sortir d'une impasse. Rien ne pouvait être pire que ce qui se passait présentement, n'est-ce pas ?
" Je suis navrée de vous importuner pendant votre dîner, mais votre fille, Maxine, elle – "
La porte d'entrée s'ouvrit soudainement. Elle se claqua férocement contre le mur auquel elle était boulonnée et créa un bruit d'Enfer qui fit sursauter tout le monde à table, Madeleine comprise. Et si j'avais précédemment dit que la soirée ne pouvait être pire, je m'étais affreusement trompée : le pire restait à venir.
Maxine, vêtue d'un jean brut, d'un simple tee-shirt gris bien trop large pour elle – je le devinais appartenir à Deen, ainsi que d'une veste en cuir, venait de faire son entrée fracassante dans l'appartement. Aussi, elle tenait un gros sac sombre dans sa main. Mon cœur se figea une seconde dans ma poitrine pour ensuite pomper fiévreusement plus de sang en direction de mes organes vitaux quand je me rendis compte de son sourire triomphal et de l'incroyable rougeur de ses yeux. Avait-elle fumé ? Elle n'oserait par débarquer chez les parents ainsi, tout de même ? Mais impossible autrement : elle souriait trop pour que cela soit normal.
Et mes doutes se confirmèrent malheureusement quand elle oscilla soudain sur le côté : l'odeur pestilentielle de la marijuana mélangée à celle de l'alcool me sauta cruellement aux narines, m'arrachant une grimace de dégout. Elle empestait à plein nez et l'odeur fut encore plus écrasante quand elle sautilla gaiment jusqu'à notre table. Je plissai mes yeux, agressée par le parfum répugnant qui la suivait à la trace. Son mascara avait coulé sous ses cils et détonait gravement avec son air guilleret, ses cheveux hirsutes étaient détachés et encadraient son visage anormalement pâle. Des cernes béants retraçaient le pourtour de ses orbes tandis que je la trouvai étonnamment amincie : ses joues étaient plus creuses qu'à l'habitude.
Tous, nous la suivions du regard, médusés devant ses petits pas de danse improvisés : elle sautillait gaiment jusqu'à nous, balançant son gros sac au rythme de ses pas. Qu'avait-elle pour être aussi inhabituellement heureuse ? Je lançai un coup d'œil étonné à Antoine qui respirait toujours aussi fort et dévisageai ensuite mon père qui semblait être dans le même état. Seule ma mère, fidèle à elle-même, ne sourcillait pas. En toute honnêteté, elle ne semblait même pas étonnée par cette arrivée magistrale et inattendue.
" Maxine, que fais-tu là ? Nous ne – "
Mais mon patriarche s'interrompit de lui-même quand ma sœur, toujours aussi égayée par notre étonnement, releva son index à sa bouche pour lui indiquer de se taire. Abasourdi par ce geste inconvenant, mon père se rassit sagement dans le fond de sa chaise et se contorsionna plus amplement dans son fauteuil en velours pour pouvoir continuer de regarder sa seconde fille qui s'était enfin immobilisée. Désormais, ses petites mains semblaient effleurer les multiples tableaux de famille qui reposaient sur la commode. L'ensemble de nos moments familiaux étaient rassemblés dans ces cadres photos : anniversaires, mariages, soirées importantes, première exposition de Maxine ... Ils s'agissaient de nos rares souvenirs et mon mauvais pressentiment renaquit soudainement dans mes pensées. Et si ... et si Ken avait parlé ?
Une frisson d'horreur me traversa toute entière, électrisant ma épiderme qui se recouvra de chair de poule. Mon organe vital s'emballa furieusement contre mes côtes tandis que mon visage se décomposait un peu plus à chaque seconde. La peur était en train de ma paralyser, d'anesthésier tous mes sens et mon bon sens. Chaque goutte de sang qui parcourait mon organisme me sembla brusquement glacée, douloureusement gelée et quand je compris enfin les raisons de sa venue, j'eus de nouveau envie de pleurer. Si bien que mes yeux s'embuèrent dans la seconde, floutant ma vision et tuant ma raison.
Elle savait qu'Antoine était là ce soir, elle le savait pertinemment : elle avait même choisi expressément ce moment pour venir détruire nos vies à tous les trois. Elle voulait des témoins : un homme capable de me faire encore plus de mal qu'elle. Une tristesse incommensurable se mêla alors à la peur. Ma sœur n'avait pas encore dit un mot, elle ne m'avait même pas regardé une seule seconde, pas une seule, elle n'avait d'ailleurs regardé personne, mais déjà elle venait de m'enterrer vivante. Elle jouait avec le silence, le moulait à sa guise pour nous angoisser, nous terroriser : elle savait le pouvoir qu'il avait sur notre famille.
Doucement, malheureusement consciente que même en intervenant cela ne changera pas son objectif, je me relevai de ma chaise sous les yeux curieux d'Antoine qui ne comprenait rien à ce qu'il se passait. Il tenta de me saisir la main, mais je l'enlevai immédiatement ; d'ici quelques minutes, quand Maxine aura enfin déballé son sac, il n'osera même plus me toucher. Il me regardera comme on regarde une condamnée un mort, une accusée à la barre, une moins que rien.
Et quand je fus stable sur mes deux pieds, les yeux cloués à ma petite sœur qui continuait sa contemplation de nos photos de famille, une larme finit par dévaler ma pommette. Une unique qui suffit à lancer le début de ce massacre familial.
" Maxine ... " Soufflai-je et je fus moi-même étonnée par la faiblesse de ma voix. La brune ne cilla pas, toujours courbée en avant et de dos. Un sanglot menaça de franchir la barrière de mes lèvres quand je réitérai : " Max, je t'en supplie ne fais pas - "
Et brusquement, son bras maigrichon balaya la commode, envoyant valser contre le parquet tous nos cadres photos. Tous, sans exception, explosèrent suite à leur impact violent contre le sol. Ma mère et Madeleine crièrent à l'unisson tandis que les deux hommes de la table se relevèrent soudainement de leur chaise pour prendre un pas de recul. Je fus l'unique à ne pas esquisser de mouvements vers l'arrière. Je fermai simplement mes paupières, démunie et effrayée. Les larmes maculèrent mon visage, ruisselant sur mes joues jusqu'à venir se dissoudre sur mes lèvres. Un gout salé se répandit sur ma langue quand ma sœur se retourna doucement dans notre direction, essoufflée et enragée : ses yeux n'avaient plus rien de jovial. Ils n'étaient plus que colère et rancune, haine et amertume. Elle nous rendait la monnaie de notre pièce.
Cruellement, violemment, silencieusement.
" Maxine, enfin ! " Mugit ma mère qui avait apporté ses deux mains à sa bouche pour étouffer ses précédents hurlements de stupéfaction. " Tu es complètement folle ! Ce sont nos photos de famille ! "
" Folle ? " L'interrogea-t-elle, mais sa voix se brisa avant qu'elle ne finisse sa question. " Famille ? " Ria-t-elle sinistrement.
Un sourire creusa alors ses fossettes, un sourire perfide, ironique, qui avertissait qu'elle était dangereusement proche de l'explosion. Et puis soudain, elle s'avança jusqu'à nous, faisant reculer d'horreur Madeleine qui fuit aussitôt vers la cuisine. Et comme elle avait raison. Moi aussi je l'aurais fait si je le pouvais. Après tout, j'avais fui cet instant depuis bientôt trois ans.
" Putain, ouais t'as raison. Je suis barge ! " Ria-elle à gorge déployée. " Mais que veux-tu, nous les Laurens, nous le sommes tous un peu, non ? "
" Je t'interdis de dire – "
" Ferme-la, maman, pour une fois dans ta vie : ferme-la ! "
Cria-t-elle instantanément, faisant tressauter de peur ma mère et moi-même. Mon père lui semblait, tout comme moi, comprendre que nous n'avions plus à parler : c'était à son tour. Après trois années, Maxine prenait enfin la parole et nous allions malheureusement tous en payer le prix. Dépitée, je rivai mon regard au sol et pleurai en silence quand ma petite sœur balança soudainement son gros sac noir sur la table. Le contenu de nos verres se déversa sur la nappe, mais personne ne sembla y faire attention, pas même moi alors que l'eau ruisselait sur mes pieds découverts. Rien, si ce n'est mon cœur qui se fendait, se pulvérisait, n'était plus important que ce qui se jouait face à nous.
" Vous savez quoi ? La vie est incroyablement bien faite certaines fois. " Gloussa la brune de l'autre côté de la table et je mis ses changements d'humeurs sur le compte de son état d'ébriété évident. Je refusai de croire que c'était nous, qui l'avions rendue aussi folle. " Je suis pétée de thunes J'ai même tellement d'argent dans mon compte en banque que je ne savais même plus quoi en faire il y a encore un mois. Et puis soudain ! " S'extasia-t-elle en ouvrant la fermeture éclair de son sac. " J'ai trouvé une solution ... "
Puis elle renversa le contenu de son sac sur notre table. Des dizaines et des dizaines de liasses de billets s'écrasèrent alors dans nos assiettes, dans l'eau et sur nos couverts. Des centaines et des centaines de billets, tellement que quiconque normalement constitué en aurait eu le tournis, moi la première, parce que je savais précisément combien il y avait sur cette table. Je connaissais la somme exorbitante qui jonchait cette nappe souillée par les projections de nourritures.
" Trente mille euros. C'est dingue, pas vrai ? Tu ne trouves pas, Antoine ? Trente mille balles, merde ! " Ria-t-elle à s'en fendre la mâchoire. Mon petit-ami se crispa, ne comprenant sûrement pas ce qu'il venait faire là-dedans, mais ne dit pas un mot, seulement spectateur de la folie de ma sœur. Une folie destructive que ma famille et moi-même avions bâtie de toute pièce. " Qu'est-ce que t'en ferais toi, blondinet ? Tu achèterais une voiture, des vêtements ? Non, je sais ! Tu partirais en voyage ! "
" Maxine, je t'en prie, ne l'emmêle pas à ça ... " Pleurai-je misérablement et elle détourna brusquement son regard de mon copain qui n'y comprenait rien.
" Toi la première, sœurette, je te conseille de te taire. C'est un conseil, un foutu conseil que je te donne alors utilise-le. Crois-moi, t'en auras pour ton grade toi aussi. " Siffla-t-elle, déversant tout son venin dans ces quelques mots menaçants. Nous nous défiâmes du regard longuement, mais je ne pus lui tenir tête plus longtemps : Ses yeux étaient beaucoup trop déstabilisants. " Bien ! " Reprit-elle plus gaiment. " Je disais : bref, tu en ferais surement bon usage. Mais vois-tu, ici, dans la famille Laurens - ta chère petite-copine aussi donc, nous l'utilisons pour acheter des gens. Oh non, ne regarde pas ma sœur, gueule d'ange ! " Ria-t-elle après que les yeux d'Antoine se soient posés sur ma figure trempée de larmes. " Rose a honte, en ce moment. Elle a honte parce qu'elle vient de comprendre que d'ici quelques secondes, tu la détesteras. Triste réalité, Rosie, pas vrai ? "
Elle me demanda après s'être penchée sur la table pour se rapprocher davantage de ma figure. Un rire cynique s'échappa de ses lèvres quand elle comprit que je ne lui rendrais en effet pas son regard et elle reprit :
" Et Rose et mes parents ont honte, Antoine, parce que figure-toi qu'ils ont acheté mon ex-fiancé pour qu'il me quitte ! Dingue, pas vrai ? Mes parents et ta petite-amie lui ont donné trente mille putains d'euros pour qu'il m'abandonne alors que j'étais en train de dormir paisiblement dans un petit lit d'hôpital ! C'est fou, comme nous, les Laurens, on ne sait plus quoi faire de notre fric, n'est-ce pas ? " Ironisa-t-elle, ravie de tous nous voir la tête baissée.
" Maxine, tu vas beaucoup trop loin cette fois ! " Intervint malgré tout mon père après qu'un de mes sanglots ait déflagré dans la pièce.
" Oh non, papa, oh non. En fait, je crois même que vous devriez me remercier. Non, finalement, j'en suis certaine : vous devriez me remercier. Regardez ! Je vous rembourse ! Je vous rends votre argent, papa ! Moi, la sans-diplôme ! Dis-moi, tu es fière de moi, maintenant ? "
Enfin, elle changea de cible, délaissant mon blond et moi-même pour se placer entre mes deux parents. Son rictus inquiétant fit de nouveau baisser les yeux de mon père et un rire rauque fit vrombir sa poitrine rachitique.
" Mais merde !Regardez-vous, vous êtes juste ... lamentables ! Encore pire que moi ! " Pouffa-t-elle. " Mais au fait, toi, ma chère petite maman, t'en penses quoi, je te trouve bien silencieuse. Aurions-nous échangé les rôles ? " Et ma mère ne répondit pas à la blague cynique de ma petite sœur. " On dirait bien que t'as perdu ta langue, en effet. " Conclut-elle finalement en s'écartant de nous. D'un geste de la main, elle récupéra à la volée son sac vide qui trainait sur la table et s'éloigna de quelques pas. " Enfin bref ! " Elle chantonna ingénument en shootant dans l'un des bouts de verres brisés au sol. " Au cas où vous ne l'auriez donc pas compris : à mes yeux, vous n'existez désormais plus. Je me suis donc arrangée avec ma banque, mon notaire et mon cher ami l'avocat pour m'assurer que vous et moi, nous n'ayons plus rien en commun. "
Doucement, elle sortit un papier froissé de la poche de sa veste et le fit glisser sur la table. Ses lèvres se rapprochèrent de mon oreille et tandis qu'elle tapotait doucement la feuille sous mes yeux, elle me murmura :
" Je t'ai donné mes parts sur l'appart, sœurette : tu en es désormais la propriétaire exclusive. Conclusion : toi et moi n'habitons plus sous le même toit. Ô et bien évidement, Rose, tu es au chômage désormais. " Un silence apparut dans la pièce, un silence où je jure avoir pu entendre mon cœur se fracturer. " Dommage ... " susurra-t-elle pour que personne ne parvienne à l'entendre. " ... j'ai bien cru qu'on finirait par s'aimer toi et moi. "
Craintivement, je rehaussai mon regard gorgé de larmes vers le sien empourpré par les multiples vaisseaux sanguins qui avaient éclatés dans le blanc de ses yeux. Je cherchai activement une trace de compassion, d'amour, peut-être même de regrets ... Mais je n'y vis que de la haine et du mépris. Ses pupilles étaient un puit sans fond où toute la rancœur du monde s'y était réfugiée : nous l'avions brisée par pur égoïsme, et Maxine, en bonne vengeresse, nous avait rendu la monnaie de notre pièce.
Et mon Dieu, la douleur était insurmontable. Je souffrais, chacun de mes organes, de mes os et chacune de mes pensées étaient soumis à une douleur sans pareille. Un tourment qui me fit voir trouble, tant, que je dus me raccrocher à la table pour ne pas tomber à la renverse quand elle détourna finalement ses yeux.
Puis, alors que plus personne dans la pièce n'osait intervenir, d'un pas bien plus assuré qu'à son arrivée, ma soeur partit de l'appartement sans jamais se retourner et claqua la porte d'entrée, fracturant les derniers lambeaux intacts de mon âme.
➰
Ouloulou ...
Je vous avoue, même moi j'ai détesté Max dans ce chapitre (extrêmement long d'ailleurs, pour me faire pardonner de mon absence ces derniers temps 😔)
J'espère qu'il vous a plu ! Je sais que certaines d'entre vous adooooorent Antoine et Rose, j'espère que ce petit chapitre vous a comblé ! Et ne vous inquiétez pas Neknek revient au prochain chap' :*
Mais je suis pressée de voir votre opinion sur la situation : Max, dans l'excès ou pas ? Rose/Antoine bien ou pas ? Les parents de cons ou pas ?
Enfiiiiiiin bref
Bisous les cariños ! Je vous aime, bonne nuit ❤️
-Clem
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